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L’ÉLÉMENT MORAL DE L’INFRACTION ET L’ABSENCE DE CONSENTEMENT

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A. La consistance de l’élément moral et l’exigence tenant à la connaissance de l’absence de consentement de la victime

Définition. – L’article 121-3 du code pénal fixe la règle générale qui s’applique évidemment aux infractions sexuelles : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. » L’intention se définit comme « la volonté de l’agent de commettre le délit tel qu’il est déterminé par la loi ; c’est la conscience, chez le coupable, d’enfreindre les prohibitions légales qu’il est toujours réputé connaître »(1). En matière de viol et d’agression sexuelle, le degré d’intention requis par la loi est le « dol général », c’est-à-dire le plus restreint qui puisse être : la simple conscience de commettre le fait interdit. Nul besoin que l’agent cherche à atteindre un but précis, ou de s’interroger sur les mobiles de son acte. Il faut et il suffit de prouver qu’il (i) a voulu commettre l’acte incriminé, tout en ayant conscience (ii) de son caractère sexuel et (iii) de l’absence de consentement de la victime.
Intention coupable et connotation sexuelle. – Les deux premiers points ne posent pas de grande difficulté. L’intention de commettre des violences, de proférer des menaces ou encore d’administrer une substance altérant les capacités de la victime, résulte des agissements eux-mêmes. Il en va de même pour la conscience du caractère sexuel de l’acte, bien que la jurisprudence ait dû s’interroger dans une affaire où les accusés avaient infligé à la victime des sévices corporels si abjects qu’ils répondaient à la définition de la torture. Parmi ces actes de torture, l’introduction d’un morceau de bois dans l’anus de la victime avait été spécifiquement poursuivie sous la qualification de viol. Saisie d’un pourvoi, la Haute juridiction a approuvé la cour d’appel d’avoir jugé que « l’humiliation particulière infligée par l’introduction d’un corps étranger dans l’anus n’est pas de la même espèce que les autres sévices qu’il [la victime] a endurés ; qu’il s’agissait alors d’attenter à son intimité sexuelle ; qu’à cet égard l’utilisation d’un préservatif pour recouvrir le morceau de bois est significative »(2). Il sera revenu plus précisément sur la notion de « connotation sexuelle » au titre des éléments distinctifs du viol.
Conscience de l’absence de consentement.A priori, la troisième condition ne pose pas davantage de difficulté. La conscience de l’absence de consentement de la victime s’infère en effet généralement de la nature des moyens employés pour outrepasser son refus. Si l’auteur use de violence ou de menaces, c’est logiquement qu’il avait conscience d’imposer son geste. De fait, les quatre moyens de pression caractéristiques du défaut de consentement de la victime, prévus par l’article 222-22 du code pénal, sont donc également le signe de la volonté criminelle de l’auteur. Pour le viol et les agressions sexuelles, l’élément moral et l’élément matériel sont éminemment liés.
Pour autant, il s’agit ici d’une simple observation empirique. La superposition de la conscience de l’absence de consentement et du recours à un moyen de pression n’est pas automatique et il reste peut-être un étroit interstice, illustré par une affaire dont la Cour de cassation a été saisie. Elle a ainsi censuré un arrêt d’appel au motif que « l’absence totale de consentement de la victime, élément constitutif de l’agression sexuelle, doit être caractérisée pour que l’infraction soit constituée »(3), alors même que la cour d’appel avait caractérisé l’usage de violences par l’auteur. En déduisant de ces violences qu’il « ne pouvait pas ne pas se rendre compte que sa partenaire n’était pas tout à fait consentante », la cour d’appel a employé une expression malheureuse – et surtout impropre au droit pénal : « pas tout à fait consentante ». Le doute profite à l’accusé et la Cour de cassation ne s’était pas satisfaite de cette incertitude. Elle attend des juges du fond qu’ils constatent que l’agent savait que la victime n’était pas du tout consentante.


