Les lois du 5 mars 2007 puis du 14 mars 2016 relatives à la protection de l’enfant rappellent l’importance des politiques de prévention, et en leur sein, le rôle joué par la prévention spécialisée. La prévention spécialisée relève ainsi des missions du service départemental de l’aide sociale à l’enfance et a connu à ce titre une extension progressive de son champ d’intervention.
A. Une mission du service départemental de l’aide sociale à l’enfance
L’article L. 221-1 du Code de l’action sociale et des familles indique désormais expressément que les actions de prévention spécialisée font partie des missions du service départemental de protection de l’enfance. Cette affirmation n’est pas sans incidence. En effet, dans un certain nombre de départements, la prévention spécialisée est rattachée à la lutte contre les exclusions ou encore à des politiques sécuritaires liées notamment au maintien de l’ordre public. En consacrant la prévention spécialisée comme une mission du service départemental de l’aide sociale à l’enfance, le législateur demande à ce que des articulations étroites soient trouvées entre la protection des enfants en danger ou en risque de l’être et le repérage des familles et des jeunes en situation de vulnérabilité. La loi du 14 mars 2016 renforce ce propos en nommant, pour la première fois expressément, la « prévention spécialisée » au sein de l’article L. 221-1 2° du Code de l’action sociale et des familles.
En pratique, l’articulation des actions mises en œuvre par les services de prévention spécialisée d’une part, et les services de l’aide sociale à l’enfance d’autre part, n’est pas toujours évidente. Les principes d’intervention des clubs de prévention sont en effet très différents de ceux suivis par les autres services qui participent à la protection de l’enfance. La prévention spécialisée agit dans un cadre non institutionnalisé, sans mandat et repose sur l’anonymat. Elle s’oppose à ce titre à la manière dont est construit le dispositif de protection de l’enfance, qui encourage le repérage des enfants en danger et la mise en place de mesures adaptées pour les protéger conduisant à des pratiques particulièrement institutionnalisées dans le cadre de situations clairement identifiées et nommées.
Si les modes d’intervention sont très différents, les finalités poursuivies sont bien communes. Pour Christine Lazerges, « la caractéristique de la prévention spécialisée est d’être un outil de rue, très spécifique et original, au service de la protection de l’enfant et de sa famille. [...[ Dans la rue, au quotidien, ses missions sont des missions de protection de l’enfance donc de service public le plus souvent déléguées à des associations » (1). La prévention spécialisée a ainsi pour objectif premier d’aider les jeunes à « renouer » avec les institutions de la République pouvant leur venir en aide, dans le cadre d’une organisation administrative décentralisée.
B. L’extension progressive de son périmètre
La prévention spécialisée vise initialement à lutter contre la délinquance juvénile qui se développe dans les années d’après-guerre. Le décret du 7 janvier 1959 (2) propose une première évolution en affirmant la vocation de la prévention spécialisée à prendre en charge un nombre croissant d’enfants en difficulté, qu’ils aient ou non commis un acte de délinquance. Les textes qui suivent n’ont cessé de renforcer les fondements de cette nouvelle forme de prévention touchant un public de plus en plus large.
Progressivement, la prévention spécialisée s’intéresse à la marginalisation des enfants issus des classes les plus défavorisées de la société et se structure. En 1963 (3), un Comité national des clubs et équipes de prévention contre l’inadaptation sociale de la jeunesse est créé auprès du Premier ministre (4), et devient, en 1972, le Conseil technique des clubs et équipes de prévention (5).
Une série de circulaires viennent alors préciser les principes directeurs de la prévention spécialisée, à savoir l’absence de « mandat » nominatif (les personnes ne sont désignées par aucune autorité), la libre adhésion des jeunes intéressés, le respect de l’anonymat, la non-institutionnalisation des activités, le développement du partenariat (visant à créer un maillage entre les différentes institutions susceptibles de répondre au niveau local aux besoins d’un même jeune) (6). C’est finalement la loi du 6 janvier 1986 qui, tout en décentralisant la prévention spécialisée (7), lui donne un fondement législatif. Le texte déclare alors que « dans les lieux où se manifestent des risques d’inadaptation sociale, le département participe aux actions visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l’insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles. Ces actions comprennent [...[ des actions dites de prévention spécialisée auprès des jeunes et des familles en difficulté ou en rupture avec leur milieu » (8). La prévention spécialisée devient alors une compétence départementale relevant des services de l’aide sociale à l’enfance (CASF, art. L. 221-1, 2°).
