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Regard d’une avocate spécialisée

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A. Entretien avec Me Marie-Hélène Isern-Real

Avocate au barreau de Paris, coresponsable de la commission « Les protections des personnes vulnérables » au barreau de Paris, assurant à ce titre des formations à des avocats, des MJPM (1) et des travailleurs sociaux, consultante de la Fédération 3977, membre du comité scientifique d’ALMA France, conseillère scientifique pour la FIAPA (2) (21 septembre 2018)
B. L. : En tant qu’avocate experte à la Fédération 3977 et à la Fédération internationale des associations de personnes âgées (FIAPA), que conseillez-vous aux usagers, aux familles, aux professionnels qui font face à une situation de maltraitance ?
M.-H. I.-R. : Tout dépend de la situation, chaque cas est particulier. Il est primordial d’en parler, de signaler : le numéro national d’écoute 3977, dédié aux maltraitances que subissent les personnes âgées et les personnes handicapées, est le premier réceptacle et se caractérise par une déontologie exigeante. Il existe également des consultations gratuites sur des sites comme www.tutelleauquotidien.fr, ou des articles sur www.aidonslesnotres.fr, www.domplus-groupe.fr, www.lerelaisdesaidants.fr. On peut aussi, suivant les cas, consulter un notaire, un avocat ou un travailleur social, d’un centre local d’information et de coordination gérontologique (CLIC), par exemple. Il est nécessaire de bien se renseigner, de prendre du recul et d’en parler. Dans un établissement, il existe des organes tels que le Conseil de la vie sociale (CVS), mais pas toujours très efficaces. Dans les services à domicile, il y a moins de plaintes formalisées, les usagers sont plus isolés, et en cas de désaccord il est plus facile de changer de structure.
Sur la maltraitance financière, s’il y a des abus de faiblesse manifestes, il est préférable de consulter un avocat parce qu’il est compliqué de faire aboutir la procédure : par exemple, un procureur de la République me demande dès réception de la plainte de chiffrer le préjudice. Cela veut dire qu’en dessous d’un certain seuil, il n’y aura pas de suite. J’argumente pour rappeler que l’abus de faiblesse est d’abord une atteinte à la personne. Plus le préjudice est faible, plus il est grave, l’argent volé va d’autant plus faire défaut à la personne lésée.
B. L. : Comment voyez-vous le rôle de l’avocat en la matière ?
M.-H. I.-R. : Il permet aux « alerteurs » de prendre du recul, il commence par expliquer la situation, pour sortir les gens de leur vécu, de leur souffrance, et leur proposer des stratégies. Cela relève d’un accompagnement relationnel. Mon objectif est que le particulier dispose du même conseil que l’entreprise.
Avant de porter plainte, il faut bien cerner le problème qui n’est pas forcément juridique. La plainte, dans la procédure pénale, a pour objectif de punir le coupable. La victime reste au second plan. Pour la procédure pénale, comme civile d’ailleurs, la souffrance, la victimisation, la maltraitance ne sont pas des critères. Notre rôle est de qualifier l’infraction ou le manquement pour voir s’il constitue une infraction et ensuite présenter les circonstances de fait. Ensuite, l’avocat suit la procédure.
Parfois une simple lettre suffit, que je rédige en leur nom. Les personnes ont des droits, elles doivent les faire valoir.
▸ S’il s’agit d’un litige avec une maison de retraite, l’avocat examine le contrat, voit s’il y a une assurance en cas de vol. Je rencontre le directeur, il m’arrive d’être mal reçue, mais en fin de compte une collaboration s’instaure. Donc l’avocat commence par poser un diagnostic, puis fait une prescription : car il est d’abord un conseil. Ce qui ne mène pas forcément au pénal.
▸ Il faut connaître la loi pour qualifier les faits sur le plan juridique : faire la différence entre le droit civil qui est le droit des citoyens (liberté et égalité), et ce que j’appelle le droit social (fraternité, on dirait maintenant « solidarité »).
Le premier défend les droits fondamentaux du citoyen, comme la liberté d’aller et venir ; il leur garantit une équité de traitement devant un juge constitutionnellement indépendant avec des possibilités de recours. Le juge et l’avocat exigent le respect de la procédure qui est la gardienne des libertés et de l’équité.
