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Introduction

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De nombreux dispositifs législatifs et outils visent à contrôler les aspects multifactoriels de la maltraitance, mais des problèmes subsistent qui imposent de nouvelles stratégies : affiner la gestion et le suivi des alertes, mettre en place de nouveaux challenges managériaux, organiser confort et sécurité psychique des personnels pour une obligation de résultat. Seize professionnels de terrain et experts exposent leurs constats et leurs points de vue pour les changements de demain.
Je tiens à remercier vivement toutes les personnes qui, malgré leur charge de travail conséquente, ont accepté de contribuer à ce magazine, en l’enrichissant d’apports et de nuances nécessaires. Toutes sont passionnées et engagées dans la culture de la richesse du lien et de la considération de l’autre. L’expertise et les témoignages de ces professionnels permettent de cerner les nombreux aspects liés au thème de la maltraitance et de proposer des perspectives et des pistes de réflexion.


La complexité du phénomène

Les nombreuses études en sciences humaines traitant de la violence et de la maltraitance montrent combien ces phénomènes restent difficiles à quantifier et apparaissent peu réductibles à une vision cartésienne. Aucune classification ou modélisation ne fait consensus. Ces thématiques complexes s’observent à tous les âges et impactent tous les domaines de la vie. Non seulement l’être humain fait vivre ses violences dans son cercle rapproché, mais il les diffuse autour de lui dans la recherche, le plus souvent inconsciente, de la maîtrise de son environnement, consommant et consumant sans jamais être rassasié. Il va jusqu’à retourner sa violence contre lui-même avec une étonnante capacité à se dénigrer, se mutiler et s’autodétruire.
L’être humain ne se réduit évidemment pas à ses côtés obscurs. Autant il peut être particulièrement ingénieux dans sa barbarie, autant il peut être doué dans sa capacité exceptionnelle à offrir de la bienveillance, à faire preuve de sollicitude et à faire vivre le plus bel amour sans quête de contrepartie. Il a une grande compétence à s’émerveiller et à s’enthousiasmer de l’existence d’un autre, tout comme il a une surprenante aptitude à éradiquer non seulement l’existence de ses semblables mais également leur souvenir.
Les membres de notre espèce ont parfois du mal à vivre en harmonie avec leurs semblables et à accepter leurs propres fragilités, leurs ambivalences et contradictions. Prendre sa place dans la société, s’investir dans la relation à l’autre ou bien dans la quête de pouvoir, vont dépendre du contexte de vie et des expériences antérieures de chacun. Il en résultera des attitudes variant de la soumission à la tyrannie, depuis demander le droit, avoir le droit, prendre le droit, exercer son droit, jusqu’à promouvoir son droit : peuvent alors s’installer ascendance, emprise, domination et toutes les formes d’abus.


Un sujet toujours tabou ?

Montaigne disait que « chacun appelle “barbarie” ce qui n’est pas de son usage » (1).
L’acceptation sociétale des maltraitances à domicile ou institutionnelles tend vers la tolérance zéro. L’émotion publique face à ces faits de « barbarie », autrefois tus, voire niés, augmente parallèlement à leur exposition médiatique. Les médias se plaisent à nous montrer la violence, dont les manifestations nous indignent, nous révoltent et nous terrorisent, mais nous passionnent et nous attirent en même temps. Il n’y a pas d’individu modèle, pas de famille, pas de professionnel ni de société modèles. Dans un article récemment publié dans cette revue (2) sur « l’EHPAD bashing », de nombreux professionnels s’indignaient des propos à charge relayés par certains journalistes sur les établissements et lieux de vie de personnes vulnérables qu’ils accompagnent.
Comme dans chaque activité, nous rencontrons des professionnels remarquables tant dans leurs compétences techniques que dans leur humanité, qu’il serait souhaitable de davantage valoriser. Nous en rencontrons d’autres qui ne sont simplement pas à leur place suite à une erreur de casting : il importe de pouvoir réorienter ces personnels vers un secteur qui leur conviendrait davantage. Et il existe également des prédateurs, mais comme le diront des experts sollicités pour ce numéro spécial, ils semblent peu nombreux, au moins dans les institutions.


Les dysfonctionnements organisationnels

Nous savons aujourd’hui que la majorité des situations de maltraitance rencontrées dans les établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) sont souvent induites par des dérèglements dans l’organisation des structures à différents échelons.
Dans tous les cas, nous ne pouvons nous exonérer de nommer, recenser, analyser et comprendre ces dysfonctionnements organisationnels ou structurels afin de réduire les faits de violence involontaire. Nous avons la responsabilité de les déconstruire pour tendre vers une organisation plus respectueuse des uns et des autres.
Depuis quelques décennies, un travail considérable a été conduit pour structurer les missions d’accompagnement et de soin : le patient est devenu coconstructeur de son projet de vie. Ont été identifiés les droits des usagers qu’il nous faut faire vivre au quotidien. Le sens de notre travail et celui de nos pratiques sont interrogés pour tendre vers une réelle adaptation aux besoins et aux attentes de la personne accompagnée.


La maltraitance semble persister : quelles sont les nouvelles problématiques mises à jour ?

Les ESMS ont mis ou mettent en place des projets d’établissement ou de service, des évaluations internes et externes, ainsi que d’autres outils préconisés par les politiques sociales (3). Ces établissements développent également des procédures « maltraitance » avec une organisation structurée des « informations préoccupantes » (IP), et tentent d’instaurer une culture de bientraitance. Malgré ces nombreux outils et procédures, des situations de maltraitance persistent.
Se posent notamment des problèmes concernant le suivi des informations préoccupantes, tant au sein des ESMS qu’au niveau des agences régionales de santé (ARS) et des conseils départementaux. Des professionnels des ESMS ne se sentent pas soutenus lorsqu’ils veulent alerter sur des dysfonctionnements ou des faits de violence dont ils sont témoins, ils appréhendent d’informer leur hiérarchie et craignent d’être en butte à l’opprobre de leur équipe, alors qu’ils cherchent simplement à protéger une personne vulnérable. Il apparaît également que les autorités de tutelle manquent de moyens et d’éléments pour gérer ces situations.
Comment protéger les lanceurs d’alerte ? Comment lutter contre la peur d’informer sa hiérarchie ? Parler de « maltraitance » ne suffit donc plus seulement, il faut trouver de nouvelles stratégies pour communiquer, pour appréhender le sujet, sans fragiliser davantage les équipes qui ont appris depuis longtemps à fonctionner en flux tendus.
En 2018, où en sommes-nous sur les problématiques de la maltraitance ? Qu’a changé le concept de « bientraitance » dans nos pratiques ? Quelles sont les nouvelles interrogations qui se sont fait jour suite au travail considérable conduit sur ce sujet ? Quels sont les chantiers qui s’ouvrent dorénavant pour limiter les phénomènes de violence et de maltraitance, qu’ils se déroulent à domicile ou en institution ?


(1)
Écrivain philosophe (1533-1592).


(2)
M. Ricard, « Une pétition pour mettre fin à l’“EHPAD bashing” », ASH n° 3083.



Magazine n°MALTRAITANCES : ÉVOLUTIONS, CHANTIERS À PROMOUVOIR

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