I. PRINCIPE
« Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée. Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins » (CSP, art. R. 4127-47).
Le conseil de l’ordre des médecins souligne que la fonction du médecin est de porter assistance aux personnes malades, avec une double mission : « au service de l’individu et de la santé publique » (C. déont. méd., art. 2, repris à l’article R. 4127-2 du code de la santé publique). « Ce n’est qu’une fois remplie cette obligation que le médecin peut reprendre sa liberté d’action individuelle » (source : site conseil de l’ordre des médecins, code de déontologie, commentaire).
Le principe déontologique a un versant législatif inclus dans le code de la santé publique au titre des « droits des personnes malades ». Hors le cas d’urgence et celui où le professionnel de santé manquerait à ses devoirs d’humanité, le principe de non-discrimination ne fait pas obstacle à un refus de soins fondé sur une exigence personnelle ou professionnelle essentielle et déterminante de la qualité, de la sécurité ou de l’efficacité des soins. La continuité des soins doit être assurée quelles que soient les circonstances, dans les conditions prévues par l’article L. 6315-1 du code (CSP, art. L. 1110-3).
Sur les règles déontologiques et principes pour toutes les professions médicales et paramédicales, voir infra, Chapitre 4.
Note : « Peut-on refuser de prendre en charge une “urgence” au cabinet dentaire », L’information dentaire, n° 20, 20 mai 2020.
Hors le cas d’urgence et l’absence de manquement au devoir d’humanité, est licite le refus de soins consécutif au refus du patient de procéder à certains examens, et en l’absence d’urgence (Conseil national de l’ordre des médecins [CNOM[, 2 mai 2016, n° 12619).
A contrario, en cas d’urgence, le médecin doit répondre à la demande.
Dans tous les cas, y compris en cas de possibilité de refus, un devoir d’humanité s’impose (sur cette notion, voir supra, Chapitre 1 et Chapitre 2).
II. UN IMPÉRATIF : ASSURER LA CONTINUITÉ DES SOINS
La continuité des soins est, avec la permanence des soins, une des conditions fondamentales de l’accès aux soins (D. Tabuteau, A. Laude et S. Brissy, « Refus de soins opposé au malade », Institut droit et santé, 2010, p. 30). La possibilité pour le médecin de refuser des soins doit s’inscrire dans ce cadre.
Le médecin est libre de refuser des soins, sous certaines conditions, et lorsqu’il est engagé dans une relation médicale, il doit accomplir les actes médicaux sans abandonner le malade en cours de traitement. S’il se dégage de cette relation, il doit prévenir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins. Sinon il engage sa responsabilité (CSP, art. R. 4127-47). « L’interruption de soins qui peut s’assimiler à un refus de soins opposé au cours de la prise en charge et non avant celle-ci n’est légitime que si par ailleurs la continuité est assurée » (D. Tabuteau, A. Laude et S. Brissy, « Refus de soins opposé au malade », précité, p. 31) (voir infra, Chapitre 4, sanctions).
La notion de « continuité » trouve une large application et le refus initial est à prendre en compte, au regard notamment de l’obligation d’intervenir, en situation d’urgence. C’est le comportement du professionnel qui entoure le refus qui se trouve aussi visé : l’obligation de donner des soins consciencieux impose d’être attentif dès lors que le médecin est sollicité pour répondre à une demande (CSP, art. R. 4127-32) (voir aussi supra, Chapitre 1).
Le conseil national de l’ordre des médecins indique que « lorsque le médecin estime devoir rompre unilatéralement le contrat médical, il peut fournir au patient les raisons de sa rupture mais n’est pas obligé de le faire. Celles-ci lui étant strictement personnelles, et pouvant relever d’une clause de conscience » (source, site de l’ordre des médecins, code de déontologie, commentaire). C’est une différence importante avec le refus du patient, qui se traduit par un traçage.
Les pharmaciens ont aussi un rôle dans la continuité et la permanence des soins (CSP, art. R. 4235-49).
