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Le ministère – Les dispositifs législatifs

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A. Entretien avec Dominique Terrasson

Cheffe de projet prévention et lutte contre la maltraitance dans le secteur social et médico-social, direction générale de la cohésion sociale (DGCS)
B. L. : La loi n° 2002-2, fondamentale dans la lutte contre la maltraitance, a pour principaux objectifs d’articuler l’innovation sociale et médico-sociale, en adaptant les structures et services aux besoins et à la promotion du droit des usagers. Des droits fondamentaux des usagers ont été définis et des outils ont été mis en œuvre pour faciliter l’exercice de ces droits. De la même façon, la loi du 11 février 2005 – pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées – a donné un nouvel élan à la politique d’intégration et d’inclusion des personnes en situation de handicap. De fait, les citoyens et les usagers y voient leurs droits définis notamment dans le soin et l’accompagnement. En mars 2007, le plan de développement de la bientraitance et de renforcement de la lutte contre la maltraitance a apporté un nouveau regard sur le sujet et affirmé une politique claire en guidant et soutenant des postures professionnelles à construire suivant les recommandations de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM). Par ailleurs, ce plan a renforcé la lutte contre la maltraitance en facilitant les signalements avec la création du numéro d’appel national 3977, confirmé en février 2014 par la création de la Fédération 3977. D’autres approches sont-elles à l’étude afin de mieux aider les professionnels dans leur quotidien pour lutter contre la maltraitance, et quels sont les moyens que l’État envisage d’y consacrer ?
D. T. : La prévention et la lutte contre la maltraitance des personnes vulnérables ainsi que la promotion d’actions visant à favoriser la bientraitance sont une priorité constante du gouvernement depuis le début des années 2000. Plusieurs lois et dispositions réglementaires ont, depuis, renforcé les modalités visant à protéger les personnes les plus fragiles, garantir l’effectivité de leurs droits et promouvoir leur participation à toutes les décisions qui les concernent.
La prévention et l’accompagnement de la perte d’autonomie des personnes vulnérables et l’effectivité des droits des usagers s’inscrivent dans la volonté constante des gouvernements successifs depuis deux décennies de promouvoir la participation des personnes âgées et des personnes handicapées à la société. La loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement confirme et renforce ces orientations. Elle comporte tout un chapitre visant à consolider l’exercice des droits fondamentaux des personnes (en matière de consentement, de désignation d’une personne de confiance...) et leur protection (encadrement des dons et legs, obligation de déclarer tout dysfonctionnement grave et événement susceptible de porter atteinte à la santé ou la sécurité des personnes, ainsi qu’à la qualité de leur prise en charge (1)...).
Les nombreuses recommandations publiées par l’ANESM, ainsi que les guides d’autoévaluation, ont permis d’outiller les responsables des établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) et les professionnels pour mieux appréhender et faire face aux situations complexes et porter un regard sur leurs pratiques au quotidien.
Pour autant, les problématiques de maltraitance des personnes vulnérables, dans le cadre particulier d’une relation d’aide destinée à accompagner leur perte d’autonomie, perdurent et demeurent insuffisamment visibles et prises en compte.
C’est pourquoi la ministre des Solidarités et de la Santé a annoncé sa volonté de définir une nouvelle stratégie de prévention et de lutte contre la maltraitance des personnes vulnérables, qui se traduira dans un plan d’action pluriannuel pour la période 2019-2022 pour optimiser les politiques publiques afin de mieux repérer, prévenir et traiter les situations de maltraitance tout en mobilisant et sensibilisant l’ensemble de la société et les professionnels au phénomène de maltraitance encore trop méconnu et insuffisamment investi. La commission permanente « maltraitance – bientraitance » prévue par la loi d’adaptation de la société au vieillissement (CASF, art. D. 121-4, ancienne numérotation) a été mise en place conjointement par le Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) et le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) en février 2018, en présence des ministres Agnès Buzyn et Sophie Cluezl. Présidée par Monsieur Denis Piveteau, elle est composée de représentants des personnes âgées, des personnes en situation de handicap, de fédérations d’ESMS, d’acteurs publics et de personnes qualifiées. Ses premiers travaux, conduits en 2018, portent sur trois axes principaux : comprendre la maltraitance ; agir et apporter les réponses adaptées ; prévenir, et se traduiront dans un « rapport d’orientation » qui sera remis en fin d’année 2018 au HCFEA, au CNCPH ainsi qu’aux ministres.
