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Introduction

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La question de la protection des majeurs vulnérables est ancienne, même si le vocabulaire a beaucoup évolué. Dès 1804, le Code civil comporte une partie consacrée à l’incapacité du fait de l’altération des facultés intellectuelles et organise deux régimes de protection de l’« aliéné ». Le premier, l’interdiction, s’adresse aux personnes qui se trouvent dans un état habituel « d’imbécillité, de démence ou de fureur ». Ce dispositif entraîne l’ouverture de la tutelle, l’interdit étant assimilé à un mineur pour sa personne comme pour son patrimoine. Un tuteur est désigné pour le représenter et gérer ses biens. Un contrôle de la gestion est assuré par un subrogé tuteur tandis qu’un conseil de famille est chargé de donner au tuteur l’autorisation d’accomplir certains actes plus graves. Le second concerne la dation d’un conseil judiciaire, spécialement conçu pour les « prodigues ». Il déclenche un simple mécanisme d’assistance, les intéressés bénéficiant alors seulement d’une protection de leurs biens. Au final, l’ambition du Code civil est claire : il s’agit de protéger le patrimoine de ces personnes.
Mais, « à cette même époque, l’idée selon laquelle l’aliéné est un malade commence à prendre son essor [...[. Le besoin de mesures de protection et d’assistance se fait sentir » (1). Aussi, une loi du 30 juin 1838 sur les aliénés est adoptée quelques décennies plus tard. Elle définit le régime particulier et provisoire des « aliénés non interdits » placés dans un établissement psychiatrique. À cet égard, elle prévoit notamment que « dès son internement dans un établissement public, l’aliéné [soit[ pourvu d’un administrateur provisoire légal désigné par les commissions administratives ou de surveillance. Cet administrateur, dont la fonction était gratuite, assurait la gestion des biens de tous les malades, mais ne pouvait prendre que des mesures de conservation et d’entretien ; il procédait au recouvrement des sommes dues au patient, à l’acquittement de ses dettes ; il pouvait passer des baux n’excédant pas trois ans et pouvait même, en vertu d’une autorisation spéciale accordée par le président du tribunal civil, faire vendre le mobilier. Ses fonctions cessaient dès la sortie du malade de l’établissement (2) ».


A. Le tournant de 1968

Ce dispositif va perdurer pendant près de 130 ans avant qu’une réforme d’envergure ne bouleverse le paysage. De fait, les dispositions du Code civil suscitent de nombreuses critiques de la part tant des juristes que des médecins, et les régimes de protection qui y sont prévus sont d’ailleurs en déclin. Quant à la loi de 1838, elle posait de nombreuses difficultés d’application. « Tout d’abord, cette loi se limitait aux seuls “aliénés internés”, laissant hors de son champ d’application les malades soignés à domicile ou hospitalisés dans des cliniques, hôpitaux privés et dans les services libres des hôpitaux psychiatriques. Ainsi, seuls les malades soignés dans des établissements psychiatriques publics se trouvaient placés d’office sous le régime de l’administration provisoire et voyaient la gestion de leur patrimoine confiée à un administrateur provisoire légal » (3).
C’est pourquoi, en décembre 1965, après l’échec de plusieurs tentatives pour réformer le dispositif, le gouvernement de l’époque, qui est parallèlement engagé dans une démarche de rénovation du Code civil, met en place, à l’initiative du garde des Sceaux, Jean Foyer (4), une commission de réforme de la législation sur les aliénés, dans l’optique d’aboutir à un projet de loi. La commission limite toutefois ses réflexions aux mesures concernant la gestion des biens des incapables majeurs, se réservant de poursuivre ultérieurement la refonte des mesures relatives aux personnes. Celle-ci n’aboutira finalement que bien plus tard... en 2007.
Ce groupe de travail s’inspire largement de la loi du 14 décembre 1964 qui, entre-temps, a modifié les dispositions du Code civil relatives à la tutelle et à l’émancipation (5). Et pour cause, ses membres sont les mêmes que ceux qui ont travaillé sur la loi de 1964. Laquelle présente deux nouveautés : l’institution d’un juge spécialisé, le juge des tutelles, et le recours fréquent à l’administration légale (c’est-à-dire à une tutelle sans conseil de famille).
Au lieu de se cantonner à apporter des retouches au droit existant, le projet de loi, dont la rédaction est confiée au doyen Carbonnier, professeur de droit, a l’ambition de procéder à une refonte complète en la matière. Il aboutira à la loi du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs, terme qui se substitue à celui d’« aliéné » ou d’« interdit » (6).
De ce texte, il ressort plusieurs innovations : la loi procède d’abord à une césure entre la gestion sur le plan civil de la personne et de ses biens et sa prise en charge sur le plan médical. Autrement dit, elle supprime la mise automatique sous administration provisoire légale lors d’un internement, quelle qu’en soit la nature. Par ailleurs, le texte pose le principe selon lequel la capacité est la règle, et l’incapacité, l’exception. Surtout, la loi de 1968 prévoit tout un dispositif permettant d’adapter la mesure à la situation de la personne. Peut ainsi bénéficier d’une protection le majeur souffrant d’« une altération de ses facultés personnelles » qui « le met dans l’impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts », en raison de la maladie, d’une infirmité ou d’un affaiblissement lié à l’âge, ainsi que celui qui pâtit d’une altération de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté.
Par ailleurs, le législateur offre une protection à ceux dont les conditions d’existence sont menacées par leur prodigalité, leur intempérance ou leur oisiveté.
Dans un souci de diversification, la loi introduit trois types de mesures qui peuvent, selon le cas, être allégées ou renforcées. La première, la tutelle, régime de représentation, est dans la continuité du mécanisme de l’interdiction judiciaire. Elle peut être organisée sous différentes formes : la tutelle avec conseil de famille, l’administration légale, qui consiste en une forme de tutelle familiale simplifiée avec désignation d’un « administrateur légal sous contrôle judiciaire » sans constitution de conseil de famille, la gérance de tutelle (7) et la tutelle d’État.
La deuxième, la curatelle, régime d’assistance, prend, elle, la suite de la dation d’un conseil judiciaire. Elle peut être, selon le cas, allégée par le juge ou au contraire renforcée.
Enfin, une nouvelle mesure est introduite : la sauvegarde de justice. Dans ce cadre, « le majeur placé sous sauvegarde de justice conserve en principe ses droits ; toutefois, il est prémuni, d’une part, contre ses propres actes portant atteinte à ses intérêts, et, d’autre part, contre une éventuelle inaction qui lui serait préjudiciable » (8).
Une autre « grande idée de la loi de 1968 a été le respect de l’autonomie des personnes, protégées ou non. La protection juridique, parce qu’elle entraîne une restriction des libertés, doit s’avérer nécessaire et par voie de conséquence subsidiaire. À cet égard, les principes de nécessité et de subsidiarité [...[, s’ils ne sont pas formellement inscrits en tant que tels dans la loi de 1968, sont tout de même sous-entendus ».
Enfin, dans un souci de souplesse et d’individualisation, comme la volonté de respecter, dans la mesure du possible, la volonté des malades, le législateur met en place une procédure légère, dépourvue de formalisme : il confie le prononcé d’une mesure d’incapacité au juge des tutelles plutôt qu’au tribunal de grande instance. Presque à la même époque, une loi du 18 octobre 1966 institue la tutelle aux prestations sociales pour les adultes (9). Le dispositif de protection des majeurs « incapables » est alors complet et perdurera près de 40 ans en l’état.


