Pour être pertinente, l’évaluation de la situation doit être globale, c’est-à-dire prendre en compte les besoins de l’enfant dans leur ensemble qu’ils soient de nature affective, psychologique, sociale, médicale ou encore éducative. La loi du 14 mars 2016 et le décret d’application n° 2016-1476 du 28 octobre 2016 relatif à l’évaluation de la situation de mineurs à partir d’une information préoccupante, réalisée par une équipe pluridisciplinaire de professionnels (1) précisent les objectifs et les modalités de cette évaluation, son contenu et son périmètre.
A. Les objectifs de l’évaluation
L’évaluation doit permettre :
- d’apprécier le danger ou le risque de danger encouru par l’enfant, grâce à une évaluation « des besoins et des droits fondamentaux, de l’état de santé, des conditions d’éducation, du développement, du bien-être et des signes de souffrance éventuels du mineur » (CASF, art. D. 226-2-3). Il s’agit ainsi de considérer la situation de l’enfant dans sa globalité ;
- de proposer des réponses individualisées, considérées comme « les mieux adaptées, en prenant en compte et en mettant en évidence notamment la capacité des titulaires de l’autorité parentale à se mobiliser pour la protection du mineur, leurs ressources et celles des personnes de leur environnement » (CASF, art. D. 226-2-3). La formulation retenue par le texte, à savoir « les réponses de protection les mieux adaptées », incite les services à trouver des solutions qui soient proportionnées au but poursuivi, à savoir la protection de l’enfant. Une telle formulation marque la recherche d’un équilibre entre les droits de l’enfant, les droits des titulaires de l’autorité parentale et le nécessaire respect de la vie privée et familiale. L’atteinte portée à ce droit doit ainsi être aussi limitée que possible, la séparation de l’enfant et de ses parents n’intervenant qu’en dernier recours. À ce titre, l’évaluation de la capacité des titulaires de l’autorité parentale à réagir et protéger leur enfant, mais aussi des ressources mobilisables dans l’environnement de l’enfant, est essentielle.
B. Les modalités de l’évaluation
Code de l’action sociale et des familles, articles L. 226-3, D. 226-2-4 et D. 226-2-5[
Le décret d’application du 28 octobre 2016 précité encadre les modalités de l’évaluation. Il prévoit d’abord que l’évaluation de la situation d’un mineur à partir d’une information préoccupante est réalisée par une équipe pluridisciplinaire de professionnels identifiés et formés à cet effet. Le fait d’avoir recours à une équipe spécialement formée pour cette évaluation pose la question du service en charge de cette mission. Aujourd’hui, les organisations sont très variées au sein des départements. Selon les cas, ce sont les professionnels de la protection de l’enfance, les mêmes qui assurent ensuite le suivi des enfants protégés, qui consacrent une partie de leur temps à la réalisation d’évaluations. Dans d’autres hypothèses, plus rares cette fois, ce sont les services sociaux de polyvalence, de protection maternelle et infantile, ou encore les assistantes sociales scolaires qui sont chargés des évaluations sous le pilotage de la cellule de recueil des informations préoccupantes. Enfin, certains départements ont choisi de créer des équipes dédiées à la question de l’évaluation des informations préoccupantes. La loi du 14 mars 2016 est sur ce point plus nuancée et évoque seulement l’existence d’une équipe de professionnels « identifiés ». Il manque aujourd’hui une analyse des différentes organisations existantes pour avoir un bilan des avantages et des inconvénients de chaque modèle.
La réforme du 14 mars 2016 encourage une spécialisation des professionnels en charge de l’évaluation avec l’idée qu’il s’agit d’une mission particulièrement délicate, mais aussi technique, qui nécessite un véritable savoir-faire et une expérience auprès des familles, notamment pour déceler les situations de maltraitance. L’article D. 226-2-5 du Code de l’action sociale et des familles impose désormais les professionnels chargés de l’évaluation soient, « sauf exception, différents de ceux chargés du suivi de la mesure ». Ils doivent disposer d’une formation et de connaissances spécifiques portant sur le développement et les besoins fondamentaux de l’enfant en fonction de son âge, la fonction parentale et les situations familiales.
En outre, selon l’article D. 226-2-4 du Code de l’action sociale et des familles, « l’évaluation est réalisée sous l’autorité du président du conseil départemental dans un délai de trois mois à compter de la réception de l’information préoccupante ». Le délai est réduit en fonction de la nature du danger et de l’âge du mineur, notamment s’il a moins de 2 ans. Néanmoins, aucun délai n’est précisé dans cette seconde hypothèse, il reviendra donc au président du conseil départemental, et plus particulièrement, à la cellule de recueil des informations préoccupantes, d’apprécier le délai nécessaire pour évaluer la situation tout en évitant que celle-ci ne se prolonge si l’enfant est très jeune et/ou encourt un danger grave et imminent. Cette exigence nouvelle nécessite une forte réactivité des services et s’accompagne d’un renforcement des dispositions réglementaires sur le contenu même de l’évaluation.