Les analyses et propositions de ce rapport alimenteront l’élaboration du plan d’action pluriannuel annoncé par la ministre et qui sera présenté au cours du premier semestre 2019.
Seront également pris en considération les résultats issus de la large concertation nationale « grand âge et autonomie », lancée par Agnès Buzyn le 1er octobre 2018, rassemblant parties prenantes et usagers entre octobre 2018 et février 2019.
Cette démarche s’inscrit dans le cadre de la feuille de route « grand âge et autonomie » présentée le 30 mai dernier, qui a permis d’engager des premières mesures pour répondre aux besoins en matière de prévention, de soutien aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et aux aidants, mais aussi d’accès aux soins.
Elle donnera la parole aux personnes âgées prises en charge en établissement et à domicile, aux aidants et aux professionnels, grâce à des groupes d’expression et des entretiens individuels.
Des forums régionaux en métropole et outre-mer mobiliseront plusieurs centaines d’institutionnels, d’opérateurs et d’associations de bénéficiaires et d’aidants, pour faire remonter leurs analyses de terrain et s’inspirer de leurs bonnes pratiques.
Des ateliers thématiques nationaux regrouperont des représentants de l’Etat et des collectivités, des experts, des personnes âgées, ainsi que des représentants des associations et des fédérations d’usagers et de professionnels. Ils porteront sur des sujets tels que l’évolution de l’offre d’accompagnement, la continuité du parcours des personnes, des aidants ou encore la gouvernance des dispositifs. Des groupes d’expression et des ateliers thématiques seront organisés afin de recueillir les attentes et les besoins des personnes concernées.
Des propositions concrètes seront formulées début 2019, permettant au gouvernement de définir les contours d’une réforme ambitieuse et d’un futur projet de loi. Un conseil d’orientation et un comité scientifique assureront la gouvernance de la concertation.
Par ailleurs, la feuille de route présentée par Agnès Buzyn le 30 mai 2018 comporte des engagements pour une amélioration des conditions de travail et d’accompagnement des professionnels des EHPAD (plan d’accompagnement des EHPAD), avec notamment la création de 20 000 postes de professionnels de soins et le versement de 50 millions d’euros pour augmenter la partie « soins » de la dotation des EHPAD financée par l’assurance maladie.
Les mesures prises suite aux mouvements de grève apparus en automne 2017 et début 2018 ont également prévu le gel des baisses de tarification sur les volets « soins » et « dépendance » dans les EHPAD. Plus spécifiquement, en matière de lutte contre la maltraitance, le projet de loi de finances pour 2019 a maintenu le niveau des crédits alloués en la matière au niveau de 2018, soit 1,8 million euros.
Enfin, il ne faut pas oublier le développement de l’hospitalisation en EHPAD qui vise à soutenir les personnels soignants.
