A. Entretien avec Alice Casagrande
Vice-présidente de la Commission pour la promotion de la bientraitance et la lutte contre la maltraitance, membre du comité de pilotage du ministère de la Santé sur la promotion de la bientraitance dans les établissements de santé, présidente du groupe travail « Signalements et alertes » au sein du Comité national pour la bientraitance et les droits des personnes âgées et des personnes handicapées – Mission à la FEHAP – enseignante.
Auteure en 2012 de Ce que la maltraitance nous enseigne : difficile bientraitance, Dunod (3 octobre 2018)
B. L. : Que manque-t-il, selon vous, pour mieux faire émerger les situations de maltraitance à domicile et en institution ?
A. C. : C’est tout d’abord une connaissance très claire des obligations d’alerte et de la manière dont elles fonctionnent. Cela manque cruellement, comme j’ai pu l’observer lors d’une conférence que j’ai donnée récemment lors de journées de formation destinées à des médecins généralistes. Privilégiant les études de cas, je leur présente un problème de maltraitance concernant un mineur dans une crèche, problème suffisamment grave pour mériter un signalement au pénal.
Dans l’alerte en question, les professionnels impliqués n’ont qu’un témoignage oral de faits très graves, mais pas de preuves tangibles. Je demande aux 300 médecins généralistes présents dans la salle si, en l’état actuel des faits, ce témoignage d’une personne qui refuse de l’écrire est suffisant à leur avis pour alerter la justice ou le département. Je leur demande donc de lever la main s’ils pensent justifié le fait de prévenir le procureur de la République ou la brigade des mineurs : quasiment aucun n’a levé la main.
99 % des professionnels que j’ai croisés sur le terrain ont le même type d’attitude : ils ne connaissent pas les obligations d’alerte et pensent que pour signaler il faut avoir des preuves irréfutables. Quand ils connaissent les obligations d’alerte, suite à une formation par exemple, interfèrent alors les peurs de représailles ou le conflit de loyauté.
Le conflit de loyauté, c’est par exemple une aide à domicile intervenant auprès d’un malade Alzheimer qui constate des choses un peu anormales de la part d’une collègue qui intervient dans la contre-équipe. Eh bien, très régulièrement, la solidarité naturelle ira vers cette collègue, qui n’est pas très considérée et qui n’a pas la vie facile, plutôt qu’à la malade Alzheimer.
La peur de l’alerte, du signalement, et a fortiori de la justice, est à l’origine de ce type de dilemmes. La France n’aime pas l’alerte, ni les émetteurs d’alerte, et on n’aime pas être soi-même un émetteur d’alerte : on a tendance à minimiser ce que l’on a vu ; ou bien, si on en réalise la gravité, on a tendance à se taire en espérant qu’un autre le fasse à sa place ; et bien souvent, d’une manière ou d’une autre, ça passe à la trappe. Pour surmonter ce phénomène que l’on pourrait qualifier de « silenciation », il manque, outre la connaissance des obligations, une culture de l’alerte saine.
B. L. : Comment libérer et soutenir davantage la parole des professionnels ou résidents/usagers qui dénoncent des faits de maltraitance ?
A. C. : L’alerte est facilitée lorsque les processus d’accueil des nouveaux salariés et des nouveaux usagers intègrent l’éventualité de situations inacceptables et fournissent les modalités de leur signalement : c’est l’anticipation.
Le nouveau résident doit être informé de ses droits, des personnes à qui il peut s’adresser en cas de manquement ou de dysfonctionnement, et, s’il n’est pas à l’aise pour en parler au sein de l’établissement, les contacts qu’il peut appeler en dehors de la structure.
Lors du recrutement d’un professionnel, lorsque lui sont expliqués les fonctionnements de la structure qu’il intègre, il faut également insister sur le fait que tout n’est pas toujours parfait et que des manquements, voire des situations de maltraitance, sont possibles. Toutes les procédures d’alerte et de gestion de crise doivent lui être alors explicitées.
Ce n’est pas souvent le cas à ma connaissance : personne n’a réellement envie d’évoquer ce qui pourrait aller mal ou pire, de passer pour alarmiste ou insécurisant. On préfère compter sur la spontanéité des personnels, leur capacité décisionnelle et leur courage, sans avoir anticipé.
