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ENJEUX POLITIQUES ET CONTRAINTES ADMINISTRATIVES : DES OBSTACLES AU PARCOURS DE L’ENFANT ?

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L’application fidèle des règles en vigueur dans le champ de la protection de l’enfance et dont le contenu vient d’être rapidement rappelé n’est pas sans difficulté. En effet, la mise en œuvre des objectifs généraux énoncés par la loi croise des enjeux variés liés à la décentralisation, aux conceptions subjectives des notions de danger et de risque de danger encourus par l’enfant, ou encore aux contraintes administratives inhérentes à l’organisation et au fonctionnement des services participant à la protection de l’enfance. Cette situation conduit à s’interroger sur :
  • l’existence d’un parcours individualisé pour chaque enfant ;
  • le contenu de la référence éducative ;
  • les contraintes administratives existantes.


A. La recherche d’un parcours individualisé pour chaque enfant

Le « parcours » de l’usager des services sociaux et médico-sociaux est mentionné par plusieurs réformes récentes. Le législateur évoque ainsi le « parcours de soins des personnes âgées » (1), le « parcours des personnes ou familles » bénéficiant d’un hébergement social (2), ou encore le « parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle » (3). La notion de parcours fait ainsi son apparition au sein du droit de l’aide et de l’action sociales, sans pour autant être définie par les textes en question.
La loi du 14 mars 2016 insiste elle aussi sur la nécessité de « sécuriser le parcours de l’enfant en protection de l’enfance ». L’article L. 221-1 du Code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié et énonce désormais que le service départemental de protection de l’enfance a notamment pour mission de « veiller à la stabilité du parcours de l’enfant confié ». De même, l’article L. 223-1-1 du Code de l’action sociale et des familles présente le projet pour l’enfant comme un document qui « accompagne le mineur tout au long de son parcours au titre de la protection de l’enfance ». Cette réforme s’appuie sur le constat partagé que la discontinuité des parcours nuit au développement des enfants en danger. En effet, les ruptures subies par ces derniers dans le cadre de l’accompagnement qui leur est proposé au titre de la protection de l’enfance – parmi lesquelles les changements répétés de lieux d’accueil, d’écoles, ou encore le turn-over des professionnels au sein des services – sont autant d’obstacles à leur bien-être et à une insertion sociale et professionnelle réussie. La notion de « parcours » doit ainsi permettre de prévenir autant que possible ces ruptures en limitant les changements, ou en les anticipant lorsqu’ils sont inévitables.
Les études longitudinales sur le parcours et le devenir des enfants placés étaient jusque-là peu nombreuses en France et tendent aujourd’hui à se développer (cf. chapitre 5). Comme le rappelle l’ONPE (4), « le changement répété de lieux d’accueil conduit à des ruptures de scolarité et crée une instabilité des liens noués par l’enfant avec ses pairs et avec les travailleurs sociaux qui l’ont suivi durant cette période. Ces situations fragilisent la constitution d’un réseau social de qualité par le jeune et tendent à l’insécuriser. Par ailleurs, ces changements de lieux d’accueil ne sont, la plupart du temps, pas pensés et préparés en fonction de l’année scolaire. Ils ont ainsi tendance à nuire à la réussite éducative de l’enfant ». D’autres auteurs critiquent plus fortement encore le dispositif de protection de l’enfance en montrant que l’individualisation souhaitée des accompagnements se traduit en réalité par des parcours de vie imposés aux jeunes. Ces derniers sont peu associés aux décisions qui les concernent et seraient par ailleurs « condamnés à une quête de leur histoire et de leurs liens auprès de leurs multiples instances de socialisation » relevant à la fois de leur environnement familial et des différents acteurs professionnels qui les accompagnent, chacun ayant une partie des informations qui les concernent et expliquent, entre autres, les raisons de leur placement (5).
