De nombreux départements ne considèrent plus aujourd’hui l’aide « jeunes majeurs » comme une compétence obligatoire et proposent plutôt un accompagnement vers la sortie du dispositif de protection de l’enfance. Cette situation transforme l’accompagnement mis en œuvre qui s’inscrit aujourd’hui à la fois dans une logique de protection de l’enfance et d’insertion sociale et professionnelle. En outre, le contexte budgétaire fragile qui accompagne ces évolutions conduit à des propositions de réformes.
A. L’articulation des logiques de protection et d’insertion
Le glissement d’une compétence perçue comme obligatoire à la reconnaissance d’un accompagnement facultatif mis en œuvre par les services de l’aide sociale à l’enfance, comme les évolutions législatives de 2016 qui encouragent le renforcement du partenariat entre les différents acteurs compétents en faveur de la jeunesse conduit à une articulation plus étroite que par le passé entre les logiques de protection de l’enfance et d’insertion sociale et professionnelle. Il s’agit ainsi de trouver une plus grande cohérence entre les différentes politiques mises en œuvre au titre de l’aide sociale à l’enfance, de l’action sociale, mais aussi de l’éducation, de la formation, de l’insertion et de la lutte contre les exclusions.
Cette évolution appelle une véritable évolution des pratiques professionnelles, afin d’anticiper la sortie du dispositif et d’éviter autant que possible une rupture brutale dans le parcours de l’enfant à ses 18 ans. Le dispositif de protection de l’enfance s’inscrit dans un cadre juridique et réglementaire important, avec un fort taux d’encadrement des enfants accueillis au sein des établissements. Cette caractéristique tend à réduire la capacité d’initiative des jeunes, pourtant nécessaire pour gagner en expérience et en autonomie. Il est donc indispensable à la fois d’anticiper le passage à la majorité en aidant le jeune à devenir pleinement autonome, mais aussi d’organiser les relais avec les acteurs compétents pour continuer à l’accompagner dans la construction d’un projet d’insertion sociale et professionnelle (cf. chapitre 2, section 3).
Il existe en la matière un paradoxe important ci-dessus rappelé, d’un côté, l’aide « jeunes majeurs » a tendance à se réduire dans le temps, de l’autre, au sein de la population générale les jeunes sont autonomes de plus en plus tard et l’âge du premier emploi recule. Il est donc indispensable de penser le lien avec des services tels que les missions locales, le fonds d’aide aux jeunes, le Crous, ou encore les foyers jeunes travailleurs afin d’aider le jeune à poursuivre son projet professionnel lorsqu’il en a l’envie ou que des diplômes supplémentaires sont nécessaires pour augmenter ses chances d’embauche dans le secteur au sein duquel il souhaite travailler.
B. Une forte hétérogénéité des pratiques départementales
L’Observatoire national de protection de l’enfance estime qu’au 31 décembre 2017, le nombre de mesures jeunes majeurs avoisine les 20 600 sur la France entière, ce chiffre est ainsi en recul de 6 % par rapport à l’année 2013 (1). Plusieurs hypothèses pourraient expliquer cette baisse. On constate d’abord une disparition progressive des mesures de protection judiciaire en direction des jeunes majeurs depuis plusieurs années. En 2015, l’Observatoire national de la protection de l’enfance (2) souligne ainsi que « parmi l’ensemble des prestations de milieu ouvert, la part des aides éducatives (contrats « jeunes majeurs ») est passée de 63 % en 2007 à 98 % en 2012 ». L’évolution est plus significative et rapide encore en ce qui concerne les mesures de placement judiciaire : « Pour les jeunes majeurs, les mesures de placement sur décision judiciaire, qui représentaient plus de 17 % des mesures de placement en 2003, ont quasiment disparu depuis 2009 [...[. Elles concernent moins de 0,1 % des mesures de placement en 2012 (7 mesures contre 23 mesures en 2011) ». Autrement dit, depuis bientôt une dizaine d’années, l’aide jeunes majeurs est quasi exclusivement de nature administrative, les juges des enfants n’ordonnant plus ces mesures. Cette situation s’explique par une baisse particulièrement importante des budgets alloués aux services de la protection judiciaire de la jeunesse pour exercer cette compétence. Il est possible qu’une partie des demandes anciennement orientées vers le juge des enfants aient été reportées sur les départements. Il est ainsi difficile de savoir si cette hypothèse est en mesure d’expliquer à elle seule la baisse constatée.