L’alerte est facilitée, d’autre part, par la clarté du recueil où doivent être notés et référencés tous les événements : c’est l’« obligation de recueil ». L’encadrement a l’obligation d’être très précis sur la manière de collecter les informations notées dans le recueil pour éviter toute ambiguïté : toute parole d’un professionnel concernant les droits fondamentaux d’un résident ne peut rester une confidence, un échange informel ou une conversation de cafétéria, mais nécessite d’être prise en compte dans le recueil. Que je sois cadre intermédiaire, responsable de proximité, cadre dirigeant... je ne cautionne pas que l’on papote informellement sur des droits violés. Des progrès considérables sont à réaliser sur la sécurité de la transmission et le suivi des alertes, que ce soit en interne ou en externe (département, agences régionales de santé [ARS[...). Il faudrait notamment qu’il y ait retour systématique à l’émetteur, au moins sous forme d’accusé de réception. Il est insécurisant et démotivant pour les professionnels, cadres ou non, et les usagers, de n’avoir aucun retour des autorités régulatrices après alerte sur un fait significatif pour ne pas dire grave, ce qui est ressenti comme une sorte de banalisation de l’événement.
B. L. : Les organisations de maltraitance s’inscrivent le plus souvent dans des relations asymétriques, des impasses relationnelles et des jeux d’emprise et ce, inconsciemment ou consciemment. Pensez-vous que les professionnels du soin et de l’accompagnement ont les moyens de travailler aujourd’hui au sein de leurs structures respectives ces jeux relationnels, ces modalités de fonctionnement ?
A. C. : Tout d’abord, nous n’avons pas de chiffres qui permettent de dire avec certitude que la maltraitance non intentionnelle, involontaire, est massivement plus présente que la maltraitance volontaire et prédatrice. Cette dernière est rapidement évacuée dans nos réflexions collectives au profit des dysfonctionnements d’organisation et de moyens qui font le lit de la maltraitance involontaire. Ne soyons quand même pas trop pressés de passer sous silence les mécanismes de méchanceté organisée, de vol, ou d’abus sexuels, tous prémédités.
Pour revenir à votre question, les professionnels ont-ils les moyens d’une analyse réflexive, de se décoller en fait de l’immédiat, de la « course-poursuite » de l’action ? Cela dépend beaucoup de la manière dont le management s’approprie et applique les textes. Pour avoir piloté à la Croix-Rouge française pendant six ans la démarche « qualité » de 400 établissements sanitaires et médico-sociaux, j’ai pu constater que les outils de la loi n° 2002-2 (1). pouvaient être utilisés de manière extrêmement formelle, très loin du vivant et de la vigilance. À l’inverse, des directeurs et des cadres utilisaient ces dispositifs de manière très positive : dans leurs structures, l’évaluation interne, par exemple, ou la procédure d’accueil étaient de vraies occasions de rencontres d’autrui et de vigilances collectives.
Mais vous dire qu’aujourd’hui la politique publique a mis en place ce qu’il fallait pour que les professionnels aient toujours les moyens de recul suffisant, je ne le crois pas. Dans les formations initiales, les méthodes pédagogiques employées font que l’enseignement des droits et libertés reste souvent superficiel ; la contextualisation de la loi n° 2002-2, par exemple, n’est pas assimilée dans la conscience et les réflexes des futurs professionnels. Il s’agit de passer à une pédagogie coconstruite avec les personnes elles-mêmes, avec les usagers ; autrement dit, instaurer dans toutes les formations initiales ou continues le principe de la coanimation par un formateur et par une personne accompagnée, ou par un formateur et une personne handicapée, par une personne et un aidant. Il faut installer une expertise d’usage, avec la légitimité de la voix des personnes accompagnées, c’est un changement de paradigme.
B. L. : De nombreux professionnels évoquent le manque de personnel comme une des causes principales des fonctionnements maltraitants : êtes-vous d’accord avec ce constat et y aurait-il un ratio idéal – professionnel/usager-patient – pour limiter les situations de maltraitance ?
