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LE PROJET PERSONNALISÉ : UN OUTIL PERFORMANT DE LUTTE CONTRE LA MALTRAITANCE

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Le psychiatre genevois Christian de Saussure évoque dans un ouvrage (1) la venue dans son service d’un patient caricatural des services de long séjour : un vieux monsieur qui déambule et crie tout au long de la journée. Ce praticien avait pour habitude de recevoir les membres familiaux pour mieux connaître ses patients à travers les regards croisés de leurs enfants. Il avait noté un détail qui pourrait paraître futile au premier abord : l’éducation, les bonnes manières avaient été un point primordial et central dans la vie de ce vieux monsieur. Et le docteur avait même noté ce détail suranné qu’il soulevait son chapeau lorsqu’il croisait la gent féminine. Ce médecin, en l’observant dans son service, s’est aperçu que chaque fois que les soignantes, et quel que soit leur statut, lui demandaient de rentrer dans sa chambre, il devenait très agité. M. de Saussure a prié un jour cet homme de s’asseoir dans sa chambre et lui a dit : « Je crois comprendre ce que vous souhaitez nous faire partager, vous souhaitez que ces dames rentrent avant vous dans votre chambre. » Cette consigne fut notée dans le dossier du patient. Et ce détail antique et cependant tellement charmant a permis d’obtenir des suites particulièrement favorables pour ce monsieur et par effet rebond pour tous les autres résidents, professionnels et visiteurs : moins de cris, de déambulations et de psychotropes. Son fonctionnement était tellement ancré dans sa chair que c’est avec tout son être qu’il réagissait. Même si cette amélioration n’a duré que quelques mois compte tenu de la pathologie évolutive de ce patient, cela n’en reste pas moins une victoire enthousiasmante. Il ne s’agissait pas de guérir mais de soigner en soulageant des frustrations.
Des détails du quotidien peuvent faire basculer la vie d’une personne...
Le projet personnalisé est un outil de la loi n° 2002-2 qui contribue au renforcement des droits des usagers dont la pleine participation doit devenir une réalité (2).
Son utilisation est incontournable pour contribuer à la lutte contre la maltraitance et au développement des approches bientraitantes. C’est un outil qui concourt à limiter les crises car il permet une meilleure connaissance de la personne et une prise en compte réelle de ses attentes. L’usager en devient un contributeur, ses frustrations sont donc moins nombreuses. Les professionnels, quant à eux, vivent leur travail avec davantage de satisfaction, leurs missions sont ciblées et travaillées en amont.
Sur le terrain, les professionnels en ont compris l’intérêt mais le manque de temps les empêche souvent de le mettre en place, et le projet personnalisé reste donc dans la liste des projets à conduire. Quand il est mis en place, il n’est que trop rarement réévalué.
L’usage de cet outil contribue indéniablement à développer un accompagnement de qualité puisqu’il est particulièrement adapté aux besoins exprimés par la personne accompagnée. Les familles sont également associées. Les rôles de chacun sont mis en évidence. Chaque protagoniste devient pleinement acteur et s’insère dans le développement du plan d’intervention pluridisciplinaire individualisé. L’usage du projet personnalisé est indispensable car il permet de connaître la personne et de la reconnaître. Le projet personnalisé s’identifie donc comme un outil crucial pour contribuer à faire vivre une approche respectueuse et limiter les perturbations possibles générées par les intervenants. Il serait donc nécessaire qu’il soit accessible à tous les professionnels intervenant auprès de l’usager car, sans la connaître, comment prétendre valoriser la personne au service de laquelle ils sont missionnés ? Quand ils existent, les projets personnalisés construits par chaque structure restent peu partagés : il serait beaucoup plus efficace en gain de temps et d’énergie qu’il n’existe désormais qu’un seul projet personnalisé par individu, qui le suive par exemple lorsqu’il doit être hospitalisé et, bien sûr, quand il revient de son séjour à l’hôpital. Cela éviterait bien des maltraitances involontaires.
Cet outil défend des valeurs fondamentales et une culture de l’organisation en renforçant l’engagement déontologique et éthique de chacun. Il est la reconnaissance par l’organisation professionnelle que l’usager/patient est le point central du plan d’intervention, et permet de recentrer la personne comme restant toujours actrice de sa destinée. Ainsi, ses besoins, capacités, valeurs, désirs, objectifs, ses codes et modes relationnels peuvent être toujours pris en compte. Son contexte de vie est considéré. Le professionnel adapte ses compétences au fonctionnement et au contexte de vie de la personne.
Le projet personnalisé est composé d’informations cruciales qui peuvent aider les professionnels à trouver des éléments clés pour accompagner et soutenir efficacement l’usager/patient. Par exemple :
  • l’anamnèse ou biographie ;
  • le génosociogramme, qui fournit une lisibilité sur la composition familiale et l’ensemble des intervenants ;
  • la figurine géronte : échelle visuelle d’évaluation de l’autonomie ;
  • une fiche santé ;
  • une fiche d’aptitudes cognitives et comportementales observées, qui permet de recentrer les capacités et comment les explorer ;
  • une fiche journée type où s’échelonnent les séquences de vie et habitudes de la personne ;
  • le plan d’aide contracté et daté, récapitulant les moments séquencés de la journée, dans lequel les fonctions et missions de chaque intervenant sont précisées ;
  • une note décrivant l’adaptation de la personne à l’équipe professionnelle (notamment les premiers contacts), les crises éventuelles et les manières dont elles ont été gérées par les protagonistes. Quelles sont les causes des crises ? Y aurait-il un élément déclencheur commun ? S’agit-il d’un élément associé au syndrome démentiel, par exemple, ou s’agit-il d’un syndrome confusionnel qui justifierait l’appel d’un médecin ? ;
  • le nom de la personne référente de l’usager et de celle qui gère les réunions de synthèses pluridisciplinaires ;
  • les dates successives de révision du projet personnalisé...
Le projet individualisé permet de travailler en amont l’engagement que l’on aura avec tel usager/patient, de ne plus communiquer sur des sujets convenus mais davantage sur des thèmes qui ont intéressé la personne : cet outil permet de tenter une efficacité créative. Nous autorisons l’autre à se percevoir compétent et digne de respect. Le projet personnalisé permet de s’interroger sur les comportements systématiquement insatisfaits, agressifs, voire violents de certains usagers envers leurs aidants, afin que soient anticipées collectivement des stratégies d’apaisement.
Pour Antoine Sfeir (3), le « respect » est une notion clé, à ne pas confondre avec la « tolérance » : il s’agit de « savoir reconnaître l’autre » et pour reconnaître l’autre, n’est-il pas évident qu’il faille d’abord le connaître ?
Le respect est aussi un engagement de « soi », une prise de risque émotionnelle, un engagement affectif. Tous ceux qui l’espèrent devraient aussi l’offrir.


(1)
C. de Saussure, « Vieillards martyrs, vieillards tirelires », Éd. Médecine et Hygiène, 1999.


(2)
Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.


(3)
Journaliste politologue français (1948-2018), expert international des sujets liés au Moyen-Orient et plus généralement au monde musulman.

SECTION 4 - PHASE AIGUË DE LA CRISE

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