A. À Strasbourg, une expérience pionnière qui dure depuis 11 ans
Passionnée depuis l’enfance par le vivant et les relations entre l’homme et l’animal, Patricia Arnoux étudie aussi bien la psychologie des humains que le comportement des animaux. Quand elle entend parler de « zoothérapie » pratiquée au Québec, elle s’y rend pour se former. Rentrée en France avec une nouvelle casquette, elle intègre cette dimension dans son travail auprès d’enfants et d’adolescents souffrant de troubles du comportement. C’est dans le cadre d’un échange franco-québécois qu’elle entre en relation avec la maison d’arrêt de Strasbourg, ce qui débouchera quelque temps plus tard sur l’une des premières expériences françaises de médiation animale en prison. Une expérience fondatrice qui dure encore et qui a pris beaucoup d’ampleur.
« En 2007, lorsque nous sommes entrés en contact avec la maison d’arrêt de Strasbourg, personne en France n’avait encore fait entrer des animaux dans un établissement carcéral ! Patrice Bourdaret, le directeur adjoint, était néanmoins très intéressé par l’idée et souhaitait rester informé des éventuelles avancées du projet. Un an plus tard, après le suicide de deux détenus mineurs à Metz et à Strasbourg, il m’a recontactée. Il fallait absolument tenter quelque chose pour endiguer cette vague de violence et apaiser un climat très tendu. Pourquoi ne pas s’appuyer sur les bienfaits de la présence des animaux ? C’est ainsi que le milieu carcéral est venu à moi. »
Un chien, une tourterelle et un cochon d’Inde
Après plusieurs réunions avec la direction, l’équipe médicale et les surveillants, pour bien cadrer le projet, Patricia Arnoux pénètre dans l’enceinte de la prison avec un chien, une tourterelle et un cochon d’Inde. « Nous avions trouvé une porte d’entrée : la prévention du suicide et l’apaisement des relations entre les détenus et le personnel. J’ai commencé au quartier des mineurs. Pour y arriver, il me fallait traverser à pied une bonne partie de la prison. Je mettais de plus en plus de temps à faire ce trajet parce que les surveillants m’arrêtaient constamment sur le chemin, pour discuter et caresser les animaux ! J’ai très vite étendu mon intervention au quartier des femmes, puis au quartier psychiatrique et enfin chez les hommes. En 11 ans, nous sommes passés de 2 heures de présence tous les quinze jours à 35 heures par semaine. En 2010, j’ai créé une association dédiée, Evi’dence, pour promouvoir les bienfaits de la médiation animale en milieu fermé. Evi’dence fait actuellement travailler 9 personnes, dont trois salariés : deux interviennent à la prison de Strasbourg, un à Mulhouse. Ce projet a pris une ampleur incroyable. Aujourd’hui les portes s’ouvrent plus facilement. »
Répondre aux attentes
Patricia Arnoux et son équipe doivent être suffisamment souples pour répondre aux attentes les plus diverses de la population carcérale et du personnel encadrant.
NEVADA (THE MUSTANG) SORTIE NATIONALE : 19 JUIN 2019
« Il y a 5 ans, j’ai découvert par hasard dans un magazine français le programme de médiation animale mené par Patricia Arnoux à la prison de Strasbourg. Son travail m’a beaucoup inspirée et de cette expérience est né un court métrage intitulé Rabbit : la relation entre une femme détenue et son lapin, dans une prison américaine. Vivant alors aux États-Unis, je continue à m’intéresser à la question de la réhabilitation en prison par la médiation animale et je découvre un programme dans le Nevada qui permet à des prisonniers de dresser des chevaux sauvages. J’étudie le sujet, je vais dans le Nevada, je passe des mois à observer et interviewer ces hommes, pour comprendre le dialogue invisible qui se noue entre l’humain et l’animal, et surtout, pour comprendre ce qu’est la deuxième chance. Ce qui m’a touchée profondément, c’est de voir à quel point un homme peut être transformé psychologiquement et émotionnellement par un animal. À quel point un homme violent et agressif peut apprendre, de façon très simple, sans un mot, la patience et le contrôle de soi. C’était un message très fort et essentiel dans le monde d’aujourd’hui. C’était aussi un témoignage formidable de ce que peut être la réhabilitation en prison et le futur de ces hommes. » Laure de Clermont-Tonnerre, scénariste et réalisatrice du film
