L’article L. 224-4 du Code de l’action sociale et des familles liste très précisément les enfants pouvant bénéficier de ce statut. Selon ce texte, sont admis en qualité de pupille de l’État :
- les enfants dont la filiation n’est pas établie ou est inconnue, recueillis par le service de l’aide sociale à l’enfance depuis plus de deux mois (cf. infra, A) ;
- les enfants dont la filiation est établie et connue, qui ont expressément et régulièrement été remis au service de l’aide sociale à l’enfance par les deux parents depuis plus de deux mois ou par un des deux parents depuis plus de six mois (cf. infra, B) ;
- les enfants orphelins de père et de mère pour lesquels la tutelle n’est pas organisée par des proches et qui ont été recueillis par le service de l’aide sociale à l’enfance depuis plus de deux mois (cf. infra, C) ;
- les enfants dont les parents ont fait l’objet d’un retrait total de l’autorité parentale et qui ont été recueillis par le service de l’aide sociale à l’enfance (cf. supra, section 3) ;
- les enfants recueillis par le service de l’aide sociale à l’enfance à la suite d’une déclaration judiciaire de délaissement parental (cf. supra, section 4).
Le rapport de l’Observatoire national de la protection de l’enfance (1) énonce qu’au 31 décembre 2016, 2 626 enfants avaient le statut de pupille de l’État en France. À cette date, plus de quatre enfants sur dix vivaient dans une famille en vue d’adoption. Le rapport ajoute que dans 40 % des cas, les enfants sont admis à la suite d’une déclaration judiciaire d’abandon. Ce chiffre est en augmentation de 12 % par rapport à 2007. Dans 33 % des cas, ces enfants ont été remis à la suite d’un accouchement sous le secret. Enfin, le rapport constate que ceux qui sont accueillis suite à un retrait total de l’autorité parentale représentent, quant à eux, moins de 6 % des enfants bénéficiant du statut de pupille de l’État au 31 décembre 2016, contre 13 % des enfants au 31 décembre 2007. Ces évolutions sont intéressantes et interrogent plus globalement sur la manière dont les différents statuts juridiques possibles pour l’enfant sont aujourd’hui mobilisés.
A. Les enfants dont la filiation n’est pas établie ou est inconnue
Il s’agit principalement des enfants dont la mère a décidé d’accoucher sous le secret. En effet, selon l’article 326 du Code civil « lors de l’accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé ». Reconnaître à la mère biologique de l’enfant un tel droit n’a rien d’évident et entre en contradiction avec le droit de l’enfant d’avoir accès à ses origines personnelles et plus largement avec le droit au respect de la vie familiale, notamment le droit du père biologique de connaître et d’élever son enfant. Le Conseil constitutionnel a néanmoins confirmé la conformité de ce texte à la Constitution. Il considère en effet « qu’en garantissant ainsi un droit à l’anonymat et la gratuité de la prise en charge lors de l’accouchement dans un établissement sanitaire le législateur a entendu éviter le déroulement de grossesses et d’accouchements dans des conditions susceptibles de mettre en danger la santé tant de la mère que de l’enfant et prévenir les infanticides ou des abandons d’enfants ; qu’il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé » (2).
En d’autres termes, le droit de l’enfant d’être protégé et en bonne santé l’emporte sur le droit à la vie privée et familiale et le droit d’accéder à ses origines personnelles.
Au niveau européen, la Cour européenne des droits de l’homme a également considéré cette disposition conforme à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui protège le droit à la vie privée et familiale (3). Le juge européen estime en effet que « la législation française tente ainsi d’atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisante entre les intérêts en cause ». Cette jurisprudence pourrait néanmoins évoluer dans les années à venir et obliger la France à modifier progressivement sa législation, en étendant les possibilités pour l’enfant d’accéder à toute ou partie de ses origines personnelles.
Pour bénéficier du statut de pupille de l’État, l’enfant doit être recueilli par le service de l’aide sociale à l’enfance depuis plus de deux mois. Ce délai est en effet celui pendant lequel la mère de l’enfant peut se rétracter et demander à récupérer l’enfant né sous X.
La loi du 14 mars 2016 cherche à garantir le suivi de l’enfant lorsque celui-ci est restitué à sa mère dans le délai de deux mois. Elle crée ainsi un nouvel alinéa à l’article L. 223-7 au sein du Code de l’action sociale et des familles. Selon ce texte, « lorsqu’un enfant né sous le secret est restitué à l’un de ses parents, le président du conseil départemental propose un accompagnement médical, psychologique, éducatif et social du parent et de l’enfant pendant les trois années suivant cette restitution, afin de garantir l’établissement des relations nécessaires au développement physique et psychologique de l’enfant ainsi que sa stabilité affective ».