A. C. : Il est absolument essentiel de rappeler qu’en dessous d’un certain seuil, on ne peut pas faire du bon travail. Les Anglo-Saxons, en particulier les Américains, sont parvenus à des quantifications, mais elles sont minimales et ne peuvent pas nécessairement nous inspirer. Cependant, on ne peut évidemment ignorer la crise du financement à laquelle font face les départements et les établissements.
J’ai néanmoins constaté par expérience que certaines des pires crises n’étaient pas directement liées à des questions de sous-effectif par rapport aux plannings prévus et au budget prévisionnel :
- il s’agit souvent plus d’un sous-effectif de ressources réelles, physiquement présentes, que d’un manque de ressources affectées. Pour des raisons de dynamique d’équipe, de faiblesse ou d’inexistence d’encadrement, ou de hiatus entre l’encadrement de proximité souhaité et les équipes, s’installent un absentéisme de dernière minute endémique, une absence de communication et de coopération, jusqu’à l’émergence de violences. Certaines structures vont tellement mal, sont si mal pilotées et régulées, que les personnels qui devraient être là n’y sont pas, ou les qualifications qui devraient être là n’y sont pas. Pour y pallier, on multiplie les bras armés, souvent des personnes peu formées et démunies face au handicap cognitif, face aux soins palliatifs, face aux familles désemparées, face aux troubles de comportement aigus... De plus, le désaccordage profond entre les ressources affectées en théorie et les ressources effectivement présentes au travail entraîne des charges de travail multipliées pour le personnel restant ;
- il peut s’agir aussi de professionnels qui glissent dans l’automatisation défensive, se consacrant davantage à faire des plannings sur leur ordinateur ou à effectuer les mêmes tâches journalières de manière répétitive. Ce n’est pas une question de niveau de qualification, mais de formation et de vigilance managériale pour interrompre ce mouvement de « minéralisation » des professionnels, suivant une formule de Paul Ricœur (2). concernant l’effet de la routine sur la conscience. J’ai vu des équipes vivantes devenir « gisantes » et de gisantes devenir « minérales ». Nous ne sommes alors plus dans un problème de ratio de personnel, mais dans un glissement vers des robots du soin face à des objets destinataires, des enlisements individuels et collectifs absolument mortifères. Je connais peu de souffrances qui égalent celles-là. Faisons preuve de vigilance et d’éthique pour contrer ce glissement vers l’habitude, vers la routine, qui tue à la fois les personnes et les professionnels.
B. L. : Vous évoquez dans votre ouvrage l’effet inverse que peuvent parfois produire les démarches « qualité » demandées aux équipes : pourquoi et comment pourraient-elles fragiliser les structures ?
A. C. : Lorsqu’un professionnel est démuni et isolé dans son métier, le recours aux outils et aux modélisations est redoutablement valorisé. Aujourd’hui, les ARS nous demandent des rapports d’activité, des démarches « qualité », des tableaux avec indicateurs de suivi, avec un recensement des événements indésirables graves classés selon des typologies. Cette modélisation est censée faciliter l’action (ex. : tant de chutes, tant de risques de dénutrition...) à travers la rédaction d’un plan d’action « qualité » prenant en compte toutes les circonstances et en déduisant des mesures préventives et correctives. Cela donne une illusion de maîtrise sur le réel, parfois complètement fictive quand les professionnels n’écrivent pas.
Par exemple, une professionnelle du soin, aide-soignante, renverse l’assiette de moules-frites d’une résidente ; sans réfléchir, elle remet les aliments dans l’assiette qu’elle redonne à la résidente. Personne ne réagit et aucun des professionnels présents dans la salle de restaurant ne va prendre la peine de noter l’incident. Si le cadre infirmier n’était pas passé par hasard, la situation serait passée complètement inaperçue. Ce qui signifie que, quelle que soit la gravité de l’événement indésirable, il ne figurera pas dans le recueil de qualité, parce qu’on n’est pas sûr, parce qu’on ne veut pas balancer, parce qu’on a peur... : il y a un piège de la lisibilité. On croit tout voir et donc piloter le réel, et finalement on n’en voit qu’un petit bout et ce n’est que ce « petit bout » que l’on maîtrise un peu. Dans la situation évoquée, la professionnelle en cause, très régulièrement en arrêt maladie suite aux séquelles de son alcoolisation, a peut-être une conscience limitée de la gravité des choses. Le directeur redoute les conséquences sociales d’un licenciement, il ne tient pas du tout à se conduire en impitoyable employeur – qu’il n’est d’ailleurs pas ! Ces dilemmes ordinaires sont mal appréhendés par la démarche « qualité », qui doit avoir une vision non tronquée de la réalité des faits pour bien gérer les risques et assurer un suivi efficace. Or, les ARS qui n’ont pas le temps de faire des inspections-contrôles se basent essentiellement sur des modélisations trop souvent insuffisamment renseignées et reflétant mal la réalité des fonctionnements des structures.