Les missions particulièrement larges confiées par le législateur à la prévention spécialisée, comme ses principes d’intervention, rendent difficiles l’évaluation et la valorisation des actions menées en la matière. En 2004, un rapport public sur la prévention spécialisée déclarait que « les principes de non-mandat nominatif, de libre adhésion, de respect de l’anonymat des jeunes et de non-institutionnalisation des pratiques, peuvent tout à fait apparaître aux commanditaires et aux différents acteurs sociaux en décalage ou en contradiction avec leurs attentes de visibilité, de coordination des acteurs, de transmission d’information de compte rendu nominatif et de contrôle » (9). Dans ce cadre, le Conseil estimait que la signification de ces principes devait être retravaillée, afin d’éviter qu’ils ne représentent des dogmes immuables portant atteinte à la visibilité du travail effectivement réalisé par les clubs et équipes de prévention spécialisée, visibilité importante dans un contexte de réduction des dépenses publiques. Le rapport sur l’avenir de la prévention spécialisée adopté par la commission des affaires sociales de l’assemblée nationale reprend à son compte certains de ces constats. Ce rapport estime que la prévention spécialisée est aujourd’hui face à un « triple malaise » (10) lié à des financements en forte baisse, à des professionnels confrontés à des difficultés nouvelles (notamment des jeunes en situation de très grande exclusion et dans un tout autre registre la montée du radicalisme) et, enfin, un positionnement parfois délicat entre le risque de dénaturation par les politiques de prévention de la délinquance et le risque de dilution dans la politique de la ville. Le rapport fait ensuite un certain nombre de propositions visant à renforcer la lisibilité des actions de prévention, à harmoniser les pratiques et diffuser les expériences positives. Le rapport propose également de rendre plus contraignant le cadre légal pour assurer le financement de ces actions. Sur ce dernier point, le rapport propose de « réécrire les dispositions du Code de l’action sociale et des familles afin d’établir clairement le caractère obligatoire de la compétence du département en matière de prévention spécialisée, afin de donner une base légale au juge pour constater une carence manifeste en matière d’habilitation » (11).
La volonté de développer des actions de prévention participe à l’ambition de garantir à chaque enfant des conditions de vie favorables à son développement en prévenant le cumul des difficultés sociales, économiques et/ou familiales qui peuvent survenir au sein de son milieu d’origine.
(1)
Lazerges C., « La prévention de rue : un outil de protection de l’enfant et de l’adolescent », in Archives de politique criminelle, 2010/1 (n° 32), p. 141.
(2)
Décret n° 59-101 du 7 janvier 1959, JO du 8-01-59.
(3)
Arrêté du 14 mai 1963, JO du 15-05-63.
(4)
La prévention spécialisée restera d’ailleurs pendant plus de dix ans sous la tutelle du Premier ministre, avant d’être rattachée aux Affaires sociales.
(5)
Arrêté du 4 juillet 1972, article 1er, JO du 13-07-72.
(6)
Notamment la circulaire n° 26 du 17 octobre 1972 relative à l’arrêté du 4 juillet 1972 sur les clubs et équipes de prévention, bulletin officiel du ministère chargé des Affaires sociales n° 72/44. Elle sera suivie de bien d’autres circulaires.
(7)
Loi n° 86-17 du 6 janvier 1986, article 45, JO du 8-01-86.
(8)
Loi n° 86-17 du 6 janvier 1986, article 31 modifiant l’article 45 du Code de la famille et de l’aide sociale, aujourd’hui repris par l’article L. 121-2 du Code de l’action sociale et des familles.
(9)
Andrieu P., « La prévention spécialisée : enjeux actuels et stratégies d’action », rapport du groupe de travail interinstitutionnel sur la prévention spécialisée, délégation interministérielle à la famille, janvier 2004, p. 71.
(10)
Jacquat D., Bouziane-Laroussi K., « L’avenir de la prévention spécialisée », préc., proposition n° 6, p. 53.
(11)
Jacquat D., Bouziane-Laroussi K., « L’avenir de la prévention spécialisée », Assemblée nationale, rapport d’information n° 4429, 1er février 2017, p. 26 et s., consultable sur www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-info/i4429.pdf