B. La nécessité d’un changement

Mais en quatre décennies, la donne a encore considérablement changé. Alors que le dispositif a été mis en place pour quelques milliers de personnes, à la veille de la réforme de 2007 près de 800 000 – soit 1 % de la population française – sont placées sous un régime de protection juridique, auxquelles s’ajoutent près de 60 000 adultes relevant d’une mesure de tutelle aux prestations sociales. En outre, selon les projections de l’Institut national d’études démographiques effectuées à l’époque, en l’absence de réforme, le nombre des personnes protégées devait atteindre près de un million en 2010 sous le seul effet de l’évolution démographique et de l’allongement de l’espérance de vie. Aussi un projet de loi de refonte du système est-il présenté en conseil des ministres le 28 novembre 2006 à l’issue d’une dizaine d’années de réflexion. De fait, dès 1998, les inspections générales des finances, des services judiciaires et des affaires sociales dans leur rapport puis, en 2000, le rapport Favard (10) font le même constat : sous l’influence d’une évolution (11) socio-économique marquée par le vieillissement de la population et l’importance des phénomènes de précarité et d’exclusion, la protection judiciaire des majeurs s’est écartée de sa finalité. En effet, de nombreuses mesures sont prononcées pour des raisons plus sociales que juridiques. Or, explique l’exposé des motifs du projet de loi, qui deviendra la loi du 5 mars 2007 (12), « les mesures de protection juridique, qui sont toujours restrictives de droits pour les personnes qui y sont soumises, ne doivent pas être un palliatif des insuffisances des dispositifs sociaux ».
Aussi le texte soumis aux parlementaires a-t-il pour ambition de tracer une ligne de partage entre, d’un côté, les mesures de protection juridique destinées aux personnes qui n’ayant plus toutes leurs facultés personnelles – personnes âgées dépendantes, personnes handicapées, malades psychiatriques – sont dans l’impossibilité d’agir dans la vie civile selon ce que commande la défense de leurs intérêts et, de l’autre, les systèmes d’aide et d’action sociales ?
La motivation financière est également omniprésente. En 2006, le coût du dispositif existant pour les financeurs publics (État, départements et organismes de sécurité sociale) est évalué à 402,7 millions d’euros. Avec la réforme, le gouvernement estime au moment de la présentation du projet de loi que ce montant devait s’élever à 496 millions d’euros en 2013, au lieu de 644 millions d’euros si elle n’était pas mise en œuvre. Pour tracer le cadre de cette refonte, le gouvernement ne manquait pas de sources d’inspiration. Outre le rapport des trois inspections et le rapport Favard, il a pu puiser des idées dans les propositions des deux groupes de travail de la direction générale de l’action sociale en 2003 (13) – devenue aujourd’hui la direction générale de la cohésion sociale –, dans le rapport annuel du médiateur de la République en 2005 et dans les travaux du Conseil économique et social en 2006 (14).