Par conséquent, la définition du « parcours de l’enfant » est loin d’être évident. Si l’on prend appui sur la volonté de satisfaire les besoins fondamentaux de l’enfant, on peut légitimement penser que cette notion renvoie à la nécessité de coordonner, à la fois dans le temps et dans l’espace, les interventions des différents acteurs qui entrent en contact avec lui, qu’il s’agisse de membres de sa famille, de proches, ou encore de professionnels (susceptibles de relever de l’Éducation nationale, des services sociaux et médico-sociaux, du secteur sanitaire, etc.). Réfléchir à l’accompagnement proposé dans une dynamique de parcours doit ainsi permettre de veiller à la cohérence et la continuité des actions proposées afin qu’elles répondent au mieux aux besoins de l’enfant et assure son plein épanouissement. Cette approche sur les besoins de l’enfant est fortement promue par la loi du 14 mars 2016 et par la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance qui l’a suivie (6). Le rapport qui en est issu fait plusieurs recommandations ayant pour principal objectif d’assurer une meilleure prise en compte de la personne de l’enfant et de ses besoins dès son plus jeune âge, afin de garantir les conditions de son développement. La réalisation d’un tel objectif passe, entre autres, par une forte implication de l’enfant et de ses parents dans l’accompagnement qui leur est proposé (ou imposé par le juge des enfants).
D’un point de vue institutionnel, la notion de parcours de l’enfant renvoie non seulement à la cohérence des interventions auprès de l’enfant (dans le temps et dans l’espace), mais aussi et surtout à la manière dont les mesures administratives et judiciaires sont concrètement mises en œuvre. Il s’agit alors de garantir la continuité du parcours en veillant à la participation de l’enfant, et chaque fois que possible de sa famille afin d’assurer des transitions progressives entre les différentes mesures qui seront amenées à se succéder dans le temps. Il s’agit notamment de trouver les moyens opérationnels de garantir dans chaque situation la continuité du parcours de l’enfant, notamment lorsqu’une intervention de nature administrative conduit à une saisine du juge des enfants en urgence ; ou encore lorsqu’une mesure de milieu ouvert à une mesure de placement.
En affirmant la nécessité de « sécuriser le parcours de l’enfant », le titre II de la loi du 14 mars 2016 interroge alors le contenu des pratiques professionnelles. Le parcours de l’enfant au sein des services de l’aide sociale à l’enfance est rarement linéaire. La continuité et la cohérence de son parcours dépendent donc en grande partie de la manière dont l’institution et les professionnels conçoivent ce parcours et accompagnent l’enfant. Cela implique de la souplesse dans les organisations et les fonctionnements institués pour assurer une individualisation poussée des actions menées auprès de l’enfant et de sa famille, et une progressivité dans la mise en place des mesures tenant compte non seulement de l’âge et de la maturité de l’enfant, mais aussi du positionnement des parents auprès de celui-ci. Le contenu des pratiques éducatives joue alors un rôle déterminant dans la réalisation des objectifs posés par le droit.


