Admettre le refus de soins du médecin et plus largement d’un professionnel de santé (voir tableau p. 86 et s.) peut apparaître paradoxal au regard d’une mission qui est de soigner, d’être au service de la personne et de la santé publique (Code de la santé publique [CSP[, art. R. 4127-2, pour les médecins).
Ainsi, le refus de soins est la traduction d’un point de tension :
- entre la liberté individuelle et l’indépendance qui lui sont reconnues dans la pratique de son art. L’indépendance professionnelle a été érigée comme « principe général de droit » (CSP, art. R. 4127-5, pour les médecins ; T. confl., 14 févr. 2000, n° 00-02929 P) ;
- et l’obligation d’écouter, d’examiner, de conseiller, de soigner, qui est un devoir général envers les patients (CSP, art. R. 4127-7). Cette obligation comporte un versant législatif du point de vue de la personne malade (sur les termes « patients », « malade », « usager », voir supra, Chapitre 1). Est consacré parmi les « droits de la personne », figurant dans un chapitre préliminaire du code de la santé publique, le droit de recevoir des traitements et soins. « Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté » (CSP, art. L. 1110-5).
La liberté du professionnel de santé de refuser des soins est ainsi prise en compte, mais circonscrite pour concilier cette faculté avec d’autres impératifs : celui de porter secours et de respecter le principe de non-discrimination.
Objectif : permettre à chacun d’accéder aux soins en choisissant son praticien. Cette possibilité de choix, qui est énoncée à l’article L. 1110-8 du code de la santé publique comme un « principe fondamental de la législation sanitaire », doit aussi satisfaire à des exigences de qualité et d’efficience caractérisant une sorte d’ordre public sanitaire (selon les termes de M. Borgetto, « Qualité et santé : vers un nouvel ordre public sanitaire », RD sanit. et soc. 2014, p. 991).
Le Conseil d’État a, quant à lui, qualifié le libre choix du médecin de « principe général de droit » (CSP, art. R. 4125-6 ; CE, 18 févr. 1998, n° 171851).
Il est à noter que si toute personne a le droit de recevoir les traitements et soins appropriés à son état de santé sous réserve de son consentement libre et éclairé, ni l’article L. 1111-4, ni l’article L. 1110-5 du code de la santé publique, ni aucune autre disposition ne consacrent un droit de choisir son traitement (CE, ord. 26 juill. 2017, n° 412618 ; CE, 27 juill. 2018, n° 422241).
En revanche, pour une personne malade qui sollicite le recours à une alimentation et à une hydratation artificielle, le refus qui lui est opposé ne se justifie pas : après avoir été hospitalisée avec un pronostic vital engagé, cette personne était revenue à son domicile et avait manifesté sa volonté réitérée d’être nourrie (TA Clermont-Ferrand, ord. 30 nov. 2016, n° 1602054 ; P. Véron, « L’alimentation et le soin », RD sanit. et soc. 2019, p. 1054).
Autant de règles et principes, complexes voire contradictoires, à mettre en œuvre et à combiner et qui ont nécessité des éclairages jurisprudentiels sur les conditions du refus, et notamment l’application des clauses de conscience, le champ d’application, les critères des refus licites et illicites et notamment l’interdiction du refus discriminatoire.