C. Un dispositif recentré sur la personne protégée

Ce projet de loi aboutit à la loi du 5 mars 2007 réformant la protection des majeurs qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2009. Ce texte a souhaité d’abord recentrer le dispositif de protection juridique sur les personnes réellement atteintes d’une altération de leurs facultés personnelles. À cet effet, et pour freiner l’inflation des mesures de protection juridique, la loi du 5 mars 2007 a cherché à redonner leur pleine effectivité aux principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité qui doivent sous-tendre la décision du juge des tutelles. Par ailleurs, si les mesures judiciaires de protection juridique existantes, à savoir la sauvegarde de justice, la curatelle et la tutelle, ont été maintenues, elles ont été ajustées avec une gradation dans l’atteinte portée aux droits. De plus, elles sont, depuis le 1er janvier 2009, prises pour des durées limitées, comprises entre un et cinq ans, selon les mesures, renouvelables suivant une procédure encadrée. Il s’agit de vérifier si l’évolution de l’état de santé de la personne ou l’implication plus importante de son entourage dans sa prise en charge ne justifie pas une modification, une adaptation ou une mainlevée de la mesure prise. Ce n’est que par exception à cette règle, et dans le cas des tutelles et curatelles, lorsque l’altération des facultés personnelles de l’intéressé ne paraît manifestement pas susceptible de connaître une amélioration selon les données acquises de la science, que le juge peut, par décision spécialement motivée et sur l’avis conforme d’un médecin « agréé », renouveler la mesure pour une durée plus longue qu’il détermine.
La réforme de 2007 a en outre supprimé la possibilité de prononcer une mesure de protection lorsque « le majeur, par sa prodigalité, son intempérance ou son oisiveté, s’expose à tomber dans le besoin ou compromet l’exécution de ses obligations familiales (15) ». Aujourd’hui, seule l’altération, médicalement constatée, soit des facultés mentales, soit des facultés corporelles, de nature à empêcher l’expression de la volonté d’une personne, et la mettant dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts peut justifier qu’elle soit privée de tout ou partie de sa capacité juridique. Enfin, un troisième levier d’action utilisé par le législateur en 2007 pour éviter des saisines trop fréquentes de la justice a été la suppression de la possibilité offerte jusque-là au juge des tutelles de se saisir d’office.
L’amélioration de la prise en charge des intéressés a également été au cœur de cette refonte avec la consécration de la protection de la personne, et non plus seulement de celle de son patrimoine. Cette reconnaissance passe entre autres par une meilleure protection du logement, des comptes personnels mais aussi par un renforcement du droit à l’information et une meilleure prise en considération de la volonté de la personne protégée au cours de la procédure. De plus, la personne s’est vue reconnaître le droit d’organiser elle-même sa protection future, dans le cas où elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts, au travers d’un mandat de protection future.
Parallèlement, afin de répondre avec davantage d’efficacité à certaines situations sociales de précarité et d’exclusion, la loi a instauré une mesure d’accompagnement judiciaire, dispositif de gestion budgétaire et d’accompagnement social de la personne, prenant place aux côtés des mesures de tutelle, de curatelle et de sauvegarde de justice. En contrepartie, la tutelle aux prestations sociales versées aux adultes, jusque-là limitée à la gestion des prestations sociales et n’entraînant aucune incapacité juridique, a été supprimée (un régime transitoire étant toutefois prévu). Mesure de protection juridique et mesure d’accompagnement judiciaire se distinguent en particulier par les causes qui peuvent justifier leur ouverture : qu’elles soient judiciaires (sauvegarde de justice, curatelle et tutelle) ou conventionnelles (mandat de protection future), les mesures de protection juridique ne peuvent être ouvertes que pour une cause médicale – l’altération des facultés personnelles de l’intéressé –, tandis que la mesure d’accompagnement judiciaire peut être ordonnée, quel que soit l’état du majeur, pour rétablir son autonomie dans la gestion de ses prestations sociales lorsque les actions mises en place dans le cadre de la mesure d’accompagnement social personnalisé ont échoué. À côté des mesures concernant la protection et l’accompagnement judiciaires des majeurs, la loi a mis, en effet, en place une nouvelle mesure administrative d’accompagnement social personnalisé. Celle-ci se situe en amont du dispositif judiciaire et a pour objectif d’éviter le placement sous protection judiciaire de personnes dont les intérêts peuvent être préservés par un accompagnement social adapté. La mise en œuvre de cette mesure est confiée au département, qui peut toutefois la déléguer à d’autres collectivités ou organismes, par convention. Elle est destinée aux personnes en grande difficulté sociale.
Un autre pan de la réforme de 2009 a consisté à assainir le secteur et à éviter certaines dérives. À cet effet, un statut de « mandataire judiciaire à la protection des majeurs », appellation qui recouvre l’ensemble des opérateurs tutélaires antérieurs, a vu le jour. Cette activité a parallèlement été intégrée dans le champ de l’action sociale et médico-sociale, un certain délai ayant été accordé aux différents opérateurs tutélaires pour se conformer aux nouvelles dispositions.
Enfin, la loi du 5 mars 2007 a procédé à une refonte du dispositif de financement qui, de fait, faisait, depuis plusieurs années, l’objet de très nombreuses critiques. L’objectif a été de traiter de manière équitable sur le plan financier les personnes protégées et d’harmoniser le régime de financement de l’ensemble des mesures. Le nouveau système de financement ne s’applique que dans le cas où un mandataire judiciaire à la protection des majeurs est nommé. Le Code civil rappelle, en effet, que les personnes autres que ces professionnels doivent exercer à titre gratuit la mesure de protection juridique. Seul bémol : le juge ou le conseil de famille, s’il existe, peut autoriser, selon l’importance des biens gérés ou la difficulté d’exercer la mesure, le versement d’une indemnité à la personne chargée de la protection dont il fixe le montant et qui est due par la personne protégée.