Le second regroupe les droits octroyés, c’est la couverture des grands risques : maladie, vieillesse, chômage... et maintenant la dépendance. Dans le droit civil, le citoyen est responsable, il a des obligations, ce qui est très différent des droits octroyés. C’est une différence de mode de pensée fondamentale, mal appréhendée, selon moi, par les travailleurs sociaux et l’administration quand ils traitent des droits des citoyens. Or, c’est une différence fondamentale et les travailleurs sociaux ne sont pas suffisamment formés au droit civil, comme le signale le rapport sur la réforme des tutelles remis par Madame Caron-Déglise (3). La sécurité, garantie a minima pour chaque citoyen, fait partie des droits fondamentaux, ce n’est pas un droit octroyé. Or, la première garantie pour le citoyen est le respect de l’accès au droit en toute équité.
B. L. : Comment intervenez-vous dans les maltraitances familiales ?
M.-H. I.-R. : Il s’agit souvent de problèmes de succession, de partage suite à un décès, notamment lorsqu’il y a des enfants d’un premier lit. D’autres situations pouvant mener à des violences intrafamiliales sont dues à un enfant qui se sent lésé, exclu, mal aimé, ce qui n’est pas forcément le cas d’ailleurs, qui est parti et ne revient que lorsque ses parents âgés perdent pied suite à la maladie ; il prend alors le pouvoir, ce qui peut aller jusqu’à la séquestration.
B. L. : Il prend le pouvoir, ce qui implique des jeux d’emprise, d’isolement. Comment intervenez-vous, quelle stratégie conseillez-vous ?
M.-H. I.-R. : Dans les phénomènes d’emprise, il ne faut jamais céder, il faut maintenir sa place. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) décrit bien ces phénomènes : séduction, déconstruction, reconstruction au profit du prédateur. Par exemple, « séduction » : les enfants sont contents que papa refasse sa vie avec la voisine, mais « déconstruction » : au bout de deux ans, ils ne peuvent plus aller en vacances chez leur papa, parce qu’elle estime que les enfants sont méchants, mauvais... Faire autrement, ce serait systématiquement dire : « Si, papa, je viendrai te voir, j’ai le droit de te voir. » De par mon expérience professionnelle, je trouve que la personne sous emprise est triste, parce qu’elle est en conflit de loyauté, avec de nombreuses frustrations, souffrant d’isolement, en butte à une personne qui lui souffle le chaud et le froid, lui prêche le vrai et le faux, la dissocie, la met mal à l’aise, la déconstruit. C’est le même mécanisme que pour les sectes. La contre-propagande constitue la seule réponse.
En établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), les phénomènes d’emprise sont moins évidents, l’établissement ne pouvant limiter la liberté d’aller et venir ; cependant le poids de l’organisation et de la structure génère un effacement progressif de la personne, qu’il faut combattre en maintenant le lien social avec l’extérieur et la famille. Les enfants qui ont l’habitude d’emmener leur père ou leur mère en vacances doivent continuer, aller le chercher, prendre sa valise et l’emmener, il en sera heureux. Il faut essayer de ne pas se laisser influencer : « Oh, papa ne veut pas venir, je ne veux pas le forcer, je vais le mettre mal à l’aise. » Agir ainsi finit par rendre le parent encore plus souffrant. Il me semble parfois que le strict respect de la prétendue volonté de la personne vulnérable relève d’une certaine hypocrisie et valide les solutions de facilité.
À la différence des mesures de protection judiciaire pour les enfants, il est impossible d’imposer un protocole de rencontre, ou de droit de visite et d’hébergement. Cependant, même en cas de tutelle ou de curatelle, le majeur protégé a droit au maintien des liens. Il est très compliqué de faire exprimer sa volonté réelle. Le certificat médical qui se contente d’examiner l’état cognitif ne reconnaît pas encore la dépendance affective, ce qui est pourtant nécessaire pour déterminer si la volonté de la personne est réellement libre.
La personne victime d’abus de faiblesse se retrouve alors sous protection judiciaire. Lors d’une audience de tutelle, après un abus de faiblesse, une fille accusait la maîtresse de son père d’avoir pris tout son argent et de l’avoir placé sur un compte en Suisse. Tandis que l’avocat du père plaidait contre la fille, elle s’était mise à côté de son père qui lui a pris la main. Le procureur l’a vu : « Mon cher Maître, vous arrêtez là, on réglera cela plus tard. » Il se passe des choses magnifiques à l’audience lors de l’audition des personnes. Les avocats ne sont pas contre l’audition des personnes, à la différence des juges qui sont débordés, bien qu’il y ait des juges des tutelles qui nous reçoivent pendant plusieurs heures pour construire un accord. Certains le font, malheureusement pas tous.