Pour éclairer le cadre de cette obligation et la possibilité de refus de soins, il est précisé dans un autre article (CSP, art. R. 4127-32) que « dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à des tiers compétents ». Cette obligation comporte le devoir de se renseigner avec précision sur l’état de santé du patient (Cass. 1re civ., 15 mars 2015, n° 14-13292). Le médecin d’une patiente atteinte d’un cancer doit l’inciter à se tourner vers des soins appropriés (CE, 30 mai 2011, n° 339496 B).
En présence d’un doute sur le diagnostic, les articles R. 4127-32 et R. 4127-33 font obligation au médecin de recourir à l’aide de tiers compétents ou de concours appropriés, et n’ouvrent pas une simple faculté (Cass. 1re civ., 27 nov. 2008, n° 07-15963) (voir infra, Chapitre 4).
Sur la permanence de soins, voir CSP, art. L. 6314-1, L. 6112-1 et L. 6112-2, et voir supra, Chapitre 1.
III. ILLUSTRATIONS (VOIR AUSSI INFRA, CHAPITRE 4)
Un généraliste s’est rendu en urgence auprès de sa patiente âgée de 88 ans pour lui poser un pansement compressif afin de soigner une plaie au cuir chevelu suite à une chute. Ne disposant pas de sa trousse de suture, il ne lui a pas proposé de repasser dans la journée pour la suturer : il n’a pas perçu s d’urgence particulière eu égard au comportement alerte de l’intéressée qui n’était pas choquée et ne présentait pas de signe neurologique pouvant laisser présumer un traumatisme crânien. Le praticien n’a pas eu la possibilité de passer la suturer à cause de son emploi du temps chargé, mais il a orienté sa patiente vers la maison médicale de garde située à proximité immédiate de son domicile pour réaliser la suture de sa plaie. Selon la décision rendue par la chambre nationale disciplinaire, « s’il est regrettable que le praticien n’ait pas songé à s’assurer dans le courant du week-end de la suture de la plaie, il ne peut lui être reproché d’avoir manqué à ses obligations déontologiques résultant des articles R. 4127-3 (principes de moralité et de probité) du code de la santé publique, 33 (diagnostic) et 47 (continuité des soins) du code de déontologie, d’autant qu’il est établi que l’absence de suture ne présentait aucun danger pour la patiente » (CNOM, 27 juin 2019, n° 13556).
Manque en revanche à ses obligations un généraliste qui a réalisé une circoncision rituelle sous anesthésie locale sur un petit garçon de 18 mois. Cet acte a donné lieu à des complications dans les heures qui ont suivi (apparition d’un œdème inflammatoire). Les parents du jeune garçon ont fait hospitaliser leur fils le lendemain pour une intervention de reprise sous anesthésie générale. Alors que les parents du jeune garçon avaient contacté le praticien par SMS, pour lui faire part des suites anormales de l’intervention et des fortes douleurs ressenties par leur fils, il s’est contenté de répondre par la même voie le lendemain que la situation était normale. Le médecin a manqué à ses obligations de pratiquer des soins consciencieux en se limitant à une telle réponse et en n’ayant pas de conversation téléphonique avec les parents pour leur proposer une consultation en urgence ou les orienter vers un service hospitalier. Par ailleurs, les complications de l’acte de circoncision, quoique rares, ne sont pas exceptionnelles (sur la notion de « risques exceptionnels », voir supra, Chapitre 1). Pouvant être d’une particulière gravité, elles nécessitent le recours à des chirurgiens spécialisés dans la prise en charge des enfants. Cette activité, lorsqu’elle est comme en l’espèce pratiquée régulièrement, implique ainsi que le praticien ait passé un accord avec une structure de chirurgie pédiatrique permettant l’accueil des enfants 7 jours/7 et 24 heures/24. L’absence d’un tel accord constitue, de la part du praticien, un manquement aux dispositions des articles R. 4127-32 et R. 4127-47 (CDOM, 24 oct. 2018 n° 13235).
En cas d’appel à la grève, un médecin ne peut pas refuser ses soins au cas d’urgence ainsi qu’au cas où il manquerait à ses devoirs d’humanité. Par conséquent, un médecin qui appelle ses confrères adhérant à l’organisation syndicale qu’il dirige à ne dispenser aucun soin, même en cas d’urgence, commet un manquement à une obligation déontologique fondamentale s’imposant à tout médecin, sans que sa qualité de responsable syndical puisse l’en affranchir (CE, 4 mai 2001, n° 205248 A).