Lorsqu’un mandataire judiciaire à la protection des majeurs est désigné, sa rémunération est en principe à la charge totale ou partielle de la personne protégée, en fonction de ses ressources. Tout financement public est subsidiaire. Il intervient lorsque le montant des prélèvements opérés sur les revenus de la personne protégée se révèle insuffisant pour couvrir les charges des opérateurs.
Très attendus, les principaux décrets d’application de la loi du 5 mars 2007 – pas moins de 15 au total – ont été publiés in extremis au Journal officiel des 31 décembre 2008 et 1er janvier 2009, sensiblement en même temps que la convention de La Haye sur la protection internationale des adultes du 13 janvier 2000, ratifiée par la France le 18 septembre 2008. Si la réforme de la protection juridique des majeurs a été globalement bien accueillie par le secteur tutélaire, deux décrets ont suscité toutefois son mécontentement : celui qui est relatif à l’exercice, à titre individuel, de l’activité de mandataire judiciaire et celui qui organise les modalités de participation des personnes protégées au financement de leur mesure (16). Aussi, les associations représentatives de ce secteur (la FNAT, l’UNAF, l’Unapei et l’Unasea) avaient-elles déposé un recours en annulation devant le Conseil d’État contre ces deux textes. S’agissant du premier, les acteurs soutenaient notamment que l’absence de limitations quantitatives et temporelles encadrant l’activité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs exerçant à titre individuel était contraire à l’objectif de renforcement des garanties accordées aux majeurs protégés poursuivi par la loi du 5 mars 2007. La Haute Juridiction ne leur a toutefois pas donné raison, estimant, dans une décision du 4 février 2011, qu’« aucune disposition législative n’imposait au pouvoir réglementaire de prévoir de telles limitations ». Selon elle, « un tel objectif est notamment assuré par la possibilité donnée aux préfets d’adresser des injonctions aux mandataires judiciaires à la protection des majeurs et, le cas échéant, de leur retirer leur agrément, ainsi que par l’obligation qui est faite à ces derniers d’adresser chaque semestre aux juges concernés une déclaration indiquant le nombre total et la nature des mesures de protection des majeurs qu’ils exercent, une copie de ce rapport étant envoyée au préfet » (17). Le second texte relatif au barème de participation des personnes protégées a également été validé. Les associations en avaient demandé l’annulation jugeant que ce dernier autorisait des prélèvements sur les ressources de la personne protégée dépassant très largement le coût de la mesure dont elle bénéficiait. La Haute Juridiction ne leur a donc pas donné droit. Elle a toutefois estimé s’appuyant sur les articles 419 du Code civil et L. 471-5 du code de l’action sociale et des familles, éclairés par les travaux parlementaires de la loi du 5 mars 2007, que « le montant de cette participation financière [du majeur protégé[ ne peut être supérieur au coût de la mesure » (18). Ce principe a, depuis, été explicitement repris à l’article R. 472-8 du code de l’action sociale et des familles, s’agissant des mandataires exerçant à titre individuel, puisque le prélèvement sur les ressources de la personne protégée ne peut en aucun cas excéder la rémunération du mandataire.
Autre texte critiqué : un arrêté du 31 décembre 2008 (19) qui fixait pour les personnes physiques exerçant à titre individuel une rémunération fondée sur deux tarifs mensuels forfaitaires, l’un lorsque la personne protégée était accueillie, de manière permanente, en établissement social, médico-social ou de santé ; le second pour les autres cas. Mais le Conseil d’État, saisi par l’association des gérants de tutelles privée de Paris et par la Chambre des gérants de tutelles près de la cour d’appel de Versailles, a annulé pour incompétence l’article 1er de ce texte fixant ces tarifs (20). De nouvelles règles ont alors été fixées par un décret du 1er 2011 et un arrêté du 3 août 2011 (21). Cet arrêté a toutefois été abrogé par un arrêté du 6 janvier 2012 afin d’être plus favorable aux professionnels (22).
Par la suite, côté financement toujours, la question de l’indemnité complémentaire, éventuellement décidée par le juge lorsque des diligences exceptionnelles s’imposent, à la charge de la personne protégée a suscité également plusieurs décisions jurisprudentielles. Fixée par un décret du 12 novembre 2010 (23), près de 2 ans après l’entrée en vigueur de la loi, le principe de cette indemnité a toutefois été validé par le Conseil d’État (24). Dans un autre registre, la mesure d’accompagnement sociale personnalisé (MASP) a également généré un contentieux à l’initiative d’un département qui jugeait que la mise en place de cette mesure créait une charge pour les collectivités territoriales et remettait en cause leur autonomie financière. Ayant saisi le Conseil d’État, ce dernier a, à son tour, saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité. Et ce dernier a estimé que la MASP s’adressant à « des personnes fragiles ou en difficulté qui perçoivent déjà des prestations sociales », le législateur « n’a pas créé une nouvelle prestation sociale » mais « s’est borné à aménager les conditions d’exercice de la compétence d’aide sociale de droit commun qui relève des départements ». Ce faisant, il n’a procédé ni à un transfert de compétence, ni à une création ou extension de compétence et n’a, dès lors, porté atteinte ni à la libre administration des collectivités territoriales ni à leur autonomie financière (25).


