L’article 222-22 du code pénal prévoit deux façons de commettre une agression sexuelle. La première consiste à forcer le consentement de la victime qui a alors parfaitement conscience de l’acte qu’on lui impose (A). La seconde vise l’hypothèse où le consentement de la victime a été surpris, c’est-à-dire celle où elle n’a pu donner un consentement éclairé parce qu’elle ne se rendait pas compte des actes qu’elle subissait (B). Observons que la notion de « contrainte » se décline de part et d’autre de cette dichotomie : la contrainte physique confine à la violence tandis que la contrainte morale se rapproche de la surprise.
A. Le consentement forcé
Le consentement forcé recouvre l’usage de la violence, de la contrainte physique et de la menace. Ces procédés ne soulèvent pas de difficulté particulière.
Appréciation souple. – Ces éléments s’apprécient évidemment in concreto, en considération notamment de la personne qui en est victime. Concernant d’abord la contrainte, la Cour de cassation a jugé qu’elle devait être évaluée en fonction de la capacité de résistance de la victime dont elle relève ; en l’espèce, qu’elle était atteinte de psychonévrose dépressive et obsessionnelle grave, qu’elle se trouvait isolée, en complet désarroi, dans une chambre d’hôpital où l’agresseur serait venu la réveiller en pleine nuit(1). Il n’est pas nécessaire, en revanche, que la contrainte présente un caractère si impératif qu’il serait impossible de s’y soustraire.
S’agissant de la menace, le juge tient compte de la situation de dépendance de la victime à l’égard de l’auteur pour établir le caractère contraignant de la menace, sans pour autant la déduire ipso facto de cette situation, même lorsque l’auteur exerce une autorité de fait ou de droit sur la victime. Il en va de même, à cet égard, de l’âge de la victime et notamment de sa minorité. Ce sont des indices laissant présumer un abaissement de la capacité de résistance de la victime.
Limites. – Le juge doit procéder à une analyse concrète mais objective du consentement forcé. Ainsi la contrainte se distingue-t-elle du sentiment de soumission éprouvé par la victime(2). La menace, quant à elle, doit présenter une certaine crédibilité. C’est pourquoi la cour d’appel de Caen a par exemple refusé de pénaliser le fait de menacer une victime de jeter un sort sur elle et sur sa famille(3). Cette décision ne doit pour autant pas être généralisée, selon nous : si les acquis socio-culturels ou religieux de la victime la placent dans une situation de croire au sérieux de ces menaces, et que l’auteur le sait et en profite, ce comportement ne nous paraît pas devoir échapper à la sanction.
B. Le consentement surpris
Définition. – Le terme de « surprise » n’est pas employé ici dans son acception de nom commun (savoir : l’émotion provoquée par un événement inattendu), mais au sens du verbe conjugué au participe passé, comme a dû le rappeler la Cour de cassation(4). La surprise désigne donc un consentement donné par erreur ou par tromperie. Il convient là encore de l’apprécier objectivement.
Amphitryon. – Le cas le plus connu historiquement – et le plus classique en jurisprudence – est celui de Zeus se rendant auprès de l’épouse d’Amphitryon sous les traits de ce dernier dans un dessein bien compris. Il donne aussi lieu à une scène étonnante contée par Alexandre Dumas dans Les Trois mousquetaires. Nous regrettons de ternir l’image de d’Artagnan aux yeux des lecteurs des ASH, mais profiter du noir qui règne dans la chambre de Milady pour l’étreindre en prétendant faussement être un lord anglais avec qui elle entretenait une liaison nous paraît indiscutablement caractériser le crime de viol par surprise. C’est en tout cas la solution retenue par la Cour de cassation au sujet d’un homme qui s’était introduit dans le lit de sa victime en se faisant passer pour son mari(5). Ceci, peut-être, excusera quelque peu l’ardeur que Mme de Windsor déploiera à causer la ruine du Gascon, une fois que celui-ci aura imprudemment confessé la supercherie. La naïveté du jeune homme à cet égard renseigne d’ailleurs beaucoup sur l’état d’esprit qui régnait à l’époque.
