La question de savoir si le dispositif de protection de l’enfance est apte à remplir ses missions et à protéger les enfants en danger est évidemment centrale. Aujourd’hui, l’absence d’études quantitatives et qualitatives qui permettraient de mesurer tout ou partie de l’efficience et de l’efficacité du dispositif nourrit les débats. Les positions oscillent entre deux extrêmes allant de la nécessité d’assurer le maintien des liens entre l’enfant et ses parents biologiques aussi longtemps que possible et quelle que soit la situation familiale, aux besoins d’assurer chaque fois que nécessaire la protection de l’enfant contre ses parents pour garantir son développement.
Certains auteurs (1) estiment ainsi qu’en érigeant le maintien des liens entre l’enfant et ses parents comme finalité du dispositif de protection de l’enfance, le droit – et notamment la loi du 5 mars 2007 – ne permettrait pas une protection suffisante des enfants ayant subi des maltraitances graves au sein de leur milieu d’origine. Pourtant, dès 2007, le législateur reconnaît des limites à ce principe. L’exposé des motifs de cette loi indique très clairement qu’« il faut chercher à conforter les liens entre l’enfant et ses parents, mais sans subordonner son intérêt au maintien à tout prix de ces liens ».
D’autres auteurs insistent au contraire sur la difficulté d’impliquer réellement les parents dans l’action mise en œuvre par les services de l’aide sociale à l’enfance, alors même que cette participation est considérée comme essentielle pour garantir l’efficacité de l’accompagnement proposé à l’enfant (2). Là encore, l’exposé des motifs de la loi du 5 mars 2007 partage cette préoccupation, en considérant que « c’est d’abord en s’appuyant sur leurs compétences et sur les ressources de l’environnement familial que l’on peut mieux aider l’enfant et sa famille » (3).
Plus récemment, un avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) insiste également sur la nécessité de donner une place plus importante aux parents, en prenant en compte les difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Dans ce cadre, elle considère que la priorité doit être donnée « la prévention doit être développée dans le sens d’une recherche de la promotion des familles par l’effectivité de leurs droits fondamentaux et par la mise en œuvre d’actions qui allient soutiens individuels et soutiens collectifs, dispensés par des équipes pluridisciplinaires. Ces soutiens à la famille doivent être apportés même lorsqu’un placement est intervenu, pour permettre aux parents de retrouver le plus rapidement possible les bonnes conditions d’un retour de leur(s) enfant(s) au sein de la famille » (4). Selon la CNCDH, il s’agit de lutter contre des placements abusifs, motivés par la grande pauvreté des familles, qui seraient aujourd’hui encore trop nombreux. En effet, la précarité des parents ne peut être une motivation suffisante pour séparer l’enfant de son milieu d’origine. Si cette situation fait encourir un danger à l’enfant, il est nécessaire de répondre aux besoins de la famille en assurant le respect de l’autorité parentale et le droit à la vie privée et familiale. Dans ce cadre, la solution retenue ne doit pas être le placement de l’enfant mais un accompagnement renforcé de la situation familiale à la fois éducatif, social et financier.
Ces différentes discussions mettent en évidence l’équilibre constamment recherché entre les droits de l’enfant et le respect de l’autorité parentale. La loi du 14 mars 2016 propose ainsi une position plus nuancée qu’en 2007, en insistant sur la protection de l’enfant, premier usager du dispositif de protection de l’enfance, et la satisfaction de ses besoins fondamentaux. Une place centrale est ainsi donnée par le législateur à l’évaluation des situations individuelles, à la fois initiale et en cours de mesures, afin d’assurer selon les caractéristiques de chaque situation une réponse adaptée à chaque enfant. Les professionnels sont invités à s’appuyer sur les ressources de l’environnement familial chaque fois que possible, et dans le cas contraire, lorsque ces ressources sont durablement compromises à rechercher un autre statut juridique pour l’enfant.
(1)
Notamment, Berger M., Ces enfants qu’on sacrifie... au nom de la protection de l’enfance, coll. Enfances, Dunod, 2014.
(2)
Voir par exemple, Hélène Join-Lambert, Séverine Euillet, Janet Boddy, June Statham, Inge Danielsen, Esther Geurts, « L’implication des parents dans l’éducation de leur enfant placé : approches européennes », Revue française de pédagogie, Recherches en éducation, n° 187, avril mai juin 2014, p. 77, précité.
(3)
Sénat, projet de loi n° 330, mai 2006.
(4)
CNCDH, « Avis sur le droit au respect de la vie privée et familiale et les placements d’enfants en France », 27 juillet 2013, p. 5, consultable sur www.cncdh.fr/fr/publications/avis-sur-le-droit-au-respect-de-la-vie-privee-et-familiale-et-les-placements-denfants