D. Quelques ajustements

Au-delà de ces diverses décisions jurisprudentielles, la loi du 5 mars 2007 s’est mise en place progressivement depuis le 1er janvier 2009, du fait notamment de la parution tardive des décrets d’application. Elle a fait l’objet, depuis lors, de quelques ajustements. En effet, une loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures (26) est venue réparer des oublis de coordination ou résoudre certaines difficultés d’application de ce texte. Ainsi, elle a retouché l’article 449 du Code civil pour permettre la désignation en qualité de curateur ou de tuteur d’un proche du majeur protégé qui entretient avec lui des liens « étroits et stables » sans pour autant résider avec lui. Autre simplification : les parlementaires ont supprimé, dans l’article 459-1 du Code civil, le renvoi à un décret en Conseil d’État pour la fixation de la liste des actes graves nécessitant une autorisation du juge des tutelles afin que le préposé d’un établissement de santé ou d’un établissement social ou médico-social chargé de la tutelle ou de la curatelle d’une personne accueillie dans cette structure puisse agir. « À l’expérience, ce renvoi à un décret en Conseil d’État apparaît complexe à mettre en œuvre et surtout moins protecteur qu’une appréciation concrète, au cas par cas, par le juge », expliquait, à l’époque, Bernard Saugey, rapporteur de la loi au Sénat (27).
Cette loi est également venue modifier la répartition des compétences juridictionnelles. En effet, depuis le 1er janvier 2010, ce sont les cours d’appel, et non plus les tribunaux de grande instance, qui sont habilitées à traiter les recours contre les décisions prises par le juge des tutelles et par le conseil de famille en matière de protection juridique des majeurs. En outre, un magistrat, dénommé « délégué à la protection des majeurs », doit être désigné au sein de chaque cour d’appel par le premier président. Ce magistrat est chargé de présider la formation de jugement qui statue en matière de protection juridique des majeurs sur les appels des décisions rendues par le juge des tutelles et le conseil de famille, ou d’y exercer les fonctions de rapporteur (C. org. jud., art. L. 312-6-1). Un décret du 23 décembre 2009 est venu, par la suite, entériner ces modifications au sein du code de procédure civile (28). Enfin, pour tenir compte des difficultés des acteurs tutélaires, la loi du 12 mai 2009 leur a accordé des délais supplémentaires pour se conformer aux nouvelles règles fixées par la loi du 5 mars 2007.
Elle a été complétée, dans le même sens, par une loi du 22 décembre 2010 relative à l’exécution des décisions de justice, aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires (29) ainsi que par une instruction du 9 novembre 2011 (30).
Par la suite, deux autres lois ont apporté des retouches à la marge au texte initial. Il en est ainsi de la loi du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées qui a donné compétence au notaire pour recevoir, aux côtés du greffe du tribunal d’instance dont la compétence est maintenue en parallèle, la déclaration conjointe relative au pacte civil de solidarité conclu par une personne en curatelle, sans l’assistance du curateur (31). De même, une loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit a apporté des corrections de forme (32).
Hormis ces modifications, d’autres textes ont eu des incidences, quoiqu’indirectement, sur la réforme de la protection des majeurs. Ainsi en est-il de la loi Hôpital, patients, santé et territoire du 21 juillet 2009 (33), dite loi HPST, qui a modifié le régime d’autorisation des structures sociales et médico-sociales – ce que sont les services mandataires à la protection des majeurs – en supprimant notamment les comités régionaux d’organisation sociale et médico-sociale au profit de nouvelles structures. Ce dispositif a été ensuite complété par une ordonnance du 23 février 2010 de coordination avec cette loi, qui a transféré, à compter du 26 février 2010, du préfet de département au préfet de région la compétence en matière de tarification des services mandataires à la protection des majeurs (34). À signaler également, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, la nouvelle organisation de l’administration de l’État dans les régions et les départements qui s’est mise progressivement en place à partir du 1er 2010. Laquelle a vu la disparition des DRASS et des DDASS, remplacées par les directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale et les directions départementales de la cohésion sociale.
Plus globalement, tant la Cour de cassation que le Conseil constitutionnel sont venus apporter des éclairages sur la mise en œuvre de la loi, par exemple, sur la question du mariage des personnes placées sous curatelle ou sur la mise en œuvre des principes généraux de la protection des majeurs – principes de subsidiarité, de proportionnalité et de nécessité.
L’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 de simplification et modernisation du droit de la famille est venue compléter la loi du 5 mars 2007 (35). Cette ordonnance a été prise sur le fondement de la loi du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans le domaine de la justice et des affaires intérieures (36). La simplification souhaitée porte sur trois domaines : l’administration des biens des enfants mineurs (suppression du système l’administration légale pour les familles monoparentale), la protection des majeurs (création de l’habilitation familiale, création de la mesure d’accompagnement sociale personnalisée, fixation de la durée des mesures), le divorce (réduction des délais de procédure, notamment). L’ordonnance a été publiée au Journal officiel le 16 octobre pour une entrée en vigueur le 1er janvier 2016 (37). Elle avait été présentée en Conseil des ministres le 14 octobre 2015 par Madame Christiane Taubira, ministre de la justice, garde des sceaux.
Il est vrai que cette ordonnance a apporté des améliorations importantes au dispositif de protection juridique des majeurs. Notamment, en permettant de prononcer des mesures initiales de tutelle de dix ans (au lieu de cinq) lorsque manifestement aucune amélioration ne semblait envisageable. Mais surtout en créant l’habilitation familiale, une nouvelle mesure de protection à la fois judiciaire et conventionnelle axée particulièrement sur le consensus familial et exercée gratuitement par des proches.
Plus de dix ans après la loi de 2007 complétée par l’ordonnance de 2015, la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice vient apporter de nouvelles modifications (38). De nombreux rapports émanant d’instances nationales et internationales sont venus souligner des problèmes de non-conformité de notre droit positif aux engagements internationaux de la France. Par exemple, la possible suppression du droit de vote des majeurs sous tutelle est contraire à l’article 29 de la convention relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH) adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU, le 13 décembre 2006. Or, la CIDPH a été ratifiée par la France, puis est entrée en vigueur le 20 mars 2010 (39). Par ailleurs, le régime de l’habilitation familiale a été élargi et facilité : création d’une passerelle avec les autres mesures de protection, notamment, mise en place d’une évaluation sociale pluridisciplinaire des besoins de la personne qu’il y a lieu de protéger, possibilité pour un majeur protégé de se marier sans autorisation préalable, etc. La plupart des dispositions nouvelles sont entrées en vigueur le 25 mars 2019.
Enfin, un décret du 22 juillet 2019, entré en vigueur le 25 juillet, instaure une procédure unique devant le juge des tutelles pour le prononcé d’une mesure de protection juridique des majeurs (40).


