L’âne est de plus en plus souvent associé aux actions de médiation animale. Ses qualités intrinsèques et sa proximité ancestrale avec l’humain en font un partenaire privilégié.
Le point avec Manée Séverin, psychomotricienne et co-fondatrice de l’Association MEDI’ÂNE, créée en 2002 pour rassembler les expériences de ce travail avec l’âne. Manée Séverin a découvert l’âne par le biais d’activités de loisirs, alors qu’elle travaillait notamment avec Nadège Champeau, éducatrice spécialisée investie sur des projets en médiation asine.
Quand on parle de médiation animale, on pense spontanément aux chiens ou aux chevaux. Pourtant vous, ce sont les ânes qui vous intéressent...
Effectivement. Autant il existe une littérature abondante sur les chiens et les chevaux, autant ce qui concerne l’âne a longtemps relevé de l’observation et de la tradition orale. Peu de scientifiques se sont intéressés à l’âne dans sa dimension éthologique.
L’âne a le plus souvent accompagné l’homme dans son quotidien, d’où l’importance de la culture orale dans son histoire. C’est un atout, car il s’agit là d’une parole habitée, pleine d’expériences humaines. Avec cette dimension, on est tout de suite dans le champ du vécu et du ressenti.
Ce que je sais sur l’âne, je le dois en grande partie à ce que j’ai pu vivre et observer à ses côtés et à ceux des âniers. Je le dois aussi aux travaux de Jean-Claude Barrey, un des rares éthologues (aujourd’hui décédé) qui s’est intéressé à l’âne, bien que passionné par le cheval.
Quelles sont les caractéristiques de l’âne ?
En milieu naturel, l’âne évolue sur un large territoire, au sein d’une communauté sociale sans véritable chef. Les ânes vivent en petits groupes éclatés. Ceux des mères et leurs petits, ceux des jeunes mâles. Le mâle adulte vit en solitaire... Il n’y a pas de leader, mais des places et des rôles que chacun occupe en fonction d’événements environnementaux, selon son caractère et ses appétences. Pour se défendre, l’âne a appris à compter sur lui-même, plus que sur le groupe. Il a développé une mémoire comportementale très conséquente. Il apprend vite et de manière précise, compétence qu’il a conservée car il lui faut nourrir rapidement sa mémoire comportementale, une question de survie.
On a cette image de l’âne têtu mais il s’agit là d’une sorte de réflexion devant une situation d’inconfort. Quand il bloque, l’âne cherche une solution comportementale. Il peut avoir besoin de temps pour cela, d’où une certaine placidité chez lui. Il est sensible à un compromis s’il y perçoit une solution d’apaisement. Inutile de forcer ou de s’énerver, cela devient la cause majeure de son malaise. Cette image négative véhiculée sur l’âne est somme toute erronée car sa capacité à prendre des décisions comportementales personnelles et singulières nous donne repère en médiation animale quant à l’adhésion de la présence d’un âne à nos côtés. En séance, nous nous appuyons sur cet espace de négociation que peut initier la réaction d’un âne.
Le vaste territoire dans lequel vit l’âne en milieu naturel a façonné sa physiologie. Ainsi, l’âne a développé une sensorialité fine et très performante qui lui donne la capacité de percevoir de loin, d’anticiper un danger, de s’adapter. Sa morphologie s’est ajustée à des environnements escarpés. L’âne est bon grimpeur, il a le « pied sûr ».
Il a un rythme de fonctionnement plutôt lent et placide qui donne le temps dans nos interactions avec lui, du temps à la rencontre, du temps pour la familiarisation, du temps pour les mobilisations.
Il a cette aptitude du pas marché qui assure sa progression avec endurance, sur du long terme et avec stabilité et qui se lie bien à celui de l’humain. Avec l’âne, on fonctionne la plupart du temps dans un « côte à côte », on est dans une transversalité de rapports.
Comme d’autres animaux domestiques, l’âne est perméable aux apprentissages de codes inter-espèces et se montre curieux. L’âne peut apprendre de l’humain et l’humain de l’âne.
L’âne est un animal expressif avec une large palette d’attitudes, de postures, de mimiques et d’expressions sonores. Parmi ses moyens de communication, la position des oreilles et leurs mouvements, nous renseignent sur son humeur et son état intérieur. Il existe toute une cartographie de significations à ce propos...
Pouvez-vous nous parler de MEDI’ANE, l’association que vous avez créée et que vous avez longtemps présidée ?
MEDI’ANE est avant tout un réseau, un espace d’échanges autour de l’âne et du travail en médiation asine. Nous mutualisons nos connaissances et compétences. Nos objectifs sont pluriels : promouvoir la présence de l’âne dans le cadre de projets éducatifs, pédagogiques, sociaux et/ou de l’ordre du soin ; soutenir les pratiques de médiation animale avec l’âne ; organiser et développer toutes activités, recherches, formations ou études mettant en lien l’âne et l’homme ; former un réseau vivant et interculturel entre les différents acteurs proposant une activité de médiation avec l’âne.
Depuis 2003, nous organisons, chaque année, une formation de quinze jours intitulée « L’âne dans un travail de lien social ». Nous proposons, ponctuellement, des sessions thématiques sur des points particuliers du champ que recouvre le domaine de la médiation asine. Nous répondons aux demandes des praticiens, y compris de services du médicosocial, qui ont un projet d’activités asines, ou souhaitent revisiter des pratiques existantes. Nous avons une reconnaissance en tant qu’organisme de formation mais notre volonté est un travail constant entre pratique et théorie, ne serait-ce que du point de vue des conditions de la présence de l’âne en médiation animale.
