Le droit administratif impose que l’ensemble des décisions prises par l’administration soient notifiées par écrit aux intéressés. Par ailleurs, ces décisions doivent mentionner les délais et les modalités de leur mise en œuvre, ainsi que les voies de recours. Doivent également y figurer la signature de l’auteur du document, son prénom, son nom et sa qualité. Les documents produits au titre de la protection de l’enfance doivent donc respecter ce cadre légal.
Il existe un droit d’accès aux documents administratifs, qui n’est pas spécifique à la protection de l’enfance mais qui s’applique à ce champ d’activité. Ainsi, la loi encadre les règles d’accès et de communication à ces documents.
A. Qu’est-ce qu’un document administratif ?
Selon l’article L. 300-2 du Code des relations entre le public et l’administration, « sont considérés comme documents administratifs [...[, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions ».
Appliqué à la protection de l’enfance, cet article signifie que sont considérés comme des documents administratifs l’ensemble des documents détenus par le service départemental de l’aide sociale à l’enfance à la fois les documents produits par le service (arrêté de prise en charge, rapport d’évaluation sur les situations individuelles, procès-verbal de remise au service de l’aide sociale à l’enfance en ce qui concerne les pupilles de l’État, etc.), et les documents reçus par lui et produits par des partenaires (rapports envoyés par un établissement ou service à l’attention du président du conseil départemental au sujet d’un mineur accueilli, notes d’incidents, rapports d’un technicien de l’intervention sociale et familiale, frais de séjour, de formation, etc.).
La date, le lieu de conservation ou encore la forme et le support de ces documents n’ont pas d’incidence sur la qualité de document administratif. Il peut ainsi s’agir de documents conservés au siège du conseil départemental ou au contraire au sein des unités territoriales, ou encore par une association habilitée gérant une mission de service public.
L’ensemble des documents administratifs est donc défini de manière particulièrement large par le législateur. Or, s’il existe un principe général de droit d’accès aux documents administratifs, celui-ci n’est pas absolu ; dans le champ de la protection de l’enfance, un certain nombre de documents ne sont pas communicables ou le sont seulement partiellement (cf. partie D de cette section).
B. Qui y a accès ?
Selon l’article L. 311-1 du Code des relations entre le public et l’administration, les autorités administratives, et notamment les collectivités territoriales, « sont tenues [...[ de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande ». Autrement dit, l’usager dispose d’un droit de communication des documents détenus par les collectivités territoriales (et donc a fortiori par le service départemental de l’aide sociale à l’enfance). Ce droit s’applique à toute personne qui en fait la demande sans condition d’âge ou de qualité.
En ce qui concerne le mineur, il est considéré par le droit comme incapable juridique. Il est donc en principe représenté dans l’exercice de ses droits par ses responsables légaux. Dans le champ de la protection de l’enfance, l’application de ces règles générales n’est pas toujours évidente, notamment lorsqu’il existe des conflits d’intérêts entre l’enfant et ses parents. La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) a dans un premier temps rappelé le principe selon lequel les mineurs ne peuvent exercer leur droit d’accès aux documents figurant dans le dossier de l’aide sociale à l’enfance que par l’intermédiaire de leurs parents, ou de leur représentant légal investi de l’autorité parentale (1).
La commission a dans un second temps restreint l’accès des titulaires de l’autorité parentale au dossier de l’enfant pendant sa minorité. La CADA conditionne en effet l’exercice de ce droit à l’intérêt supérieur de l’enfant. Ainsi, elle considère que les documents qui concernent directement un enfant mineur ne sont pas communicables à une autre personne, même si celle-ci en assure la représentation légale, lorsque s’y oppose l’intérêt supérieur de l’enfant, protégé par l’article 3 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant (2). Selon la Commission, « c’est au vu des circonstances propres à chaque situation qu’il convient d’apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant ». Ainsi, dans un avis de 2017, la CADA considère que cet intérêt « s’oppose le plus souvent à la communication à ses parents des documents faisant apparaître qu’il les met gravement en cause » (3).
