[Code de l’action sociale et des familles, articles L.223-1-1 et suivants[
La loi du 14 mars 2016 et son décret d’application du 28 septembre 2016 (1) précisent le contenu du projet pour l’enfant qui existe depuis 2007. Un projet est donc mis en place pour chaque enfant, quelle que soit la singularité de sa situation. La loi du 14 mars 2016 cherche en effet à tenir compte de la diversité des situations connues par les services de l’aide sociale à l’enfance et à adapter le PPE en conséquence. Ainsi, un projet personnalisé doit être établi pour chaque enfant, que ce dernier soit pris en charge au titre d’une mesure administrative, d’une mesure judiciaire, mais aussi lorsqu’il est pupille de l’État. Selon l’article L. 225-1 du Code de l’action sociale et des familles, les enfants admis en qualité de pupille de l’État doivent faire l’objet, dans les meilleurs délais, d’un projet de vie, défini par le tuteur avec l’accord du conseil de famille, qui s’articule avec le projet pour l’enfant. Ainsi, bien que l’enfant n’ait plus de filiation établie, il doit pouvoir bénéficier d’un projet personnalisé tout au long de sa prise en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance.
Le PPE conduit à une contractualisation des relations entre le service de l’aide sociale à l’enfance et la famille. Il pose ainsi des questions juridiques nouvelles liées au sens et au contenu de ce document. En effet, ce projet reste un document administratif qui n’est pas un contrat, en raison d’une part, de l’absence de consentement entièrement libre des titulaires de l’autorité parentale à la mesure, d’autre part, de l’inégalité des parties et de la nature des engagements qui en découlent (2). Le renforcement du PPE opéré par la loi du 14 mars 2016, fait même dire à certains auteurs que celui-ci participe à un mouvement de « procéduralisation des formes d’interventions » qui vise à prendre en compte à la fois la complexification des situations familiales et « la requête renforcée de la promotion et de la protection des droits individuels, de l’enfant prioritairement, mais aussi des adultes qui l’entourent dont ceux des titulaires de l’autorité parentale » (3).
Le PPE est aujourd’hui obligatoirement établi pour chaque mineur suivi au titre de l’aide sociale à l’enfance. Il convient donc de distinguer le contenu du projet pour l’enfant, ses modalités de mises en œuvre, et enfin les règles de communication de ce document.
A. Le contenu du PPE
[Code de l’action sociale et des familles, articles L. 223-1-1, D. 223-12 et D. 223-14[
Le projet pour l’enfant se fonde sur la mesure administrative ou judiciaire en déclinant les objectifs posés par le contrat d’admission à l’aide sociale à l’enfance ou par la décision du juge des enfants.
« Dans une approche pluridisciplinaire, ce document détermine la nature et les objectifs des interventions menées en direction du mineur, de ses parents et de son environnement, leur délai de mise en œuvre, leur durée, le rôle du ou des parents et, le cas échéant, des tiers intervenant auprès du mineur » (CASF, art. L. 223-1-1). Le projet pour l’enfant s’appuie ainsi sur une évaluation complète de la situation de l’enfant et de ses besoins pour décliner ensuite les objectifs poursuivis, les moyens mobilisés et la temporalité de l’action menée. Il s’agit de s’appuyer non seulement sur les moyens mis à disposition par le service départemental de l’aide sociale à l’enfance, mais aussi des ressources mobilisables dans l’environnement de l’enfant.
Formellement, le décret d’application du 28 septembre 2016 définit une trame pour le projet pour l’enfant. Ce document contient d’une part, des informations relatives à l’identité de l’enfant, des parents, et de la fratrie ; d’autre part, des informations sur le lieu de vie de l’enfant, le service qui le suit ou encore l’identité du référent désigné au sein des services de l’aide sociale à l’enfance. Le projet pour l’enfant décrit ensuite les actions à mener auprès de l’enfant, des titulaires de l’autorité parentale et de l’environnement. Le décret rappelle que le contenu de ce document repose sur une évaluation actualisée de la situation de l’enfant (en privilégiant trois dimensions, à savoir : le développement, la santé physique et psychique de l’enfant, les relations avec sa famille et les tiers et enfin sa scolarité et sa vie sociale). Enfin, le texte prévoit que « l’élaboration du projet pour l’enfant comprend une évaluation médicale et psychologique du mineur afin de détecter les besoins de soins qui doivent être intégrés au document ». Ce dernier impératif, aussi pertinent soit-il, est plus difficile à mettre en œuvre car il nécessite d’avoir recours à des professionnels qualifiés qui soient en mesure d’apprécier la santé physique, psychique et psychologique de l’enfant. Or, les services départementaux n’ont pas toujours ces ressources en interne et le secteur sanitaire qui pourrait être compétent dans ce cadre est souvent difficilement mobilisable et parfois même sous-doté pour assurer l’évaluation et/ou le suivi des enfants de l’aide sociale à l’enfance qui en auraient besoin (cf. chapitre 4, partie sur le droit à la santé des enfants confiés).
