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L’agence régionale de santé

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A. Entretien avec Michel Laforcade

Directeur général ARS Nouvelle-Aquitaine Membre de la commission pour la promotion de la bientraitance et la lutte contre la maltraitance [HCFEA-CNCPH[ (1) (23 octobre 2018)
B. L. : Pourriez-vous rappeler les missions précises que les agences régionales de santé (ARS) accomplissent autour de la problématique de la maltraitance ?
M. L : Les ARS mettent en œuvre au niveau régional la politique nationale de lutte contre la maltraitance. Leurs missions sur cette thématique concernent deux aspects prioritaires.
L’accompagnement des institutions et des professionnels de santé dans la mise en œuvre d’une politique de bientraitance
La définition de la bientraitance et sa problématique ne se construisent pas comme un miroir inversé de la maltraitance. La notion de « bientraitance » s’inscrit dans une relation de soin et d’accompagnement au sens large. Elle doit se retrouver quotidiennement au cœur de la relation entre le professionnel et la personne accompagnée. Il s’agit de replacer l’individu au centre de sa relation de soin, d’en faire un acteur de sa santé à part entière. Cet objectif implique pour l’ARS :
  • de rappeler l’importance de l’information de l’usager, d’obtenir son consentement ou celui de sa personne de confiance, de garantir l’accès à ses droits, d’être attentif à son cadre de vie, considérer pleinement ses aspirations et souhaits, son état de santé, ses fragilités... ;
  • d’appuyer les équipes d’accompagnement et de soin dans le développement des démarches d’amélioration de la qualité et de la sécurité des prises en charge, d’évaluation des pratiques professionnelles... ;
  • de promouvoir la diffusion des bonnes pratiques et s’assurer de leur appropriation par les professionnels. À ce titre, je crois particulièrement nécessaire de soutenir les professionnels, les responsables d’établissements et de services dans leur démarche d’amélioration des conditions de travail et de qualité de vie au travail. Il ne peut y avoir de qualité des soins et d’accompagnement sans relever les défis – nombreux et complexes – de la qualité de vie au travail. Ce sont les deux facettes d’une même exigence éthique. Ce n’est pas simple mais les ARS s’y emploient autant que faire se peut en coopération avec leurs partenaires institutionnels.
La détection des situations de maltraitance lors du suivi et des contrôles des établissements, la gestion des réclamations et des signalements
Il s’agit de repérer des situations de maltraitance, de violence, de négligence pour prévenir les risques en identifiant les points critiques dans le fonctionnement de l’organisation des structures et soutenir les équipes dans leur démarche d’amélioration de la qualité. Ce repérage est réalisé à l’occasion du suivi des établissements. Il existe pour cela un plan régional d’inspection-contrôle-évaluation des établissements pour la prévention de la maltraitance. Les ARS gèrent également les plaintes et réclamations (par les personnes et/ou leur famille) et des signalements d’événements indésirables (par les professionnels). La gestion et le suivi de ces signaux sont réalisés par les agents de l’ARS dans une relation territoriale de proximité.
Des inspections sont organisées pour vérifier les conditions et modalités d’accueil des personnes prises en charge. Dans le secteur médico-social, les inspecteurs peuvent, par exemple, être amenés à vérifier dans les établissements l’affichage des numéros d’accueil et d’écoute téléphonique mis en place au niveau national pour lutter contre la maltraitance (le 3977 concernant les personnes âgées et les personnes handicapées adultes et le 119 pour les situations concernant les enfants, y compris les mineurs handicapés et les jeunes adultes). Ils veillent à ce que ces numéros figurent bien dans les projets d’établissement, les livrets d’accueil et les contrats de séjour. Les inspections font l’objet de rapports indiquant, le cas échéant, les mesures correctives à apporter.
B. L. : Aujourd’hui les équipes des ARS sont-elles suffisamment dotées pour planifier, construire, coordonner, veiller et contrôler autour de la problématique de la maltraitance ?
M. L. : La lutte contre la maltraitance est une priorité des ARS qui mobilisent des moyens importants sur différents leviers d’actions :
  • la planification en intégrant des objectifs de qualité à la contractualisation ;
  • l’allocation de ressources mobilisées au titre de la qualité et de la performance des établissements ;
  • l’inspection-contrôle.
