L’accompagnement des jeunes sortant du dispositif de protection de l’enfance pose la question de leur insertion sociale et professionnelle. Dans ce cadre, l’accès à la majorité, comme l’acquisition d’une autonomie progressive constituent les principaux enjeux de la prise en charge proposée par les services de l’aide sociale à l’enfance. Les développements suivants présenter les principaux enjeux de l’accompagnement vers l’autonomie, en revenant d’abord sur la définition des termes du sujet, puis en s’intéressant, d’une part, aux spécificités du passage à l’âge adulte en protection de l’enfance et, d’autre part, aux apports et limites de l’aide jeunes majeurs.
A. Majorité et autonomie, enjeux de définition
En devenant majeur, l’enfant acquiert la pleine capacité juridique. Réciproquement, l’autorité parentale prend fin. L’accès à la majorité modifie donc en profondeur le statut juridique de la personne, y compris en ce qui concerne les enfants en danger. En effet, ce changement de statut met fin à l’ensemble des mesures administratives ou judiciaires mises en place pour protéger l’enfant en tant que personne mineure.
La loi française fixe désormais la majorité à 18 ans. L’abaissement de la majorité de 21 ans à 18 ans par la loi du 5 juillet 1974 (1) est présenté comme un progrès pour l’ensemble des jeunes français. Elle nécessite néanmoins d’éviter une sortie anticipée des enfants alors pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance. C’est ainsi qu’est créée l’aide « jeunes majeurs » par deux décrets de 1975. Ce nouveau fondement juridique permet de poursuivre l’accompagnement des jeunes qui rencontrent des difficultés sociales, éducatives ou encore familiales.
Le passage à la majorité conduit souvent à faire référence aux notions d’autonomie et d’indépendance. Isabelle Fréchon et Lucie Marquet soulignent ainsi que « la période de l’acquisition de l’autonomie et de l’indépendance adulte s’inscrit dans une temporalité relativement longue et repose principalement sur la solidarité parentale », alors même que l’autorité parentale prend fin avec la majorité de l’enfant (2). En 2015, l’Observatoire national de l’enfance en danger propose de faire une distinction entre les notions d’autonomie et d’indépendance. L’autonomie peut être considérée « comme la capacité d’un individu de se donner lui-même sa propre loi » ; elle renvoie à une capacité globale concernant non seulement sa vie familiale et professionnelle, mais aussi les dimensions affectives et psychologiques de son parcours. En revanche, l’indépendance recouvre « le fait de disposer de ressources propres pour répondre à ses besoins (notamment de ressources matérielles et financières) » (3).
La distinction entre ces deux notions est importante lorsque l’on s’intéresse à la finalité du dispositif de protection de l’enfance. L’arrêt de la prise en charge entre 18 et 21 ans conduit aujourd’hui à une orientation des jeunes vers des filières professionnelles leur assurant une indépendance économique rapide. Le temps resserré de la prise en charge peut alors conduire à minimiser la problématique de l’accès à l’autonomie, et ainsi écarter certains aspects pourtant essentiels de l’accompagnement. Il en est ainsi du temps qu’il serait nécessaire de consacrer à la recherche de la bonne distance du jeune dans ses rapports avec son milieu d’origine, au choix d’une orientation professionnelle adaptée à ses besoins mais aussi à ses envies, ou encore à la construction un réseau social « soutenant ».
B. Les spécificités du passage à l’âge adulte en protection de l’enfance
Les études récentes comme les professionnels du champ social soulignent les spécificités du passage à l’âge adulte pour les jeunes sortant du dispositif de protection de l’enfance. Alors que les jeunes adultes sont accompagnés de plus en plus longtemps par leurs familles dans la population générale, l’accompagnement des jeunes sortant du dispositif de protection de l’enfance prend fin à 21 ans. Cette évolution contraste avec la situation des jeunes dans leur ensemble. Comme le rappelle l’Insee, depuis 2000, la part des 18-29 ans habitant chez leurs parents augmente à nouveau (4). L’Insee montre notamment qu’au dernier trimestre de 2014, 57 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans résident de façon permanente chez leurs parents. En outre, 70 % des jeunes de cette tranche d’âge bénéficient d’une aide de leur famille. L’étude précise que « ce sont les jeunes en cours d’études qui sont le plus souvent aidés et qui reçoivent l’aide la plus importante » (5).
