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Introduction

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Depuis plus de 25 ans, Bouziane Belghorzi est une figure phare des Loisirs Populaires de Dôle. Patiemment, année après année, il a construit sur le terrain un programme associant enfants et chevaux. Un programme de médiation animale à géométrie variable qui agit comme un formidable outil d’intégration au cœur de la cité.
D’abord, une histoire familiale
Il faut remonter loin en arrière pour comprendre les choses et comprendre comment elles se sont mises en place.
Bouziane Belghorzi est un fils d’immigrés, comme il dit. Ses parents arrivent d’Algérie au début des années 70, avec cinq enfants – le sixième, Bouziane, est le seul à être né en France, tissant ainsi un lien symbolique entre les deux pays. Une autoroute est alors en construction dans la région doloise. Le père, conducteur d’engins, y trouve du travail. La famille s’installe à Dole, dans le Quartier Saint-Germain. « C’est là que j’ai grandi, explique Bouziane Belghorzi. Mes parents, qui avaient combattu la France quand ils étaient en Algérie, étaient très attachés aux valeurs de la République et à la liberté d’expression. Ils nous ont inculqué le respect des autres. Ils ont tout fait pour que nous nous intégrions le mieux possible. Mes frères et sœurs ont tous fait des études, ils ont des enfants et une bonne situation professionnelle en France. »
Il faut remonter plus loin encore, jusqu’à la génération précédente. « J’ai été très influencé par le côté terrien de mon grand-père paternel. Il travaillait comme contremaître dans une ferme de colons, chargé tout particulièrement de l’élevage des chevaux. À la fin de la guerre, en 1962, il a reçu la ferme en héritage. C’était une belle exploitation, avec des animaux, des fruits, des terres. J’y passais tous mes étés et j’adorais ça. Je montais à cheval. D’ailleurs, dans la famille, on nous a inculqué trois choses fondamentales : respecter ses parents, savoir nager et savoir monter à cheval ! Mon grand-père avait attribué un cheval à chacun de ses petits-enfants. Le mien s’appelait Bijou, j’en avais la responsabilité, je prenais de ses nouvelles régulièrement depuis la France. Il me reconnaissait d’une année sur l’autre. J’ai énormément appris au contact des chevaux et des animaux de la ferme. Avec eux, on se ressource, on se découvre soi-même, on est dans une relation vraie. On gagne en confiance, on apprend la patience, on prend mieux la mesure du temps. Un cheval ne parle pas mais il manifeste des sentiments et des émotions. »
Les Loisirs Pop’ et la vocation pédagogique
À Dole, Bouziane Belghorzi fréquente les Loisirs Populaires, une association loi 1901 créée en 1977 pour permettre aux jeunes issus de milieux défavorisés de partir en vacances et d’accéder à la culture. « Cette association, 100 % laïque, avait été créée par un abbé. Et cet abbé emmenait de petits musulmans en vacances ! C’était une autre époque ! Passionné par les ânes, il a organisé de nombreuses randonnées auxquelles je participais et qui ont contribué à renforcer encore mon attirance pour les animaux. » Bouziane Belghorzi n’est pas passionné par l’école. « Mais j’avais de réelles aptitudes physiques ! Un jour un professeur de sport m’a conseillé de faire de l’athlétisme. Ce fut un conseil judicieux et décisif. J’ai commencé l’entraînement et les compétitions et les portes se sont ouvertes. Je suis devenu champion interrégional, j’ai enchaîné les titres. À 18 ans, j’ai passé un bac pro sur mesure qui m’a permis de continuer à courir. Le plus important c’est que je commençais à trouver un sens à ma vie. J’ai rencontré ma future épouse qui était elle aussi une sprinteuse de haut niveau. Après mon BEP, en 1995, j’ai fait mon service militaire à l’École des pupilles de l’air de Grenoble. J’étais moniteur instructeur et j’enseignais l’athlétisme. C’est là qu’est née ma vocation pédagogique et que j’ai su ce que j’allais devenir. De retour à Dole, j’ai appris qu’on cherchait un moniteur de sport aux Loisirs Populaires. J’y suis entré comme vacataire en 1996, 25 ans plus tard j’y suis toujours. »