« Nous sommes présents dans le quartier « arrivants » où séjournent les détenus à leur arrivée en prison, pendant quinze jours maximum. Nous aidons à amortir le choc carcéral : le risque de suicide est plus important dans ce quartier, les détenus y sont souvent réellement angoissés surtout si c’est leur première incarcération. Nous prenons la température et faisons des signalements si nécessaire. Le quartier « sortants » est tout aussi à risques : ceux qui vont sortir prochainement peuvent le vivre très mal, surtout si rien ni personne ne les attend. Là aussi, nous sommes présents. Et entre ces deux moments-clés, les détenus sont placés dans tel ou tel quartier en fonction de leur profil. Nous intervenons partout selon les besoins. Nous travaillons en bonne intelligence avec les différents acteurs du milieu pénitentiaire qui nous signalent les cas potentiellement problématiques, les personnes qui tendent à se renfermer et à s’isoler. Nous faisons partie d’un ensemble pluridisciplinaire et nous participons à la résolution des problèmes qui peuvent surgir en prison : suicide, isolement, violence, réinsertion... Ce n’est pas magique mais ça aide beaucoup. »
La médiation animale : d’abord, créer un lien
Pour Patricia Arnoux, l’animal « crée et facilite le lien social. Il a cette faculté extraordinaire d’entrer immédiatement en contact, sans porter aucun jugement. Nous, accompagnants, sommes la continuité de la laisse. L’animal entrouvre la porte, nous sommes derrière lui pour l’ouvrir plus grand encore. Quels que soient le contexte ou la situation de crise à gérer, la base est toujours la même : avec l’animal, nous créons un lien de confiance pour accompagner un changement, conduire à un questionnement ou amener à la résilience. Les animaux avec lesquels nous intervenons ont généralement été recueillis dans des refuges, ce qui revêt une dimension symbolique forte. L’animal a été victime, le détenu doit en prendre soin. Ils vont se construire ensemble. En tant que professionnel(le) s, nous avons la responsabilité d’une part d’accompagner de manière adaptée des humains en état de fragilité et d’autre part de savoir détecter et interpréter des signaux de stress chez nos animaux partenaires afin de leur éviter des situations anxiogènes. Nous tenons par contre à travailler avec des animaux qui ont conservé toute leur palette émotionnelle afin de garder la richesse de la spontanéité et de l’authenticité dans les relations. Cette combinaison ouvre des possibilités infinies et produit des résultats étonnants. »
Institutionnaliser et professionnaliser la médiation animale
En 11 ans, Patricia Arnoux a vu passer plusieurs directeurs(trices) à la maison d’arrêt de Strasbourg. « Les premiers ont soutenu et encouragé le projet, les suivants non seulement ne l’ont pas remis en cause mais ont même encouragé son développement, nous faisons tellement partie des murs maintenant ! Mais les difficultés restent, notamment la question du financement et donc celle de la pérennisation des actions. La Fondation Adrienne et Pierre Sommer nous a beaucoup soutenus les premières années mais maintenant nous devons trouver nous-mêmes les moyens de continuer. L’administration pénitentiaire contribue à hauteur de 25 à 30 % du budget environ, pour le reste nous sollicitons d’autres guichets. Il y a souvent des enveloppes pour des dispositifs précis (lutte contre le terrorisme, prévention du suicide), auxquels nous pouvons prétendre. L’administration centrale s’est saisie de la question et souhaite professionnaliser les démarches afin de limiter les dérives. De plus en plus d’établissements pénitentiaires sont tentés par l’expérience, nous sommes souvent sollicités pour évaluer une proposition, donner des conseils et faire bénéficier les autres de notre expérience. »
Les lignes bougent, le moment est favorable. « La direction de l’administration pénitentiaire nous a missionnés pour créer un référentiel métier national spécifique au milieu carcéral. De nombreux intervenants en médiation animale dans tout le pays vont participer à ce travail. L’idée est de structurer l’ensemble du processus en créant une formation reconnue, ce qui permettra de sélectionner des intervenants qualifiés et expérimentés. Pour ce faire, nous nous appuierons entre autres sur les travaux et études déjà menés par la Fondation Adrienne et Pierre Sommer. »
B. À Arles, des chevaux au cœur d’une prison pour les longues peines
Psychologue spécialisé en psychologie sociale, Thierry Boissin a d’abord exercé dans les entreprises, associations et autres collectivités. Par la suite, il suit une formation d’équithérapeute afin d’intégrer la médiation animale à ses pratiques. Il commence à intervenir à la prison d’Arles en 2010 avec des ateliers sur le thème de la cohésion à destination des surveillants. Il développe ensuite les premiers ateliers chevaux pour les détenus en 2011 dans le but d’en faire un outil contre la récidive.