Les gens ont peur du conflit, mais il faut qu’ils se prennent en main et apprennent à dire « non ». Par exemple, une cliente, tutrice d’une de ses sœurs, appréhendait de passer devant le juge qui devait statuer sur la demande de la troisième sœur de prendre la tutelle. Je lui ai dit : « Votre sœur va faire des histoires, tant mieux, elle les fera devant le juge » : stratégie de l’avocat, il ne faut pas avoir peur du prédateur. De fait, la sœur prédatrice a battu sa sœur devant le juge des tutelles, vous pensez bien que ma cliente a gardé la tutelle.
Avec l’expérience des psychologues d’ALMA sur de nombreux cas de maltraitance, et les formations d’expertes, comme celles de Marie-France Hirigoyen (psychiatre) et Isabelle Nazare-Aga (psychothérapeute), nous savons qu’il faut apprendre à agir et savoir dire « non » pour stopper ces phénomènes d’emprise. Ce n’est pas le droit qui résoudra tous les problèmes, pourquoi penser tout de suite plainte, procureur, procédure ?
Ça ne marche pas. Une plainte au procureur va aboutir à un classement sans suite et entraîner beaucoup plus de mal que de bien dans la relation. Quant à la procédure de protection judiciaire, très efficace, elle est profondément humiliante pour les personnes, notamment âgées, et suscite leur révolte.
B. L. : Quelle approche devrions-nous suivre pour essayer de faire reconnaître la matérialité des violences psychologiques ?
M.-H. I.-R. : Matérialiser les violences psychologiques, c’est mon travail avec la FIAPA : dans chacune de mes plaintes, dans chacune de mes conclusions pour nullité de testament, pour actes sous emprise, j’inclus maintenant le rapport sur les maltraitances financières – « un fléau silencieux » –, ainsi que les analyses faites par Mme Terrasson, cheffe de projet « prévention et lutte contre la maltraitance dans le secteur social et médico-social » à la direction générale de la cohésion sociale, et la définition de la maltraitance par Alice Casagrande. Les juges ne connaissent pas ces textes, car il y a étanchéité entre le droit civil et le droit social. J’y ajoute maintenant la classification de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui inclut la dépendance affective dans les dépendances aux toxiques et aux jeux.
Une jurisprudence récente de la Cour de cassation demande aux cours d’appel de rechercher s’il y a eu de la part du prédateur « une stratégie organisée et dissimulée ». Cette qualification des faits est plus facile, car la dépendance affective est extrêmement difficile à démontrer, surtout si le juge n’entend pas la personne. Il faut l’entendre et rechercher quelle est sa volonté, ce devrait être la priorité des mandataires judiciaires, des tuteurs familiaux et des juges. De nombreux cas verraient une issue plus apaisée si toutes les parties étaient réunies dans le cadre d’une médiation chez le juge des tutelles.
B. L. : Votre démarche est-elle aussi aisée avec des personnes qui souffrent de troubles cognitifs ?
M.-H. I.-R. : C’est bien plus aisé car la personne se dévoile plus facilement, il suffit de savoir l’écouter.
Une dame est menacée de curatelle suite à l’alerte de sa banque après la vente de contrats d’assurance-vie faisant partie de la succession de son mari. Elle vient me voir, accompagnée par son fils, et m’explique que cet argent est pour sa fille qui revient des États-Unis après un divorce et manquant de ressources. Elle va vivre en Suisse et a besoin d’argent dans l’attente du transfert de l’indemnité de divorce du mari. Ma cliente a donc décidé de réaliser une partie de son épargne et de vendre des parkings. Devant mon interrogation, elle m’explique qu’avec son feu mari ils étaient marchands de biens, et qu’ils ont toujours vécu sur les plus-values de leurs ventes et achats, donc qu’elle n’a pas de revenus fixes. Entendue par la juge des tutelles, cette dame, qui savait précisément combien elle avait donné et à qui, nous fait un numéro formidable : « Madame la juge, à la veille des vacances, vous me bloquez mes comptes, eh bien, écoutez, on va faire la manche toutes les deux, car j’ai réservé l’hôtel au mois de juillet, et je n’ai plus d’argent pour payer mes vacances. » « Voilà, c’est pour ma fille, et puis Madame la juge, je préfère quand même que l’on me remercie dans un bon restaurant avec un verre de champagne plutôt que devant ma tombe. » Le fils était d’accord, il n’y avait pas de conflit entre les héritiers. La juge a décidé un non-lieu à curatelle, et en partant lui a dit qu’elle avait été théâtrale, et la dame de répondre : « Oh non, Madame la juge, dans le théâtre ce qu’on vous raconte c’est faux, tandis que moi c’est vrai. » Elle était gaie et vive.