B. Le contenu de la référence éducative

Assurer la continuité et la cohérence du parcours de l’enfant renvoie en pratique à la référence éducative assurée par les services départementaux de l’aide sociale à l’enfance. Si de nombreux départements se questionnent aujourd’hui sur le contenu de cette référence, le législateur n’en propose aucune définition. Le droit reste en effet silencieux sur ce point. La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance n’en dit mot. La loi du 14 mars 2016, quant à elle, mentionne cette question sans pour autant en faire un sujet en soi. L’article L. 223-1-1 du Code de l’action sociale et des familles prévoit en effet que le projet pour l’enfant mentionne « l’identité du référent du mineur ». Un professionnel référent est donc obligatoirement identifié pour chaque enfant, sans pour autant que le droit ne définisse le contenu et les finalités de cette référence éducative, ou encore la qualité du professionnel en charge de cette mission.
On trouve également l’idée d’une référence éducative au sein de l’article L. 221-2-1 du Code de l’action sociale et des familles qui créé la mesure de « tiers digne de confiance administratif » sur laquelle nous reviendrons. Selon cette disposition, « un référent désigné par le service est chargé de ce suivi et de la mise en œuvre du projet pour l’enfant ». Cette formulation apporte des éléments complémentaires : la référence éducative se fonde sur la mise en œuvre du projet pour l’enfant, lui-même défini en fonction des besoins de l’enfant et des ressources familiales. La désignation de cette référence relève de la compétence du service départemental de l’aide sociale à l’enfance.
Cette interprétation du texte semble confirmée par la disposition créant une commission pluridisciplinaire et pluri-institutionnelle d’examen des situations de délaissement, la loi du 14 mars 2016 mentionnant que « sont associés à l’examen de la situation de l’enfant son référent éducatif et la personne physique qui l’accueille ou l’accompagne au quotidien » (CASF, art. L. 223-1). Le droit fait ainsi une distinction entre, d’une part, le référent éducatif qui est un professionnel relevant du service départemental de l’aide sociale à l’enfance, garant de la bonne exécution de la mesure administrative ou judiciaire et, d’autre part, la personne à qui l’enfant est confié, qui a des liens privilégiés avec lui, au quotidien, mais qui n’est pas pour autant son « référent ».
En pratique, la mise en place d’une référence éducative pour chaque enfant pourrait conduire à identifier un professionnel unique au sein des services départementaux de protection de l’enfance, garant du parcours de l’enfant. Une telle organisation apporterait ainsi une réponse au besoin de coordonner l’ensemble des professionnels appelés à intervenir au sein d’une même situation, elle nécessite néanmoins des moyens suffisants en termes de personnel et pose la question du financement d’une telle référence dans un contexte budgétaire contraint. Au-delà de la garantie d’un parcours plus cohérent, l’existence d’un référent identifié de l’admission à la sortie du dispositif de protection de l’enfance pourrait également représenter un facteur de stabilité mais aussi parfois un lien d’attachement positif pour l’enfant. Par ailleurs, elle offrirait à celui-ci un professionnel « référent » qui connaît son histoire et l’ensemble des mesures dont il a bénéficié, lui évitant ainsi d’avoir à répéter à de multiples reprises son récit de vie.