  • Dans le secteur médico-social, la prévention de la maltraitance est coordonnée en Nouvelle-Aquitaine dans le cadre de l’orientation régionale du programme d’inspection-contrôle-évaluation. Elle est intitulée « qualité des accompagnements dans les établissements sociaux et médico-sociaux ».
B. L. : Au vu des perspectives inquiétantes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur l’augmentation des situations de maltraitance, combien de cas de maltraitance en moyenne votre service traite-t-il annuellement ? Est-ce une constante dans les autres ARS ?
M. L. : Au sein des ARS, il existe deux sources d’information des situations de maltraitance : les réclamations qui proviennent des usagers ou de leur famille et les signalements des professionnels eux-mêmes (notamment les directeurs d’établissements).
On constate une augmentation des signalements de maltraitance au niveau de l’ARS Nouvelle-Aquitaine. Il n’est pas possible de déduire de cette tendance une aggravation de la situation des établissements. En effet, cette tendance s’explique plutôt par une meilleure efficacité des systèmes de signalement et des politiques mises en œuvre pour promouvoir la culture du signalement auprès des établissements. C’est à partir de la déclaration exhaustive d’un événement qu’il est possible d’agir au mieux pour prévenir les risques liés à une situation. Concernant les chiffres relatifs aux actes de maltraitance, ils doivent être analysés avec prudence. En effet, si, par exemple, 265 signalements de situations de maltraitance par les professionnels de santé ont pu être répertoriés en Nouvelle-Aquitaine en 2017, ils peuvent concerner différentes situations et publics (patient/résident/professionnel de santé). Une analyse au cas par cas est nécessaire pour distinguer ce qui relève de la « maltraitance ordinaire » par méconnaissance, des situations de maltraitance volontaire. Cette analyse est réalisée en Nouvelle-Aquitaine par les délégations départementales de l’ARS qui connaissent le mieux les problématiques de leur territoire.
B. L. : La genèse des situations de maltraitance se construit souvent sur les fragilités des modes de communication des uns et des autres. Comment remettre du sens et de l’humanité dans la gestion de ces crises anxiogènes et que peut faire l’ARS en pareil cas ? Comment les ARS gèrent-elles les difficultés relationnelles ?
M. L. : Les ARS n’ont pas de compétence pour gérer des difficultés relationnelles au sein d’un établissement. Celles-ci relèvent de la responsabilité de la direction d’un établissement.
En revanche, comme cela a été souligné, le rôle de l’ARS est essentiel pour promouvoir et diffuser les recommandations de bonnes pratiques, intégrer le concept de « bientraitance » dans l’organisation et la gestion des établissements et contrôler leur mise en pratique effective à l’occasion des missions d’inspection-contrôle.
En Nouvelle-Aquitaine, un article (2) a récemment été publié dans le journal « Briques » du réseau régional de vigilances et d’appui de la Nouvelle-Aquitaine sur la notion de « travail en équipe ». Il y est rappelé que dans le secteur médico-social, l’analyse et l’échange de pratiques professionnelles constituent un enjeu essentiel de lutte contre la maltraitance.
Au-delà, dans le cadre du suivi et des contrôles des établissements, l’ARS veille à l’engagement de la direction, du management intermédiaire, et au bon fonctionnement des instances, conditions indispensables à la réussite d’une démarche de bientraitance.
L’ARS de Nouvelle-Aquitaine veille enfin, avec ses partenaires régionaux (OMEDIT, CCECQA, associations...), à développer des formations et des actions de sensibilisation. C’est par exemple le cas avec la simulation en santé où des dispositifs permettent aux soignants de se rendre compte des difficultés que rencontrent les personnes âgées avec des lunettes qui limitent le champ de vision, un casque qui reproduit les défauts de perception auditive... Et donc d’évoquer la qualité de la prise en charge de ces handicaps en toute bienveillance.