Enfin, un avocat, ou toute personne munie d’un mandat exprès, peut avoir accès au dossier de l’enfant, lorsque ce dernier ou le parent donne son accord.
C. Comment s’organise l’accès aux documents administratifs ?
Selon l’article L. 311-9 du Code des relations entre le public et l’administration, « l’accès aux documents administratifs s’exerce, au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l’administration par consultation gratuite sur place [...[, par la délivrance d’une copie [...[, par courrier électronique ». En d’autres termes, l’usager a le choix sur les modalités de communication des documents. La loi prévoit seulement qu’« à l’occasion de la délivrance du document, des frais correspondant au coût de reproduction et, le cas échéant, d’envoi de celui-ci peuvent être mis à la charge du demandeur » (CRPA, art. R. 311-11).
Dans le champ de la protection de l’enfance, l’envoi au demandeur d’une copie de son dossier est un acte délicat. Certains professionnels soulignent en effet le caractère éminemment personnel des informations contenues par le dossier de l’aide sociale à l’enfance, ainsi que la technicité des pièces qu’il comporte. Les éléments sur l’histoire de l’enfant sont en effet mêlés à des éléments administratifs liés à son parcours au sein des services (arrêté de prise en charge, PUMA [ancienne CMU[, assurance, etc.). Ce mélange rend la lecture et la compréhension du dossier de l’aide sociale à l’enfance parfois difficile. Certains départements ont ainsi développé des services dédiés afin d’accompagner la consultation et à la communication du dossier de l’aide sociale à l’enfance dans le cadre d’un rendez-vous. Il est important de souligner que si ce rendez-vous peut être recommandé, il ne peut en aucun cas être imposé au demandeur. L’administré peut en effet toujours exiger qu’une copie des documents lui soit délivrée par courrier ou, sous certaines conditions, par voie électronique.
Si l’administré n’est pas d’accord avec la décision prise par l’administration, comme la décision de restreindre ou d’interdire l’accès au dossier de l’aide sociale à l’enfance, des recours sont possibles. Dans un premier temps, l’administré peut former un recours gracieux devant l’administration pour que sa situation soit revue. Il doit ensuite saisir pour avis la CADA dans les deux mois après la notification (ou la décision implicite) du rejet de la demande par l’administration. Cette saisine constitue en effet un préalable obligatoire au recours contentieux (CRPA, art. R. 343-1) qui pourra ensuite avoir lieu devant les juridictions administratives.
D. Quels sont les documents communicables ?
Selon l’article L. 311-2 du Code des relations entre le public et l’administration, « le droit à communication ne s’applique qu’à des documents achevés. Il ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu’elle est en cours d’élaboration ».
Par conséquent, le service de l’aide sociale à l’enfance peut refuser de communiquer des documents préparatoires à une décision. Le Conseil d’État rappelle à cette occasion par une jurisprudence constante que « le droit à la communication des documents administratifs non nominatifs [...[ ne s’applique qu’à des documents achevés, et non aux états partiels ou provisoires d’un document tant qu’il est en cours d’élaboration » (4). Les premières versions d’un document non finalisé ne sont donc pas communicables. Par ailleurs, les mails envoyés entre différents professionnels ou encore leurs notes personnelles ne peuvent être considérés comme des documents achevés et ne sont pas non plus accessibles à l’usager. En pratique, il est impératif de conserver les documents administratifs versés au dossier de l’aide sociale à l’enfance vierges de tout commentaire manuscrit afin d’être en mesure de présenter à l’usager les documents qui le concernent sans aucune annotation supplémentaire.
Le droit d’accès aux documents administratifs connaît ensuite des exceptions. Elles visent, principalement dans le champ de la protection de l’enfance, à protéger le droit à la vie privée des tiers, et le bon déroulement des procédures judiciaires.
En ce qui concerne le droit à la vie privée des tiers, l’article L. 311-6 du Code des relations entre le public et l’administration dispose que certains documents administratifs « ne sont communicables qu’à l’intéressé ». Cette exception concerne la plupart des documents versés au dossier de l’aide sociale à l’enfance. Sont concernés :
- les documents administratifs dont la communication porterait atteinte notamment à la protection de la vie privée et au secret médical ;
- les documents portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ;
- ou encore les documents faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice.