B. L. : Malgré le travail considérable accompli durant les deux dernières décennies, il reste encore du chemin à faire pour faire vivre l’application des droits de chacun. Ainsi du libre choix entre les prestations « domicile » et « établissement » : comment peuvent s’organiser les usagers et leurs familles face à des listes d’attente de plusieurs mois pour entrer en EHPAD, ou lorsque les responsables d’aides à domicile sont dans l’impossibilité de répondre aux demandes de prestations à cause des difficultés de recrutement, a fortiori de personnel qualifié ? Comment est-il possible d’envisager un soin de toilette de qualité lorsque deux aides-soignantes ont à faire 60 toilettes par jour les week-ends ? De même, concernant le droit à une prise en charge ou un accompagnement individualisé et de qualité, le manque de places dans les structures et/ou la difficulté de recruter des personnels spécialisés pénalisent de nombreuses personnes en situation de handicap, en particulier des enfants. Je sais vos services experts sur la problématique de la maltraitance et qu’ils ont pleine conscience des grandes difficultés que vivent des personnes vulnérables, leurs familles et les professionnels de l’accompagnement et du soin par manque de moyens. Comment faire vivre les droits de l’usager avec des moyens limités, au risque de multiplier les frustrations et les risques de maltraitance ?
D. T. : Le développement de la démocratie sanitaire rend aujourd’hui centrales les questions d’effectivité des droits des usagers et d’« empowerment » au sens de promouvoir la liberté de choisir, y compris pour les personnes les plus vulnérables et en perte d’autonomie. Cela implique un changement de regard sur la personne âgée, au-delà de la question des moyens quantitatifs, qui nécessite de repenser l’organisation d’un service et la manière de manager des personnels de direction.
La reconnaissance et l’effectivité des droits des usagers peuvent se faire par le biais de leur participation au fonctionnement de l’établissement prévue au premier alinéa de l’article L. 311-6 du code de l’action sociale et des familles. D’autres outils et dispositifs ont, par ailleurs, été créés suite à la loi du 2 janvier 2002 pour rendre effectifs les droits des usagers. Par exemple, le livret d’accueil (CASF, art. L. 311-4) remis à chaque usager dès l’arrivée dans l’établissement, « afin de garantir l’exercice effectif des droits mentionnés à l’article L. 311-3 et notamment de prévenir tout risque de maltraitance ». Des personnes qualifiées sont désignées pour aider la personne à faire valoir son droit (CASF, art. L. 311-5). Les usagers peuvent également désigner une personne de confiance (CASF, art. L. 311-5-1) pour les aider à connaître et comprendre leurs droits et exprimer leur volonté et leur consentement aux décisions qui les concernent. Dans une logique de parcours de vie et d’adaptation du suivi aux besoins spécifiques de la personne accompagnée, la consécration d’un projet personnalisé de la personne accueillie vise à donner du sens et de la cohérence à l’accompagnement professionnel, social et médico-social. L’élaboration de ce document sous forme contractuelle implique l’usager qui participe à sa mise en œuvre en se basant sur son parcours de vie et ses attentes.
Les difficultés à faire vivre la représentativité des usagers au sein d’une structure ont été cependant constatées, ce qui conduit à la volonté d’évolution de la législation actuelle afin de faire vivre davantage les droits des usagers. Ce renforcement des droits des usagers a été traité dans le cadre notamment des travaux du Comité national pour la bientraitance et les droits des personnes âgées et des personnes handicapées conduits entre 2013 et 2015. Ce dernier s’est intéressé à l’alerte et au signalement, à la liberté d’aller et venir et au droit et à l’éthique de la protection des personnes, travaux préalables à la loi d’adaptation de la société au vieillissement. Les droits et la protection des personnes âgées ont par ailleurs été renforcés dans le cadre de la loi d’adaptation de la société au vieillissement du 28 décembre 2015.
Si la question des moyens et de la qualité de vie au travail des professionnels doit être davantage prise en considération, il ne faudrait pas réduire la qualité de la prise en charge et l’effectivité des droits des personnes accompagnées à ces seuls critères. De nombreux établissements ont développé et mis en œuvre des modalités d’organisation et de fonctionnement qui permettent de mieux respecter les choix des personnes (par exemple concernant les horaires des repas, des soins, la liberté de circulation, l’accueil de leurs proches...) mais également améliorent la qualité de vie au travail des personnels.