La maison centrale d’Arles accueille des détenus condamnés à de longues peines de prison, vingt ans ou plus. Ils sont là après avoir commis des actes très graves et leur prise en charge par l’administration pénitentiaire comporte nécessairement des mesures sécuritaires drastiques. Ces détenus ont des profils psychologiques hors norme. « Coupés d’autrui et de la société, ils souffrent de réelles carences affectives et sensorielles, explique Thierry Boissin. Ils ne savent pas gérer leurs émotions et manifestent souvent de graves troubles psychologiques. Venus d’horizons différents et condamnés pour des raisons très variées – braquages, meurtres, actes de barbarie – ils doivent néanmoins partager un espace commun, vivre ensemble et interagir avec les surveillants. Mais parfois, ils sont seuls, isolés dans une cellule où ils prennent leurs repas quotidiens sans parler à personne, coupés de tout lien familial ou social. »
Des chevaux pour rompre l’isolement
C’est pour rompre avec cet isolement, réapprendre petit à petit certains gestes oubliés depuis longtemps et mettre en place un processus de réhabilitation psychologique et sociale que Thierry Boissin et Jean-Philippe Mayol, directeur de la prison, décident en 2010 de faire intervenir des chevaux. « Au départ, nous avons, un peu pompeusement, parlé d’équithérapie pour présenter notre projet aux détenus. Ce terme médical les a plutôt rebutés, nous l’avons remplacé par une expression plus concrète : Des Camargues et des hommes. »
Il a pensé quoi de moi le cheval ?
Ainsi rebaptisé, basé sur le principe du volontariat, l’atelier se met en place et rencontre rapidement un vif succès auprès des détenus et des surveillants. « Je commence toujours par des entretiens individuels qui permettent de prévoir des parcours adaptés au profil de chacun. Puis nous organisons une réunion collective au cours de laquelle nous expliquons le déroulement de la journée. Le matin, chacun approche le cheval et se familiarise avec l’animal. Nous déjeunons tous ensemble – détenus, surveillants, psychologues, moniteurs... Je me souviens d’un homme qui n’avait pas partagé de repas avec qui que ce soit depuis plus de vingt ans... »
L’après-midi est consacré à un travail collectif, souvent par binômes mêlant détenus et surveillants. Le soir enfin, nous prenons le temps de faire un debriefing : chacun fait part de son ressenti et donne sa propre lecture de la journée écoulée. Plus tard, je revois chaque détenu en entretien individuel. Je leur donne une photo de la journée qui sert de point de départ. Je m’appuie aussi beaucoup sur une technique qui m’a été soufflée par un détenu schizophrène, « Il a pensé quoi de moi le cheval ? » me répétait-il constamment. Cela permet de faire mieux passer certains messages. Ici, le cheval est médiateur. »
Quatre modules sur plusieurs années
Ces premières expériences produisent d’emblée des résultats très concluants. Ils créent du lien entre détenus et surveillants qui notamment apprennent à s’entraider. Très vite, les détenus en redemandent : la formule s’affine et se développe. « Nous avons découpé l’atelier en 4 modules qui peuvent s’étaler sur plusieurs années. Module 1 : phase d’apprentissage, dans l’enceinte de la prison, avec tout le monde. Module 2 : possibilité de devenir facilitateur, de transmettre un savoir acquis à d’autres détenus. Module 3 : passage des examens équestres nationaux, les galops, qui obligent les détenus à se préparer, lire et travailler. Module 4 : préparation à la sortie de prison, avec quelques activités à l’extérieur. » Au total, sur 120 détenus, 98 se sont portés volontaires. L’expérience Des Camargues et des hommes se poursuit d’année en année, les directeurs successifs reconduisant sans hésiter un dispositif opérant.
Libérer la parole
« Lors de ces journées de cheval, il n’y a plus de détenus, plus de surveillants, plus de directeur, plus de psychologue : chacun devient stagiaire. Cette dimension symbolique est fondamentale, elle permet à la parole de mieux se libérer. Tout fait médiation. Le cheval bien sûr. Le repas partagé, préparé en commun. Le café ensemble. Le toucher, le contact, l’odorat. Les détenus caressent et brossent les chevaux, cela peut durer des heures, c’est moi qui arrête ! Ce faisant, le détenu pense à sa femme ou à ses enfants, plus tard on en reparle. Le cheval permet de casser un mécanisme de défense : en prison, il faut paraître fort, ne rien montrer ; le cheval, lui, pèse 600 kg. Pas besoin de faire semblant devant lui, on peut se découvrir, il ne juge pas, il ne triche pas, il est simplement là, entre force et douceur. Il voit l’homme, pas ce qu’il a fait. Après une journée auprès des chevaux, le retour en cellule peut causer chez le détenu un véritable choc émotionnel dont les répercussions se font sentir des semaines ou des mois durant : pleurs, profond bouleversement dans le rapport aux autres...