C. Les contraintes administratives existantes

Le parcours de l’enfant est également le résultat d’organisations et de fonctionnements institués au sein de chaque département, et plus largement au sein de chaque institution et service participant à la protection de l’enfance. Ainsi, plusieurs études ont récemment mis en lumière la situation particulièrement difficile de certains enfants qui ne trouvaient pas de réponse adaptée à leurs besoins au sein du dispositif de protection de l’enfance. Le CREAI Île-de-France évoque ainsi des enfants décrits comme « incasables » (7), Pierre Moisset fait pour sa part remarquer la souffrance importante exprimée par ses enfants souvent pris entre le monde familial et celui du placement : « deux mondes au sein desquels ils (les enfants) n’ont pas de place ou peinent à en trouver une, mais dont ils ne peuvent se détacher parce qu’ils constituent les deux pôles de socialisation de leur existence. Plusieurs éléments se combinent dans cette analyse : la position spécifique de ces jeunes au sein de leur famille, l’ambivalence de leurs parents à leur égard et à l’égard du placement, la façon dont ces jeunes ne parviennent pas plus à investir, habiter leur placement qu’à se détacher ou s’attacher autrement à leur famille » (8). En dehors de ces situations particulièrement difficiles à accompagner, en raison de la souffrance de ces enfants mais aussi souvent des maltraitances intrafamiliales dont ils ont fait l’objet, d’autres enfants en danger et accompagnés au titre de la protection de l’enfance témoignent de ruptures de prise en charge difficile à vivre comme à comprendre (9).
Face à ces constats, force est d’admettre que la structuration de l’offre de services au sein des départements a conduit à un développement rationalisé des interventions selon des catégories administratives précisément identifiées. Cette organisation est particulièrement visible en ce qui concerne l’exécution des mesures placement. Comme le montrent en effet certains schémas départementaux, les services de l’aide sociale à l’enfance ont développé une offre différenciée, en fonction des caractéristiques du placement (placement en urgence, structure de moyen ou long séjour), mais aussi du public (en développant par exemple des places en microstructures ou en familles d’accueil thérapeutique pour les enfants en grande souffrance psychique, ou encore dans un tout autre registre des places spécialisés dans l’accueil d’un public migrant). La catégorisation des publics est également très visible pour les jeunes majeurs ; il existe ainsi, en fonction du degré d’autonomie des jeunes, des places en établissements collectifs, en hébergements semi-autonomes ou encore en logements autonomes. Par ailleurs, les établissements ont structuré l’accueil des enfants en créant des unités de vie souvent organisées en fonction de l’âge des enfants accueillis (0-3 ans, 3-6 ans, 6-12 ans, 12-16 ans, 16-18 ans, 18-21 ans). Une récente étude de la Drees étaye ce constat affirmant que presque tous les établissements appliquent des restrictions d’admission liées à l’âge de l’enfant (10).
Cette organisation a des avantages puisqu’elle permet d’avoir une vue globale de l’offre disponible en raisonnant en termes de places (nombre et profil des enfants pris en charge), mais elle constitue aussi un obstacle à la continuité du parcours de l’enfant en raison des contraintes administratives qu’elle implique. Ainsi, un enfant va changer d’unité de vie et/ou d’établissement en vieillissant et perdre ainsi tout ou partie des attaches qu’il avait pu créer. Il en est de même de la difficulté d’accueillir ensemble des fratries dans ces conditions, notamment lorsque les enfants concernés ont des écarts d’âge importants, ou qu’il s’agit de fratries nombreuses. Les contraintes administratives sont telles en la matière que plusieurs structures ont décidé de se spécialiser autour de « l’accueil de fratries » (créant par la même occasion une nouvelle catégorie administrative).
Un rapport récent de la Haute autorité de santé fait quant à lui remarquer la marge de progression encore possible au sein des établissements qui accueillent des enfants en danger ou en risque de l’être (11) soulignant l’importance d’une évaluation régulière des besoins de l’enfant, d’une préparation à la sortie du lieu d’accueil lorsque celle-ci est envisagée, ou encore l’importance d’offrir à l’enfant un cadre de vie et des conditions matérielles conformes à son intérêt supérieur et au respect de ses droits fondamentaux, ce qui ne semble pas toujours le cas aujourd’hui.
S’ajoutent à ces contraintes administratives au niveau des institutions, comme des établissements et services, des obstacles structurels liés à la réalité des places disponibles. En effet, chaque département autorise et habilite un certain nombre de services et d’établissements sociaux pour un nombre de places déterminé. Le calcul est alors fonction non seulement des besoins à satisfaire sur le territoire, mais aussi d’un nombre de places qui assure l’équilibre financier de la structure. Les établissements et services doivent ainsi pourvoir l’ensemble des places prévues dans le projet initial. Ces raisonnements administratifs et financiers suivent un objectif de bonne gestion des ressources publiques, ils ont néanmoins des conséquences sur le parcours de l’enfant. En effet, les orientations réalisées seront alors non seulement fonction des besoins de celui-ci, mais aussi nécessairement des places disponibles mais aussi des moyens de chaque département.