Le projet pour l’enfant se présente ainsi comme un outil dynamique au service de l’accompagnement mis en œuvre au titre de la protection de l’enfance. Il doit, à ce titre, garantir le respect des droits de l’enfant et de ses parents tout au long de la mesure. Ainsi, selon l’article L. 223-1-1 du Code de l’action sociale et des familles, l’enfant est associé à l’établissement du projet pour l’enfant, selon des modalités adaptées à son âge et à sa maturité. Autrement dit, il doit être consulté et s’exprimer sur les actions proposées à son égard.
Le même article prévoit par ailleurs que « le projet pour l’enfant prend en compte les relations personnelles entre les frères et sœurs, lorsqu’elles existent, afin d’éviter les séparations, sauf si cela n’est pas possible ou si l’intérêt de l’enfant commande une autre solution ». Cette formulation particulièrement ambiguë met en exergue la difficulté du dispositif actuel à faire respecter le principe d’un maintien des liens entre frère(s) et sœur(s). Le texte intègre cette contrainte de fonctionnement en permettant une séparation des fratries dans l’intérêt de l’enfant, mais aussi chaque fois qu’il n’est pas possible de maintenir un accueil commun de la fratrie. Or, dans certaines situations, des contraintes administratives peuvent mettre à mal un tel accueil. Il en est ainsi lorsque le service ne trouve pas suffisamment de places disponibles au sein d’un même lieu d’accueil pour accueillir la fratrie dans son ensemble, ou encore lorsque l’organisation de l’accueil par tranche d’âge rend difficile voire impossible le maintien des fratries au sein de la même unité de vie. Certaines contraintes sont également liées à certaines configurations familiales complexes avec des placements successifs des enfants ou encore des fratries élargies ou particulièrement nombreuses avec en plus des frère(s) et sœur(s) des demi-frère(s) et sœur(s).
B. Les conditions d’élaboration du PPE
La loi du 14 mars 2016 précise les modalités d’élaboration du projet pour l’enfant. Aux termes de l’article L. 223-1-1 du Code de l’action sociale et des familles, « le président du conseil départemental est le garant du projet pour l’enfant, qu’il établit en concertation avec les titulaires de l’autorité parentale et, le cas échéant, avec la personne désignée en tant que tiers digne de confiance ainsi qu’avec toute personne physique ou morale qui s’implique auprès du mineur ». Ce nouvel alinéa modifie en profondeur la formulation retenue en 2007 selon laquelle « les services départementaux et les titulaires de l’autorité parentale établissent un document intitulé “projet pour l’enfant” » (CASF, ancien art. L. 233-1). La distinction entre ces deux formules met en évidence le changement de paradigme opéré par la loi du 14 mars 2016 qui a pour premier objectif la protection de l’enfant. Le nouveau texte renonce à mettre sur un pied d’égalité les services départementaux et les titulaires de l’autorité parentale et affirme que le président du conseil départemental est le garant du projet pour l’enfant. Par ailleurs, dans la nouvelle version du texte, le projet pour l’enfant n’est plus établi conjointement avec les titulaires de l’autorité parentale et cosigné entre les parents, le président du conseil départemental et les représentants de chacun des organismes chargés de mettre en œuvre les interventions comme le prévoyait la loi du 5 mars 2007.
Le législateur de 2016 demande à ce que le projet pour l’enfant soit établi « en concertation » avec les titulaires de l’autorité parentale. Selon le décret d’application du 28 septembre 2016, « il est proposé aux titulaires de l’autorité parentale ainsi qu’à l’enfant en âge de discernement de signer le projet pour l’enfant » (CASF, art. D. 223-16, al. 2). La signature des parents et de l’enfant n’est ainsi plus présentée comme une condition de validité du PPE. Le président du conseil départemental serait ainsi tenu non plus à une obligation de résultat comme en 2007, mais plutôt à une obligation de moyen : celle d’avoir recherché la participation des parents à l’élaboration du projet pour l’enfant.
La signature du projet par l’enfant révèle elle aussi des enjeux complexes. Se pose d’abord la question de savoir quelle est la valeur juridique de cette signature, l’enfant étant soumis au principe de l’incapacité juridique. De manière corrélée, on peut s’interroger sur les conséquences d’un refus de signature par l’enfant. Si, sur le plan de la prise en charge éducative, une telle position ne peut être niée et doit être réfléchie, sur le plan juridique ce refus doit-il être considéré comme une impossibilité à mettre en œuvre la mesure proposée dans un cadre administratif, nécessitant alors une saisine du juge des enfants ? Ou doit-on considérer que l’accord de ses responsables légaux suffit ? La loi comme le décret restent silencieux sur ces questions. La signature de l’enfant apparaît ainsi comme un simple outil pour formaliser sa participation, sans pour autant que les enjeux juridiques imputables à cette signature soient véritablement mesurés et traités par le droit.