B. L’erreur de fait sur l’existence du consentement de la victime

Définition. – L’agent peut invoquer une erreur de fait pour contester toute intention criminelle. En effet, « la bonne foi, et par conséquent le défaut d’intention délictueuse, peut certainement résulter d’une erreur de fait » à la condition qu’elle porte « sur un des éléments essentiels du délit »(4). Par « élément essentiel », il faut entendre un des éléments constitutifs du délit, et donc notamment en matière d’infractions sexuelles l’absence de consentement ou encore l’âge de la victime lorsque la minorité est un facteur décisif. En outre, cette erreur doit être excusable.
Pour se disculper, l’auteur peut donc faire valoir qu’il a pu légitimement se méprendre au regard de l’apparence de consentement. Appréciée in concreto par les juges, l’erreur présente plusieurs degrés. Certains proposent de distinguer selon la nature de l’apparence et donc de « retenir un consentement vraisemblable mais [d’]écarter, dans un souci évident de protection des victimes, un consentement putatif ». Le consentement vraisemblable serait alors « celui auquel aurait pu croire un homme avisé, placé dans les mêmes circonstances » tandis que le consentement putatif est celui qui « n’a existé que dans l’esprit de l’agent ; il est le fruit de son imagination, aussi ne peut-il pas faire obstacle à sa culpabilité, lorsqu’elle est corroborée par des agissements matériels incontestables »(5).
Evolution de la jurisprudence. – Quoi qu’il en soit, l’erreur de fait sur la réalité du consentement est de plus en plus rarement admise. En 1959, la jurisprudence l’avait retenue au motif « qu’un acquittement du chef de viol ne postule nullement le consentement de la victime ; qu’il peut se justifier par le défaut d’intention de l’auteur ou par un simple doute sur la réalité de cette intention ; que ce défaut d’intention peut résulter de cette circonstance, prouvée ou présumée, que l’accusé se soit mépris ou a pu se méprendre sur les dispositions véritables de la femme et estimer, à tort, que sa résistance n’était pas sérieuse »(6). Cette solution et les termes employés par les juges étonneront sans doute, c’est un euphémisme, les lecteurs d’aujourd’hui. Acquitterait-on encore un accusé au motif que la « résistance » de la victime pouvait passer pour n’être « pas sérieuse » ? Il est permis d’en douter, à la lumière d’un récent arrêt de la Cour de cassation.
Dans cette affaire, une femme mariée s’était rendue à un rendez-vous galant dans la chambre d’hôtel d’un homme qui lui faisait des avances. Sur place, cependant, elle indiquait avoir finalement opposé un refus verbal avant de s’être abandonnée, expliquant « sa passivité par un instinct de survie ». Quant à l’homme, il concédait qu’elle « avait dit “non” à un certain moment de leurs ébats », mais rapportait avoir interprété ce « non » comme se rapportant à sa situation de femme mariée, et donc comme une simple posture de refus, qui ne demandait qu’à être outrepassée. La Cour de cassation censure les juges du fond qui n’ont pas décelé de charges suffisantes à son encontre et les invite à mieux s’interroger sur l’existence d’une intention coupable.