Le contexte budgétaire contraint a également conduit certains départements à réduire le périmètre de l’aide « jeunes majeurs » en conditionnant son accès à différents critères. En 2018, le Conseil économique, social et environnemental rappelle ainsi que « les caractéristiques de l’aide aux jeunes majeurs sont très variables d’un département à l’autre. De surcroît, l’accès à cette aide tend à se restreindre, dans un contexte budgétaire contraint » (3). Dans ce cadre, les conditions d’obtention varient d’un département à l’autre : l’aide « jeunes majeurs » peut être limitée aux jeunes anciennement confiés au service départemental de l’aide sociale à l’enfance (avec parfois une condition de durée), excluant ainsi les jeunes rencontrant des difficultés sociales et familiales à 18 ans ou encore ceux ayant bénéficié d’une aide en milieu ouvert pendant leur minorité (AED ou AEMO). Dans d’autres départements, l’aide exclut ou admet seulement à titre exceptionnel les jeunes anciennement pris en charge par les services de la protection judiciaire de la jeunesse.
De même, les conditions de fin de prise en charge diffèrent selon les départements. L’absentéisme scolaire, des comportements violents ou des incivilités du jeune ou encore sa volonté de changer de projet professionnel peuvent constituer des motifs de fin de prise en charge. On comprend bien la volonté de poser un cadre éducatif et moral que le jeune doit respecter, la difficulté est néanmoins de conserver un lien avec ces jeunes qui peuvent rencontrer des difficultés importantes et avoir besoin d’une aide adaptée. L’obtention d’un emploi ou simplement d’un diplôme peut également motiver une fin de prise en charge. Au-delà du projet professionnel du jeune, une vigilance doit donc être portée par les professionnels sur sa capacité à vivre seul, sur son éventuel isolement et sur la constitution, avant la fin de la prise en charge, d’un réseau social au sein duquel il puisse trouver des soutiens. Enfin, l’obtention d’un diplôme ne permet pas toujours de trouver un emploi, surtout dans le contexte économique actuel.
Enfin, en ce qui concerne les demandes d’accompagnement des mineurs non accompagnés, certains départements motivent leur décision de refus d’aide « jeunes majeurs » en considérant que l’administration encourt un risque pénal, si elle est poursuivie pour aide au séjour des étrangers en situation irrégulière. Cette question a notamment été posée à la cour administrative d’appel de Marseille (4), puis au Conseil d’État. Les décisions rendues dans ces deux cas d’espèce ne répondent pas directement à cette question. La Cour administrative d’appel écarte ce moyen. Dans une seconde affaire, le Conseil d’État semble considérer que dans le cas d’un jeune pris en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance ayant fait l’objet d’un refus de titre de séjour et d’une obligation de quitter le territoire à la majorité, l’examen de sa demande d’aide jeune majeur est obligatoire sans pour autant que le département soit tenu de lui proposer un accompagnement jeunes majeurs (5).
Ainsi, la jurisprudence ne dit rien sur la manière de trancher le conflit de droit qui existe aujourd’hui entre les dispositions du Code pénal, du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et enfin du Code de l’action sociale et des familles qui, rappelons-le, ne conditionnent pas l’aide « jeunes majeurs » à une situation régulière du jeune sur le territoire français. D’autres départements avancent devant les juridictions administratives, « l’augmentation sensible des demandes de prise en charge par des mineurs non accompagnés ainsi que par des jeunes majeurs isolés ». Cet argument est néanmoins systématiquement rejeté par le Conseil d’État (6).
Enfin, il serait intéressant de comparer cette baisse à l’évolution du nombre de jeunes sortants chaque année du dispositif de protection de l’enfance. Or, à ce stade, cette donnée n’est malheureusement pas disponible.