Certains auteurs soulignent l’existence d’un « paradoxe français en matière d’accès à l’indépendance » avec une décohabitation qui ne se traduit pas systématiquement par une indépendance financière. Cécile Van de Velde fait ainsi remarquer que « ce maintien prolongé dans une période d’entre deux s’inscrit dans un flou normatif : si l’indépendance individuelle, surtout résidentielle, est fortement valorisée, le maintien des solidarités familiales dans un contexte de précarité professionnelle est également légitimé » (6). Ainsi, toujours selon l’Insee, en 2014 « huit ménages de parents sur dix aident financièrement leur jeune adulte », âgé de 18 à 24 ans. L’étude ajoute que « les trois quarts des jeunes au chômage ou inactifs vivent encore exclusivement chez leurs parents » (7).
Les jeunes de la protection de l’enfance ne peuvent souvent pas bénéficier de ce soutien familial jusqu’à leur pleine autonomie. Leurs parcours sont donc fortement influencés par les aides publiques mises en place. Or, les politiques en direction de la jeunesse reposent en France sur une approche familialiste qui conduit à accorder aux jeunes français des aides en complément du soutien apporté par leur environnement. Cette situation crée une fragilité supplémentaire pour les jeunes sortant de la protection de l’enfance (8).
Les études sur le devenir des jeunes sortants du dispositif de protection de l’enfance sont en France relativement récentes. Selon Jean-Marie Firdion, « les personnes ayant été “placées” sont largement surreprésentées parmi les populations sans domicile [...[ en particulier parmi les plus jeunes (35 % parmi les 18-24 ans) et ce phénomène s’observe aussi dans les autres pays occidentaux comme les États-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne » (9).
En 2016, une étude sur le placement dans l’enfance et la précarité de la situation de logement (10) estime qu’en 2012, 23 % des utilisateurs des services d’aide (hébergement temporaire et restauration gratuite), nés en France, sont des personnes ayant été placées pendant l’enfance. Si ce chiffre est intéressant, il ne permet pas d’évaluer complètement l’efficacité du dispositif de protection de l’enfance. En effet, pour avoir une vue plus précise de cette question, il faudrait connaître non pas la part des personnes placées dans leur enfance au sein de la population des personnes sans-abri mais au contraire la part des personnes sans-abri sur l’ensemble des jeunes sortant du dispositif de protection de l’enfance. Or, cette donnée n’est pas disponible actuellement.
En 2014, la revue de littérature internationale réalisée par l’Observatoire national de protection de l’enfance met en évidence la difficulté du passage à l’âge adulte pour les enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance dans différents pays développés. Des situations similaires sont ainsi identifiées avec une insertion sociale et professionnelle fragile des jeunes sortant de la protection de l’enfance, nuancée par une très grande hétérogénéité des parcours.
Face à ces constats, certaines études proposent la mise en place d’une offre diversifiée qui réponde aux besoins de chaque jeune, assure la continuité de leur parcours et une prise en charge aussi progressive que possible entre le dispositif très normé de la protection de l’enfance et les dispositifs d’accompagnement vers l’insertion sociale et professionnelle (11).
C. Apports et limites de l’aide « jeunes majeurs »
Ces premiers développements montrent tout l’intérêt de réfléchir sur l’accès à la majorité et à l’autonomie non seulement au regard du profil et du parcours des enfants sortant de la protection de l’enfance, mais aussi au regard de l’accompagnement jeunes majeurs.