LA SIDÉRATION DE LA VICTIME ET L’APPARENCE DU CONSENTEMENT

Une affaire récente ayant posé la question de l’erreur sur le consentement est révélatrice car l’accusé et la plaignante livraient un récit exactement identique quant au déroulement des faits, de sorte que la problématique ne se situait aucunement sur le plan probatoire. L’accusé est un plombier étranger venu effectuer des travaux chez la plaignante durant plusieurs jours. Il ne parle pas un mot de français. La grande affabilité et la volubilité (assumées) de la plaignante lui font s’imaginer qu’un jeu de séduction s’instaure entre eux – à tort. A la faveur d’un café offert et partagé, il lui caresse les bras, cherche à l’embrasser – elle se dérobe quelques secondes en disant « non, non, non ! », puis cesse toute forme de résistance et s’abandonne. Elle expliquera avoir été plongée dans un « état de sidération » par la peur qu’il ne la tue si elle s’opposait à lui. Précisons que l’accusé est physiquement très imposant. Après la relation sexuelle, tous deux expliquent que l’homme regarde la femme dans les yeux et y décèle – enfin... – la peur. Il lui dit alors avec un fort accent : « Pas normal ? ». Elle ne répond pas et il rentre chez lui en proie au malaise. Il y sera interpellé après que la plaignante, en larmes, a été accompagnée le jour même au commissariat par une amie.
L’absence de consentement ne fait ici aucun doute et la seule question est de savoir si l’auteur a pu légitimement croire que les dérobades initiales de la plaignante n’étaient qu’une posture pudique, ou bien s’il aurait dû mieux s’assurer du parfait consentement de la plaignante, surtout face à son absence de proactivité durant l’acte sexuel. L’homme a finalement été condamné à cinq ans d’emprisonnement – en son absence, ce qui n’a sans doute pas plaidé en sa faveur.
Absence d’incidence du comportement dangereux adopté par la victime. – En tout état de cause, la Cour de cassation n’admet pratiquement jamais que l’on puisse reprocher à la victime sa propre imprudence, comme en témoigne un arrêt de la chambre criminelle du 3 mai 1993(7). La Cour de cassation y a approuvé le renvoi des prévenus devant une cour d’assises du chef de viol : le fait que l’hôtesse du bar ait accepté de suivre les clients dans un autre établissement puis dans l’appartement de l’inculpé ne suffit pas à établir son consentement et à admettre que l’auteur se soit mépris sur l’existence de ce consentement. L’intéressée peut heureusement toujours se raviser. La preuve de l’erreur sur l’existence du consentement est strictement appréciée ; mais elle n’est pas impossible notamment dans l’hypothèse où l’auteur n’aurait pas eu conscience du changement d’état d’esprit de son/sa partenaire.
Consentement et alcool. – Il est de plus en plus admis en jurisprudence que l’alcoolisation d’une personne au point qu’elle n’est manifestement plus en état de consentir librement doit conduire son partenaire pressenti à se détourner et à refuser toute relation sexuelle. Il nous paraît cependant que ce raisonnement doit alors être appliqué de la même manière aux personnes accusées – alors même que, on le verra infra, l’emprise de l’alcool est généralement une circonstance aggravante. Ainsi, si la perception de l’absence du consentement de la plaignante par l’auteur s’apprécie in concreto, alors il faut tenir compte de son état particulier au moment des faits. S’il agit sous l’emprise de l’alcool, il est permis d’imaginer qu’il puisse plus aisément se méprendre, moins facilement détecter les indices (s’ils sont ténus) de l’absence de consentement, et enfin et surtout, qu’il ne soit pas en état de refuser l’acte sexuel, tout comme son partenaire.


LES ÉTUDIANTS ET L’ALCOOL

Une affaire en cours illustre la prise en compte à géométrie variable de l’alcool chez le suspect et la plaignante. Deux amis étudiants en école de commerce, habitués à la consommation imprudente et non maîtrisée d’alcool, se retrouvent au domicile du premier. Sous l’emprise de l’alcool, ils ont une relation sexuelle. Le lendemain, la plaignante n’a plus aucun souvenir ; l’auteur, quant à lui, se souvient des faits et les raconte... Or ce récit témoigne du fait que la plaignante n’était manifestement pas en état de consentir. Choquée que son ami ait « profité » (ce sont ses mots) de son état de vulnérabilité, elle dépose plainte pour viol. L’ami est alors mis en examen. La solution interpelle : ce n’est pas parce que l’auteur des faits s'en souvient correctement, tandis que la plaignante souffre d’un « black out » que le premier était davantage en maîtrise de ses gestes...
Conclusion. – Plus généralement, le débat contemporain est donc de savoir quel degré d’exigence pèse sur les personnes qui s’apprêtent à avoir une relation sexuelle. Il ne nous appartient pas de répondre ici à cette question, mais simplement de faire observer qu’au regard de la jurisprudence actuelle, tout doute quant à la réalité du consentement du partenaire autorise à formuler les choses explicitement – quelque désagréable que cela puisse être parfois.


(1)
E. Garçon, Code pénal annoté, Sirey, t. I, « art. 1er », n° 77.


(2)
Cass. crim., 6 déc. 1995, n° 95-84881.


(3)
Cass. crim., 20 juin 2001, n° 00-88258.


(4)
E. Garçon, Code pénal annoté, « art. 1er », précité.


(5)
X. Pin, « Le consentement en matière pénale » (dir. P. Maistre du Chambon), thèse, 2002.


(6)
C. assises Haut-Rhin, 21 avr. 1959.


(7)
Cass. crim., 3 mai 1993, n° 93-80683.

SECTION 1 - UN ÉLÉMENT CONSTITUTIF COMMUN : L’ABSENCE DE CONSENTEMENT

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