Le rythme de la prison est réglé de manière immuable : avec le cheval, c’est un peu de liberté qui entre, un peu d’air du dehors. Lors des visites au parloir, le détenu montre à sa famille des photos de sa journée avec les chevaux : pour une fois, il a des choses à montrer, à raconter. »
Redonner un peu d’humanité
Un détenu a particulièrement marqué Thierry Boissin. « Il avait commis des actes absolument odieux. Et il a passé 22 ans à l’isolement, dans une cellule de 9 m2. La première personne qu’il a vue en dehors de cette cellule, c’est moi. Je lui ai parlé du projet Des Camargues et des hommes. Cette expérience lui a redonné un peu d’humanité – je ne suis pas un monstre, je suis aussi un homme. Aujourd’hui, il a intégré la prison normale, il est marié, il a un enfant. Pour lui, je n’étais pas un psy, j’étais juste le gars qui s’occupe des chevaux. Je me suis intéressé à lui. Pendant l’atelier, on le regardait comme un stagiaire parmi d’autres. Pas comme un monstre. »
Aujourd’hui, Thierry Boissin continue son travail auprès des détenus, à Arles ou Tarascon. Il est régulièrement sollicité par des établissements qui lui demandent des conseils avant de mettre en place un projet de médiation animale. Il participe à des rencontres et des travaux collectifs. « Il y a un dénominateur commun dans tout cela : il faut de l’amour pour l’autre, parce qu’il y a du bon dans tous les hommes. Si tu n’as pas ça au fond de toi, fais autre chose. »
C. À Rennes, médiation équine et canine pour servir la mission de réinsertion
Après des études de psychologie à l’université Paris 5, Catherine Mercier a fait en 1991 son stage de dernière année à la prison de Fresnes et n’a plus ensuite quitté le monde pénitentiaire. « J’ai adoré cette première expérience qui correspondait à mes valeurs citoyennes, c’est elle qui a décidé de toute la suite de ma vie professionnelle. » C’est au centre pénitentiaire des femmes de Rennes, où elle exerce comme psychologue en charge du Parcours d’Exécution des Peines (PEP), que Catherine Mercier met en place, à titre expérimental, un premier atelier de médiation animale en 2008.
« Il s’agissait de trouver une réponse adaptée à un cas particulier. Une femme, condamnée à 18 ans de prison, maltraitée par la vie, anéantie par un passé douloureux, le regard vide et sans aucune perspective d’avenir, rejetait totalement toute idée de sortir un jour de prison. Les outils traditionnels de réinsertion étaient inopérants sur cette femme. C’est dans ce contexte qu’a germé l’idée de l’accompagner vers la sortie avec un cheval pour partenaire, l’animal apparaissant comme l’intermédiaire le plus adapté pour qu’elle puisse retrouver l’estime d’elle-même et développer une habileté relationnelle plus constructive pour elle. »
Un premier atelier expérimental
Ainsi, avec le plein assentiment et le soutien financier de la direction de son établissement, Catherine Mercier, passionnée et éleveuse de chevaux, invente-t-elle un premier atelier de médiation équine au sein de la prison. « Cet atelier s’articulait sur trois journées complètes : les matinées étaient consacrées à diverses activités autour du cheval (pansage, parcours en main et/ou liberté) ; les après-midi, au debriefing avec des séances d’écriture collective. Le résultat fut spectaculaire, notamment sur la détenue qui était à l’origine de l’initiative. Le cheval a révélé des capacités insoupçonnées d’entreprendre, d’interagir, et a suscité une envie de vivre, non plus de survivre, pour expier. Cette femme, selon les dernières nouvelles, mène maintenant à l’extérieur une vie épanouie sur tous les plans. »
Des chevaux avec les détenues, à l’intérieur et à l’extérieur de la prison
Cette première expérience ayant été couronnée de succès, elle est reconduite l’année suivante et même complétée par un second atelier organisé à l’extérieur – pour les femmes « permissionnables » – avec une randonnée de 30 kilomètres sur deux jours et une nuit en gîte. « Ces ateliers de médiation animale constituent l’un des outils d’aide à la réinsertion, l’une des missions du psychologue du Parcours d’Exécution des Peines (PEP). La Commission Pluridisciplinaire Unique (CPU) évalue quelles femmes pourraient participer aux ateliers en fonction de leur profil, de leurs problématiques individuelles et des objectifs fixés. Les femmes peuvent se porter volontaires mais au final c’est la CPU qui valide et propose à la Commission d’Application des Peines l’octroi des permissions de sortie. Comme tout le monde a joué le jeu et que les effets observés étaient généralement très positifs, les ateliers se sont naturellement intégrés au projet global de l’établissement. Ils existent depuis maintenant dix ans, et les chiens ont rejoint les chevaux en 2015. »