Dès 2004, un rapport du défenseur des enfants dresse un tableau inquiétant des disparités locales. Ainsi, constaterait-on « des écarts de 1 à 12 dans le taux des enfants placés, de 15 à 45 dans le nombre d’enfants suivis par un éducateur d’assistance éducative en milieu ouvert, de 1 à 200 dans le montant du budget consacré aux aides financières par enfant » (12). Les chiffres produits par l’Insee confirment ces différences importantes d’un département à l’autre. Ainsi, en ce qui concerne le nombre de places en établissement disponibles au sein de chaque département, rapporté à 10 000 jeunes de 0 à 20 ans sur le territoire, le taux varie de 0,6 à 18,7, pour une moyenne en France entière autour de 4,4 places pour 1 000 jeunes de 0 à 20 ans. Bien sûr, il est important de prendre ces chiffres avec précaution car il peut exister des situations particulières. En outre, ces chiffres doivent être mis en comparaison du choix fait par chaque département de développer d’autre mode d’accueil (tel que l’accueil familial) (13).
Enfin, les ruptures dans le parcours de l’enfant peuvent également être causées par le défaut de coordination entre les services de l’aide sociale à l’enfance et ses partenaires institutionnels. Il en est ainsi des enfants en danger dont les besoins sont d’ordre social et éducatif, mais aussi scolaire, médico-social, et sanitaire. En effet, dès que plusieurs acteurs sont compétents pour intervenir, le risque est celui d’une prise en charge plus aléatoire liée principalement à la difficulté d’identifier le pilote de la prise en charge et de coordonner l’action des différents intervenants auprès de l’enfant.
La compétence partagée des institutions s’accompagne souvent de discussions financières autour des modalités de prise en charge. C’est le cas des enfants ayant commis des actes de délinquance qui ne sont pas systématiquement accueillis par les services de la protection judiciaire de la jeunesse mais font l’objet de plus en plus souvent de doubles mesures décidées par le juge des enfants et mises en œuvre conjointement par la protection judiciaire de la jeunesse (en ce qui concerne la mesure pénale de milieu ouvert) et par le service de l’aide sociale à l’enfance (en ce qui concerne la mesure de placement au titre de l’assistance éducative).
D’autres enjeux sont soulevés par la prise en charge des enfants à la fois handicapés et en danger comme le financement du transport de l’enfant d’une structure à l’autre, qui peut rapidement devenir un point de crispations important entre les institutions. Il existe en la matière un vide juridique sur la question du transport des enfants pris en charge à la fois au titre de la protection de l’enfance et de leur handicap. En effet, alors que le droit réglemente la prise en charge des transports scolaires de l’enfant handicapé (compétence du STIF), celle des transports vers des structures de soins (pris en charge par l’assurance maladie), il ne dit rien sur la prise en charge des transports entre le lieu d’accueil de l’enfant placé et la structure médico-sociale qu’il peut fréquenter au titre de son handicap (ITEP, IME, etc.). Plus largement, la prise en charge de ces enfants à la fois en danger et en situation de handicap est souvent particulièrement difficile en raison du profil de ces enfants mais aussi de la difficulté d’articulation des multiples institutions compétentes comme le souligne le rapport Piveteau, dénonçant à ce titre l’existence d’enfants « sans solution » (14), ou encore le Défenseur des droits qui interpellent les pouvoirs publics sur ces situations en demandant « des droits pour des enfants invisibles » (15).
S’ajoute à la difficulté de coordonner l’intervention des différents acteurs appelés à intervenir en bonne intelligence et parfois aux limites de leurs champs de compétences respectives, la question de la compétence territoriale de ces derniers. En effet, certaines ruptures d’accompagnement sont créées par la compétence territoriale de chaque service.
Il en est ainsi lorsqu’une famille déménage dans un autre département. Si elle en avertit les services de l’aide sociale à l’enfance, ce déménagement peut être anticipé et préparé, permettant notamment un transfert du dossier du département d’origine vers le département au sein duquel la famille emménage. L’échange d’informations entre services départementaux est prévu par le droit. Selon l’article L. 221-3 du Code de l’action sociale et des familles, lorsqu’une famille bénéficiaire d’une mesure de protection de l’enfance ou ayant fait l’objet d’une information préoccupante change de département à l’occasion d’un changement de domicile, « le président du conseil départemental d’origine en informe le président du conseil départemental du département d’accueil et lui transmet, pour l’accomplissement de ses missions, les informations relatives au mineur et à la famille concernés ».