E. Un bilan en demi-teinte

Au-delà de ces modifications législatives et de ces apports opérés par les magistrats, douze ans après l’entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007, les premiers bilans qu’ils soient institutionnels ou associatifs mettent en avant les failles de cette législation. Déjà, en 2009, le rapport annuel du médiateur de la République – institution aujourd’hui absorbée dans les missions du Défenseur des droits – formulait des propositions pour améliorer la protection des incapables majeurs, qui nécessitait selon lui quelques apports complémentaires, notamment s’agissant du financement de la prise en charge des majeurs protégés. Il appelait également de ses vœux le renforcement des moyens des conseils généraux et des magistrats (41).
Depuis, des rapports plus récents ont confirmé les premières critiques émises dès la mise en œuvre de la loi.
D’abord sur la sellette : la mesure d’accompagnement social personnalisé. Alors que « les études réalisées au moment du vote de la loi misaient sur une très forte dynamique des demandes au cours des premières années de mise en œuvre », « selon des données traitées par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), environ 4 700 mesures d’accompagnement social personnalisé (MASP), avaient été mises en œuvre en 2009, alors que les prévisions s’établissaient entre 9 800 et 13 000 », relève ainsi la Cour des comptes dans un rapport sur la réforme rendu public fin 2011 (42). Dans les faits, on ne comptait que 3 173 MASP en 2009 dans 68 départements ayant transmis des données. Par extrapolation on atteint le nombre de 4 700 MASP pour la France entière. En 2012, le chiffre est passé à 9514 pour toute la France. Depuis sa progression reste faible (43).
Pour expliquer ces faibles chiffres, le député (PS), Christophe Sirugue estimait déjà à l’époque, dans un avis de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, que les années 2009 et 2010 ont été des « années de transition et d’ajustement » (44). Il n’empêche, il semble que ce dispositif souffre de plusieurs biais : un manque d’information et d’appropriation de celui-ci par les travailleurs sociaux eux-mêmes mais également le fait que les différences entre les divers degrés de la mesure (MASP 1, 2 et 3) ne paraissent pas si claires et que certains publics y échappent complètement. Il en est ainsi des personnes qui ne perçoivent aucune prestation sociale départementale, telles que les personnes percevant de petites retraites, les jeunes de moins de 25 ans, ou encore les « personnes qui relevaient auparavant des « cas d’intempérance, d’oisiveté et de prodigalité » (catégories supprimées par la réforme du 5 mars 2007) et qui ne perçoivent pas de prestations sociales ou qui refusent de se soumettre à l’examen médical, précisément en raison de leur pathologie », poursuit le rapport de la Cour des comptes de 2011. C’est pourquoi les acteurs associatifs proposaient d’étendre ce dispositif à toutes les ressources, au-delà des prestations sociales (45). Un rapport d’information du Sénat allait également dans le même sens : « dans l’esprit de la loi de 2007, la protection sociale devrait être étendue à l’ensemble de ces publics. Une telle extension devrait néanmoins être décidée en concertation avec les départements compte tenu de la charge supplémentaire qu’elle pourrait induire » (46).
Par ailleurs, le coût de la mesure est mis en cause. Même s’il est difficile à appréhender, tous les rapports concordent pour dire qu’il est nettement plus élevé que celui qui figurait dans les travaux parlementaires de la réforme de 2007.
Le rapport de la Cour des comptes de 2016, précité, ne contredit pas les conclusions que cette même Cour avait tiré cinq ans auparavant. Bien au contraire, il les complète. On peut y lire qu’il « ressort de l’enquête de la Cour que les parquets et les juges ne réorientent pas les demandes d’ouverture de mesures de protection juridique vers les travailleurs sociaux du département lorsque le majeur concerné paraît relever davantage d’un dispositif social que d’une mesure judiciaire » (47). Mais aussi que le « champ des bénéficiaires potentiels de ces mesures alternatives est plus étroit que le législateur ne l’avait imaginé ». Ou encore que la problématique liée à une absence de communication sur la mesure « par les services de l’État » mais également « d’une faible mobilisation des services des conseils départementaux, qui ont vu dans la réforme un risque de renchérissement de leurs dépenses sociales » sont autant de freins au développement de la mesure qui finalement peine à trouver place dans nos dispositifs de protection sociale.
Le constat n’est pas meilleur du côté de la mesure d’accompagnement judiciaire qui ne dépasserait pas le millier pour la France entière, fin 2009. Dès lors, « trois ans après son entrée en vigueur, la MAJ est considérée comme un échec », estiment les acteurs associatifs (48). Pour l’heure, on ne comptabilise que 8640 MAJ en vigueur en 2015 selon la Cour de comptes. Ce qui à nouveau confirme les constats établis lors de l’entrée en vigueur de la loi de 2007.
Un autre point fort de critique portait sur le manque de moyens humains, en particulier, ceux de la justice. Alors que la loi prévoyait la révision des mesures de protection juridique prononcées avant l’entrée en vigueur de la loi – c’est-à-dire avant le 1er janvier 2009 –, 90 % d’entre elles sont reconduites par les juges, certainement, pour partie, en raison d’un manque de temps pour un examen approfondi, relève ainsi Christophe Sirugue, dans son rapport fin 2011 (49). Du coup, alors que la réforme devait permettre le transfert d’un certain volume de dossiers du dispositif judiciaire vers les nouveaux dispositifs d’accompagnement social telle la MASP, les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous. Une situation d’autant plus critique que la baisse du nombre de mesures annoncées par la réforme n’a pas été effective. « La diminution intervenue la première année d’application de la réforme ne s’est pas poursuivie en 2010 puisque les demandes d’ouverture de régime de protection ont à nouveau augmenté (+ 8,9 %) », contrairement à ce qu’escomptaient les initiateurs de cette réforme (50). Il ne faut pas oublier, en outre, que la loi de 2007 avait pour objectif de limiter la dérive du coût global de la protection juridique des majeurs. Les résultats fournis par la Cour des comptes en 2016 sont sans appel. Les coûts globaux ont finalement progressé de 6 % en moyenne annuelle sur 6 ans. Ils sont passés de 508 M€ en 2008 à 780 M€ en 2015, soit une progression de 53 %. Le dispositif qui était censé réduire les coûts pour les finances publiques semble avoir loupé sa cible. Les chiffres nous indiquent que 80 % du coût total de la mesure pèse sur les finances publiques. La réforme de 2007 avait imaginé une meilleure maîtrise du coût global et une part moins importante pour les finances publiques.
Autre point d’achoppement : la complexité du système de financement des mesures de tutelles, particulièrement le calcul et le prélèvement de la participation des personnes protégées, qui, comme nous l’avons vu, a fait l’objet de nombreuses critiques et contentieux. En cause : ses modalités de calcul qui ont donné lieu à plusieurs modifications réglementaires mais également le fait que le prélèvement est réalisé directement par le mandataire judiciaire au détriment, selon les acteurs associatifs, de sa fonction première qui est la protection. C’est pourquoi, dans leur Livre blanc, ces derniers demandent que le revenu fiscal de référence soit pris en compte pour déterminer le niveau de participation du majeur au financement de sa protection et que la participation financière des personnes soit prélevée par le Trésor public et non par le mandataire judiciaire.
Deux propositions auxquelles la Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs (FNMJI) ne souscrit pas complètement. Dans un document, élaboré en 2013 en réponse au Livre blanc (51), elle considère notamment que, si une simplification des modes de calcul de la participation serait bienvenue, prendre le seul revenu fiscal comme référence ne lui apparaît pas constituer le bon critère. Cela aboutirait, selon elle, à réduire le coût de la contribution à la mesure de protection des personnes disposant d’un patrimoine important, mais d’un faible revenu soumis à l’impôt, ce qui renforcerait un peu plus les inégalités entre personnes protégées. Quant au prélèvement par le Trésor public, la Fédération juge que cette proposition n’a pas lieu d’être et « témoigne de la méconnaissance par les associations tutélaires du mode de financement et des contraintes du secteur libéral ».
Les critiques portent également sur le nombre important d’acteurs susceptibles d’intervenir dans le financement de la mesure selon le nombre de prestations sociales perçues par le bénéficiaire. Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de juillet 2014 souligne la nécessité de limiter le nombre de financeurs au plan local. D’autant plus qu’une simplification devrait se traduire, au-delà d’une meilleure lisibilité du dispositif, par des économies subséquentes non négligeables (52). La loi de finances pour 2016 (53) a revu radicalement le financement des mandataires judicaires en le transférant à l’État alors qu’il était jusque-là partagé entre l’État et les organismes de sécurité sociale et les départements en fonction de la nature des prestations perçues. Pour le budget de l’État, la charge est de 468 millions d’euros (loi de finance pour 2018) (54) répartis en 384 millions pour l’État et 84 millions pour les mandataires individuels.
Pour les acteurs, l’entrée des services mandataires à la protection des majeurs dans le champ de la loi du 2 janvier 2002 a également multiplié les exigences qui pesaient sur eux (mise en place d’une notice d’information, de modalités de participation des usagers...). Du côté de la formation, les enjeux étaient de taille également puisque les professionnels doivent désormais être titulaires d’un certificat national de compétence (55).
Depuis la loi du 28 décembre 2015 (56) d’adaptation de la société au vieillissement, même les mandataires privés ont vu augmenter leurs obligations en termes de respect des droits des personnes qu’ils accompagnent. Ils doivent notamment établir un document individuel de prise en charge. Aujourd’hui, l’accent est mis sur le respect des droits fondamentaux. De nombreux rapports s’en font l’écho et il semble acquis que rien ne pourra arrêter cette évolution qui constitue l’air du temps.