Rien n’est possible sans l’implication des personnels
L’implication des personnels, tous corps et grades confondus, voire des partenaires de la santé ou de l’éducation, est, selon Catherine Mercier, une condition indispensable à la réussite d’un projet de médiation animale en prison. « Le projet ne peut être porté par une seule personne, sinon il risque d’être fragilisé par des enjeux de pouvoir ou de séduction. D’autre part, la médiation animale contribue clairement à améliorer la qualité de la relation entre détenus et surveillants car elle permet une déconstruction spontanée des représentations respectives. Cet effet perdure au-delà de l’activité elle-même, les détenues engageant plus facilement le dialogue avec les personnels ayant participé à l’activité. La randonnée équestre de deux jours est un moment très fort dans le dispositif. Certaines détenues mettent le pied dehors pour la première fois en dix ans ! Nous sommes tous au même niveau, il n’y a plus de hiérarchie. »
La médiation animale n’est pas une fin en soi
Catherine Mercier insiste beaucoup sur le fait que les activités de médiation animale ne constituent pas un but en soi. « C’est un moyen pour atteindre un objectif qui peut être le désengagement de la violence, la valorisation de soi ou l’appropriation du parcours de vie en détention, le développement de compétences psycho-sociales. »
La médiation animale vient souvent compléter et renforcer des programmes plus larges : éducation pour la santé, prévention du suicide, etc. Les ateliers de médiation animale permettent à la personne détenue de découvrir en elle des capacités et des qualités dont elle ignorait souvent l’existence et de se (re)découvrir un meilleur aspect d’elle-même. En les expérimentant d’abord avec le cheval, la personne détenue prend confiance en elle, développe une autre manière d’être au monde et s’ouvre un chemin nouveau, favorable à la sortie progressive de la délinquance. L’expérience menée avec Handi’Chiens (chiens d’assistance pour personnes en fauteuil) est très parlante à cet égard. Les détenues qui ont participé à l’éducation d’un chien qui allait être ensuite utile à quelqu’un se sentaient valorisées par leur contribution.
« Nous avons pu observer en direct ce processus de réparation symbolique le jour où nous avons fait venir dans la prison une personne handicapée avec son chien éduqué en partie par les femmes détenues. »
Le Comité de Pilotage de la Direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) : une étape fondamentale
D’autres établissements pénitentiaires se lancent sur la même voie. À la DISP de Rennes, Loïc Ben Ghaffar, très convaincu lui-même, décide en 2018 de mettre en place un Comité de Pilotage sur la médiation animale, auquel il associe Catherine Mercier. « Cette initiative majeure a enclenché un processus en faveur de la médiation animale en prison. Le Comité de Pilotage mobilise des forces vives, facilite les relations entre les différents intervenants de l’administration pénitentiaire et inscrit fortement la médiation animale dans la liste des outils d’insertion à notre disposition, au même titre que le sport ou la culture. Le travail mené permet de structurer, de légitimer et de crédibiliser ce qui se faisait déjà localement. Il met également en lumière le fait que les intervenants en médiation animale doivent recevoir une formation adaptée et, si possible, validée par l’institution. Des connaissances en éthologie animale et en psychologie humaine sont indispensables. »
Il est essentiel d’évaluer les actions menées
Mobilisée pour atteindre des objectifs précis, la médiation animale doit être évaluée par l’administration pénitentiaire. « C’est l’un des axes de travail du Comité de Pilotage. Les actions de médiation animale sont relativement coûteuses, il faut savoir en mesurer les effets, par des évaluations cliniques ou des entretiens avec les détenus et le personnel. À Rennes par exemple, nous avons travaillé avec Christopher Valente du laboratoire de criminologie de l’Université de Rennes ».
Le centre pénitentiaire des femmes de Rennes restera toujours un point d’ancrage
En 2017, après plus de vingt ans dans l’administration pénitentiaire, Catherine Mercier quitte son poste de psychologue PEP à la prison de Rennes. Elle continue à intervenir à Rennes, mais aussi dans les établissements pénitentiaires d’Angers, de Brest ou d’Orvault, souvent avec ses propres chevaux. « Je fais de la formation, de l’équithérapie, de l’équicoaching. Avec Thierry Boissin, j’interviens régulièrement à l’École Nationale d’Administration Pénitentiaire (ENAP). J’ai changé de statut mais je reste très attachée à la prison de Rennes. »