B. L. : Quelles sont les difficultés des équipes managériales des structures de l’accompagnement face à la gestion de situations de maltraitance ?
A. C. : La difficulté des équipes managériales, paradoxalement, c’est leur ambition de générosité, d’attention à un public fragile qu’il soit handicapé, socialement précaire, ou en vieillissement avancé. Cette ambition de générosité et d’humanisme s’étend assez classiquement à la gestion des équipes, avec une envie que ça marche, une appétence de l’échange, le goût finalement de l’être ensemble, qui s’accordent très mal avec la métabolisation efficace de l’alerte. L’alerte fait désordre, le réel fait désordre de la vocation, fait désordre du sens qu’on met à la mission et aux personnes. « Comment, mon équipe aurait fait ça ? Comment cela a-t-il pu se produire ? » : stupéfaction et sidération, refus de l’évidence, indignation, tout autant de comportements inefficaces. Il faut savoir trancher : « Vos enfants, vos difficultés, votre week-end, cela n’est pas le débat... pour ce manquement il faut une mise à pied de trois jours ! »
Les formations ne préparent pas suffisamment encore à cet aspect du rôle managérial. Elles sont surtout axées sur la gestion de projet, l’animation de réunions, la fabrication de plannings, les systèmes d’information... D’autre part, les ressources des organisations gestionnaires sont faibles, qu’elles soient juridiques et/ou ressources humaines. Cette relative solitude managériale peut entraîner deux types de comportements immatures : soit l’excès de permissivité (« Moi je n’ai rien vu, mais ne recommencez pas »), soit l’expéditif disciplinaire.
Pour grandir en maturité, il faut pouvoir échanger entre pairs avec méthode. Les espaces de réflexion éthique régionaux (ERER) pourraient constituer des plateformes idéales pour des rendez-vous réguliers, des interfaces, afin de favoriser l’échange et la vigilance collective. Ces espaces n’ont pas encore un mandatement suffisant et il faut en faire une priorité : oui, il faut lutter contre la douleur, améliorer les conditions de fin de vie, ne pas envoyer les personnes âgées dans leurs dernières heures de vie de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) à l’hôpital ; oui, il faut l’alimentation plaisir dans les lieux de séjour de longue durée ; oui, bien sûr, les ERER doivent réfléchir sur la ponctualité, la parentalité, le lien aux familles, mais ils doivent aussi étayer le management.
B. L. : Que conseilleriez-vous à un responsable d’équipe et de structure qui vous dirait avec sincérité : « J’appréhende d’avoir à gérer une situation de crise et je suis effrayé à l’idée d’avoir à gérer un jour une situation de maltraitance » ?
A. C. : Il ne faut plus laisser les directeurs dans la solitude, car cela signifie des usagers seuls, il est nécessaire qu’ils aient des groupes d’échange pilotés par une instance de référence. Pendant six ans, à la Croix-Rouge, j’ai géré des appels de managers démunis, qui m’appelaient car ils savaient qu’ils bénéficieraient de la compétence de tout un groupe, à la fois juridique, ressources humaines et qualité. Nous n’étions pas là pour leur mettre des bâtons dans les roues, les juger, les dénoncer, mais pour les écouter et réfléchir avec eux sur les stratégies à adopter.
