Séverine Chevalier et Delphine Lucas sont infirmières au Centre Hospitalier Guillaume Régnier de Rennes, un Etablissement public de santé mentale. En 2018, après avoir accueilli un prestataire extérieur pour des séances de médiation animale pendant deux ans, elles ont mis en place au sein du pôle G07-FIHP une unité de médiation animale dénommée Anim’Canin.
Aujourd’hui, elles y consacrent 40 % de leur temps de travail. Entretien avec Séverine Chevalier.
Premiers pas avec l’association Umanima
« J’adore mon métier d’infirmière, mais j’ai toujours été passionnée par les animaux. Je pratique l’éducation canine dans un club depuis longtemps. Lorsque la direction du pôle auquel je suis rattachée à l’hôpital a émis l’idée de faire de la médiation animale, nous avons pris contact avec Emmanuel Doumalin de l’association Umanima, une association de médiation par l’animal très active en Bretagne. Une intervenante Umanima venait à l’hôpital, et les patients qui étaient intéressés payaient 25 euros par séance. En 2016, j’assistais à toutes ces séances comme infirmière assistante. En 2017, j’ai suivi une formation chez eux. En 2017-18, je suis devenue intervenante-assistante. Puis en 2018, ayant gagné en assurance et en compétence, je me suis lancée ! J’ai rédigé un projet complet, incluant de nombreuses fiches atelier. J’avais besoin d’une salle équipée à l’intérieur et d’un lieu clos à l’extérieur, ce qui nécessitait quelques travaux. En réponse à un appel à projets, j’ai sollicité la Fondation Adrienne et Pierre Sommer qui nous a accordé la somme de 13 500 euros en co-financement avec le CHGR. Nous avons pu réhabiliter une salle de 25 m2 et aménager un préau de 80 m2 ainsi qu’un jardin de 200 m2. »
Deux intervenantes, deux poules et quatre chiens
Séverine est rejointe par une collègue infirmière, Delphine Lucas également formée en médiation animale par Umanima en 2018. Toutes les deux consacrent désormais deux jours par semaine à des ateliers de médiation animale pour les bénéficiaires de leur pôle, sur prescription médicale. « Delphine est comme moi, passionnée par les chiens, elle est très investie auprès de la SPA depuis des années. Elle vient avec son chien Nikie, un labrador croisé pointer, et deux poules New Hampshire. Ce sont des poules éduquées, sans stress, très câlines, qui s’endorment au contact des patients. Quant à moi, j’ai trois chiens du Tibet : deux Shih-Tzu (Jessie et Tom) et un terrier du Tibet (Oria). Ce sont nos animaux, ils n’appartiennent pas à l’hôpital. C’est nous qui nous en occupons et qui en sommes responsables. »
Des ateliers par petits groupes
Les ateliers de médiation animale ont lieu le mercredi et le jeudi toute la journée, avec des emplois du temps très cadrés. « Une fois par mois le mercredi, nous faisons une sortie à l’extérieur toute la journée, avec 5 patients, en général des personnes en soin stabilisées. Nous visitons une ferme pédagogique, un zoo, une exposition, toujours en lien avec les animaux. Les autres mercredis du mois, nous organisons des ateliers thérapeutiques de médiation avec nos chiens le matin : nous travaillons l’entraide dans le groupe à partir d’exercices qui ne sont jamais les mêmes. Toutes nos séances sont préparées, avec des jeux (mimes, séquences sur la sensorialité, rébus...) ou des consignes à respecter. L’après-midi, nous emmenons cinq volontaires à la SPA où ils aident et participent à la vie du refuge. Ces sorties à la SPA permettent de travailler différents points : développer un sentiment d’utilité vis-à-vis des animaux, tenir compte des consignes du refuge, s’adapter au changement (ce ne sont pas les chiens habituels...), observer les animaux et transmettre ces remarques et ressentis...
