La situation des suspects ou détenus appelle des réponses particulières, la notion de « consentement » étant elle-même mise à mal, compte tenu du contexte (ex. : arrestation, emprisonnement...).
Des décisions peuvent prononcer des injonctions de soins.
Quelles sont les limites à ces mesures par rapport au droit de la personne ? Dans quelle mesure le consentement de la personne ou plus précisément son refus est-il pris en compte ?
Pour une meilleure articulation entre les professionnels de l’addictologie et ceux du secteur judiciaire de l’accompagnement des détenus (services pénitentiaires d’insertion et de probation, associations socio-judiciaires...), la Fédération Addiction a publié un guide pratique (Fédération Addiction, « Guide santé-justice, Les soins obligés en addictologie », sept. 2020).
Envisageons les définitions qui suivent (sources : Code pénal ; Fédération Addiction, « Guide santé-justice, Les soins obligés en addictologie », sept. 2020) :
- obligation de soins : impose à une personne de se soumettre à des mesures d’examen médical, de traitement ou de soins, même sous le régime de l’hospitalisation (C. pén., art. 136-45). Elle peut donc concerner toutes les pathologies. Ces mesures peuvent consister en l’injonction thérapeutique, lorsqu’il apparaît que le condamné fait usage de stupéfiants ou fait une consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques ;
- injonction thérapeutique : mesure de soins obligés qui concerne les délits liés à l’abus d’alcool et à l’usage de stupéfiants. Elle nécessite une organisation formelle des relations entre acteurs sanitaires et judiciaires, via le médecin relais.
Depuis mars 2020, l’injonction thérapeutique peut être prononcée dans le cadre d’un sursis probatoire ou de tout aménagement de peine (L. n° 2019-222, 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ; C. pén., art. 132-45). Elle se déroule en milieu ouvert mais emporte des conséquences en détention si la personne condamnée n’effectue pas de soins : pas de libération conditionnelle possible, retrait de crédits de réduction de peine, pas de remises supplémentaires de peine.
Avec des logiques d’intervention différentes, la coopération dans le cadre des mesures de soins ordonnées par la justice (soins obligés) donne lieu à des difficultés. Ce guide concerne les personnes majeures en soins obligés.
Les enjeux de l’obligation de soins y sont notamment développés. Avec un rappel historique sur les dispositifs de prise en charge, soulignant que la politique de réduction des risques s’applique également aux personnes détenues, selon des modalités adaptées au milieu carcéral, mais que, toutefois, le décret d’application concernant la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2020 de modernisation de notre système de santé n’a toujours pas été publié. Des précisions sont apportées sur les facteurs de risques et les différents types d’usages (définitions). Et un volet est consacré à la pratique. Un panel d’expérimentations de dispositifs judiciaires innovants est également mis à la disposition des professionnels. Enfin, la définition d’un langage commun sur l’obligation légale est apparue nécessaire pour éviter des incompréhensions, d’autant plus que les objectifs sont différents et que la « temporalité de la justice » est souvent plus courte que celle du soin. Une des difficultés mises en avant est de rencontrer quelqu’un ne souhaitant pas être « soigné ».
A. Injonction de soins prononcée lors de la condamnation (CPP, art. 706-47-1)
Lorsque la juridiction de jugement prononce une injonction de soins et que la personne a été également condamnée à une peine privative de liberté non assortie du sursis, le président informe le condamné qu’il aura la possibilité de commencer un traitement pendant l’exécution de cette peine (C. pén., art. 131-36-4).
B. Précisions : doctrine et jurisprudence
Plusieurs points peuvent être soulevés concernant les détenus : en cas d’actes médiaux dans le cadre d’enquêtes, en cas de soins forcés, en cas de grève de la faim et en cas de fin de vie.
Le consentement aux soins du patient capable de discernement, même mineur, doit être recherché, recueilli et respecté, y compris en cas de grève de la faim. Le personnel soignant et médical doit systématiquement recueillir les observations des patients enfermés sur leur prise en charge (Recommandations minimales du contrôleur général des lieux de privation de liberté pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, précité).
La question du maintien en détention des personnes en fin de vie se pose par ailleurs, dans un contexte de surpopulation carcérale (C. Castaing, « La fin de vie des personnes détenues », RD sanit. et soc. 2020, p. 509).
La jurisprudence européenne apporte des éclairages. Ne sauraient en principe passer pour un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme :
- le traitement médical forcé sous réserve de garanties procédurales. Ainsi, les autorités nationales sont tenues de protéger la santé des personnes privées de liberté. Un traitement thérapeutique, si désagréable soit-il, ne saurait en principe passer pour contraire à l’article 3 de la Convention dès lors que sa nécessité est démontrée de façon convaincante (CEDH, 10 févr. 2004, aff. 42023/98, Naoumenko c/ Ukraine ; CEDH, 8 juill. 2014, aff. 14092/06, Ciorap c/ Moldavie) ;
- l’alimentation forcée d’un détenu en grève de la faim en vue de lui sauver la vie. Il faut que cet acte soit médicalement nécessaire, qu’il soit accompagné de garanties procédurales et que la manière dont il est alimenté de force pendant sa grève de la faim ne représente pas par lui-même un traitement inhumain et dégradant (CEDH, 5 avr. 2005, aff. 54825/00, Nevmerjitski c/ Ukraine, § 94 ; CEDH, 19 juin 2007, n° 12066/02, Ciorap c/ Moldavie). La situation d’urgence sanitaire est reconnue par l’article D. 364 du code de procédure pénale. « Si un détenu se livre à une grève de la faim prolongée, il ne peut être traité sans son consentement, sauf lorsque son état de santé s’altère gravement et seulement sur décision et sous surveillance médicales. » Dans le cas d’une personne souffrant d’anorexie, la Cour européenne a considéré que l’État français ne saurait invoquer une instrumentalisation des maladies pour pouvoir sortir de prison (en l’espèce, la détenue avait fait une grève de la faim mais souffrait par ailleurs de plusieurs pathologies constatées dont l’anorexie et elle était en état de dénutrition sévère). L’État doit délivrer des soins adéquats aux détenus (CEDH, 21 déc. 2010, aff. 36435/07, Taddei c/ France).
Concernant le recours à une intervention médicale de force susceptible de faire progresser l’enquête sur une infraction, la Convention ne l’interdit pas, en fonction des circonstances et en particulier de la gravité de l’infraction supposée. L’intervention doit se dérouler dans des conditions médicales satisfaisantes et elle ne saurait faire courir au suspect le risque d’un préjudice durable pour sa santé, ni lui infliger de vives douleurs ou souffrances physiques. En l’espèce, le suspect s’était vu administrer un émétique aux fins de recueillir des stupéfiants qu’il avait ingérés, mais il était clair avant que la mesure litigieuse n’ait été ordonnée et mise en œuvre que le trafiquant de rue auquel elle était appliquée conservait les stupéfiants dans la bouche et ne procédait donc pas à la vente en grandes quantités, comme en témoigne d’ailleurs la peine infligée. L’émétique avait été administré à l’aide d’une force proche de la brutalité alors que les autorités auraient pu recueillir des éléments de preuve par des méthodes moins intrusives (CEDH, 8 juill. 2016 aff. 54810/00, Jalloh c/ Allemagne).