Des chevaux pour tous
À l’arrivée de Bouziane Belghorzi, l’association vient de racheter le Prieuré de Montjeux. « Le directeur m’a dit qu’il y avait un centre équestre désaffecté juste à côté. Peut-être cela pourrait-il intéresser les jeunes ? De fait, à l’époque, nous avions des ânes mais l’envie était forte d’aller vers les chevaux, activité traditionnellement réservée aux classes les plus aisées. Il s’est produit alors un de ces petits miracles qui ont jalonné ma vie. Un homme de la région est venu me voir. Il m’a dit qu’il partait aux États-Unis, qu’il avait un cheval dont il ne savait pas quoi faire et il proposait de nous le donner. Nous avons fait venir ce cheval à Montjeux et ce fut le coup de foudre ! Le directeur m’a demandé de suivre une formation en monitorat équestre. Avec les jeunes, nous avons remis en état les écuries et la grande aventure a commencé ! »
Grâce aux Loisirs Populaires, les jeunes issus de milieux populaires découvrent le cheval et la pratique équestre. « Il n’y avait qu’un cheval, chacun attendait son tour, on faisait l’apprentissage de la patience. On discutait, on échangeait, ça fonctionnait ! »
Et puis un jour, on découvre une inscription sur le mur : Écurie des bougnoules. Les enfants sont choqués, révoltés, ils veulent en découdre. « Je leur ai dit : Vous avez raison d’être en colère. Mais la personne qui a écrit ça a peut-être raison. Il n’y a ici que des enfants d’immigrés. Nous sommes en train de devenir une association communautaire, nous restons entre nous. Ce n’est pas ça, vivre ensemble. Il y a sans doute des enfants qui vous regardent et qui souffrent, des enfants des fermes et des villages alentour qui eux aussi aimeraient monter à cheval. Nous devons peut-être nous ouvrir aux autres. Cet incident nous a obligés à nous remettre en question et à forcer le pas. Le cheval nous y a beaucoup aidés. Je suis allé voir les communes voisines et je leur ai exposé le projet. Elles m’ont donné les noms de propriétaires qui ont mis des chevaux à notre disposition. Tout cela s’est fait naturellement, sans calcul, c’était incroyable. »
Construire la communauté
L’association dispose alors d’une vingtaine de chevaux. Elle organise différentes activités : fêtes de quartier et promenade avec les jeunes enfants, randonnées à cheval, concours et sauts d’obstacle, attelage. « Chacun était libre de choisir l’activité qui lui convenait, nous créions les ateliers en fonction de la demande des jeunes. Des enfants de toutes origines et de tous les milieux se retrouvaient ensemble, les parents venaient aussi aux écuries. Tout le monde prenait du plaisir, il y avait une dynamique très forte autour des chevaux. C’était un projet global : il fallait réparer les boxes, entretenir les écuries, nourrir et soigner les chevaux. »
Un projet autour de la médiation animale en perpétuelle mutation
À partir de 2012, le contexte général change imperceptiblement et il faut adapter le projet. « Ce qui a changé au fil des années, ne sont pas les animaux, mais les humains, parents et enfants ! Les parents sont devenus plus exigeants. Même si la journée avec les chevaux ne coûte que 2 euros, ils attendent des résultats pour leur enfant et se plaignent s’il n’a pas monté assez longtemps ! Quant aux enfants, ils ont bien changé eux aussi en quinze ans. Dès qu’un nouveau arrive, les réseaux sociaux, Facebook et compagnie, permettent aussitôt d’en apprendre beaucoup sur lui, ses origines, son milieu ou son passé, et les mélanges se font plus difficilement.
