Toute personne peut transmettre aux services du département une « information préoccupante » concernant un mineur en danger ou risquant de l’être (CASF, art. L. 226-2-1). En 2013, une démarche de consensus initiée au niveau national fait état de l’ambiguïté de cette notion : « alors qu’une information est une donnée objective, le concept « préoccupant » s’inscrit, par nature, dans une perspective subjective. L’expérience a montré que le risque d’interprétations, voire de définitions différentes du caractère préoccupant d’une information était bien une réalité » (1). Selon les experts, « ces dissemblances ne sont pas nécessairement un frein pour l’action et peuvent même, pour peu que les professionnels n’adoptent pas une conception trop restrictive, contribuer à l’enrichissement de l’action ». En revanche, elle complique l’observation de l’ensemble de ces informations à un niveau national et la mise en place d’un système cohérent de remontée des données. Cette situation explique qu’à l’heure actuelle, le nombre d’informations préoccupantes réalisées en France sur une année n’est pas une donnée agrégée et consolidée à un niveau national.
Concrètement, l’information préoccupante se traduit par la transmission au département, par un professionnel ou un particulier, d’éléments d’inquiétude sur la situation d’un enfant. Elle est aujourd’hui définie par l’article R226-2-2 qui déclare que « l’information préoccupante est une information transmise à la cellule départementale mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 226-3 pour alerter le président du conseil départemental sur la situation d’un mineur, bénéficiant ou non d’un accompagnement, pouvant laisser craindre que sa santé, sa sécurité ou sa moralité sont en danger ou en risque de l’être ou que les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ou en risque de l’être ». En pratique, les éléments à la connaissance de l’auteur de l’information préoccupante sont souvent partiels, et le fruit d’une interprétation subjective de la situation. À ce tout premier stade, les éléments communiqués sont donc rarement prouvés. Il est en effet important de rappeler qu’il ne revient pas au particulier ou au professionnel qui adresse l’information de faire la preuve du danger encouru par l’enfant, cette mission étant celle du service départemental de l’aide sociale à l’enfance.
Avec le terme « information préoccupante », la loi du 5 mars 2007, confirmée sur ce point par celle du 14 mars 2016, cherche à différencier « l’information préoccupante » adressée aux services départementaux de l’aide sociale à l’enfance du « signalement » qui correspond à la saisine de l’autorité judiciaire. Ce terme met en évidence l’importance de transmettre au service départemental compétent les inquiétudes qu’une personne peut avoir sur le bien-être ou le développement de l’enfant afin que la situation de l’enfant puisse être évaluée par les services compétents.
Cherchant à prévenir l’autocensure des citoyens, le législateur confie au service départemental de l’aide sociale à l’enfance une mission d’information et de sensibilisation de la population et des personnes concernées par les situations de mineurs en danger ou qui risquent de l’être (CASF, art. L. 226-2). Cette sensibilisation est indispensable pour améliorer le repérage des enfants en danger. Il s’agit d’attirer l’attention de la société civile, mais aussi des professionnels extérieurs à la protection de l’enfance, comme l’ordre des médecins ou encore les enseignants. Ces professionnels peuvent en effet détenir des informations importantes sur des situations familiales complexes, parfois indispensables pour intervenir au plus tôt auprès de la famille via des mesures de protection mais aussi des actions de prévention (aides financières, soutien à la parentalité, etc.). Il est donc aujourd’hui indispensable de mieux communiquer sur le sens et les conséquences des informations préoccupantes afin de faire valoir leur intérêt et de rompre le lien trop souvent fait entre information préoccupante et placement de l’enfant. Il s’agit d’insister sur l’intérêt de communiquer aux services compétents les éléments d’inquiétude sur l’état et le devenir d’un enfant, afin qu’une évaluation de sa situation puisse avoir lieu.
A. La cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP)
[Code de l’action sociale et des familles, articles L. 221-1, L. 226-2, L. 226-3 et L. 226-5[
Le service départemental de l’aide sociale à l’enfance a pour mission d’organiser le recueil, le traitement et l’évaluation des informations préoccupantes (CASF, art. L. 226-3). Il revient donc au département de centraliser l’ensemble des informations préoccupantes émises par les professionnels et par les particuliers, puis de les évaluer.