Une vieille dame qui avait fait un AVC hébergeait dans sa grande maison son petit-fils qui vivait un divorce difficile. Elle avait également un locataire qui s’en est pris physiquement au petit-fils et l’a obligé à quitter le domicile de sa grand-mère, c’est l’« isolement » mis en place. Le locataire s’occupe de la vieille dame, lui fait faire des pages d’écriture, sa rééducation, il est très gentil avec elle, c’est la « séduction ». La fille de la vieille dame, alertée par la banque, demande la protection de sa mère. Le locataire vient alors me voir avec la vieille dame qui me dit, hors de la présence de ce dernier, mais en pleurant : « C’est vrai, je ne peux plus voir ma fille, je n’ai plus mon petit-fils, mais regardez comme il est gentil avec moi. » Elle me présente des enveloppes, une par mois, et me dit : « Vous voyez, il me paye tous les mois son loyer. » À l’audition, tandis que le juge interroge la vieille dame, la greffière reçoit un appel de la banque prévenant que le locataire a pris rendez-vous après l’audition pour vider les comptes. Nous nous sommes rendu compte après examen des relevés bancaires qu’il retirait l’argent des loyers avec la vieille dame à la banque sur les propres comptes de cette dernière pour assurer le paiement des loyers. Voilà comment fonctionnent les prédateurs : elle l’aimait beaucoup, il était très bien, la fille était obligée de reconnaître qu’il lui était très bénéfique puisqu’il lui faisait sa rééducation, c’était une présence. La vieille dame, mise sous tutelle, est morte peu de temps après.
Cette notion de « stratégie dissimulée » est beaucoup plus facile à déceler quand il y a matérialité des faits (captation d’héritage, recel de biens, captation de biens, captation de droits sociaux), que l’emprise et la dépendance affective elles-mêmes. Comment mesurer le degré d’affection, comment mesurer la gaîté d’une personne ? Ce n’est pas possible ! Et pourtant la personne qui est en conflit de loyauté est triste, elle n’est pas bien. C’est un peu comme un enfant subissant le divorce de ces parents.
B. L. : Que se passe-t-il quand un mandataire judiciaire dysfonctionne ?
M.-H. I.-R. : Je sollicite d’abord le mandataire. Sans réponse, je le relance avec copie au magistrat. L’émission sur les tutelles de France 5 le 25 avril dernier, « Le Monde en face », animée par Marina Carrère d’Encausse, a présenté un cas où une mandataire, sans que nous comprenions pourquoi, empêche depuis trois ans un fils de s’occuper de sa mère, qu’il a recueillie chez lui à Paris, alors que les trois autres enfants voulaient la placer en EHPAD près de chez eux en province. La mère, âgée de 95 ans, ma cliente, a dit à plusieurs reprises qu’elle ne voulait pas aller en maison de retraite et qu’elle désirait demeurer chez son fils. Mise sous tutelle à la demande de ses autres enfants sans que le fils soit entendu, sa mère a vu sa pension bloquée par la mandataire et elle ne reçoit que 100 euros par semaine. Elle est donc à la charge de son fils et de la compagne de celui-ci, proches aidants, sans aucune aide, la démarche pour obtenir l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) n’ayant pas été faite par la mandataire. Chaque fois que le fils fait une démarche pour améliorer le sort de sa mère, la mandataire conteste les décisions médicales. Suite à cette émission, la juge des tutelles a enfin envoyé un médecin expert à domicile, et a repris dans ses conclusions que jamais elle ne recevrait une telle qualité de soins dans un établissement public. Malgré tout, elle n’a toujours pas transmis le dossier à Paris, malgré mes demandes réitérées, ni nommé le fils comme tuteur à la personne. J’en suis aujourd’hui à mettre en cause la responsabilité de l’Etat. Alors que cette dame s’est exprimée sur ses souhaits, la juge n’en tient strictement aucun compte. Il est dit que le fils empêcherait les autres enfants de rencontrer leur mère, ce qui est faux, ils la voient quand ils veulent ; ils n’ont jamais signalé à la juge qu’il y ait obstruction, et demandé que soit fixé un droit sur les rencontres avec leur mère. La juge n’a jamais posé de cadre. Elle a écrit que le fils n’était pas capable de comprendre les décisions de la mandataire ; or un mandataire ne prend pas de décision, il n’est que l’exécutant des décisions du juge, mais le juge délègue parce qu’il est débordé. Ma cliente a droit à avoir la paix, et le comportement du mandataire interroge. La mesure de protection doit être individualisée afin de respecter les droits fondamentaux de la personne. C’est au juge et au procureur de la République de remédier aux dysfonctionnements, la loi leur en donne le pouvoir.