B. L. : Nous savons que dans la très grande majorité des cas dans les établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS), les personnes à l’origine de faits de violence n’ont pas forcément conscience de leur violence et qu’elles-mêmes peuvent être en grande difficulté (aidants ou professionnels). Il arrive également que les postes de travail ne soient pas adaptés aux compétences techniques et/ou psychiques des salariés ; que le professionnel se ressente fragilisé dans l’équipe objectivement ou arbitrairement. Comment les ARS se positionnent-elles et gèrent-elles ces situations ?
M. L. : Par une politique de formation à l’attention des ESMS pour améliorer le management.
L’ARS de Nouvelle-Aquitaine finance des actions de formation à l’intention des établissements médico-sociaux afin d’accompagner les établissements dans l’amélioration de leurs pratiques professionnelles et ainsi garantir la meilleure prise en charge possible.
Depuis la création de l’ARS de Nouvelle-Aquitaine (3), il a été formé en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) :
  • 225 référents bientraitants ;
  • 240 personnels encadrants ;
  • 50 infirmiers coordinateurs formés au management ;
  • 200 agents de nuit en 2017.
Par ailleurs, un appel à candidatures afin de développer les pratiques centrées sur le « prendre soin » a été lancé par l’ARS en 2017 et reconduit en 2018 (intégré dans l’appel à candidatures « pôles ressources de proximité »). Le but est de faire émerger au sein des institutions de nouvelles pratiques professionnelles axées sur le prendre soin des personnes, de valoriser leur autonomie. L’objectif sera ainsi de repenser la vie des usagers en institution afin que celle-ci soit proche de son « chez soi ». Un établissement par département de Nouvelle-Aquitaine est labellisé.
B. L. : Selon l’OMS, « deux membres du personnel sur trois reconnaissent avoir commis un acte de maltraitance ». Les professionnels ont souvent de l’appréhension à contacter les services de l’Etat pour signaler les événements indésirables ou préoccupants malgré le fait qu’ils en aient l’obligation. Qu’est-ce qui, selon vous, pourrait justifier ces peurs ? Sont-elles fondées ?
M. L. : Les professionnels peuvent reconnaître avoir déjà commis un acte de maltraitance au sein de la structure où ils exercent. Mais la situation ne correspond pas nécessairement à de la maltraitance psychique ou physique. Il peut s’agir d’un sentiment ayant trait à une forme de « maltraitance ordinaire » qui correspond à un ensemble de situations, de comportements ou d’attitudes qui induisent une violence physique ou psychique. Elle est désignée aussi sous les termes de « maltraitance institutionnelle » ou « passive », dans le sens où des situations mettent les professionnels de santé en situation d’être ou de devenir maltraitants. Ceux-ci expriment alors le sentiment de ne pas bien faire leur travail, ou de ne pas bien prendre soin de leur patient/usager.
L’idée répandue et souvent prise pour exemple est le manque de moyens alloués et de temps des personnels. La réalité est plus complexe. Les constats réalisés par les agents de contrôle de l’ARS peuvent révéler des difficultés dans l’organisation de la gestion interne des situations décrites par les professionnels comme de la maltraitance. Elles s’expriment, par exemple, par le défaut de connaissance des procédures internes de signalement, par l’absence d’information du personnel sur l’existence d’un référent bientraitance, par l’absence d’espaces de communication et d’échanges pour parler des situations dans lesquelles les professionnels pourraient exprimer leurs « peurs » et se rendre compte que celles-ci ne sont pas nécessairement justifiées, ou tout au moins que des réponses sont possibles pour les appréhender au sein de l’organisation.
L’information et la formation sont essentielles aux professionnels pour mieux comprendre et appréhender leur obligation de signalement.
À titre d’exemple, pour aider les professionnels à prendre conscience des situations de maltraitance, notamment « ordinaire », et inciter à leur signalement, un appui a été proposé aux établissements médico-sociaux de Nouvelle-Aquitaine par le comité de coordination de l’évaluation clinique et de la qualité en Aquitaine (CCECQA). Un certain nombre de négligences sont simulées et mises en œuvre par des professionnels et usagers/patients. Elles doivent être identifiées par les professionnels. Un rappel de la procédure de signalement est réalisé à cette occasion. Les retours de cette expérience ont été très positifs et les professionnels ont pu prendre conscience et appréhender les attitudes adaptées à la gestion du risque de maltraitance.