Un médecin généraliste exerçant au sein d’une structure SOS médecins était intervenu au domicile d’un patient souffrant de douleurs abdominales depuis plusieurs jours. Il a diagnostiqué une forte constipation et a prescrit un laxatif ainsi qu’un anti-spasmodique. Le patient, qui souffrait toujours, a fait une chute le lendemain et a été hospitalisé en urgence pour une hémiplégie gauche. Un infarctus du myocarde lui a alors été diagnostiqué. Il est décédé un mois plus tard. Il était reproché au praticien de n’avoir pas été suffisamment précis dans les mentions qu’il a reportées dans la fiche d’intervention issue de la base informatique de SOS médecins et de ne pas avoir rédigé de compte rendu à l’intention du médecin traitant (CSP, art. R. 4127-59). Mais lors de la consultation, des symptômes révélateurs d’un infarctus du myocarde n’ont pas été détectés. Il ne peut donc être reproché au praticien d’avoir manqué à ses obligations prescrites par les dispositions des articles R. 4127-32 (soins consciencieux, dévoués...) et R. 4127-33 (élaboration du diagnostic dans le plus grand soin) du code de la santé publique (CNOM, 11 déc. 2019, n° 13806).
IV. RAISONS PERSONNELLES OU PROFESSIONNELLES
a. Notion – définition – illustrations
Afin d’identifier quels peuvent être les raisons et les contextes dans lesquels un médecin ou praticien peut opposer un refus pour raisons personnelles ou professionnelles, plusieurs éléments sont à prendre en considération.
Tout d’abord, l’appréciation doit être faite à l’aune du respect de la dignité du patient.
Un arrêt du Conseil d’État rendu sous l’empire de l’ancienne rédaction du code de déontologie en est une illustration. En rédigeant une lettre en termes véhéments, le médecin manque à des obligations (alors mentionnées à l’article 35 du code de déontologie médicale) qui imposent au médecin de ne jamais se départir d’une attitude correcte envers le malade et de respecter la dignité de celui-ci (CE, 10 mars 1997, n° 167221). L’article R. 4127-7 du code de la santé publique, qui reprend le code de déontologie, précise que le médecin « ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne examinée ».
Cette jurisprudence est à mettre en perspective :
- d’une part, avec le devoir d’information qui répond à la nécessité pour le patient d’avoir un « consentement éclairé » (CSP, art. L. 1110-2 et R. 4127-35) ;
- et, d’autre part, avec le respect du principe de non-discrimination et l’article R. 4127-7 du code de la santé publique. « Le médecin doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard » (sur le refus discriminatoire, voir aussi Section...).
Questions de compétences
Le refus de soins s’impose au médecin lorsque la demande excède sa compétence. Disposant d’un diplôme, il ne s’agit pas d’exercice illégal de la médecine. Ainsi, « tout médecin est, en principe, habilité à pratiquer tous les actes de diagnostic, de prévention et de traitement. Mais il ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, entreprendre ou poursuivre des soins, ni formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose » (CSP, art. R. 4127-70). Un conflit peut naître entre le refus de soins et l’obligation de porter secours : l’existence de circonstances exceptionnelles conduit à donner priorité au devoir de porter secours qui peut prendre la forme d’une intervention directe ou la possibilité d’exécuter ce devoir d’assistance en provoquant l’appel d’un confrère.
b. Illustrations
La circonstance qu’un médecin généraliste ne soit pas urgentiste ne peut l’exonérer de sa responsabilité en cas d’erreur de diagnostic, dès lors qu’il est fait déontologiquement obligation à tout praticien de s’abstenir, sauf circonstances exceptionnelles, dans des domaines qui dépassent ses connaissances (Cass. 1re civ., 25 nov. 2010, n° 09-68631) (voir infra, Chapitre 4, responsabilité).
En l’espèce, le médecin généraliste en charge du service d’urgence dans une clinique n’a décelé au vu d’un bilan radiographique qu’une simple fracture du cubitus droit, alors qu’il s’agissait en réalité d’une fracture plus complexe : le médecin doit s’abstenir, sauf circonstances exceptionnelles, dès lors que ses compétences sont dépassées.