Avant toute consultation du dossier par l’enfant ou/et ses parents, le service de l’aide sociale à l’enfance est donc tenu d’ôter l’ensemble des informations qui concerneraient une personne tierce ou/et qui rempliraient une des trois conditions précédemment citées. Le service de l’aide sociale à l’enfance peut ainsi refuser de communiquer à une personne des informations relatives à un tiers (par exemple, l’un ou l’autre parent, que ceux-ci soient ou non séparés, ou un membre de la fratrie).
Lorsque la demande de communication porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables (en raison des hypothèses précitées), mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre les informations qui ne concernent pas directement l’intéressé, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions (CRPA, art. L. 311-7). Il en est ainsi lorsqu’une personne demande l’accès aux documents qui le concernent et que, dans un des rapports, des développements se rapportent aux comportements ou à la vie privée de son frère, ou encore d’une demi-sœur. Dans ce cadre, les paragraphes qui concernent les autres membres de la fratrie doivent être retirés afin de protéger le droit à la vie privée de ces derniers.
L’application de ces exceptions dans le champ de la protection de l’enfance est très fréquente dans le champ de la protection de l’enfance, d’autant plus que dans de nombreuses situations les documents produits concernent souvent l’ensemble des membres d’une même famille.
Le respect du droit d’accès aux documents administratifs qui est un droit fondamental de l’individu nécessite une évolution des pratiques professionnelles et la mise en place d’un dossier individuel pour chaque enfant accueilli au titre de l’aide sociale à l’enfance. L’existence d’un tel dossier facilite en effet l’accès aux documents administratifs par les seules personnes intéressées puisque chaque dossier concerne un seul individu.
Une autre exception est liée à la nécessité de préserver le bon déroulement des procédures judiciaires. L’article L. 311-5, 2° du Code des relations entre le public et l’administration prévoit à ce titre que les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte « au déroulement des procédures engagées devant les juridictions » ne sont pas communicables (y compris à l’intéressé) par l’administration.
La consultation ou la communication de ces documents relève alors de la compétence de l’autorité judiciaire. La Commission d’accès aux documents administratifs rappelle ainsi que les documents élaborés par l’administration et détenus par les juridictions perdent leur caractère administratif et ne sont communicables que sous le contrôle du juge lorsque :
- ils sont liés à une procédure en cours ;
- ils sont élaborés à la demande du juge ;
- ils déclenchent une procédure (5).
Pour donner des exemples concrets, il en est ainsi des rapports, notes d’incident et tout autre document envoyés par le service départemental de l’aide sociale à l’enfance, dans le cadre de la procédure d’assistance éducative ouverte devant le juge des enfants ; des réponses du service départemental de l’aide sociale à l’enfance aux demandes d’éléments complémentaires du juge des enfants ; ou encore de l’information préoccupante et du rapport d’évaluation transmis au procureur de la République en vue de saisir le juge des enfants.
Autrement dit, une fois une procédure judiciaire ouverte, en matière civile ou pénale, les documents antérieurement qualifiés d’« administratifs » deviendront des documents judiciaires soumis à des conditions d’accès spécifiques et décrites dans les développements suivants.
(1)
CADA, Conseil 20001932, séance du 6 juillet 2000, http://cada.data.gouv.fr/20001932/
(2)
CADA, avis 20152463 du 10 septembre 2015, Conseil départemental d’Indre-et-Loire ; confirmé par l’avis 20163144 du 8 septembre 2016, Conseil départemental des Bouches-du-Rhône.
(3)
Avis 20165301 du 12 janvier 2017, Conseil départemental d’Indre-et-Loire.
(4)
Conseil d’État, section, du 11 février 1983, n° 35565, consultable sur www.legifrance.gouv.fr
(5)
Sur ce sujet : fiche pratique réalisée par la CADA sur le lien suivant https://www.cada.fr/administration/aide-sociale-lenfance-ase