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LICÉITÉ DE LA PROSTITUTION AU NOM DU DROIT DE DISPOSER DE SON CORPS

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Définition jurisprudentielle de la prostitution. – En l’absence de définition légale de la prostitution, la jurisprudence retient qu’elle « consiste à se prêter, moyennant une rémunération, à des contacts physiques de quelque nature qu’ils soient, afin de satisfaire les besoins d’autrui »(1). Faut-il voir dans cette formulation la marque d’une pudeur déplacée, ou la volonté assumée d’appréhender les comportements les plus variés ? La question se pose de prime abord, car les lieux où l’on prodigue des « contacts physiques » afin de satisfaire les « besoins » des clients sont divers, communs et fréquentés, à commencer par les salons de massage. Cette connotation sexuelle est ainsi nécessairement contenue de manière implicite dans la définition jurisprudentielle précitée de la prostitution. Reste à savoir si les caresses affectueuses non érotiques, à la faveur par exemple des « bars à câlins » prisés au Japon, entreront dans le périmètre de la prostitution lorsqu’elles s’exporteront en France.
Les différents systèmes d’appréhension juridique de la prostitution. – En ce qui concerne la prostitution dans son acception plus classique, trois systèmes sont concevables. Le premier, dit « abolitionniste », consiste à ignorer officiellement la prostitution et implique la suppression de toute mesure législative pouvant encourager l’activité prostitutionnelle, sans pour autant l’interdire. Le deuxième, dit « prohibitionniste », incrimine la prostitution en tant que telle. Et le troisième, dit « réglementariste », admet le principe de la prostitution mais en assortissant son exercice de règles édictées à peine de sanctions pénales. Tout en se réclamant traditionnellement de la logique abolitionniste, la France adopte néanmoins un système qui nous paraît mixte, en refusant de pénaliser l’acte de prostitution au nom du droit de disposer de son corps (A) tout en pénalisant le fait d’y avoir recours (B).


A. Dépénalisation de la prostitution s’agissant de la personne prostituée

Abolition du délit de racolage. – D’inspiration abolitionniste, la loi du 13 avril 2016(2) a aboli le délit de racolage, seul délit qui permettait encore de pénaliser les personnes prostituées. Erigé en infraction par la loi du 18 mars 2003(3), le délit de racolage était défini à l’article 225-10-1 du code pénal comme « le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération est puni de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende ». Ce délit visait à créer un nouveau point d’entrée pour remonter les réseaux proxénètes, en permettant d’entendre les personnes prostituées à l’occasion de gardes à vue. Il semble qu’il n’ait pas eu l’efficacité escomptée sur ce point. Surtout, il en résultait une certaine incohérence avec l’approche d’inspiration abolitionniste du droit français, qui entend en principe protéger les personnes prostituées, prévenir l’entrée dans la prostitution et aider à la réinsertion. Puisque les personnes prostituées ne sont pas des délinquantes mais des victimes, il est apparu nécessaire d’abroger le délit de racolage.
Pourtant, et sous couvert de cette politique abolitionniste, le législateur tend vers une approche prohibitionniste qui ne dit pas son nom, par la sanction du client de la personne prostituée.


B. Pénalisation du recours à la prostitution

Répression initialement cantonnée au recours à la prostitution de personnes vulnérables. – Dans un premier temps(4), le législateur français a interdit le recours à la prostitution lorsque celui-ci met en cause des personnes prostituées particulièrement vulnérables. Il en va évidemment ainsi du mineur, l’article 225-12-1, alinéa 1er, du code pénal réprimant le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir, en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération, des relations de nature sexuelle de la part d’un mineur, la répression étant renforcée si le mineur est âgé de moins de 15 ans. L’article 225-12-1, alinéa 2, incrimine, quant à lui, le recours à la prostitution d’une personne présentant une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse.
Généralisation de la répression. – Dans un deuxième temps(5), le législateur a interdit le recours à la prostitution, de façon générale, mais en l’assortissant d’une sanction peu sévère, à savoir une contravention de 5e classe. L’article 611-1 du code pénal prévoit ainsi que « le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe ». L’article 225-12-1, alinéa 1er, du même code érige ces mêmes faits en délit lorsqu’ils sont commis en état de récidive légale – faits punis d’une amende délictuelle de 3 750 euros ou d’une peine d’emprisonnement (portée très récemment(6) de trois à cinq ans), si la personne prostituée est mineure ou particulièrement vulnérable.
Constitutionnalité de la répression. – Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité par laquelle les requérants faisaient valoir que ces derniers textes méconnaîtraient le droit au respect de la vie privée, le droit à l’autonomie personnelle et à la liberté sexuelle ainsi que la liberté d’entreprendre et la liberté contractuelle. Il les a cependant validés(7) en soulignant que le législateur avait entendu priver le proxénète de ressources, assurer la sauvegarde de la dignité de la personne humaine et, plus généralement, lutter contre le proxénétisme, rendu possible par l’existence d’une demande de relations sexuelles tarifées. Le Conseil a donc estimé que le législateur avait légitimement cherché à concilier les objectifs à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité humaine et de liberté personnelle.
Pourtant, en se prévalant de la protection de la personne humaine contre les atteintes à sa dignité, le législateur tient pour vraies les prémisses morales selon lesquelles nul ne se prostituerait par choix. Cette position s’éloigne donc de celle retenue en matière de sadomasochisme, examinée supra.


(1)
Cass. crim., 27 mars 1996, n° 95-82016.


(2)
L. n° 2016-444, 13 avr. 2016, visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.


(3)
L. n° 2003-239, 18 mars 2003, pour la sécurité intérieure.


(4)
L. n° 2002-305, 4 mars 2002, relative à l’autorité parentale, art. 13.


(5)
L. n° 2016-444, 13 avr. 2016, précitée.


(6)
L. n° 2021-478, 21 avr. 2021, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste.


(7)
Cons. const., 1er févr. 2019, n° 2018-761 QPC.

SECTION 2 - LA PROSTITUTION ET LA LIBERTÉ SEXUELLE

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