Nous avons longtemps réfléchi à avoir un lieu qui aurait pu servir de référence mais nous sommes restés nomades et collaborons avec des structures asines dans la mise en œuvre de nos activités. L’avantage de ce nomadisme est d’éviter un formatage des pratiques car si nous posons un cadre et une démarche, l’aspect singulier de chaque projet ou structure soutient notre propos de ne jamais oublier qu’en médiation animale, nous sommes dans des histoires singulières, qu’elles soient humaines ou animales.
Avec la présence animale, nous sommes conviés à la dimension du monde du vivant qui est à l’opposé des clivages et des certitudes. Avec la présence animale, « l’ici et le maintenant » est à l’œuvre.
Quels sont les publics bénéficiant d’actions de médiation avec des ânes ?
La médiation asine s’adapte potentiellement à tous les publics en difficulté d’adaptation, enfants, adultes, personnes âgées, que leurs difficultés soient d’ordre psychique, neurologique, physique ou social.
En médiation asine, il s’agit avant tout, dans un cadre construit et conventionné, d’une rencontre singulière entre un âne et une personne. À nous d’adapter au mieux les conditions de cette rencontre, la faisabilité des projets et de faire évoluer les situations de mobilisations possibles avec l’âne, en lien avec le projet d’accompagnement du bénéficiaire.
Quelles sont les spécificités de la médiation asine ?
Il y a, en médiation asine, comme un mélange entre simplicité et complexité. Simplicité liée à l’âne, complexité liée aux différentes interactions mobilisées lors des séances et le sens qu’elles font émerger. À MEDI’ÂNE, on évoque des accordages, des entre-deux, des interactions entre l’humain et l’âne.
De manière pratique, le travail avec l’âne est basé sur ses potentialités à la mise en lien, à la curiosité, à être perméable à certains codes de communication de l’humain, à répondre à des consignes de placements et déplacements, à pouvoir rester longtemps en statique et à se déplacer au rythme du pas marché.
MEDI’ÂNE donne une définition du travail en médiation animale qui est « la recherche des interactions positives issues de la mise en relation humain-âne, de manière intentionnelle et réfléchie, en vue, notamment, de produire un changement bénéfique chez l’individu présentant certaines difficultés d’adaptation. À ce titre, la médiation animale avec l’âne constitue un ensemble de situations pensées, construites, argumentées et évaluées et s’inscrit dans une démarche d’accompagnement plus globale. Sous certaines conditions, les objectifs de la médiation animale avec un âne peuvent être sociaux, éducatifs, thérapeutiques ou liés à la recherche ».
En médiation animale, on parle généralement de relation triangulaire : le bénéficiaire, l’animal et l’intervenant.
Nos expériences, nos réflexions, nous ont menés à concevoir une systémie en tétraèdre pour bien prendre en compte les différents acteurs d’un projet et les six interactions qu’ils génèrent entre eux.
Pour MEDI’ÂNE, il est indispensable de formuler le positionnement : du bénéficiaire (son identité, son histoire, ses spécificités), de son contexte social (institution, professionnels de l’accompagnement, entourage familial, même s’ils ne sont pas présents lors des séances), de l’animal (âne ou groupe d’ânes, leurs histoires et compétences, leur environnement), de l’intervenant en médiation asine (professionnel formé ayant une connaissance de l’âne, son histoire, ses compétences, son lien avec l’âne). Cette systémie en tétraèdre donne sens, épaisseur, volume et assise au projet de médiation animale qui par expérience personnelle est, bien souvent, générateur d’une énergie constructive lors des séances.
Cette formulation nous permet de poser le cadre dans lequel nous souhaitons travailler avec l’environnement du bénéficiaire (services ou institutions spécialisées, voire avec les familles).
Un mot sur le bien-être de l’âne ?
C’est un sujet d’importance et les références scientifiques, à ce propos, pour l’âne, sont rares. Les apports de Jean-Claude Barrey, nous ont permis de préciser les différents degrés de tension générés par les besoins de l’âne. Nous nous référons aux documents de l’IFCE (Institut Français du Cheval et de l’Équitation) notamment sur les droits et devoirs envers les équins. Nous suivons l’actualité en matière de droit animalier par le biais des informations relayées par l’OIE (Organisation Mondiale de la Santé et du Bien-être Animal) et l’IAHAIO.
Dans nos recommandations, nous veillons aux conditions de vie et d’activités des ânes (habitat, nourriture, hygiène, soins...). L’âne a besoin de structurer son espace selon ses codes pour y vivre ses propres activités dont celles entre congénères. Pour cela, nous préconisons de travailler en dehors des prés et de veiller au rythme de nos sollicitations qui peuvent déclencher un déséquilibre comportemental ou somatique. L’âne est très endurant, au point de cacher un problème de santé. Une veille sanitaire et comportementale, au quotidien de l’ânier vers ses ânes, est un incontournable. L’âne a la capacité de s’adapter dans la mesure où l’humain à ses côtés est attentif, informé, voir formé dans le domaine asin.
Dans nos recommandations, nous veillons à ce que les ânes sollicités lors des séances soient en disposition vers l’humain et ses sollicitations, c’est-à-dire en tension basse. Pour cela, il y a des règles d’hygiène et de sécurité qui doivent être posées et accompagnées. À ce propos, nous préconisons de démarrer tout travail par un temps de mise en lien, ce qui nous donne la mesure de l’adhésion de l’âne à être avec nous. Durant les séances, nous devons accorder une vigilance aux réactions d’un âne qui peut se trouver en inconfort par une situation trop puissante en mobilisations ou d’un point de vue émotionnel. Nous engageons les praticiens à penser à des espaces ou moments de retrait d’ailleurs aussi bien pour l’âne que pour les bénéficiaires de l’activité asine. L’inconfort ne peut ouvrir à la disponibilité, retient l’élan des interactions et leur réciprocité.