La question se pose aussi dans des situations d’urgence en santé mentale. Le médecin généraliste peut se considérer incompétent et refuser d’intervenir.
En cas de demande de certificat en vue d’une hospitalisation sans consentement, l’appel fait (ex. : par la famille) au médecin traitant n’est pas le plus pertinent. Compte tenu des conséquences d’une telle décision, celui-ci a le devoir d’orienter vers des services compétents, faire appel à des tiers, si ses compétences sont outrepassées.
La plus grande prudence doit être observée par le médecin, lorsque les relations de couple sont tendues.
Un généraliste établit un certificat médical attestant de l’état psychologique fragile d’une patiente, à la demande de son époux. Le médecin lui remet le certificat pour permettre l’internement de sa femme en milieu psychiatrique. Ce même médecin avait examiné la patiente au cours des mois précédents pour une pneumopathie sévère mais il ne l’a pas examinée pour rédiger le document litigieux. Les allégations figurant dans le certificat ne résultaient d’aucune constatation médicale mais seulement des dires de l’époux de la patiente. Le praticien, qui n’ignorait pas les relations difficiles du couple, a commis plusieurs fautes déontologiques en rédigeant un certificat qui n’est pas basé sur un examen du patient et qui peut être regardé comme un certificat de complaisance et s’est immiscé dans les affaires familiales du couple (CNOM, 11 déc. 2019, n° 13100).
Autres motifs
c. Agressivité du patient
Des refus de soins sont justifiés en présence de comportements agressifs dès lors que le médecin reste dans les limites du refus de soins licite et respecte les obligations de réorienter le patient vers un professionnel compétent (Conférence nationale de la santé, « Rapport », 2010, p. 15, citant CNOM, 16 mai 2002, 19 févr. 2003, 6 sept. 2007).
d. Illustrations
Un urologue reçoit en consultation un patient. Après un interrogatoire, l’étude du dossier, comprenant de nombreux examens prescrits par différents urologues précédemment consultés par le patient pour la même pathologie, et un examen clinique complet, le praticien estime que le patient ne présente aucune pathologie et refuse de lui prescrire le traitement que celui-ci réclame. Devant l’attitude agressive du patient, le praticien lui donne l’ordre de sortir de son cabinet et signifie qu’il refuserait, à l’avenir, de lui prodiguer ses soins. Ce refus est justifié (CNOM, 22 déc. 2019, n° 13865).
Un patient qui fait état de son engagement politique et indique avoir pris publiquement à partie un médecin au sujet de l’acceptation du tiers payant, se présente chez un médecin, qui n’est pas son médecin traitant, en vue de consulter pour un problème au bras, en réalité une thrombose. Étant dans un état de vive agitation, parlant fort, revendiquant bruyamment l’application du tiers payant sans que celle-ci ait soulevé de difficulté, le praticien considère son attitude comme agressive. En l’absence de situation d’urgence, il est en droit de refuser de donner ses soins, l’instruction du dossier ne montrant pas que ce refus aurait présenté un caractère discriminatoire (CNOM, 22 nov. 2019, 13744).
Le praticien qui s’abstient d’appliquer une thérapeutique adéquate en raison du refus obstiné et même agressif de sa patiente ne commet aucune faute professionnelle de nature à constituer le délit de non-assistance (au pénal : Cass. crim., 3 janv. 1973, n° 71-91820 ; au disciplinaire : CE, 6 mars 1981, n° 25105, pour un traitement palliatif à une malade atteinte d’un cancer de l’utérus qui refusait de se soumettre au seul traitement susceptible d’avoir une action efficace).
