En 2000, Robert Kohler, directeur de l’EHPAD La Roselière à Kunheim a été l’un des premiers directeurs à introduire un chien dit « d’accompagnement social » dans une maison de retraite en Alsace. Depuis 2017, il est également président de l’association Handi’Chiens.
« Tout est parti d’un membre de notre conseil d’administration, Patrick Behra, lui-même famille d’accueil de chiots pour l’association Handi’Chiens. Il venait à la Roselière avec ses futurs chiens d’assistance. Un jour, il m’a suggéré l’introduction d’un chien, convaincu des bienfaits de la présence animale sur les résidents. Je me souviens lui avoir répondu : “je vais y réfléchir”, par politesse. Mais au fond de moi, j’étais convaincu que c’était impossible ! Pensez donc : un chien dans un établissement médico-social ? À l’époque dans le secteur des soins, nous étions tellement formatés hygiène que faire rentrer un animal relevait de l’interdit le plus strict. »
Nous partions de zéro
Mais en observant bien les réactions des résidents, j’ai vite vu l’intérêt que suscitaient les chiens de Patrick Behra. Pas un résident ne restait dans sa chambre le jour où ils venaient. Je me souviens d’un monsieur totalement replié sur lui-même qui s’est remis à parler. Cela a suscité ma curiosité, mais rien n’était gagné. J’ai vu tout de suite les difficultés d’un tel projet. Il fallait convaincre les membres du Conseil d’Administration, les autorités de tutelle, le personnel, les familles. Ces dernières étaient partantes, car beaucoup de résidents avaient eu des animaux. J’ai même appris que deux d’entre eux avaient été contraints de les euthanasier avant d’entrer à La Roselière ! Comme tout était à construire, je me suis dirigé tout naturellement vers Marie-Claude Lebret, la fondatrice de Handi’Chiens. En 2000, Passion, un labrador, a été le premier chien d’accompagnement social confié à un référent, en l’occurrence moi, en établissement accueillant des personnes âgées dépendantes. C’était aussi la première fois qu’un chien Handi’Chiens était introduit dans une structure médico-sociale en Alsace.
En 2005 et 2010, Robert Kohler a mené deux enquêtes visant à connaître la réalité de la présence animale en milieu institutionnel. Un ouvrage, État des lieux de la médiation animale dans les maisons de retraite (2012), rend compte des résultats de ces enquêtes et recense les bonnes pratiques. En voici quelques extraits.
« Voici dix ans, c’était la direction d’une maison de retraite qui décidait de la présence d’un animal dans 80 % des cas : il n’existait alors aucune réglementation. Mais le décret de 1986 interdisant aux animaux l’accès des structures sociales ou médico-sociales a été abrogé en 2003. En outre, la loi de 2002 fait du résident le centre de l’activité des maisons de retraite. Dans ce contexte, les agents de service, animatrices, aides-soignantes, sont devenus les moteurs de la présence animale : chez Handi’Chiens, 80 % des dossiers sont présentés par le personnel de base – car c’est lui qui entretient avec les résidents les relations les plus quotidiennes, les plus intimes, et recueille leurs confidences. »
« La pratique est acceptée dans 4 476 structures sur les 7 725 que nous avons approchées (58 %). Encore un tabou qui s’écroule : voici dix ou douze ans, les portes des maisons de retraite s’ornaient d’un pictogramme, un chien barré d’un trait rouge. Tout était dit. »
Un des premiers directeurs de structure médico-sociale à suivre un stage de deux semaines chez Handi’Chiens
On m’a appris à utiliser le chien de la même manière qu’une personne en fauteuil. Je n’ai d’ailleurs pas quitté le fauteuil roulant pendant ces quinze jours. Cela m’a permis de regarder autrement le handicap. Ensuite, d’autres personnes de l’équipe ont été formées. Une résidente s’est proposée pour devenir l’une des référentes de Passion. Cette responsabilité a transformé toute sa fin de vie. L’arrivée de Passion a métamorphosé notre établissement. Les médias ont commencé à s’intéresser à nous. Le plus étonnant est que les journalistes demandaient à nous rencontrer, attirés par la présence du chien, et sur place, ce sont les conditions de vie des personnes âgées en établissement qu’ils ont découvertes !
Un projet d’établissement global
La présence du chien facilitait nombre de situations, permettait aux soignants d’aller à l’essentiel de leur métier et faisait gagner du temps dans l’accompagnement des soins. Ce constat m’a donné envie de me battre pour que d’autres directeurs d’établissement suivent notre exemple. C’est ainsi qu’en 2018, la Roselière est devenue un centre de formation Handi’Chiens à part entière. Nous formons les futurs référents de chiens d’accompagnement social en conditions réelles. Nous remettons chaque année une trentaine de chiens. Les demandes explosent. La présence des chiens fait partie d’un projet d’établissement global. Tout le monde est partie prenante. Dans une époque où l’on se plaint de manque de moyens, le chien est vecteur d’économie en matière de santé. Si les premières questions sont « qui va ramasser ? », « qui va sortir le chien ? », quand l’animal vit à demeure, sa présence apporte tellement aux résidents et au personnel que plus personne ne se pose la question ! Nous avons bravé les interdits sur la présence animale. Nous nous sommes donné les moyens de faire autre chose. L’avenir était dans l’innovation. Passion a révolutionné en profondeur le fonctionnement de la Roselière et la place du chien en établissement médico-social. »