Le président du conseil départemental ne peut contraindre le ou les parents à accepter cet accompagnement, et ils peuvent le refuser. Néanmoins, cette aide doit être systématiquement proposée à la famille. Cette disposition s’explique entre autres par certains faits divers récents, comme celui de « l’affaire Marina ». Cette enfant, morte sous les coups de ses parents à l’âge de 8 ans, avait en effet fait l’objet d’un accouchement dans le secret et avait été recueillie par le service de l’aide sociale à l’enfance avant d’être restituée à sa mère dans le délai de deux mois prévu par la loi, sans aucun suivi complémentaire (4).
B. Les enfants dont la filiation est établie et connue
Les enfants dont la filiation est établie et connue peuvent bénéficier du statut de pupille de l’État dans deux hypothèses (CASF, art. L. 224-4, 2° et 3°) :
- lorsqu’ils ont expressément été remis au service de l’aide sociale à l’enfance en vue de leur admission comme pupilles de l’État par les personnes qui ont qualité pour consentir à leur adoption, depuis plus de deux mois ;
- lorsqu’ils ont expressément été remis au service de l’aide sociale à l’enfance depuis plus de six mois par leur père ou leur mère en vue de leur admission comme pupilles de l’État et dont l’autre parent n’a pas fait connaître au service, pendant ce délai, son intention d’en assumer la charge ; avant l’expiration de ce délai de six mois, le service s’emploie à connaître les intentions de l’autre parent.
Le législateur distingue ainsi la situation des enfants remis par les titulaires de l’autorité parentale depuis plus de deux mois, des enfants pour lesquels un des parents ne s’est pas prononcé sur la possibilité d’assumer la charge de l’enfant. Dans cette seconde hypothèse, le délai passe de deux à six mois avec l’obligation pour le service de rechercher l’intention de l’autre parent.
C. Les enfants orphelins de père et de mère, sans entourage proche
Selon l’article L. 224-4, 4° du Code de l’action sociale et des familles, bénéficient du statut de pupille de l’État « les enfants orphelins de père et de mère pour lesquels la tutelle (de droit commun) n’est pas organisée [...[ et qui ont été recueillis par le service de l’aide sociale à l’enfance depuis plus de deux mois ».
En effet, lorsqu’un enfant est orphelin de père et de mère, le droit prévoit la mise en place d’une mesure de tutelle. Il s’agit d’une mesure de protection qui permet à un tiers d’assurer la représentation juridique de l’enfant. Selon l’article 390 du Code civil, « la tutelle s’ouvre lorsque le père et la mère sont tous deux décédés ou se trouvent privés de l’exercice de l’autorité parentale ».
Ainsi, la tutelle concerne les enfants orphelins de père et mère mais peut aussi concerner des enfants dont les parents sont vivants mais dans l’incapacité d’exercer l’autorité parentale. En principe, lorsqu’un enfant devient orphelin, le droit commun s’applique et une tutelle est mise en place par la nomination d’un tuteur qui n’est autre qu’une personne proche de l’enfant (C. civ., art. 398 et s.).
Dans certaines situations, aucun proche de l’enfant ne souhaite assumer cette charge. Deux solutions sont alors prévues par le droit. Lorsque la tutelle reste vacante pendant plus de deux mois, le service de l’aide sociale à l’enfance qui a recueilli l’enfant organise son admission en qualité de pupille de l’État. Il existe cependant une autre hypothèse. Le juge des tutelles peut constater la vacance de la tutelle et désigner le service départemental de l’aide sociale à l’enfance comme tuteur, auquel cas, l’enfant n’acquiert pas le statut de pupille de l’État.
En effet, selon l’article 411 du Code civil, « si la tutelle reste vacante, le juge des tutelles la défère à la collectivité publique compétente en matière d’aide sociale à l’enfance. En ce cas, la tutelle ne comporte ni conseil de famille ni subrogé tuteur ». Cette disposition est par exemple régulièrement mobilisée pour les mineurs isolés étrangers. Il existe ainsi en la matière des dispositions concurrentes qui conduisent à des pratiques très hétérogènes en fonction des départements.
(1)
ONPE, « La situation des pupilles de l’État. Enquête au 31 décembre 2016 », La Documentation française, juin 2018, p. 13.
(2)
Décision n° 2012-248 QPC du 16 mai 2012, cons. 6, JO du 17-05-12.
(3)
CEDH, 13 février 2003, affaire Odièvre c/France, requête n° 42326/98, consultable sur www.ieb-eib.org
(4)
Pour en savoir plus : voir le compte rendu de la mission confiée par le Défenseur des droits et son adjointe, la Défenseure des enfants, à M. Alain Grevot, Délégué thématique, sur « l’histoire Marine », juin 2014, consultable sur www.defenseurdesdroits.fr