En pratique, cette mission est assurée au sein des départements par une cellule de recueil et de traitement des informations préoccupantes. Le guide pratique du ministère de la Santé et des Solidarités de 2007, intitulé « La cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation », rappelle qu’« il s’agit de faire converger vers un même lieu toutes les informations préoccupantes concernant des mineurs en danger ou en risque de l’être de manière à éviter la déperdition de ces informations ». Le ministère semble considérer que cette cellule doit être organisée à un niveau central. Force est cependant de constater que la loi reste silencieuse sur le sujet, ce qui conduit à des organisations variées en fonction des territoires, certains départements ayant fait le choix d’une cellule centrale unique, d’autres de cellules déconcentrées gérées à un niveau infra-départemental.
La loi du 14 mars 2016 renforce enfin l’obligation à la charge du président du conseil départemental en ce qui concerne l’information de l’auteur d’une information préoccupante. Selon l’article L. 226-5 du Code de l’action sociale et des familles, les personnes sont avisées des suites données aux informations qu’elles ont transmises. En la matière, la loi fait une distinction selon la qualité de l’auteur de cette information. Aux termes de cet article, un retour sur les suites données à l’information préoccupante est obligatoire lorsqu’il s’agit de personnes « qui ont communiqué des informations dont elles ont eu connaissance à l’occasion de l’exercice de leur activité professionnelle ou d’un mandat électif ».
Le choix du législateur de retenir une périphrase est intéressant. En effet, cette formulation englobe des professionnels variés, on pense bien sûr aux professionnels de la protection de l’enfance, mais entrent aussi dans cette définition large les enseignants, les médecins qui assurent le suivi de l’enfant, ou encore les assistantes maternelles qui auraient fait part de leurs inquiétudes. En outre, la référence au mandat électif permet un retour aux élus qui auraient signalé une situation d’enfance en danger. La volonté de ne pas faire de distinction entre les professionnels et les élus sur ce sujet est tout à fait inédite. Lorsque la personne n’entre pas dans les conditions qui viennent d’être mentionnées, il en est ainsi d’un particulier, voisin ou proche de l’enfant qui fait part d’une information préoccupante, la loi prévoit un retour d’information plus limité. Ce retour n’est pas systématique, le service de l’aide sociale à l’enfance étant alors seulement tenu de répondre à la personne si elle en fait la demande. Ces dispositions qui peuvent sembler marginales sont en réalité essentielles, puisqu’elles permettent à l’auteur de l’information préoccupante d’avoir un retour sur son action. Elles correspondent à une forte demande, des particuliers comme des professionnels, l’absence d’informations créant un hou souvent préjudiciable à l’enfant. En pratique, la question reste de savoir quels types de renseignements seront donnés à l’auteur de l’information préoccupante pour trouver un équilibre entre l’obligation de l’informer, la nécessité de protéger le droit à la vie privée et familiale et le respect du secret professionnel.
B. Le circuit de l’information préoccupante
Le législateur prévoit que, dans chaque département, un protocole est établi « entre le président du conseil départemental, le représentant de l’État dans le département, les partenaires institutionnels concernés et l’autorité judiciaire en vue de centraliser le recueil des informations préoccupantes au sein d’une cellule de recueil, de traitement et d’évaluation de ces informations » (CASF, art. L. 226-3). Ce protocole décrit le circuit des informations préoccupante et précise la répartition des compétences entre les autorités administrative et judiciaire. En fonction de leur contenu et du niveau de danger encouru par l’enfant, l’information préoccupante fera l’objet d’une saisine du procureur de la République en vue d’une protection judiciaire de l’enfant, parfois en urgence, ou au contraire donnera lieu à des actions de prévention ou encore à des mesures administratives mises en œuvre avec l’accord des titulaires de l’autorité parentale.
Le circuit de l’information préoccupante est donc défini par l’intermédiaire de ce protocole qui doit permettre de partager des définitions communes autour des notions de danger, de risque de danger ou encore d’accord des parents à la mesure envisagée. L’évaluation de chaque situation individuelle sera ensuite déterminante pour définir les suites données à chaque information préoccupante.
(1)
Démarche de réflexion et d’expertise en vue d’un consensus sur le périmètre de l’observation de la population prise en charge dans le dispositif de protection de l’enfance, ONED, 2013, p. 8, consultable sur www.onpe.gouv.fr