Le décret d’application du 28 septembre 2016 déclare par ailleurs que ce projet est établi pour toute prestation d’aide sociale à l’enfance (hors aides financières) ou pour toute mesure de protection judiciaire, dans un délai de trois mois à compter du début de la prestation ou de la mesure (CASF, art. D. 223-12). Très vite, la question qui se pose est alors celle de l’articulation du PPE avec les autres documents relatifs à la prise en charge. Sur ce point, le législateur est particulièrement discret. L’article L. 223-1-1 du Code de l’action sociale et des familles déclare seulement que « les autres documents relatifs à la prise en charge de l’enfant, notamment le document individuel de prise en charge et le contrat d’accueil dans un établissement, s’articulent avec le projet pour l’enfant ». Ce principe est important à rappeler pour éviter que les documents sur lesquels repose l’accompagnement d’un même enfant aient un contenu contradictoire. La loi ne dit rien, en revanche, sur les modalités de cette articulation et ne permet pas en l’état de définir une hiérarchie entre ces différents documents. En pratique, et au regard du contenu respectif de chaque document, on peut penser que le PPE doit constituer le document de référence dont découlent les documents institués par la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale au titre des droits des usagers, néanmoins la loi ne le dit pas explicitement. En outre, le législateur passe entièrement sous silence la question de l’articulation du projet pour l’enfant avec le contrat d’accueil familial.
Enfin, le décret d’application rappelle la place spécifique occupée à la fois par les services de milieu ouvert et par les établissements qui accueillent les enfants dans le cadre d’un placement direct ordonné par le juge des enfants. En effet, dans ces différentes hypothèses, le service de l’aide sociale à l’enfance n’est pas partie à la procédure d’assistance éducative. À ce titre, l’article D. 223-16 du Code de l’action sociale et des familles prévoit que « le cadre du service ou de l’établissement à qui le juge a confié la mesure vise le projet pour l’enfant et le transmet au président du conseil départemental pour signature ». Le texte semble ainsi considérer que le projet pour l’enfant est réalisé à l’initiative du cadre du service ou de l’établissement a qui le juge a confié la mesure, mais ensuite signé par le président du Conseil départemental, garant du projet pour l’enfant et plus largement de la qualité de l’accompagnement proposé à l’enfant. Cette distinction entre le visa du cadre et la signature du président du conseil départemental n’a rien d’évident et ne sera pas aisée à organiser en pratique. Elle renvoie par ailleurs à une difficulté structurelle puisque dans ces hypothèses, le département finance et contrôle la mise en œuvre des mesures prononcées par le juge des enfants sans pour autant être partie à la procédure d’assistance éducative ouverte pour protéger l’enfant.
C. Les règles de communication du PPE
La loi du 14 mars 2016 encadre pour la première fois les règles de communication du projet pour l’enfant. Selon l’article L. 223-1-1 du Code de l’action sociale et des familles, « le projet pour l’enfant est remis au mineur et à ses représentants légaux et est communicable à chacune des personnes physiques ou morales qu’il identifie selon les conditions prévues au livre III du Code des relations entre le public et l’administration ». Ce renvoi aux règles de droit commun n’est pas sans laisser certaines incertitudes sur le cadre juridique applicable comme le montrent les développements propres à cette question (cf. chapitre 2, section 4 : accès au dossier ASE).
Ce texte permet néanmoins de mettre en évidence l’importance et l’intérêt de penser la question de la transmission du projet pour l’enfant aux personnes concernées afin de s’assurer de la mise en œuvre partagée des objectifs et des actions qu’il contient. Le projet pour l’enfant est ainsi présenté comme un document partagé entre l’enfant, ses parents et les différents acteurs de la prise en charge.
La remise du document à l’enfant appelle une vigilance particulière des professionnels pour lui permettre de bien comprendre de quoi il s’agit et l’accompagner dans la lecture des informations qu’il contient, en tenant compte de son âge et de son degré de maturité. Le texte prévoit par ailleurs que le projet pour l’enfant est transmis au juge lorsque celui-ci est saisi.
(1)
Décret n° 2016-1283 du 28 septembre 2016, JO du 30-09-16.
(2)
Capelier F., « Enjeux et particularités de la contractualisation en protection de l’enfance : l’exemple du projet pour l’enfant », Sociétés et jeunesses en difficulté n° 13, printemps 2012, http://sejed.revues.org/7396
(3)
Lafore R., « L’enfant confié à l’aide sociale à l’enfance - Le renforcement du rôle de l’ASE - Le projet pour l’enfant (PPE) », Journal du droit des jeunes 2017/8-9-10, n° 368-369-370, pp. 20 à 25.