L’étude longitudinale sur l’autonomisation des jeunes après un placement (Elap) apporte des données inédites et particulièrement intéressantes à la fois sur la préparation à l’autonomie des jeunes confiés à l’aide sociale à l’enfance et sur leur devenir à la sortie du dispositif. En 2013-2014, plus de 1 600 jeunes âgés de 17 à 20 ans et accueillis en protection de l’enfance ont répondu à un premier questionnaire. En juillet 2016, ces données ont permis la publication de premiers résultats de recherche s’intéressant à la manière dont les jeunes préparent leur avenir (12). Ces éléments montrent que les jeunes confiés à la protection de l’enfance sont dans le cadre de l’accompagnement jeunes majeurs principalement orientés vers des formations professionnelles qui permettent une indépendance financière rapide.
Les études récentes sur l’accompagnement vers l’autonomie des jeunes mettent en évidence à la fois l’intérêt et la limite de l’accompagnement jeunes majeurs proposé par les départements. Selon l’étude Elap (13), « à 18,5-19 ans et plus encore à 19,5-20 ans l’écart des non-diplômés entre la population des enfants placés et la population générale se réduit mais cette proportion reste toujours plus élevée pour les jeunes placés (respectivement 33 %, 21 % vs 12 % à 18-20 ans en population générale) ». Si ces diplômes relèvent davantage de filières professionnelles que dans la population générale, il est néanmoins intéressant de constater que le contrat jeunes majeurs permet « un rattrapage des études » lorsqu’il s’étend sur plusieurs années. Il s’agit également pour de nombreux jeunes interrogés d’une période d’acquisition de compétences et de savoir-faire, comme faire la cuisine, passer le permis de conduire ou encore être en capacité de mobiliser les services de droit commun (tel que la mission locale ou pôle emploi) (14).
Néanmoins, l’accompagnement jeunes majeurs a aussi un certain nombre de limites. Comme d’autres dispositifs jeunesse cet accompagnement conduit à opérer une sélection qui n’est, dans les faits, pas toujours fonction de critères objectifs mais plutôt liée au « volontarisme des jeunes d’entrer dans cette démarche active d’insertion professionnelle » (15).
On peut par ailleurs penser que des logiques administratives et organisationnelles entrent en jeu dans l’octroi d’un contrat jeunes majeurs par le service de l’aide sociale à l’enfance. Dans une étude ciblée sur le fonds d’aides aux jeunes Marie-Christine Bureau montre que les décisions d’octroi des prestations dans ce domaine sont souvent fonction de « politique de guichet » mais aussi d’une « politique de la commission » qui conduit à une mise à distance des situations individuelles et la mise en place de pratiques professionnelles en dehors de la stricte application du droit. Or, comme pour le fonds d’aide aux jeunes, les restrictions budgétaires ont conduit de nombreux départements à fonctionner par commission dans l’objectif affiché d’harmoniser les conditions d’octroi du contrat jeunes majeurs mais avec pour biais une mise à distance des situations individuelles (16).
Enfin, la contractualisation (et la formalisation d’engagements comportementaux qui en découlent pour l’usager) peut être perçue comme un levier pédagogique dans l’accompagnement du jeune si elle est utilisée à bon escient ; mais elle peut aussi représenter un risque si elle devient dans les pratiques administratives un moyen de restreindre les conditions d’accès à ce droit, ou d’opérer une sélection selon des critères non prévus par la loi liés, entre autres, aux motivations du jeune et à la manière dont il remplit les objectifs qui lui ont été fixés au sein de ce document (17).
La logique même de « contrat jeunes majeurs » peut apparaître particulièrement rigide ne permettant pas à un jeune de revoir son projet ou même de rencontrer des échecs, ces difficultés ayant le plus souvent pour conséquence une rupture de la prise en charge. Le rapport de l’Observatoire national de la protection de l’enfance préconise à ce titre de « reconnaître au jeune un “droit à l’erreur” et, de manière plus générale, une plus grande souplesse dans l’organisation et le fonctionnement des services [...[ » (18). Ces limites sont d’autant plus importantes à prendre en considération qu’elles semblent aujourd’hui exclure de l’accompagnement jeunes majeurs, les bénéficiaires de l’aide sociale à l’enfance les plus fragiles. L’étude Elap montre par exemple que les jeunes non scolarisés ont presque deux fois plus de risque de sortir sans protection jeunes majeurs que les jeunes scolarisés (19). Les études de la Drees vont dans le même sens en soulignant que l’aide « jeunes majeurs » est le plus souvent obtenue par des jeunes fortement mobilisés qui adhèrent à une démarche d’insertion ; les jeunes en échec scolaire ou encore ceux rencontrant des difficultés psychologiques importantes sont peu ou pas représentés au sein de cette catégorie.