L’effectivité des droits des usagers nécessite un changement de regard sur les pratiques et un renforcement de la prise en considération de la parole des usagers dont les positionnements doivent être mis au premier plan dans la manière de les accompagner à l’autonomie. Les responsables des structures et les professionnels devront être davantage accompagnés et outillés en ce sens. Les mesures à venir y contribueront.
B. L. : Les personnes âgées restent de plus en plus tard chez elles avec des pathologies neurodégénératives en phase avancée et souvent une polypathologie. Les familles sont confrontées aux déserts médicaux et parfois même à des disparités sociales territoriales conséquentes. Des assistantes sociales me disent : nous savons que ce qui se joue dans cette famille est au-delà de la limite acceptable, il faut vivre avec cela, nous rentrons chez nous avec cette responsabilité humaine et professionnelle au ventre mais nous n’avons pas les moyens de faire plus. Il en résulte des plans d’aide construits avec des moyens fragiles, frustrants pour les professionnels, les familles et les usagers. Nous espérons les bonnes volontés et craignons le « à quoi bon ». Dans combien de familles le vieillissement pathologique ne se vit que dans des crises aiguës et donc dans un contexte favorable pour les violences et les maltraitances où les jeux d’emprise sont légion ? Les pilotes MAIA (méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie) (Dispositif CNSA de 2008), prévus pour répondre aux situations complexes et aux défis croissants de l’accompagnement des personnes en perte d’autonomie et de leurs aidants, sont-ils assez nombreux pour répondre à l’urgence ? Sur plusieurs situations rencontrées, ils prennent contact avec la famille un mois et demi après avoir été interpellés.
De très nombreux professionnels évoquent une distorsion considérable entre la réalité des textes de loi, des politiques sociales, et leur réalité de terrain : que pourriez-vous leur répondre ?
D. T. : Les récentes initiatives gouvernementales et parlementaires tiennent compte avec attention des réalités des professionnels de terrain. Malgré une difficulté certaine à résoudre l’ensemble des situations complexes rencontrées au sein des institutions accueillant des personnes vulnérabilisées, plusieurs dispositifs sont déployés (consultations en ligne, personnes qualifiées, points d’accès au droit, plateformes...). Des efforts sont poursuivis au niveau local comme national en vue de renforcer la collaboration entre les acteurs et de trouver des solutions au plus proche des besoins des personnes accueillies. Les professionnels sont régulièrement consultés lors de groupes de travail regroupant des militants associatifs, des usagers, des familles, des responsables d’établissements et services de santé, sociaux et médico-sociaux ou encore des élus locaux. L’Etat promeut le développement de cette démarche de coconstruction afin de valoriser d’autres dynamiques d’intervention visant à promouvoir une plus importante participation des personnes. À titre d’illustration, différentes concertations à destination de publics précis ont lieu comme celle « grand âge et autonomie », évoquée précédemment. Limiter les phénomènes de distorsion entre les textes de loi, les politiques sociales et les réalités professionnelles suppose un passage par ce niveau expérientiel. La promotion des retours d’expérience et la prise en compte des savoirs des usagers, des professionnels et des universitaires permet de diffuser des exemples de bonnes pratiques pour outiller et guider les acteurs de terrain.
Réel support à la démocratie locale, les expérimentations permettent d’identifier finement les difficultés sectorielles sur une zone géographique donnée pour mieux hiérarchiser les priorités sanitaires et sociales et apporter une réponse de proximité.
Face à la complexité des situations et aux crises aiguës survenant dans certaines familles, le dispositif « MAIA » est renforcé par la loi du 28 décembre 2015 d’adaptation de la société au vieillissement, qui a instauré un droit au répit pour les proches aidants. Cette démarche vise à soutenir et aider ces derniers dans les actes de la vie quotidienne pour limiter les sentiments d’épuisement. Des accueils temporaires, organisés pour une durée limitée de maximum 90 jours par période de 12 mois sont développés (CASF, art. D. 312-8 à D. 312-10), tout comme des accueils séquentiels ou de jour. Le 3e plan « Alzheimer » a lancé également des plateformes d’accompagnement et de répit pour répondre aux besoins des proches aidants et des aidés souffrant d’une maladie neurodégénérative. À ce jour, la conciliation entre vie professionnelle et vie privée reste perfectible, c’est pourquoi une proposition de loi « pour une reconnaissance sociale des aidants » est en débat au Parlement.