En l’absence d’un réseau d’entraide (ex. : anciens élèves de l’École des hautes études en santé publique [EHESP[, Groupement national des directeurs d’associations [GNDA[...), les managers devraient s’organiser avec des collègues confrontés aux mêmes difficultés pour exiger de leurs autorités de régulation – ARS et département – un dispositif d’appui comprenant juriste, psychologue, appui « ressources humaines »... Dans leur demande, les managers doivent être proactifs, en mettant en avant leurs responsabilités et leur besoin de soutien pour gérer d’éventuelles situations de maltraitance.
Les structures régionales d’appui à la qualité (SRA) apparaissent comme la grande voie d’avenir. Présentes dans toutes les régions, elles sont financées par les ARS, et sont bien structurées avec médecins, psychologues, et tout un réseau très actif. Ces structures régionales d’appui, à condition d’être correctement connues, pourraient être très utiles. Il faut informer les directeurs d’aller vers elles, qu’elles puissent être des interlocuteurs de ressource, de résolution de dilemmes, de retour d’expérience... Pour le moment, ces structures régionales d’appui sont essentiellement axées sur le sanitaire et peu connues de l’univers médico-social, cela gagnerait à évoluer.
B. L. : « La difficile bientraitance », le sous-titre de votre ouvrage, ne serait-elle pas vécue comme une injonction de réussite par les professionnels et, par là même, comme un vœu pieux où les problèmes individuels et soucis relationnels seraient effacés au profit d’une organisation et structuration idéalisées ?
A. C. : Je pense que oui. La bientraitance a été, à tort ou à raison, vécue de bien des façons comme une injonction à la perfection, au risque de persécuter et de désespérer tout le monde. La bientraitance me semble plutôt une proposition de valeur qui a tout son sens en termes de finalité et qui requiert la participation : la voix des professionnels, la voix des aidants, la voix des personnes.
Plus que l’idéal inaccessible de la gentille relation toujours parfaite, il est indispensable d’organiser les espaces de pouvoir et de contre-pouvoir. Il y a des pouvoirs dans les établissements, des professionnels caractériels, des usagers violents, des espaces où un salarié sous contrat précaire ne peut s’exprimer sans crainte de représailles. Il existe de fait des écarts importants entre la visée humaniste et les résultats de l’ambition de bientraitance, ce qui entraîne souvent la désillusion.
Le meilleur moyen serait d’organiser, de structurer et de systématiser la participation de toutes les parties prenantes afin d’améliorer ensemble la qualité de vie au travail et la coconstruction avec les usagers.
B. L. : Comment construire cette harmonie relationnelle et structurelle en tenant compte des contextes de vie fluctuants : des patients, de leurs pathologies complexes, des familles, des objectifs professionnels, des moyens mis en œuvre ?
A. C. : Il faut changer de paradigme et passer de la confection d’un soin prodigué à un soin coconstruit, d’un accompagnement social organisé à un accompagnement social coconstruit. Considérons qu’on n’est plus dans un acte professionnel prodigué par une personne formée, qualifiée, compétente, à l’intention d’une autre personne fragile, isolée, vulnérable, mais imaginons que ce sont deux partenaires. Le professionnel seul n’a pas les ressources suffisantes, qu’elles soient émotionnelles, de compréhension, ou de connaissances. Il importe qu’il soit habitué non seulement à rechercher de l’aide auprès de ses collègues et de sa hiérarchie, mais également qu’il se tourne vers le patient et sa famille. Dès la formation initiale devrait s’imposer l’idée que le patient n’est pas au centre de l’accompagnement, il en est un partenaire.
Il ne va pas de soi de parler de « partenariat » avec une personne dont le degré de dépendance est extrêmement sévère. Il est difficile d’imaginer qu’une personne très fragilisée par la maladie, l’âge, la dépendance, puisse nous aider. Or tous les soignants, tous les professionnels du social le savent parfaitement, même une personne polyhandicapée, même une personne très dépendante, peut être dans une opposition radicale aux soins et à l’accompagnement. Cela va se traduire par exemple par l’absence d’observance, le refus de prendre son traitement, ou, dans l’accompagnement social, par le non-recours aux droits. D’autres formes d’opposition, très éprouvantes physiquement et psychiquement, se manifestent par des cris ou des insultes. Mais on se trompe de paradigme lorsqu’on qualifie ces patients comme opposants, rebelles ou non compliants : on part du postulat « je sais et j’apporte à l’autre » alors qu’il faudrait dire « je rencontre et je coconstruis avec lui ».