C. Des propositions de réformes
La jeunesse en difficulté est une préoccupation à la fois des pouvoirs publics, mais aussi des professionnels de la protection de l’enfance.
Depuis plusieurs années, un certain nombre de rapports ont proposé des réformes sur le sujet. Le rapport Gouttenoire (7), le rapport conjoint de l’inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale des services judiciaires (8) ou encore le rapport de l’Observatoire national de protection de l’enfance (9) évoquent cette question et font des propositions.
La CNAPE désigne également le passage à la majorité comme « un cap critique pour la jeunesse » et propose un accompagnement spécifique à l’autonomie et à l’insertion des jeunes ayant été admis à l’aide sociale à l’enfance (10).
La Fédération nationale des associations départementales d’entraide des personnes accueillies en protection de l’enfance (FNADEPAPE) affirme plus généralement que « le droit à un parcours d’insertion 16-25 ans au titre de l’égalité des chances pour les jeunes de ce pays est d’autant plus nécessaire pour ceux issus de la protection de l’enfance » (11).
La plupart de ces contributions préconisent la mise en place d’une véritable politique en direction de la jeunesse en difficulté, qui dépasserait la seule intervention des services départementaux de l’aide sociale à l’enfance pour organiser une mise en cohérence, un renforcement et une meilleure visibilité de l’offre de services proposée aux jeunes de 16 à 25 ans par l’État, les collectivités territoriales et le secteur associatif habilité, en portant dans ce cadre une attention particulière aux jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance.
En 2018, une stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté a été lancée par le président de la République et contient plusieurs engagements en faveur d’une politique jeunesses renforcée (12), parmi lesquelles une mesure visant à « empêcher les sorties sèches de l’aide sociale à l’enfance » (13). Le groupe de travail mis en place sur le sujet en amont de cette stratégie a remis un rapport public au Gouvernement en mars 2018 dans lequel il propose de « garantir un accompagnement pour les jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance et la PJJ au-delà des 18 ans » (14) et notamment de rendre impossible toute sortie de ces jeunes sans qu’il ne leur soit proposé une solution de logement. Le rapport souligne également la situation particulière des mineurs non accompagnés qui peuvent être en grande difficulté d’insertion sociale et professionnelle à l’âge adulte et représentent une charge financière sans précédent pour les départements dans le cadre de la politique mise en œuvre au titre de la protection de l’enfance, y compris en ce qui concerne l’aide « jeunes majeurs ».
De manière complémentaire, une proposition de loi déposée en juillet 2018 alimente le débat en proposant dès son article premier de créer une obligation de prise en charge pour les départements en direction des jeunes de 18 à 21 ans cumulant une prise en charge à l’aide sociale à l’enfance avant 18 ans, une situation de rupture familiale, l’absence de logement et de ressources financières. Le rapport de la commission des affaires sociales précise sur ce point que « les dépenses nouvelles créées par la mise en place de l’article 1er seraient prises en charge par l’État » (15). En outre, la proposition de loi s’intéresse à la situation spécifique des Pupilles de l’État qui, une fois majeurs, ne disposent d’aucune protection : le texte prévoit ainsi de créer une obligation alimentaire à leur égard, à la charge de l’État. La proposition de loi n’évoque pas en revanche les jeunes sortant des dispositifs de la PJJ.
La stratégie pauvreté n’évoque ni les pupilles de l’État, ni les jeunes ayant eu une mesure au titre de la PJJ mais se concentre sur les jeunes ayant eu un parcours au titre de l’aide sociale à l’enfance. La stratégie propose d’éviter les sorties « sèches » par une mobilisation renforcée de l’État en matière d’insertion professionnelle et un droit au retour à l’aide sociale à l’enfance pour les jeunes majeurs qui se retrouveraient sans aucune solution.