Le recueil du discours des professionnels, des usagers et des différents acteurs concernés, dans le cadre notamment des concertations, expérimentations et les groupes de travail pilotés par la DGCS, permet de mieux connaître les difficultés mais aussi d’analyser les pratiques mises en œuvre en vue d’accompagner les initiatives innovantes et de concevoir les réajustements nécessaires.
B. L. : Vous serait-il possible de rappeler les obligations des personnels, y compris ceux relevant de la fonction publique, des domaines social et médico-social en matière de maltraitance ? Que doit faire un professionnel face à une suspicion de violence ? Que doit faire un professionnel face à une situation de maltraitance ?
D. T. : En matière de maltraitance, les obligations des personnels sont les mêmes pour tous, qu’ils soient issus du secteur privé, associatif ou public. Conformément au Code pénal (art. 226-14), toutes privations ou sévices, c’est-à-dire les violences physiques, sexuelles ou psychiques constatées dans l’exercice de sa profession, doivent être signalés. Depuis la loi « ASV » du 28 décembre 2015, l’ensemble des professionnels exerçant au sein des équipes soignantes dans les ESMS sont soumis au secret professionnel. Les informations qui relèvent du secret professionnel peuvent, toutefois, ne plus l’être dès lors que le professionnel a révélé des sévices ou privations infligés à des personnes vulnérables comme le prévoit l’article 226-14 du Code pénal (2). Dans le cadre du droit à l’information et à la participation énoncé dans la charte des droits et libertés qui encadre les établissements et services sociaux et médico-sociaux, la personne concernée par ces actes de maltraitance doit être associée aux démarches entreprises. En revanche, pour les mineurs et les personnes qui ne sont pas en mesure de se protéger en raison de leur âge ou d’une incapacité physique ou psychique, la recherche du consentement n’est pas nécessaire.
Il est à souligner que tout fait revêtant un caractère dangereux doit faire l’objet d’un signalement, qu’il s’agisse d’une suspicion ou d’une violence avérée. Différents canaux de transmission existent pour déclarer ces faits de maltraitance en fonction des secteurs et publics concernés.
En termes de signalement d’une situation de maltraitance, une attention particulière doit être portée sur les faits déclarés. Les mots usités pour décrire la situation doivent être objectifs, détachés de tout jugement et circonstanciés concernant la temporalité, les lieux et les personnes présentes.
En cas de danger avéré et immédiat, et ce quel que soit le public concerné, tout professionnel doit effectuer un signalement au Procureur de la République. Cette procédure concerne les maltraitances avérées et requérant une mise à l’abri imminente.
Les informations préoccupantes concernant un mineur en danger ou en risque de l’être doivent être transmises aux services sociaux du département. Chef de file en matière d’action sociale, le département dispose d’une cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) permettant aux professionnels de recueillir et d’évaluer le niveau de danger des situations déclarées. Au regard des faits signalés, soit une enquête sociale est menée en interne, soit une infraction pénale est supposée et, dans ce cas, le signalement est transmis au parquet.
De manière plus globale, la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement a introduit dans son article 30 une obligation de signalement pour tous les établissements et services et les lieux de vie et d’accueil mentionnés à l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles. Ces derniers doivent informer les autorités administratives compétentes de « tout dysfonctionnement grave dans leur gestion ou leur organisation susceptible d’affecter la prise en charge des usagers, leur accompagnement ou le respect de leurs droits et de tout événement ayant pour effet de menacer ou de compromettre la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral des personnes prises en charge ou accompagnées » (CASF, art. L. 331-8-1). Pris en application de cette disposition législative, le décret du 21 décembre 2016 et l’arrêté du 28 décembre 2016 énoncent, d’une part, les modalités de transmission des informations relatives à l’obligation de signalement. Ils stipulent, d’autre part, la nature des dysfonctionnements graves et des événements, ainsi que le contenu de l’information devant être transmis aux autorités administratives compétentes.