Les nouvelles mentalités générées par la société de consommation ont faussé notre projet initial et nous avons dû adapter nos propositions. Avant, parents et enfants venaient aux Loisirs Pop pour être ensemble et se faire plaisir, sans trop réfléchir, et la présence des chevaux suffisait à nous rassembler. Aujourd’hui, nous devons ré-apprendre à être ensemble, cela ne se fait plus spontanément. Les animaux restent le socle de notre action, mais nous avons dû élaborer un projet plus théorique pour recréer du collectif. Avant, nous faisions de la médiation animale sans vraiment le savoir, aujourd’hui, nous avons une approche plus individualisée. Les enfants que nous recevons sont souvent plus problématiques, certains souffrent de handicaps, d’autres ont des troubles plus ou moins marqués du comportement, d’autres encore avancent dans la vie sans aucun repère. Avec les animaux, nous essayons d’apporter des réponses et des solutions à tous ces problèmes. »
Le cheval comme médiateur
Le cheval reste l’outil de base. L’association dispose encore aujourd’hui d’une dizaine de bêtes. « Le cheval est le plus beau médiateur dont on puisse rêver. Il se fiche de savoir d’où vient l’enfant. Il permet de faire passer des messages et nous renvoie à ce que nous sommes fondamentalement. Si un enfant est difficile ou violent, le cheval, qui n’est pas masochiste, refusera de l’approcher. Et dès lors, nous pouvons intervenir pour faire comprendre à l’enfant pourquoi l’animal le fuit. La médiation animale, bien utilisée, peut faire des miracles, à condition d’être patient (ce qui ne va pas de soi dans un monde qui privilégie le zapping et la rapidité). »
Une ferme à la ville
En 2013, naît un nouveau projet initié par Bouziane Belghorzi et les Loisirs Populaires, avec le soutien de la ville, de la région et de nombreuses associations comme ATD-Quart Monde. Dans le cadre de la politique de la ville, il s’agit de construire une ferme au cœur du quartier populaire des Mesnils-Pasteur, pour les familles qui ne partent pas en vacances. Tout le monde s’implique, donne un coup de main, participe à sa façon. Des tentes sont montées, des enclos sont installés, les animaux sont amenés, les mamans cuisinent des spécialités de leurs pays, les jeunes sont contents d’être ensemble au lieu de traîner n’importe où. Thomas, 15 ans, explique qu’il est bénévole à la ferme, qu’il s’occupe des animaux, les nourrit et organise des visites. Guénaelle, 12 ans, raconte : « Je suis cavalière et bénévole. Je fais faire des tours de poney aux enfants. Avec eux, on s’occupe des ânes, des cochons, on brosse les chevaux, on leur donne à boire... » La nuit tombe, il fait bon être dehors, les petits courent partout, les grands discutent paisiblement. Cette ferme à la ville est une réussite.
De petites récompenses
Des exemples ont-ils particulièrement marqué Bouziane Belghorzi ? « Ils sont très nombreux, les jeunes que j’ai vu passer aux Loisirs Pop’ et dont la transformation a été frappante. Ce sont à chaque fois de petites récompenses qui compensent largement les moments de découragement. Je me souviens d’un enfant un peu gros. Certains se moquaient de lui parce qu’il n’arrivait pas à monter sur le cheval. Il essuyait de méchants quolibets. Je suis intervenu et j’ai sanctionné durement les moqueurs. Dix ans plus tard, ce garçon m’a interpellé dans la rue. Il était interne en médecine ! Et il m’a dit combien il avait été touché que je le défende face aux autres, que je croie en lui. Je me souviens aussi d’une jeune fille qui avait découvert les chevaux grâce aux Loisirs Pop’ et qui voulait entrer dans un lycée agricole. Ses parents refusaient, je suis allé les voir. Elle a fini par obtenir gain de cause. Aujourd’hui, elle a des chevaux à elle et elle a monté sa propre structure. Nous l’avons aidée à devenir elle-même. »

SECTION 1 - RENCONTRE AVEC BOUZIANE BELGHORZI, RESPONSABLE DES LOISIRS POPULAIRES À DÔLE

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