Ainsi, alors que les mineurs congés à l’aide sociale à l’enfance sont plus souvent déscolarisés que les enfants de la population générale, il n’en est pas de même pour les jeunes majeurs pris en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance. En effet, selon la Drees, ces jeunes majeurs « ne sont pas plus déscolarisés que le reste de leur génération, en raison de la sélection pour entrer dans le dispositif contrat jeune majeur » (20). Ces chiffres laissent penser qu’une sélection se fait dans le cadre de l’obtention de l’aide et qu’un certain nombre de départements concentrent leur accompagnement sur les jeunes les plus insérés, poursuivant une formation ou des études.
(1)
Loi n° 74-631 du 5 juillet 1974, JO du 7-07-74 ; C. civ., art. 388.
(2)
Fréchon I., Marquet L., « Sortir de la protection de l’enfance à la majorité ou poursuivre en contrat jeune majeur », document de travail, 2018, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01837210
(3)
ONED, « L’accompagnement vers l’autonomie des “jeunes majeurs” », janvier 2015, p. 9.
(4)
Pouliquen E., « Les principales ressources des 18-24 ans », Insee Première n° 1686, janvier 2018.
(5)
Castell L., Portela M., Rivalin R., « Les principales ressources des 18-24 ans », Insee Première n° 1603, juin 2016.
(6)
Van De Velde Cécile, op. cit., p. 32.
(7)
Grobon Sébastien, Dossier, « Combien coûte un jeune adulte à ses parents ? », Insee référence, édition 2018.
(8)
Capelier F., Quelles politiques pour la jeunesse en France ? Les non-dits de la stratégie pauvreté, RDSS, novembre-décembre 2018, p. 963.
(9)
Firdion J.-M., « Influence des événements de jeunesse et héritage social au sein de la population des utilisateurs des services d’aide aux sans-domiciles », Économie et statistiques n° 391-392, 2006, p. 85.
(10)
Frechon I., Marpsat M., « Placement dans l’enfance et précarité de la situation de logement », Économie et statistiques n° 488-489, 2016.
(11)
Capelier F., « L’accompagnement vers l’autonomie des jeunes sortant du dispositif de protection de l’enfance », ONED, Revue de littérature, octobre 2014, disponible sur www.onpe.gouv.fr
(12)
Frechon I. et Marquet L., Comment les jeunes placés à l’âge de 17 ans préparent-ils leur avenir ?, document de travail 227, Ined, juillet 2016.
(13)
Fréchon I., Marquet L., « Sortir de la protection de l’enfance à la majorité ou poursuivre en contrat jeune majeur », document de travail, 2018, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01837210
(14)
Ibidem, p. 11.
(15)
Frechon I. et Marquet L., Comment les jeunes placés à l’âge de 17 ans préparent-ils leur avenir ?, document de travail 227, Ined, juillet 2016.
(16)
Bureau Marie-Christine et al., « La tradition de la demande d’aide sociale : les cas du handicap et de l’insertion des jeunes », RFAP, 2013/1, n° 145, p. 187.
(17)
Capelier F., Quelles politiques pour la jeunesse en France ? Les non-dits de la stratégie pauvreté, RDSS, novembre-décembre 2018, p. 963.
(18)
ONPE, « L’accompagnement vers l’autonomie des jeunes majeurs » 2015, p. 115, consultable sur www.onpe.gouv.fr
(19)
Fréchon I., Marquet L., « Sortir de la protection de l’enfance à la majorité ou poursuivre en contrat jeune majeur », document de travail, 2018, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01837210, p. 9.
(20)
Drees, « Échec et retard scolaire des enfants hébergés par l’aide sociale à l’enfance », Études et résultats n° 845, juillet 2013, http://drees.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/er845.pdf