Ces dernières sont l’agence régionale de ranté (ARS), la direction départementale de cohésion sociale, pôle « protection des personnes » (DDCS/PP), voire le préfet de département, et le président du conseil départemental (3). L’arrêté prévoit en annexe un formulaire type à destination des responsables de structure pour effectuer la transmission de ces informations. L’objectif de ces déclarations s’inscrit dans une démarche d’amélioration continue des prises en charge. Il vise, d’une part, à développer une culture du repérage et de gestion des risques, au sein de chaque établissement et service concernés, d’autre part, à permettre aux autorités administratives de mieux identifier ces risques afin d’accompagner et soutenir les structures à les résoudre et à les prévenir.
Il est indispensable que l’ensemble des professionnels et responsables des structures connaissent bien ces obligations ainsi que les procédures pour les respecter.
Aussi est-il envisagé de développer et diffuser largement des guides sur ce sujet, à partir notamment des travaux conduits par la commission « bientraitance-maltraitance » et la Haute autorité de santé (HAS).
B. L. : Je rencontre souvent des personnels qui restent dans la crainte d’informer leur hiérarchie par peur de représailles, tout en connaissant le dispositif de protection des personnes qui procèdent à des signalements (CASF, art. L. 313-24). Ils préfèrent se taire ou quitter leur structure. Ils ne sont pas avares d’exemples où des collègues ont osé parler et se sont retrouvés dans une situation très difficile, voués à l’opprobre de leur équipe, voire leur contrat à durée déterminée non renouvelé. Au-delà de leurs obligations légales, il semble qu’aucune gestion humaine de l’accompagnement des personnes qui dénoncent et sont ensuite inquiétées n’ait été envisagée malgré la charge émotionnelle de la démarche. Qu’en pensez-vous ?
D. T. : Bien que la protection des professionnels à l’initiative d’un signalement et exerçant dans une structure sociale ou médico-sociale soit garantie par les textes, elle s’avère, de fait, souvent non effective, tout comme celle des familles de résidents.
Les lanceurs d’alerte bénéficient des protections prévues à l’article L. 1 132-3-3 du code du travail prévoyant qu’« aucune personne ne [puisse[ être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise et qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3 221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ».
Plus spécifiquement dans le champ social et médico-social, « le fait qu’un salarié ou un agent a témoigné de mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie ou relaté de tels agissements ne peut être pris en considération pour décider de mesures défavorables le concernant en matière d’embauche, de rémunération, de formation, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement du contrat de travail, ou pour décider la résiliation du contrat de travail ou une sanction disciplinaire. En cas de licenciement, le juge peut prononcer la réintégration du salarié concerné si celui-ci le demande (...) » (CASF, art. L. 313-24). Les lanceurs d’alerte qui agissent dans les conditions prévues à la procédure de la loi de 2016 sont également protégés pour les informations qui relèvent du secret professionnel conformément à l’article 122-9 du Code pénal (4).