Est également justifié le refus d’une infirmière de se déplacer en zone de détention sans être accompagnée d’un membre du personnel de surveillance (CE, 15 mars 1999, n° 183545). Dans cette espèce, une infirmière affectée à un centre de détention avait refusé de se rendre auprès d’un détenu victime d’un malaise et qui devait décéder par la suite. Des consignes prévoyaient l’exigence pour tout déplacement des infirmières en zone de détention, pour des raisons de sécurité, l’accompagnement d’un membre du personnel de surveillance et il n’était pas soutenu par l’administration pénitentiaire qu’aucun surveillant n’était disponible pour l’accompagner. Par ailleurs, elle avait immédiatement fait appel au service médical d’urgence (les sanctions prises, consistant en une mesure de rétrogradation et une mutation, ont été annulées).
e. Mésentente
Le fait qu’une première grossesse ait donné lieu à un contentieux contre le gynécologue-obstétricien, en raison de complications, justifie le refus par le même praticien de prendre en charge une seconde grossesse, dès lors qu’il agit humainement, indiquant à la patiente les coordonnées d’autres établissements, et en l’absence d’urgence ou de motivation d’ordre discriminatoire ou purement financière (CNOM, 17 sept. 2010, n° 10525).
f. Mésentente entre confrères
Une anesthésiste quitte le bloc opératoire, après avoir assuré trois interventions de chirurgie plastique sur les six initialement prévues, en raison du comportement du chirurgien à son égard et notamment de ses critiques sur le fonctionnement de la clinique où elle assume certaines responsabilités administratives. Elle estime ne plus pouvoir effectuer normalement ses anesthésies. Un patient est alors opéré sous anesthésie locale et, en l’absence d’urgence, les derniers sont opérés le lendemain en présence d’un autre anesthésiste. Elle a personnellement averti les patients de son impossibilité de les anesthésier et informé de la situation les présidents de la commission médicale d’établissement et du directoire de la clinique. Elle a sollicité des confrères pour assurer la prise en charge de ses patients. Ni le respect de la vie humaine et l’assistance à des malades en péril, ni la continuité des soins n’ont été méconnus (CNOM, 4 oct. 2011, n° 10826).
g. Refus lié à l’exercice de la clause de conscience
Une clause de conscience générale est contenue dans l’article 47 du code de déontologie médicale (codifié à l’article R. 4127-47 du code de la santé publique) puisque le médecin peut refuser des soins pour des raisons personnelles, sous réserve des cas d’urgence ou de manquement aux devoirs d’humanisme ou d’assistance. Le motif de conscience peut constituer l’une des raisons personnelles.
Cette faculté est reconnue à d’autres professions (voir récapitulatif, p. 86 et s.).
La clause de conscience peut être invoquée sous réserve de l’application de l’article 223-6 du Code pénal visant l’omission de porter secours (non-assistance à personne en péril).
L’application de la clause de conscience a donné lieu à des contentieux liés au droit à l’avortement.
Dans plusieurs pays, dont la France, il existe une clause de conscience spécifique.
DROIT EUROPÉEN
Les États ne disposent pas de clause de conscience. Une telle clause permettrait à des États interdisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG) de s’opposer sur leur territoire à la diffusion d’informations concernant les États où il est possible de la pratiquer (Cour de justice des Communautés européennes [CJCE[, 4 oct. 1991, aff. C-159/90, Irlande ; Cour européenne des droits de l’Homme [CED H[, 29 oct. 1992, aff. 14234/88, Irlande).
La Cour européenne des droits de l’Homme ne consacre pas un droit général à l’« objection de conscience » sur le fondement de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui vise la liberté de pensée, de conscience et de religion. Il appartient aux États d’organiser leurs services de santé de manière à garantir que l’exercice de cette liberté de conscience n’empêche pas les patients d’accéder à des services auxquels ils ont droit (CED H, 26 mai 2011, aff. 27617/04, Pologne, droit à avortement ; CED H, 30 oct. 2012, aff. 57375/08).
De même, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a affirmé le principe d’un droit à l’objection de conscience, tout en soulignant la responsabilité des États d’assurer le droit de chaque patient à recevoir un traitement légal dans un délai approprié (Résolution du Conseil de l’Europe, 7 oct. 2010, 1763 (2010).
h. Clause spécifique en matière d’IVG
Afin de concilier la liberté des femmes de disposer de leur corps et celle des professionnels de santé, le législateur a expressément consacré la possibilité pour ces derniers de refuser de pratiquer (pour les médecins et sages-femmes) ou de concourir (sage-femme, infirmier, ou auxiliaire médical) à une interruption volontaire de grossesse.