Substances psychoactives. – L’époque contemporaine a vu naître un autre cas typique de consentement surpris : l’administration de substances psychoactives destinées à altérer ou à abolir les capacités intellectuelles de la victime. L’imaginaire commun renvoie immédiatement à l’acide gamma-hydroxybutyrique, plus connu sous le nom de GHB. Cette drogue, lorsqu’elle est inoculée conjointement avec de l’alcool, prive la victime de sa capacité d’exprimer un refus à quoi que ce soit – et du souvenir, le lendemain, du déroulement des faits. Mais cet imaginaire est véhiculé par les séries et films américains : en France, en 2017, l’Agence nationale de sécurité du médicament n’a recensé que trois cas liés au GHB sur 462 cas de soumission chimique. Les principes actifs utilisés par les auteurs d’infractions sexuelles en France sont plus couramment (41 % en 2017) les tranquillisants : Xanax, Lexomil, Valium, Stilnox... Récemment, par ailleurs, un homme a été mis en examen pour avoir glissé de l’ecstasy dans le verre de sa « date Tinder » sans l’en aviser. La plaignante a expliqué se souvenir parfaitement de la relation sexuelle, d’y avoir pleinement consenti sur le moment et même d’y avoir pris plaisir, mais « sans comprendre pourquoi »... jusqu’à ce que le laboratoire d’analyse confirme ses suspicions. A cet égard, la plupart des substances évoquées supra se retrouvent dans les urines – jusqu’à 10 jours après pour les tranquillisants, mais 10 heures seulement pour le GHB. Passé ces délais, une analyse des cheveux permet souvent la détection pendant plus d’un mois.
Limites et illustration récente. – Encore faut-il distinguer la tromperie de la séduction et déterminer si les circonstances révèlent une simple entreprise de séduction à laquelle a succombé l’individu ou si elles peuvent refléter des manœuvres visant à déstabiliser et tromper la victime afin de surprendre son consentement. La séduction n’est évidemment pas un comportement répréhensible, en ce compris les mensonges prononcés dans ce but (du moins jusqu’à présent). Seuls les véritables artifices destinés à tromper la victime sont susceptibles de faire dégénérer l’acte en infraction pénale.
La chambre criminelle s’est très récemment prononcée, dans un arrêt très remarqué, sur la surprise résultant d’une ruse réalisée via les réseaux sociaux : « l’emploi d’un stratagème destiné à dissimuler l’identité et les caractéristiques physiques de son auteur pour surprendre le consentement d’une personne et obtenir d’elle un acte de pénétration sexuelle constitue la surprise »(6). Par les mensonges et la manipulation dont il procède, le stratagème aurait ainsi effacé le libre consentement à la relation sexuelle, qui ne peut plus être considérée comme éclairée et voulue.
La caractérisation de la surprise dans ce cas particulier n’allait pourtant pas de soi, en raison du décalage entre l’acceptation de la relation sexuelle et la découverte d’un individu ne correspondant pas au partenaire attendu. Or cette surprise – ou plutôt cet étonnement – ne correspond pas à la notion de « surprise », caractéristique de l’absence de consentement. Il est aussi possible de considérer que la victime avait en quelque sorte accepté un certain aléa en se rendant chez un parfait inconnu, les yeux bandés, pour avoir un rapport sexuel avec lui. Surtout, par un tel raisonnement, n’en viendrait-on pas à inculper demain de viol le mythomane qui, pour séduire, se serait présenté sous les traits d’une star de cinéma qu’il n’est pas ? Pourquoi ferait-on une distinction entre la tromperie sur les caractéristiques physiques et celle sur l’identité, le métier ou les traits de personnalité ?
Ces considérations ne l’ont toutefois pas emporté, mais gageons que les circonstances particulières – l’existence d’un stratagème de dissimulation préconçu froidement, répété sur plusieurs victimes, destiné à dissimuler l’ensemble des caractéristiques physiques et sociales de l’auteur – ont compté pour beaucoup dans l’appréciation des juges. Finalement, et c’est bien compréhensible, la relation sexuelle ne se réduit pas à un consentement donné à l’acte lui-même, mais à un consentement donné en considération de la personne, peu importe que la victime ait fait preuve d’imprudence.
(1)
Cass. crim., 8 juin 1994, n° 94-81376.
(2)
Cass. crim., 21 févr. 2007, n° 06-88735.
(3)
CA Caen, 23 mars 1987, n° 87-50.299(Pas trouvé. Mais ce qui me fait tiquer c’est ce numéro, qui a l’aspect d’un numéro de pourvoi).
(4)
Cass. crim., 25 avr. 2001, n° 00-85467.
(5)
Cass. crim., 11 janv. 2017, n° 15-86680.
(6)
Cass. crim., 23 janv. 2019, n° 18-82833.