Ces nouvelles propositions relancent les débats sur la question de savoir si l’accompagnement des jeunes sortants du dispositif de protection de l’enfant doit être perçu comme un droit ou simplement comme une aide sociale facultative à la charge des conseils départementaux. Or, ces réflexions renvoient aux moyens susceptibles d’être alloués à cette politique publique. Alors que la proposition de loi Bourguignon propose très clairement une compensation financière intégrale des dépenses engagées par les départements pour assurer cette mission, la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté parue en 2018 est plus nuancée, évoquant simplement « des moyens contractualisés avec les départements pour empêcher les sorties « sèches » de l’aide sociale à l’enfance ». Or, les moyens proposés aux départements depuis cette date visent une participation de l’État à la prise en charge mais en aucun cas une compensation financière suffisante pour assurer à l’ensemble des jeunes sortants du dispositif de protection de l’enfance au niveau national un accompagnement adapté à leurs besoins.
Ces différents développements mettent en évidence, s’il en était encore besoin les enjeux importants qui se posent autour de la protection de l’enfance au regard non seulement des droits reconnus à chaque individu, du financement de cette mission, mais aussi plus largement du pilotage et de la répartition des compétences entre l’État, les départements et l’ensemble des acteurs associatifs qui participent aujourd’hui aux politiques jeunesse, aux politiques de prévention et de soutien à la parentalité ou encore à la lutte contre les exclusions.
(1)
ONPE, chiffres clés en protection de l’enfance portant sur l’année 2017, février 2019, consultable sur www.onpe.gouv.fr
(2)
ONED, « Dixième rapport annuel au gouvernement et au Parlement », mai 2015, p. 138, consultable sur www.onpe.gouv.fr
(3)
Avis du Conseil économique, social et environnemental sur le rapport présenté par M. Antoine Dulin, « prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l’enfance », section des affaires sociales et de la santé, Les éditions des journaux officiels, juin 2018, p. 38.
(4)
CAA de Marseille, 5e chambre, 29 décembre 2014, n° 13MA03761, consultable sur www.legifrance.gouv.fr
(5)
Conseil d’État, 1re chambre, 9 novembre 2018, 422638, Inédit au recueil Lebon, consultable sur www.legifrance.gouv.fr
(6)
Conseil d’État, Juge des référés, 28 décembre 2017, 416390, Inédit au recueil Lebon, confirmé par Conseil d’État, 27 juin 2018, 421338, Inédit au recueil Lebon, consultables sur www.legifrance.gouv.fr
(7)
Gouttenoire A., Corpart I., « 40 propositions pour adapter la protection de l’enfance et l’adoption aux réalités d’aujourd’hui », avril 2014, consultable sur www.ladocumentationfrancaise.fr/rapportspublics/144000303/index.shtml
(8)
Naves P. et Simon-Delavelle F., (IGAS), Bruston P. et Descoubes B. (IGSJ), « Mission d’évaluation de la gouvernance de la protection de l’enfance (MAP) », juillet 2014.
(9)
Capelier F., « L’accompagnement vers l’autonomie des jeunes majeurs », ONED, janvier 2015.
(10)
Sourmais L. « Le passage à la majorité, un cap critique pour la jeunesse », Cnape, Forum n° 66, p. 18.
(11)
Fnadepape, « Lettre ouverte aux présidents de conseils généraux et aux responsables de services de la protection de l’enfance, jeunes sortants de l’ASE : la rue pour toit... », octobre 2013.
(12)
Ministère des Solidarités et de la Santé, Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, « Investir dans les solidarités pour l’émancipation de tous », octobre 2018 https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/strategie_pauvrete_vfhd.pdf, p. 27.
(13)
Capelier F., Quelles politiques pour la jeunesse en France ? Les non-dits de la stratégie pauvreté, RDSS, novembre-décembre 2018, p. 963.
(14)
Dulin A., Lazaar F., Proposition du groupe n° 2, « prévenir la vulnérabilité des jeunes et favoriser leur insertion », Délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, 15 mars 2018, https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_gt_2.pdf, p. 22.
(15)
Bourguignon Brigitte, Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi visant à renforcer l’accompagnement des jeunes majeurs vulnérables vers l’autonomie, Assemblée nationale, n° 1150, juillet 2018, p. 23.