F. Du juge des tutelles au juge des contentieux de la protection

À compter du 1er janvier 2020, le juge des tutelles deviendra juge des contentieux de la protection. En effet, dans le cadre de la loi du 23 mars 2019 de programmation pour 2019-2022 et de réforme pour la justice, les tribunaux de grandes instances (TGI) et les tribunaux d’instance (TI) fusionnent pour donner naissance aux tribunaux judiciaires. Les anciens TI situés dans la même ville qu’un TGI sont absorbés par le tribunal judiciaire. Dans les villes sans TGI, le TI devient une chambre de proximité dénommée « tribunal de proximité » dont le siège et le ressort ainsi que les compétences matérielles sont fixés par décret (article L. 212-8 du code de l’organisation judiciaire). Le juge des contentieux de la protection sera chargé, outre les tutelles, des procédures de surendettement des particuliers et de rétablissement personnel, des crédits à la consommation et des baux d’habitation. L’ensemble des compétences dévolues au juge des contentieux de la protection figurent aux articles L. 213-4-1 à L. 213-4-8 du code de l’organisation judiciaire et entreront en vigueur au 1er janvier 2020.


LA CONVENTION SUR LA PROTECTION INTERNATIONALE DES ADULTES

La convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes a été ratifiée par la France le 18 septembre 2008, après l’Allemagne et le Royaume-Uni, ce qui a permis son entrée en vigueur au 1er janvier 2009. Depuis lors, l’Estonie, la Finlande, la République tchèque et la Suisse l’ont également ratifiée. Pour l’heure, cette convention s’applique uniquement à ces États contractants. « Si [ses dispositions[ n’entraîneront guère de modification dans la compétence du juge français, elles conduiront en revanche celui-ci à appliquer la loi française dans la très grande majorité des cas où il reconnaît sa compétence, y compris pour prendre des mesures à l’égard de ressortissants d’États qui ne sont pas liés par la convention », explique le ministère de la Justice dans une circulaire du 6 janvier 2009. Sur le fond, ce texte régit, dans les situations à caractère international, la protection des adultes – entendu comme toute personne de plus de 18 ans – qui, en raison d’une altération ou d’une insuffisance de leurs facultés personnelles, ne sont pas en état de pourvoir à leurs intérêts.
Quant à son contenu, cette convention édicte des règles uniformes ayant pour but de déterminer les autorités nationales compétentes pour prendre les mesures de protection nécessaires. Pour l’essentiel, ce sont les autorités judiciaires et administratives de la résidence habituelle de l’adulte concerné – on retrouve ce concept dans la loi du 5 mars 2007 et ses décrets d’application – qui sont compétentes pour prendre les mesures de protection. Lorsque cette résidence habituelle ne peut être établie et pour les adultes réfugiés ou internationalement déplacés à la suite de troubles survenant dans l’État de leur nationalité, ce sont les autorités de l’État sur le territoire duquel l’adulte est présent qui sont compétentes.
Par exception, les autorités de l’État contractant dont l’adulte a la nationalité sont fondées à retenir leur compétence lorsqu’elles se considèrent mieux placées pour adopter une mesure de protection de l’adulte ou de ses biens. À cette fin, ces autorités doivent préalablement aviser celles qui sont en principe compétentes (État de la résidence ou de la présence de l’adulte) et ne peuvent exercer cette compétence si ces dernières les ont informées qu’elles avaient déjà pris les mesures nécessaires ou déjà décidé n’y avoir lieu à prendre de mesure ou encore si une procédure est en cours devant elles. À l’inverse, les autorités en principe compétentes peuvent se tourner vers l’État contractant si elles estiment qu’il sera mieux à même de prendre en charge l’adulte.
Une fois l’autorité compétente désignée, le droit applicable est alors le droit interne à cet État, sauf s’il est jugé préférable, pour les besoins de la protection de l’adulte ou de ses biens, d’appliquer la loi d’un autre État avec lequel la situation présente des liens étroits. Par ailleurs, si une mesure prise dans un État doit être mise en œuvre dans un autre, c’est la loi de ce dernier qui régit les conditions d’application de la mesure.
La convention prend en compte les conventions d’inaptitude, autrement dit le mandat de protection future en ce qui concerne la France. Ce mandat est alors régi par la loi de la résidence habituelle de l’adulte au moment où il a été donné, à moins que l’adulte ait désigné une autre loi, qui peut être celle de l’État de sa nationalité, d’une précédente résidence habituelle, ou encore celle d’un État sur le territoire duquel ses biens sont situés, pour ce qui concerne ces biens. Dans le cas où les pouvoirs exercés selon le mandat sont insuffisants pour assurer la protection de l’adulte, l’autorité compétente, selon la convention, peut les adapter et les modifier, en prenant en considération « dans la mesure du possible » la loi que l’adulte avait désignée dans l’acte ou dans l’accord initial. Ces dispositions s’appliquent même si elles désignent la loi d’un État non contractant.
[Décret n° 2008-1547 du 30 décembre 2008, JO du 1-01-09 ; circulaire CIV/14/08 du 6 janvier 2009, non publiée[