Malgré ces protections légales, les représailles envers un professionnel peuvent prendre différentes formes, depuis une mise à l’écart de la part des autres professionnels, jusqu’à une sanction administrative, voire un licenciement. Il importe donc de davantage informer et soutenir les professionnels non seulement de leurs obligations mais également de leurs droits. Un travail d’information et d’accompagnement de l’ensemble des responsables et des équipes est à conduire en ce sens. Les travaux relatifs à l’amélioration de la qualité de vie au travail, notamment, y contribuent. Différentes mesures visent à pallier le manque de communication entre les personnels et les encadrants et à les soutenir dans la mise en œuvre de temps de réflexion collective pour analyser les dysfonctionnements ou les pratiques individuelles et y apporter les corrections nécessaires. Il s’agit de rompre avec la seule culture de la faute et des sanctions pour s’inscrire collectivement dans une culture de gestion et de prévention des risques. Le règlement des conflits et des situations de maltraitance suppose un travail d’équipe permanent nécessitant des capacités d’écoute de la direction qui doit créer un lien de confiance avec ses personnels. Des temps de réflexion et d’analyses de pratiques supposent ainsi une réorganisation du travail et des pratiques managériales rénovées.
B. L. : Une autre difficulté majeure réside dans la gestion des situations de maltraitance qui prend un temps conséquent et une énergie considérable, et où les comités directeurs, de fait juges et parties, apparaissent souvent démunis : comment conduire une enquête au sein de son service ou de son établissement, signaler aux autorités compétentes, appréhender l’après dénonciation avec l’équipe, expliquer une décision de justice qui peut avoir abouti à un classement sans suite malgré des témoignages circonstanciés, ou gérer des collaborateurs qui ont été témoins et qui décompensent psychologiquement ? Comment faciliter ces démarches complexes pour les équipes ?
D. T. : La gestion des situations de maltraitance demeure en effet une difficulté pour nombre de responsables et professionnels des structures sociales et médico-sociales, ce qui nécessite de développer les aides et accompagnements à leur apporter en la matière. Les ARS peuvent déjà apporter leur soutien aux équipes qui le souhaitent, en élaborant conjointement avec la structure des mesures correctives, des échéanciers, une hiérarchisation des priorités institutionnelles...
Les démarches d’évaluation interne et externe constituent également des temps forts pour analyser les modalités de fonctionnement et d’intervention d’une structure. La prévention des situations de maltraitance doit pouvoir s’appuyer sur les recommandations issues des rapports d’évaluation. Il n’est pas rare d’observer au sein des structures un manque de mise en conformité, ne permettant pas de résorber les difficultés rencontrées et de réduire les risques potentiels pouvant porter atteinte à la qualité des accompagnements. Prendre de la hauteur sur sa pratique professionnelle, peu importe le niveau hiérarchique occupé au sein de l’organisation, suppose d’être en veille constante. Un ensemble de guides de bonnes pratiques réalisé par l’ANESM donne des pistes de réflexion concrètes pour appréhender autrement certaines situations complexes.
Enfin, l’ordre du jour des réunions d’équipes hebdomadaires doit prévoir d’accorder du temps à la clinique, aux études de cas et ne pas se limiter aux seuls points relatifs aux aspects organisationnels.
Les structures régionales d’appui, définies par un décret du 25 novembre 2016 (5) (C. santé publ., art. R. 1 413-74 à R. 1 413-78), apportent un réel soutien pour les responsables de structures et les équipes pluridisciplinaires, en les accompagnant dans la mise en place d’un plan d’action en vue d’élaborer des mesures correctives et prévenir les risques associés aux soins. Chaque ARS dispose d’une structure régionale d’appui à la qualité (SRA) qui mobilise son expertise et collabore avec les établissements et services sanitaires et médico-sociaux. Le soutien apporté vise à accroître la qualité des accompagnements dispensés et à contribuer à la sécurisation des personnes accueillies. Cette démarche vise à effectuer une analyse des causes profondes à laquelle est adossé un plan d’action. Aujourd’hui centrée sur les événements indésirables associés aux soins, elle est appelée à s’étendre pour l’ensemble des incidents, notamment les situations de maltraitance. La construction de guides et de références plus précis sur les modalités de suivi et d’accompagnement du traitement des situations de maltraitance sera un des objectifs des travaux à venir, dans le cadre notamment du plan d’action 2019-2022.