B. L. : Il arrive que des professionnels dénonçant des situations de maltraitance aient à subir l’opprobre de leurs équipes et soient parfois obligés de quitter leur emploi bien que légalement protégés (4). Plusieurs disent s’être sentis « punis » pour avoir cherché à protéger un ou des résidents victimes. Pensez-vous que les ARS puissent envisager de pouvoir protéger l’anonymat des personnes qui viendraient les informer de faits de violence comme le font les services du Défenseur des droits et le 3977 ? Si ce n’était le cas, que pourrait faire votre institution pour protéger et accompagner les lanceurs d’alerte ?
M. L. : La question est complexe. Elle renvoie à deux notions. L’une concerne la protection du professionnel, et l’autre, la protection de l’anonymat de celui-ci.
Conformément aux dispositions du Code pénal (5), « le fait, pour quiconque ayant connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives ou de continuer à ne pas informer ces autorités tant que ces infractions n’ont pas cessé est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ».
Dans votre cas de figure, un professionnel de santé confronté à une situation de maltraitance dont il serait témoin a l’obligation de la signaler, selon une procédure interne à l’établissement.
La loi prévoit la protection des personnes qui procèdent à ces signalements.
  • la loi n° 2016-1 691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique connue sous le nom de loi « Sapin II » institue un cadre juridique aux lanceurs d’alerte dans les secteurs privé et public. La circulaire du 19 juillet 2018 précise le cadre juridique applicable aux lanceurs d’alerte dans la fonction publique, les modalités de recueil des signalements et leur traitement, ainsi que les garanties et protections dont bénéficient les agents ;
  • la circulaire DGA 5/SD 2 n° 2002-265 du 30 avril 2002 relative au renforcement des procédures de traitement des signalements de maltraitance et d’abus sexuels envers les enfants et les adultes vulnérables accueillis dans les structures sociales et médico-sociales rappelle les règles applicables à la protection juridique des personnes, notamment celles ayant procédé à des signalements.
L’ARS est légitime à rappeler aux directeurs des établissements des secteurs privé et public ces dispositions légales et réglementaires qui sont d’ordre public.
Le droit institue une obligation pour les professionnels qui ont connaissance de faits confidentiels dans l’exercice de leurs fonctions, de ne pas les divulguer, hormis le cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret.
Dans l’hypothèse où un événement est porté à la connaissance de l’ARS, la protection de l’anonymat est assurée suivant ce principe.
Les agents des ARS, s’ils sont amenés à demander des éléments à l’établissement, enquêter ou inspecter sur place sur une situation de maltraitance, le feront sans révéler l’identité de l’auteur du signalement. La protection de l’anonymat sera assurée, afin que les conséquences que vous évoquez soient évitées.
Toutefois, il faut avoir conscience que les différentes procédures mises en œuvre, qu’elles soient administratives ou judiciaires, imposent à un moment, et pour des raisons de preuve, d’entendre la personne à l’initiative de l’alerte et que la protection de l’anonymat ne puisse plus être garantie.
Notamment, les agents de l’ARS ont l’obligation de lever le secret s’ils sont concernés par l’exception visée au 1er de l’article 226-14 du Code pénal : « Celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes sexuelles dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique. »
B. L. : De nombreux directeurs d’EHPAD ou de services d’aide à domicile disent avoir transmis à leurs ARS respectives des situations de maltraitance particulièrement circonstanciées sans qu’aucune suite n’y ait été donnée ou qu’aucune aide n’ait été proposée pour gérer ces situations complexes. S’agit-il d’un manque de moyens humains ou d’une appréciation divergente sur la gravité des situations de maltraitance ?
M. L. : Il est difficile de se prononcer sur des situations particulières non précisées en dehors d’un contexte précis. Une analyse est faite par l’ARS de toute situation anormale signalée par les professionnels ou les usagers, mais une situation « exceptionnelle » n’appelle pas forcément de réponse par l’ARS s’il apparaît que la situation est déjà maîtrisée par l’établissement.