(1)
Quezede E., « La protection des incapables majeurs, son histoire et ses perspectives d’évolution », thèse, université d’Angers, Faculté de médecine, 2003, p. 6


(2)
Quezede E., « La protection des incapables majeurs, son histoire et ses perspectives d’évolution », thèse, université d’Angers, Faculté de médecine, 2003, p. 7


(3)
Quezede E., « La protection des incapables majeurs, son histoire et ses perspectives d’évolution », thèse, université d’Angers, Faculté de médecine, 2003, p 8


(4)
Jean Foyer homme politique, juriste, 1921-2008


(5)
Loi n° 64-1230 du 14 décembre 1964 portant modification des dispositions du Code civil relatives à la tutelle et à l’émancipation, JO du 15-12-64


(6)
loi n° 68-5 du 3 janvier 1968, JO du 4-01-68


(7)
« le juge peut confier la tutelle à un gérant de tutelle désigné au sein du personnel administratif de l’établissement de soins ou d’hébergement ou à un administrateur spécial. Ce gérant de tutelle perçoit les revenus de la personne protégée et les applique à l’entretien et au traitement de celle-ci, ainsi qu’à l’acquittement des obligations alimentaires dont elle pourrait être tenue » cf. Quezede E., préc., p. 28


(8)
Quezede E., préc., p. 27 et 30


(9)
Loi n° 66-774 du 18 octobre 1966 relative à la tutelle et aux prestations sociales, JO du 19-10-66


(10)
Groupe de travail interministériel sur le dispositif de protection des majeurs, mai 2000


(11)
“Rapport d’enquête sur le fonctionnement du dispositif de protection des majeurs”, juillet 1998


(12)
loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance


(13)
Rapports de la direction générale de l’action sociale et du ministère délégué à la famille – l’un sur la création d’un dispositif d’évaluation médico-sociale, présidé par Joëlle Voisin, l’autre sur le financement des prestations, dirigé par Joël Blondel, 2003


(14)
Boutaric R., Réformer les tutelles, Conseil économique et social, 2006,


(15)
Projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs, chapitre II Des mesures juridiques de protection des majeurs, Sénat, 2007.


(16)
Respectivement, décret n° 2008-1553 et décret n° 2008-1554 du 31 décembre 2008, JO du 1-01-09


(17)
Conseil d’État, 4 février 2011, requête n° 325722


(18)
Conseil d’État, 4 février 2011, requête n° 325721


(19)
Arrêté du 31 décembre 2008, NOR : MTSA0831277A, JO du 9-01-09.


(20)
Conseil d’État, 4 février 2011, requête n° 325887


(21)
Décret n° 2011-936 du 1er août 2011, JO du 4-12-2 011 ; arrêté du 3 août 2011, NOR : SCSA1121714A, JO du 6-08-11, abrogé


(22)
Arrêté du 6 janvier 2012, NOR : SCSA1135502A, JO du 21-01-12.


(23)
Décret n° 2010-1404 du 12 novembre 2010, JO du 16-11-10


(24)
Conseil d’État, 25 janvier 2012, requête n° 345175


(25)
Conseil constitutionnel, décision n° 2010-56 QPC du 18 octobre 2010, JO du 19-10-10


(26)
Loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, JO du 13-05-09, article 116


(27)
Rap. Sén. n° 209, tome I, Saugey, p. 163.


(28)
Décret n° 2009-1628 du 23 décembre 2009, JO du 26-12-09 ; C. proc. civ., art. 1239 et suivants


(29)
Loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010, JO du 23-12-10.


(30)
Instruction n° DGCS/4A/2011/423 du 9 novembre 2011 relative au délai de formation des mandataires judiciaires à la protection des majeurs et des délégués aux prestations familiales


(31)
Loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, JO du 29-03-11


(32)
Loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, JO du 18-05-11.


(33)
Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009, JO du 22-07-09.


(34)
Ordonnance n° 2010-177 du 23 février 2010, JO du 25-02-10


(35)
Ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015, JO du 16-10-15


(36)
Loi n° 2015-177 du 16 février 2015, JO du 17-02-15


(37)
Ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015, JO du 16-10-15


(38)
Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, JO du 24-03-19


(39)
Convention relative aux droits des personnes handicapées, adoptée par l’assemblée Générale des Nations Unies le 13 décembre 2006. Ratification de la convention par la France par la loi du 31 décembre 2009 et entrée en application le 20 mars 2010.


(40)
Décret n° 2019-756 du 22 juillet 2019, JO du 24-07-19


(41)
Rapport annuel 2009


(42)
Cour des comptes, « La réforme de la protection des majeurs », novembre 2011, p. 9,


(43)
Cour des comptes, « La Protection juridique des majeurs, Une réforme ambitieuse, une mise en œuvre défaillante », septembre 2016


(44)
Avis A.N. n° 3811, tome III, Sirugue, octobre 2011


(45)
« Livre blanc sur la protection juridique des majeurs », Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE), Fédération nationale des associations tutélaires (FNAT), Union nationale des associations familiales (UNAF) et Unapei, septembre 2012, p. 45.


(46)
Sénat, Rap. d’information n° 315, Bocquet E. et Hervé E. « Rapport au nom de la commission des finances sur l’enquête de la Cour des comptes relative à l’évaluation de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs », janvier 2012, p. 23


(47)
Cour des comptes, « La Protection juridique des majeurs, Une réforme ambitieuse, une mise en œuvre défaillante », septembre 2016


(48)
Livre blanc, préc., p. 20


(49)
Rapport de la Cour des comptes, préc., p. 25


(50)
Rapport de la Cour des comptes préc., p. 22.


(51)
Réponse de la Fédération des mandataires judiciaires indépendants au Livre blanc de l’Interfédération des associations tutélaires, janvier 2013.


(52)
ROUGIER I et WAQUET C., « Financement par les organismes de sécurité sociale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs », Rapport, Inspection générale des affaires sociales, 2014


(53)
Loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015


(54)
Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017


(55)
Cf. notre décryptage, « Le défi de la formation pour les mandataires judiciaires », ASH n° 2628 du 16-10-09, p. 30.


(56)
loi n° 2015-1776 du 28 Décembre 2015

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