Ce refus ne devant pas attenter à la liberté des femmes, le médecin ou la sage-femme informe sans délai la personne l’ayant sollicité de son refus et lui communique immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser l’IVG.
Cette clause de conscience spécifique est consacrée par les articles L. 2212-8 et L. 2213-2 du code de la santé publique, aussi bien pour l’IVG que pour l’interruption pour motif médical. Avec une précision, toutefois : l’interruption volontaire de grossesse pour motif médical ne peut être pratiquée que par un médecin.
L’article R. 4127-18 du code de la santé publique mentionne que le médecin « est toujours libre de refuser de pratiquer une IVG et doit en informer l’intéressée dans les conditions et délais prévus par la loi ».
Une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale supprime des dispositions spécifiques qui figurent dans le Livre II du code de la santé publique consacré à la santé sexuelle et reproductive.
La proposition a été adoptée le 8 octobre 2020 (http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15t0488_texte-adopte-seance).
Texte n° 23 (2020-2021) transmis au Sénat le 9 octobre 2020 : « Un médecin ou une sage-femme qui refuse de pratiquer une interruption volontaire de grossesse doit informer l’intéressée sans délai dudit refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens ou de sages-femmes susceptibles de réaliser cette intervention selon les modalités prévues à l’article L. 22122. »
Seraient supprimées les dispositions suivantes :
« Un médecin ou une sage-femme n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse mais il doit informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens ou de sages-femmes susceptibles de réaliser cette intervention selon les modalités prévues à l’article L. 2212-2.
Aucune sage-femme, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical, quel qu’il soit, n’est tenu de concourir à une interruption de grossesse. »
Le ministre de la Santé a saisi le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) (concernant le délai d’allongement pour avorter de douze à quatorze semaines). Le CCNE a diffusé une « opinion » (8 décembre 2020). Il considère qu’il n’y a pas d’objection ethnique à allonger le délai. Il se déclare favorable au maintien de la classe spécifique.
Outre les professionnels de santé, les établissements de santé privés peuvent refuser que des interruptions volontaires de grossesse soient pratiquées dans leurs locaux, sous certaines réserves.
Actuellement, les bénéficiaires de cette clause sont :
- les personnes participant ou concourant à une interruption volontaire de grossesse (CSP, art. L. 2212-8) : médecins, infirmiers, auxiliaires médicaux, quels qu’ils soient. La faculté d’invoquer la clause concerne donc tout professionnel participant directement ou indirectement à une interruption volontaire de grossesse. Les étudiants et stagiaires sont-ils concernés ? En principe, ils ne sont pas habilités à pratiquer des IVG mais ils sont susceptibles de prêter leur concours. Le juge européen a admis, dans une ancienne décision, que des étudiantes infirmières pouvaient, dans le cadre d’un stage de spécialisation pour devenir sages-femmes, refuser de placer des stérilets sans que cela puisse compromettre le résultat de leur examen (Commission européenne des droits de l’Homme, 7 oct. 1987, n° 12375/86) ;
- les établissements de santé privés : s’agissant souvent d’établissements religieux, il est admis qu’aucune interruption volontaire de grossesse ne soit pratiquée dans leurs locaux, avec une réserve pour les établissements ayant demandé à participer à l’exécution du service public (CSP, art. L. 2212-8, al. 3). Le bénéfice de la clause de conscience est donc limité pour une catégorie d’entre eux, les établissements de santé privés habilités à assurer le service public hospitalier. Ces établissements ne peuvent opposer un refus que si d’autres établissements sont en mesure de répondre aux besoins locaux.
Pour les établissements de santé publics, disposant de lits ou de places en gynécologie-obstétrique ou en chirurgie, ils ne peuvent refuser de pratiquer des interruptions volontaires de grossesse (CSP, art. R. 2212-14).