B. L. : En cas de maltraitance, les personnes témoins, qu’ils soient familiaux ou professionnels, ont souvent des difficultés à poser l’alerte. Comment les encourager ? Quelles solutions proposez-vous ?
M.-H. I.-R. : L’un de mes objectifs est de mettre en place des consultations juridiques dans les établissements, comme je le fais par Internet une fois par mois pour répondre aux questions des aidants et les conseiller sur le site www.aidonslesnotres.fr.
Je rencontre beaucoup de professionnels désemparés et de familles en souffrance. L’important, c’est l’écoute, c’est entendre les gens, et leur apporter du conseil (ex. : rédaction de lettres au mandataire, au juge, à l’ARS...). La plupart du temps, nul besoin de faire appel à la justice, il suffit de dire les choses. Le silence fait le lit de la maltraitance, comme le dit ALMA France.
Les consultations en établissement permettraient, entre autres, de reprendre les contrats individuels de séjour, parfois incomplets ou dont le fonctionnement est mal connu, en leur adjoignant des clauses plus précises sur la protection des personnes pour faire vivre leurs droits fondamentaux. La consultation juridique rend possible l’expression de la plainte à qui de droit. Face à des situations complexes, nous organisons une médiation avec la direction pour que les parties se mettent d’accord sur les modalités de l’accompagnement et les responsabilités de chacun. L’impuissance des professionnels est souvent due à un manque de cadre ou de formation.
La médiation doit être conduite par un expert dans cette technique ; quand elle est bien cadrée par un professionnel aguerri des solutions sont trouvées : on évite la juridiciarisation qui fragilise les liens, et dont la durée est souvent incompatible avec l’âge des résidents ; faire un recours à Paris prend entre six à neuf mois. Par exemple, il peut être demandé au directeur d’avoir l’œil sur tel ou tel membre de son personnel, de solliciter l’aide du psychologue, de prendre une assurance contre les vols... Un exemple récurrent dans les établissements concerne la perte ou le bris des dentiers, lunettes et prothèses auditives. Une internaute m’a ainsi écrit qu’elle aurait dû mettre le dentier de sa mère au coffre de la maison de retraite, s’agissant d’un objet de valeur ! Personne n’est jamais responsable, ces prothèses indispensables au bien-être des résidents ne sont toujours pas considérées comme des objets de soin.
Il faut donc anticiper et appliquer le contrat : dans les maisons de retraite, les contrats sont régis par le droit de la consommation ; les deux parties s’engagent en les signant et il importe d’avoir l’aide d’un professionnel averti lorsqu’il est nécessaire de les faire respecter.
Une personne handicapée vit en famille d’accueil où elle est employeur, il faut donc payer l’Urssaf par chèque-emploi service. Le fils de la famille s’est chargé de faire les déclarations Urssaf, il fait des erreurs et il y a redressement. Étant l’employeur, la personne handicapée est poursuivie et l’assistante sociale sollicite une curatelle que le juge accorde. Il y a eu heureusement mainlevée sur la curatelle mais les services sociaux auraient dû faire un recours auprès de l’Urssaf : un simple courrier règle le problème. Notre métier d’avocat est de faire des recours, cela coûte nettement moins cher que de solliciter un juge, un médecin expert, payer les pénalités... sans oublier la souffrance morale de la personne dont l’exercice des droits est limité à tort.