Il paraît important de rappeler qu’il est de la responsabilité du directeur d’établissement de gérer les situations avérées ou présumées de maltraitance ; dans la mesure où il est tenu à une obligation de sécurité du patient ou du résident.
B. L. : A des comités directeurs signalant des faits circonstanciés de maltraitance, les personnels de l’ARS répondent parfois : « Aucune suite judiciaire n’est envisageable » ou « Vous n’obtiendrez aucune sanction disciplinaire ». Comment justifier ce type de réponse ? Le droit du travail protégerait-il davantage le salarié « défaillant » que la personne vulnérable victime de maltraitance ?
M. L. : L’ARS n’a pas compétence pour se prononcer sur une « suite judiciaire » ou une « sanction disciplinaire ». Ces prérogatives appartiennent à un procureur de la République dans un cas, à un employeur dans l’autre.
Notamment, l’ARS n’est pas chargée d’appliquer les dispositions relatives au Code du travail, mais celles visées dans le code de la santé publique et le code de l’action sociale et des familles.
À ce titre, les inspecteurs des ARS peuvent être amenés à vérifier que les conditions d’installation, d’organisation et de fonctionnement de la structure ne menacent pas la santé, la sécurité et le bien-être physique et moral des personnes accueillies. Ils vérifieront que toutes les mesures ont été prises pour faire cesser une situation délictuelle et protéger les personnes vulnérables. Il s’agit bien là de la priorité de l’ARS.
Enfin, en cas de situation dangereuse avérée constatée au cours d’un contrôle, tout inspecteur de l’ARS doit faire un signalement au procureur (C. proc. pén., art. 40).
B. L. : Il n’y a pas d’individu, de professionnel, de structure, de famille, de société modèle, mais indiscutablement construire une équipe performante et entrer dans les critères des politiques sociales devient un défi permanent. De nombreux directeurs évoquent les problèmes de recrutement et de gestion de personnel :
  • difficultés à recruter du personnel et plus encore du personnel formé. Il est souvent mentionné que les embauches se font par défaut ;
  • des directions soulignent qu’ils sont face à des personnels qui font montre d’enthousiasme lors de l’embauche mais démissionnent rapidement sans préavis en mettant les équipes ainsi que les bénéficiaires en difficulté. Compte tenu du manque de recrues, d’autres postulants arrivent parfois avec des exigences incompatibles avec leur expérience. Face à ces difficultés, la construction d’un planning devient une tâche éprouvante ;
  • lors de l’embauche, des directeurs évoquent que faute de mise à jour du volet 3 du casier judiciaire, ils ne peuvent réellement être informés sur les antécédents judiciaires des postulants : aucune base de données ne recense aujourd’hui les personnels déviants.
  • des personnels égocentrés, procéduriers, hostiles au changement bloquent parfois le fonctionnement des équipes et il est difficile pour les directions de les cadrer. À tel point qu’on ne parle plus des professionnels pertinents, carrés, bienveillants et performants : les directions restent centrées sur les fonctionnements anxiogènes de quelques-uns qui bloquent le fonctionnement des autres et l’avancée des projets, et donc le confort des personnes accompagnées.
Les ARS ont-elles la possibilité de soutenir les établissements et services sur la gestion complexe des personnels ?
M. L. : Conformément aux orientations fixées par la ministre des Solidarités et de la Santé (6), l’ARS de Nouvelle-Aquitaine a souhaité déployer une culture de la performance (au sens de : qualité de vie au travail et qualité de l’accompagnement et des soins : même combat !) permettant d’améliorer l’état de santé, la qualité de vie et de la prise en charge des personnes et également de répondre aux attentes de la population en assurant un financement le plus équitable possible.