Cette transmission d’information se fait selon les modalités définies par les articles R. 221-5 et suivants du CASF. La mesure sera ainsi poursuivie par une nouvelle équipe au sein du département d’accueil. Cependant, dans certaines hypothèses, cette transmission d’information est rendue impossible en raison d’absence d’information sur la nouvelle adresse de la famille. La loi du 5 mars 2012 (16), renforcées par la loi du 14 mars 2016 prévoit cette hypothèse. L’article L. 226-3-2 du CASF rappelle ainsi que si l’interruption de la mesure met en danger l’enfant, l’autorité judiciaire doit être saisie sans délai. En outre, cette disposition permet au président du conseil départemental de saisir la caisse primaire d’assurance maladie et la caisse d’allocations familiales qui sont tenues de lui communiquer la nouvelle adresse de la famille dans un délai de dix jours à réception de la demande.
Les difficultés liées aux compétences territoriales apparaissent également lorsque l’enfant est accueilli en dehors du département dans lequel ses parents résident. En effet, la structuration de l’offre dans le champ de la protection de l’enfance comme le projet pour l’enfant conduisent parfois à confier l’enfant à un établissement éloigné de son département d’origine. Dans ces situations, les acteurs du champ médico-social comme de la santé à proximité ne sont pas toujours évidents à mobiliser. Ces derniers considèrent souvent que leur compétence est définie en fonction de l’adresse des titulaires de l’autorité parentale, qui la plupart du temps correspond à l’adresse de l’enfant. Néanmoins, dans ces situations, l’adresse de l’enfant n’est pas celle des parents et pose la question des aménagements possibles pour permettre la mise en place d’intervention de proximité répondant aux besoins de l’enfant.
Ces éléments introductifs mettent en évidence d’une part, la spécificité du dispositif de protection de l’enfance qui s’est construit par strates successives, d’autre part, l’écart qui peut aujourd’hui exister entre des règles de droit souvent très générales et des pratiques individualisées, fonction des besoins de l’enfant. Il ne s’agit pas de laisser entendre que le droit est inutile, anxiogène ou déconnecté de la réalité, mais plutôt de faire prendre conscience à l’ensemble des professionnels qui interviennent au titre de la protection de l’enfance des tensions juridiques auxquelles ils sont soumis, nécessitant systématiquement la recherche d’un équilibre entre les droits de l’enfant, le respect de l’autorité parentale et la prise en compte des contraintes politiques, administratives et sociales qui pèsent sur l’organisation et le fonctionnement des services administratifs et judiciaires intervenant au titre de la protection de l’enfance.
Ce numéro propose une approche transversale des règles juridiques applicables au titre de la protection de l’enfance, en retenant cinq principaux axes de réflexion :
▸ Le repérage et l’évaluation du danger encouru par l’enfant (cf. infra, chapitre 1) : l’intervention de la puissance publique au sein de la sphère privée est conditionnée à l’existence d’un danger ou d’un risque de danger pour l’enfant. Le repérage et l’évaluation des besoins de l’enfant constituent ainsi la première étape dans le parcours de l’enfant.
▸ L’accompagnement de l’enfant et de sa famille (cf. infra, chapitre 2) : l’intervention de la puissance publique au titre de la protection de l’enfance une fois le danger évalué et caractérisé pour l’enfant impose la recherche d’un équilibre entre le respect des droits de l’enfant et ceux reconnus aux titulaires de l’autorité parentale. Cet équilibre est aujourd’hui formalisé au sein d’un projet pour l’enfant dont le contenu est prévu et détaillé par la loi.
▸ La recherche d’un statut juridique adapté à chaque enfant (cf. infra, chapitre 3) : les mesures administratives et judiciaires mises en œuvre au titre de la protection de l’enfance sont par définition provisoire et ont pour finalité le retour de l’enfant dans sa famille. Par conséquent, elles ne répondent pas aux besoins de certains enfants pour lesquels l’exercice de l’autorité parentale par leurs parents biologiques est durablement compromise. Dans ces situations, la loi du 14 mars 2016 encourage la recherche d’un autre statut juridique pour l’enfant.
▸ Les partenariats indispensables à la protection de l’enfant (cf. infra, chapitre 4) : la protection d’un enfant en danger ou en risque de l’être appelle des compétences variées afin de répondre aux besoins pluriels des enfants (social, éducatif, affectif, mais aussi scolaire, sanitaire, etc.) et au respect de leurs droits. Si le département est désigné comme chef de file de la protection de l’enfance, il n’a pas en la matière une compétence exclusive, ce qui nécessite la construction de partenariats solides avec les autres acteurs compétents.
▸ La sortie du dispositif de protection de l’enfance (cf. infra, chapitre 5) : quelle que soit la mesure mise en œuvre pour protéger l’enfant, elle ne peut pas être une fin en soi, il est ainsi nécessaire d’envisager la sortie du dispositif de protection de l’enfance et ce qu’elle implique : à savoir le retour de l’enfant dans sa famille d’origine et/ou l’insertion sociale et professionnelle de celui-ci.