B. L. : Accompagner les structures destinées aux personnes handicapées ou en perte d’autonomie, notamment les EHPAD, et s’assurer du bien-être des résidents font partie des nombreuses missions des agences régionales de santé, en partenariat avec les différents acteurs de la santé de chaque région. Elles s’assurent du respect des normes de sécurité et de confort des résidents des EHPAD, elles vérifient la bonne organisation des équipes et du respect des conditions de travail. La circulaire du 23 juillet 2010 (6) renforce la compétence des ARS en matière de maltraitance, et les établissements et services relevant des domaines sociaux et médico-sociaux ont l’obligation de signaler les faits préoccupants (7).
À côté de nombreux professionnels évoquant une bonne coordination avec l’ARS, d’autres font état des problèmes qu’ils rencontrent avec leur agence régionale pour la gestion de situations de maltraitance. Des maires présidents de centres intercommunaux d’action sociale (CCAS), des directeurs d’institutions ou des cadres se sont retrouvés en difficulté face au positionnement ou à l’absence de réaction de certains personnels d’ARS.
Que préconisez-vous pour une meilleure collaboration entre ARS et ESMS ?
D. T. : La collaboration entre les ARS et les ESMS est essentielle pour équilibrer les liens qui existent entre les organismes de tutelle et les gestionnaires. L’instauration d’une relation de confiance entre les parties prenantes de l’accompagnement est nécessaire pour élaborer conjointement des outils d’évaluation et répondre aux besoins et aspirations des personnes accueillies. Les ARS mettent à profit leur expertise dans le cadre de suivis, d’élaboration de plans d’actions ou encore d’analyses des causes profondes et n’interviennent pas uniquement pour des missions de contrôle. Des relations étroites et régulières entre les ARS et les ESMS contribuent à créer un climat de travail propice aux échanges pour l’efficience des collaborations entre les ARS et les ESMS.
Le développement d’une culture de signalement, au-delà de la volonté affirmée de prévenir les actes de maltraitance, vise également à développer une culture de confiance, au sein des structures comme avec les autorités administratives. Certaines ARS ont déjà élaboré des dispositifs de suivi et d’accompagnement des structures suite à la déclaration d’un dysfonctionnement ou d’un événement indésirable. L’organisation territoriale des ARS, via les délégations départementales, vise à renforcer l’apport de réponses de proximité.
Interlocutrices privilégiées et interfaces locales pour ses partenaires, les délégations interviennent auprès des établissements et services sociaux et médico-sociaux, des conseils départementaux, du préfet... En l’absence de réaction et en cas de difficulté majeure, la sollicitation du directeur général de l’ARS est requise. Chargé d’assurer l’efficience du fonctionnement général de l’agence et de la conformité de la mise en œuvre de la politique de santé sur la région, il intervient pour tous les événements et dysfonctionnements graves comportant des risques sévères concernant la santé et la sécurité des personnes accueillies.


(1)
CASF, art. L. 331-8-1 et R. 331-8.


(2)
C. pén., art. 226-14 : « L’article 226-13 n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n’est pas applicable :
1° À celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ;
2° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui, avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République ou de la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être, mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles, les sévices ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n’est pas nécessaire (...). »


(3)
L’autorité administrative compétente dépend du public accueilli au sein de la structure.


(4)
C. pén., art. 122-9 : « N’est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu’elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d’alerte prévus à l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ».


(5)
Décret n° 2016-1 606 du 25 novembre 2016 relatif à la déclaration des événements indésirables graves associés à des soins et aux structures régionales d’appui à la qualité des soins et à la sécurité des patients.


(6)
Circulaire DGCS/2A n° 2010-254 du 23 juillet 2010.


(7)
Circulaire DGCS/SD2A n °2011-282 du 12 juillet 2011 relative au renforcement de la lutte contre la maltraitance et le décret n° 2016-1 813 du 21 décembre 2016.

SECTION 1 - LE MINISTÈRE – LES DISPOSITIFS LÉGISLATIFS

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