Focus sur la QVT
L’ARS de Nouvelle-Aquitaine s’est engagée dans des actions sur la QVT, à travers :
  • clusters QVT : lancement de trois nouveaux clusters en 2018-2019 à l’intention des EHPAD de Gironde, de Haute-Vienne et des Landes (60 000 euros par cluster), animés par l’association régionale pour l’amélioration des conditions de travail (ARACT) de Nouvelle-Aquitaine ;
  • Défi Performance : en 2017, l’ARS de Nouvelle-Aquitaine a accompagné 100 EHPAD à hauteur de 50 000 euros, soit 5 millions d’euros, sur deux ans, pour réaliser un gain de qualité et performance significatif à court terme et mesurable par la mise en place d’un plan d’action (exemples d’actions financées : formation, analyse de pratique, acquisition de matériel, accompagnement d’un conseil extérieur, soins auprès des résidents, action sur bâti...) ;
  • AAC QVT EHPAD 2018, pour soutenir des interventions d’innovations territoriales entre établissements et services pour personnes âgées participant à l’amélioration de la QVT. 30 dossiers ont été retenus et portés par plusieurs structures, soit 149 établissements pour un accompagnement financier de l’ARS de Nouvelle-Aquitaine à hauteur de 1 467 890 euros.
L’instruction par l’ARS de Nouvelle-Aquitaine a permis de mettre en avant la qualité et la pertinence des dossiers portés par les établissements. Le cahier des charges a été dans la grande majorité des cas respecté, permettant ainsi de travailler sur les thématiques suivantes :
  • qualité de vie au travail/management bienveillant ;
  • QVT/qualité des soins ;
  • performance/QVT ;
  • coopération et mutualisation.
Dans le cadre de la politique de formation évoquée ci-dessus, l’intégration de la QVT est un axe fort sur lequel l’ARS de Nouvelle-Aquitaine travaille en concertation étroite avec les organismes de formation partenaires. À titre d’exemple, l’ARS travaille avec les deux instituts de formation des cadres de santé (IFCS) de Nouvelle-Aquitaine (Bordeaux et Poitiers), afin de mettre en place un module QVT au sein de la formation d’encadrants.
Un travail de réflexion est en cours pour la mise en place d’un diplôme universitaire sur la QVT en établissements de santé et médico-sociaux avec l’université de Pau et Pays de l’Adour et Jean-Philippe Toutut, qui a déjà mis en place ce même diplôme universitaire à l’université de Toulouse (début prévu si possible : janvier 2019) afin de répondre à un besoin réel des professionnels.
L’instruction n° DGCS/4B/2018/177 du 17 juillet 2018, relative à la mise en œuvre d’une stratégie de promotion de la QVT dans les établissements médico-sociaux, décrit la stratégie de développement des démarches de QVT dans les EHPAD et ESMS PH : modalités d’organisation et de financement pour 2018. L’ARS de Nouvelle-Aquitaine a défini sa stratégie régionale et son plan d’action régional pour répondre à cet enjeu majeur. Le champ du handicap sera au cœur des actions QVT de l’ARS pour les années 2019 et suivantes.
B. L. : Avez-vous également la possibilité de soutenir les équipes connaissant des difficultés avec leur cadre de santé ou leur directeur, dont les dysfonctionnements relationnels entraîneraient non seulement des maltraitances institutionnelles mais également des maltraitances envers les résidents ?
M. L. : L’ARS de Nouvelle-Aquitaine a constitué un réseau de veille et d’alerte sur la base de l’ensemble des faisceaux d’alertes à disposition de l’ARS (indicateurs, réclamations, situation financière...). Les établissements médico-sociaux ciblés dans le cadre de cette veille doivent fournir des plans d’action individuels assortis d’objectifs et d’indicateurs de suivi. Le suivi de leur réalisation est assuré de manière rapprochée par les 12 délégations départementales de l’ARS.
B. L. (étude de cas) : Un cadre de santé est informé par une aide-soignante : « Voyant un résident (patient Alzheimer) troublé, en pleurs au bout de son lit, elle s’enquiert et le patient se plaint que l’aide-soignante de nuit l’aurait frappé au ventre et à la tête. »
Le cadre de santé demande un témoignage écrit à sa collaboratrice qui le fait sans difficulté et transmet aussitôt l’événement à sa direction en ayant suivi les règles prévues par la procédure « maltraitance » de l’établissement. La direction dit qu’elle gérera sans attendre. De son côté, le cadre reçoit l’aide-soignante suspectée pour savoir si elle éprouve des difficultés dans son poste, mais sans évoquer l’événement puisque la procédure ne prévoit pas que ce soit le cadre qui gère ce type d’échange. Les semaines passent, la famille du résident n’est toujours pas alertée, la direction n’a donné aucune suite malgré des relances régulières du cadre et de la psychologue qui s’est associée comme lanceur d’alerte.