(1)
CASF, art. L. 313-11-1, créé par la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement.


(2)
CASF, art. L. 345-2-4, créé par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.


(3)
CASF, art. L. 121-9 tel que modifié par la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.


(4)
Capelier F., « L’accompagnement vers l’autonomie des jeunes sortant du dispositif de protection de l’enfance », ONED, Revue de littérature, octobre 2014, p. 16, http://oned.gouv.fr/system/gles/publication/20141029_revue_de_litterature_autonomie.pdf


(5)
Robin Pierrine, Séverac Nadège, « Parcours de vie des enfants et des jeunes relevant du dispositif de protection de l’enfance : les paradoxes d’une biographie sous injonction », Recherches familiales, 2013/1 (n° 10), p. 91-102. https://www.cairn.info/revue-recherches-familiales-2013-1-page-91.htm


(6)
Martin-Blachais M.-P., « Les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance », 28 février 2017.


(7)
CREAI Île-de-France, « Une souffrance maltraitée, parcours et situations de vie des jeunes dits “incasables” », juillet 2008, www.creai-idf.org/sites/cedias.org/gles/oned_rapport_gnal.pdf


(8)
Moisset P., Les violences des incasables : signe de parcours de socialisation sous tension, SEJED, n° 10, automne 2010.


(9)
Pour aller plus loin voir le travail de Robin P. et al., « Une recherche par les pairs sur la transition à l’âge adulte au sortir de la protection de l’enfance », UPEC, rapport pour l’ONED, 2014, consultable sur www.onpe.gouv.fr


(10)
Pliquet E., « Fin 2012, les établissements relevant de l’aide sociale à l’enfance offrent 60 000 places d’hébergement », Drees, Études et résultats, n° 955, mars 2016.


(11)
HAS, Résultats de l’enquête sur les pratiques professionnelles contribuant à la bientraitance des enfants et des adolescents accueillis dans les établissements de la Protection de l’Enfance et de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, décembre 2018, https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2019-02/11_02_2019_enquete_bt_pe_version_com_pour_pdf.pdf


(12)
Brisset Claire, Aider les plus vulnérables, Rapport annuel du Défenseur des enfants, La Documentation française, 2004, p. 108.


(13)
Ces chiffres sont issus des données délivrées par l’Insee. Source : tableaux détaillés de l’Insee, Mesures d’aide sociale à l’enfance au 31/12/2017, https://www.insee.fr/fr/statistiques/2382589?sommaire=2382915


(14)
Piveteau D., « “Zéro sans solution”. Le devoir collectif de permettre un parcours de vie sans rupture, pour les personnes en situation de handicap et pour leurs proches », 10 juin 2014, http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_zero_sans_solution.pdf


(15)
Défenseur des Droits, Rapport 2015 consacré aux droits de l’enfant, handicap et protection de l’enfance : des droits pour des enfants invisibles, 2015, https://juridique.defenseurdesdroits/index. php?vl=notice_display&id=16669


(16)
Loi n° 2012-301 du 5 mars 2012 relative au suivi des enfants en danger par la transmission des informations, JO du 6-03-12.

INTRODUCTION

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