C. Le contenu de l’évaluation
[Code de l’action sociale et des familles, articles L. 223-1, D. 226-2-6 et D. 226-2-7[
Selon l’article L. 223-1, alinéa 4 du Code de l’action sociale et des familles, l’attribution d’une ou de plusieurs prestations au titre de l’aide sociale à l’enfance « est précédée d’une évaluation de la situation prenant en compte l’état du mineur, la situation de la famille et les aides auxquelles elle peut faire appel dans son environnement ». L’évaluation est ainsi présentée comme un préalable à toute intervention au titre de la protection de l’enfance. Elle doit s’appuyer sur l’état du mineur, mais aussi sur les ressources existantes au sein de son environnement.
Cette formulation conduit à présenter les aides susceptibles d’être proposées au titre de la protection de l’enfance comme des actions subsidiaires, qui doivent s’inscrire en complémentarité des ressources familiales sur lesquelles l’enfant peut s’appuyer. Ce principe fait écho à l’article 3-2 de la Convention internationale des droits de l’enfant, selon lequel « les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui ». En d’autres termes, les services de l’aide sociale à l’enfance doivent soutenir les parents avant d’envisager des mesures plus attentatoires au droit à la vie privée et familiale comme une séparation de l’enfant et de ses parents.
La loi du 14 mars 2016 insiste enfin sur la nécessité de recueillir l’avis du mineur, des titulaires de l’autorité parentale, des personnes présentes dans leur environnement, mais aussi l’avis des professionnels qui connaissent le mineur dans son quotidien, dans le cadre de soins ou d’un accompagnement. On peut penser ici à des personnes très variées : l’enseignant, les personnels du club sportif que l’enfant fréquente ou encore les professionnels du corps médical lorsqu’un suivi existe (et notamment l’avis de son médecin généraliste). L’évaluation doit en outre se composer d’au moins une visite à domicile et, en fonction de son âge et de son degré de maturité, d’une rencontre du mineur sans les titulaires de l’autorité parentale (mais avec leur accord). Enfin, cette évaluation donne lieu à un rapport qui permet de disposer d’une vision d’ensemble de la situation et dont le contenu est fixé par décret.
La loi du 14 mars 2016 étend également le périmètre de l’évaluation. L’article L. 226-3, alinéa 3 du Code de l’action sociale et des familles ajoute en effet que l’évaluation doit comprendre celle de l’enfant visé par l’information préoccupante, ainsi que « la situation des autres mineurs présents au domicile ». La formulation retenue est large et vise non seulement les frères et sœurs de l’enfant, mais aussi plus largement les éventuels demi-frères ou demi-sœurs ou encore les enfants qui, tout en vivant au sein du même domicile, peuvent n’entretenir aucun lien de sang avec l’enfant ayant fait l’objet de l’information préoccupante. Il est ainsi procédé à une évaluation globale de l’environnement familial, que les enfants présents au domicile soient ou non issus de la même union. Le droit prend ainsi acte de la diversification des formes familiales actuelles et de la nécessité de ne pas subordonner l’évaluation à une définition juridique trop stricte de la famille qui serait fondée sur un couple et des enfants partageant des liens de sang, alors que de nombreux enfants vivent aujourd’hui dans des familles recomposées.
Ces récentes évolutions législatives et réglementaires conduisent aujourd’hui à une réflexion nationale sur le sujet qui s’intéresse à la déclinaison pratique de ces dispositions pour partie théorique en proposant la mise en place dans l’ensemble des départements français d’un référentiel national partagée sur l’évaluation des situations individuelles. Cette proposition est notamment portée dans les travaux menés par un comité d’experts sur les besoins fondamentaux de l’enfant présidé par Marie-Paule Martin-Blachais (2) ou encore par le Conseil national de protection de l’enfance (3). Un tel cadre de référence vise à proposer à l’ensemble des professionnels, quelle que soit leur institution de rattachement, un socle commun de connaissances permettant l’évaluation du danger encouru par l’enfant, des compétences parentales, des ressources mobilisables dans son environnement mais aussi le repérage fin des situations de maltraitances.
(1)
Décret n° 2016-1476 du 28 octobre 2016, JO du 3-11-16.
(2)
Martin-Blachais, M.-P., « Démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance », ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, la documentation française, février 2017, https://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/174000173/index.shtml
(3)
CNPE, Avis 8-2017, un cadre de référence unique pour l’évaluation : construire une démarche nationale et accompagner son déploiement, 2017, https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/cnpe_avis_reco_communiques_2017.pdf