Des mois passent et de nouveau le cadre est informé d’un nouvel événement préoccupant : l’aide-soignante de nuit déjà incriminée serait à l’origine de nouveaux coups portés sur une autre patiente Alzheimer. Le cadre organise la traçabilité des faits de violence mais de nouveau la direction dit qu’elle va gérer. Devant une inertie flagrante, le cadre montre de l’impatience et cherche à réveiller les responsabilités du directeur et de son adjoint, mais ceux-ci l’accusent « de paranoïa et de sensibilité à fleur de peau ». La psychologue démissionne.
Aucun médecin, aucune famille, ni tuteur, ni services d’État, ni la Fédération du 3977, ni le Défenseur des droits n’ont été prévenus. Le cadre (contrat de travail fragile), muselé par sa direction, vit un sentiment d’impuissance. La direction évoque dans la justification de son silence que les faits n’ont pas suscité de plaintes récurrentes des patients.
Vous serait-il possible de nous dire sur cette situation quelle serait la méthodologie de l’ARS si elle était alertée ?
M. L. : L’ARS, lorsqu’elle est informée, en sa qualité d’autorité de tutelle, de faits susceptibles d’entraîner un danger grave et imminent ou qui présentent un risque de dommage irréversible quelle qu’en soit la cause, dispose de plusieurs leviers qui sont appréciés au regard de la gravité et de l’urgence.
L’arsenal à disposition peut aller de l’enquête administrative, inspection sur site, jusqu’à la saisine du procureur en application de l’article 40 du code de procédure pénale, étant précisé que la maltraitance et les mauvais traitements, a fortiori sur des personnes vulnérables, constituent incontestablement des situations imposant d’avoir une réaction urgente et proportionnée.
B. L. : Selon vous, qu’est-ce qui manquerait aujourd’hui aux ARS pour appréhender et soutenir encore plus efficacement la lutte contre la maltraitance ?
M. L. : La promotion de la bientraitance est une cause qui doit mobiliser non seulement les différentes institutions concernées mais encore tous les professionnels appelés à intervenir auprès des personnes vulnérables ainsi que les usagers eux-mêmes, leurs proches et tout citoyen d’une manière générale. Cette nécessaire mobilisation collective peut se déployer dans plusieurs registres :
  • passer de la lutte contre la maltraitance à la promotion de la bientraitance, dans une approche positive des pratiques professionnelles auprès des personnes fragiles ;
  • intégrer ou renforcer la formation initiale et continue des professionnels de santé à la promotion de la bientraitance, levier d’action essentiel pour améliorer et soutenir plus efficacement la politique de lutte contre la maltraitance ;
  • promouvoir les prises en charge respectant la dignité de la personne (humanitude, carpe diem...) et améliorer l’information des équipes au sein des établissements accueillant des personnes âgées, d’une part, sur les bonnes pratiques, mais aussi, d’autre part, sur leurs devoirs et sur leurs droits (mesures de protection) ;
  • améliorer l’information des usagers pour leur permettre de connaître leurs droits et de les exercer ;
  • conforter le rôle des commissions des usagers (CDU) dans les établissements de santé et des conseils de la vie sociale (CVS) dans les établissements médico-sociaux ;
  • renforcer les liens avec les conseils départementaux sur cette thématique.


(1)
Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge – Conseil national consultatif des personnes handicapées.


(2)
« Briques », Bulletin régional d’information pour la qualité et la sécurité en santé, n° 8, sept. 2018.


(3)
Le 1er janvier 2016 par la fusion de trois ARS : Limousin, Poitou-Charentes et Aquitaine.


(4)
CASF, art. L. 313-24.


(5)
C. pén., art. 434-3


(6)
Instruction de juillet 2018 sur la Qualité de Vie au Travail (QTV) en ESMS PA et PH.

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