Respecter la personne plutôt que les règlements. Tout le monde vit dans la terreur d’engager sa responsabilité. Mais non, la bientraitance, c’est d’être heureux. Plutôt que de brutaliser la personne qui ne veut pas être lavée à 10 h du matin, elle sera lavée le lendemain. Dans un EHPAD, une vieille dame en déambulateur chute. Un aide-soignant passe et lui dit en rigolant : « Oh, vous êtes encore tombée, Madame, mais si vous aviez fait comme je vous disais... allez, on se relève ! » J’ai d’abord été choquée par le ton désinvolte employé, mais finalement c’était gai, tonique. Il y avait de l’enthousiasme : « Allez, on va y arriver ! » Plutôt que de dire d’un ton bêtifiant : « Ma petite madame, oh là là, vous avez mal, allez ce n’est pas grave » d’un ton fâché. Finalement, la vieille dame l’a très bien pris, elle s’est relevée et surtout il lui a montré comment faire. Si on cultive la souffrance, tout le monde est malheureux.
Le barreau de Paris propose des consultations dans les hôpitaux psychiatriques et dans les rues avec le Bus de la solidarité : de jeunes avocats le font bénévolement, ils ont un droit de suite s’il y a une procédure à conduire. Un cas d’école est la mise sous tutelle sans accord de la personne : ainsi, le patient d’un hôpital psychiatrique reçoit une convocation par lettre recommandée pour une audition, puis pour une audience, sans qu’aucun travailleur social ne lui explique l’importance de ces courriers. Il reçoit donc notification de la décision, sans avoir bénéficié d’un quelconque accompagnement, alors que des consultations juridiques au sein de l’établissement auraient permis de lui venir en aide.
Promouvoir la collaboration entre l’usager/résident, sa famille, les professionnels des ESMS et leur direction, est un gage d’efficacité et également un moyen de faire vivre la bientraitance. Beaucoup de structures fonctionnent très bien ainsi, des directeurs savent anticiper, mener des enquêtes et aplanir des conflits, tout en informant les familles régulièrement. D’où moins de plaintes et de frustrations.
Encore faut-il que les administrations collaborent également et apportent leur soutien quand elles sont sollicitées. Il faudrait qu’elles aient les moyens de leur politique, qu’elles simplifient et unifient leur fonctionnement, et permettent une meilleure communication avec un public souvent fragilisé. De nombreux signalements ne reçoivent pas de réponse, même pas d’accusé de réception. Respectons les gens plutôt que les réglementations. Il existe toute une population âgée vivant seule, sans protection judiciaire, que l’on met en difficulté uniquement par la multiplication des réglementations, et l’informatisation des processus.
En conclusion, écoute, consultation-conseil, anticipation, médiation, collaboration et formation sont, pour moi, les solutions à appliquer face aux risques de maltraitance, plus que les procédures judiciaires, qu’elles soient civiles ou pénales. Une évolution importante permet désormais à toute personne d’organiser son éventuelle dépendance à venir. Il s’agit du mandat de protection future issu de la loi du 5 mars 2007 (4). Ce mandat organise une protection juridique sur mesure de la personne vulnérable et de son patrimoine, sans lui faire perdre ses droits et sa capacité juridique. Il peut être combiné avec la rédaction de directives anticipées qui expriment la volonté de la personne sur les soins de fin de vie. On devrait tous prévoir ce mandat et pouvoir choisir à l’avance notre personne de confiance, en lui donnant des pouvoirs que n’avait pas auparavant la personne de confiance, sans avoir besoin de passer devant un juge. C’est l’anticipation sur la maltraitance : chacun d’entre nous doit prévoir le risque de sa propre dépendance.


(1)
Mandataires judiciaires à la protection des majeurs.


(2)
Fédération internationale des associations de personnes âgées.


(3)
Rapport de mission interministériel 2018, « L’évolution de la protection juridique des personnes : Reconnaître, soutenir et protéger les personnes les plus vulnérables », par Anne Caron-Déglise, avocate générale à la Cour de cassation.


(4)
Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs.

SECTION 4 - REGARD D’UNE AVOCATE SPÉCIALISÉE

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