Certains points ont été précisés en raison de l’opposition marquée de chefs de service :
- la « clause de conscience » du médecin hospitalier, chef de service, ne peut faire obstacle à la création d’un service autonome d’interruption de grossesse (CE, sect., 8 janv. 1982, n° 18237, voir infra) ;
- la clause de conscience ayant un caractère personnel, le médecin-chef de pôle (anciennement chef de service) dans un établissement public de santé ne peut s’opposer à ce qu’aient lieu des IVG dans le pôle (service) qu’il dirige. À cet égard, le Conseil constitutionnel a considéré que le médecin-chef de service d’un établissement public ne peut exercer sa liberté de conscience en refusant de pratiquer l’IVG « aux dépens de celle des autres médecins et membres du personnel hospitalier ». Il ne peut donc s’opposer à ce que des IVG soient effectuées dans son service, tout en conservant le droit de ne pas en pratiquer lui-même. Est ainsi sauvegardée sa liberté, qui relève de sa liberté de conscience personnelle, tout en préservant celle des autres médecins et membres du personnel hospitalier qui travaillent dans son service (Cons. const., 27 juin 2001, n° 2001-446 DC).
i. Conséquences de l’application de la clause de conscience
Son domaine est très large et permet de refuser de participer, que ce soit directement ou indirectement, à toute interruption volontaire de grossesse.
Le médecin qui refuse de participer à une interruption de grossesse doit informer l’intéressée dès la première visite. Mais il doit lui communiquer immédiatement le nom d’un confrère susceptible de réaliser l’acte (CSP, art. L. 2212-8).
Le médecin doit prendre toutes les dispositions et précautions pour pouvoir apporter la preuve qu’il a bien rempli sa mission d’information.
Un rapport du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) a relevé en 2013 que cette obligation de réorientation vers une structure pouvant réaliser cette consultation et remettre l’attestation de première visite n’était pas systématiquement respectée. Aucune sanction n’est prévue. Un bilan a été dressé en 2017, à l’occasion des 42 ans de la loi « Veil » (17 janv. 2017) (Documents disponibles sur le site du HCE).
L’utilisation de la clause de conscience par une cheffe de service hospitalier peut entrer en conflit avec l’exercice du pouvoir hiérarchique du médecin-chef de service. Rappelons que, selon la jurisprudence, la clause de conscience ne peut faire obstacle à la création d’un service autonome d’interruption de grossesse à l’hôpital (CE, 8 janv. 1982, n° 18237, voir supra).
L’obligation de porter secours (notamment en cas d’IVG médicale) peut être remplie en provoquant le secours (Code pénal [C. pén.[, art. 223-6).
Cas particuliers des pharmaciens
Ils ne sont pas cités dans la liste des professionnels de santé pouvant invoquer la clause de conscience et ne figurent pas parmi les auxiliaires médicaux puisqu’ils ne répondent pas à cette qualification. Or, ils doivent répondre à des demandes de pilules abortives (RU 486). Les pharmaciens disposent-ils de la faculté de refuser de vendre des produits ?
Selon la jurisprudence, les convictions personnelles ne constituent pas pour le pharmacien, titulaire du monopole de vente de médicaments, un motif légitime du refus de vendre, à un consommateur, des contraceptifs hormonaux faisant l’objet d’une prescription médicale. Un pharmacien peut donc être déclaré coupable de contravention aux dispositions de l’article L. 122-1 du code de la consommation, au motif que le refus de délivrer des médicaments contraceptifs ne procède pas d’une impossibilité matérielle de satisfaire la demande, faute de stocks, mais est opposé au nom de convictions personnelles qui ne peuvent constituer, pour les pharmaciens auxquels est réservée la vente de médicaments, un motif légitime.
Un pharmacien ne peut donc se prévaloir d’une « clause de conscience » pour refuser de délivrer des produits contraceptifs (Cass. crim., 21 oct. 1998, n° 97-80981 ; CEDH, 2 oct. 2001, aff. 49853/99, France).
Au vu de cette jurisprudence, les pharmaciens ne peuvent refuser les produits en cause pour des raisons personnelles. S’ils ne les ont pas, ils doivent proposer de les commander.
Autres clauses de conscience spécifiques
Il existe une clause de conscience spécifique visant les médecins pour :
- la stérilisation à visée contraceptive (CSP, art. L. 2123-1) ;
- la recherche sur les embryons (CSP, art. L. 2151-7-1).
Il n’existe pas de clause de conscience pour la sédation profonde (voir supra, Chapitre 2).