La journée du jeudi est complètement différente : elle est organisée en 4 sessions de 45 minutes chacune, sauf la dernière qui est un peu plus longue. Pour chacune de ces sessions, nous accueillons 2 ou 3 patients, toujours les mêmes pendant une année. En fonction de la pathologie et du profil de ces usagers, nous adaptons les activités. Pour certains, nous travaillons l’apaisement et la concentration. Nous avons par exemple une patiente sans aucun filtre qui se livre à de nombreux passages à l’acte, sur elle ou sur les autres. Lorsqu’elle caresse et masse longuement les chiens et poules, elle s’apaise durablement. Lors d’une autre séance, nous recevons trois personnes autistes et nous appliquons l’approche Snoezelen, basée sur des stimulations sensorielles simples : lumière bleue ou verte, musique vibratoire... Les chiens et les poules sont présents. Nous les posons sur les patients, pour qu’ils puissent les caresser, se réchauffer à leur contact, ressentir physiquement un poids sur eux et éveiller leur sensorialité. Cela les apaise et les aide à prendre conscience de leur schéma corporel. »
Toutes les personnes qui participent aux ateliers de médiation animale viennent du même pôle, dirigé par le Docteur Roubini : la Filière intersectionnelle d’hospitalisation prolongée, qui compte environ 60 patients. « Nous les connaissons tous très bien, en tant qu’infirmières d’abord et en tant qu’intervenantes en médiation animale. C’est le Docteur Roubini qui choisit ceux qui participeront à nos ateliers, en accord avec l’équipe. »
Objectifs fixés en équipe, transmissions écrites après chaque séance
Différents objectifs peuvent être fixés pour les actions de médiation animale : améliorer la confiance et l’estime de soi, maintenir l’autonomie, favoriser la reconnaissance du schéma corporel en passant par l’animal, travailler sur l’attention et la concentration, développer les capacités cognitives, le langage, la communication non verbale, le toucher, les activités motrices, travailler sur les repères dans l’espace, apaiser grâce à des séances de relaxation ou de massage, améliorer le bien-être.
La question de l’évaluation des actions menées est primordiale. « Pour chacune des personnes reçues en médiation animale, nous avons une feuille d’évaluative des capacités de l’autonomie et avons au préalable déterminé avec l’ensemble de l’équipe quels étaient les points à travailler en priorité. Après chaque séance, nous procédons à des transmissions dans l’onglet « médiation animale ». Nous avons des fiches préremplies qui nous permettent d’aller plus vite en n’indiquant que les informations pertinentes. Ces transmissions systématiques permettent d’évaluer avec précision les progrès réalisés par les patients. Toutes les six semaines, nous faisons le point de l’évaluation complète et réajustons si besoin les objectifs thérapeutiques. »
Des résultats spectaculaires
Dans le domaine psychiatrique plus qu’ailleurs, il est évidemment difficile de mesurer scientifiquement l’efficacité de tel ou tel traitement. Néanmoins, l’observation et le simple bon sens attestent généralement des progrès réalisés grâce à la médiation animale. « Nous obtenons des résultats incroyables, généralement bien au-delà de nos espérances. En un an, les personnes connaissent une belle évolution. Certains bénéficiaires nous arrivent après un temps en contention dans l’unité, d’autres sont appareillés de casque, fauteuil roulant, attelles... Au bout de quelques séances, nous leur ôtons si possible tout ce matériel et ils s’endorment paisiblement au contact du chien. Des personnes autistes qui ne s’adressent jamais la parole alors qu’ils vivent dans la même unité se mettent soudain à se parler. Tout le monde – direction, médecins, psychologues, soignants – se rend compte de ces progrès spectaculaires et des bienfaits apportés par les animaux médiateurs. Les autres pôles de l’hôpital aimeraient que nous prenions en charge certaines de leurs personnes en soin. Nous avons demandé à passer à temps plein, c’est en cours de réflexion actuellement. Nous avons à nouveau sollicité la Fondation Adrienne et Pierre Sommer suite à un second appel à projet, pour l’achat de nouveau matériel en co-financement avec le CHGR : couvertures lestées, bouillottes, matelas vibrants... Nous ne sommes qu’au début de cette aventure ! »