J’insiste beaucoup, lors des formations initiales et continues, sur cette dimension de la participation des personnes : les étudiants sont plus ouverts sur le peu de connaissances qu’ils ont par rapport à l’étendue des savoirs, ils sont moins installés dans leurs habitudes et leurs certitudes. Ils comprennent l’idée de ne pas être des pourvoyeurs de contenu à des patients assimilés à des objets vides.
B. L. : Quelles sont vos satisfactions aujourd’hui et les avancées que vous observez ?
A. C. : Le pouvoir d’agir progresse. Se pose enfin, de façon scientifique et citoyenne à la fois, la nécessité de se confronter à la relation, même troublée. Le livre blanc que vient de faire paraître la Fondation Médéric-Alzheimer souligne l’importance primordiale de la prise en charge non médicamenteuse de la maladie. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’il faille cesser d’investir dans la recherche fondamentale, de développer des connaissances sur l’autisme, de continuer à mieux comprendre la maladie chronique, ou l’avancée en âge... mais il y a un pas décisif dans les mentalités sur la promotion des sciences humaines et sociales comme facteur clé de compréhension, et donc d’action avec les personnes.
La mobilisation citoyenne sur la reconnaissance des savoirs expérientiels avance de façon très significative, comme l’illustrent le partenariat patient-médecin, récemment institué dans les formations médicales initiales, ou le thème des journées scientifiques de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) d’octobre 2018 sur « Le savoir expérientiel des personnes en situation de handicap ». C’est aussi le sens du plaidoyer partenarial « Associons nos savoirs » (3). que vient de signer Agnès Buzyn (4). Nous sommes dans une curiosité de l’humain pour l’humain beaucoup plus ouverte. Il n’est plus dit d’un patient Alzheimer qu’il n’a plus sa tête, c’est fini ; petit à petit, on a enfin commencé à comprendre qu’en réalité il y avait une vie psychique intense chez ces malades avec des émotions au contraire démultipliées.
B. L. : Quels seraient les messages essentiels que vous souhaiteriez faire passer à travers cet entretien auprès des personnels des ESMS ?
A. C. : Le premier message, c’est que je suis éblouie par ce qu’ils réalisent, impressionnée de l’humanité de ces professionnels qui se manifeste dans la somme d’actions minuscules mais capitales. Je n’ai pas du tout envie de les plaindre, de leur dire qu’ils ont du mérite, mais de leur assurer qu’ils ne sont pas seuls.
Ne croyez pas qu’on ne vous regarde pas, qu’on n’est pas désolés des situations d’enfer que vous pouvez vivre dans votre métier, dans des accompagnements arides ou violents, dans des impasses, dans des absences de moyens, dans des désintérêts managériaux, dans des organisations délétères. L’ensemble des citoyens est très sensible à ce que vous faites et à ce que vous vivez.
N’hésitez pas à faire appel à nous. Nous avons des ressources, nous avons des choses à vous proposer, ne croyez pas qu’il faille absolument tout faire seul, n’hésitez pas à vous tourner vers les citoyens, n’hésitez pas à écrire, à publier, à rencontrer... la société a besoin de vous et elle est là pour vous.
B. Entretien avec le Dr Robert Moulias
Président du conseil scientifique de la Fédération 3977, docteur en médecine, Robert Moulias est également professeur émérite de gériatrie à l’université Pierre et Marie-Curie à Paris. Après avoir exercé les fonctions de secrétaire général de la Société française de gériatrie et gérontologie, de président de l’International Association of Gerontology and Geriatrics-European Region (IAGG-ER), et de président d’ALMA (Allô-maltraitance), il occupe actuellement les fonctions de président de la commission « Age, droits, liberté » de la Société française de gériatrie et gérontologie (20 septembre 2018)
B. L. : En tant que président du conseil scientifique de la Fédération 3977 et participant au conseil scientifique de la Fédération internationale des associations de personnes âgées (FIAPA), pourriez-vous évoquer ce que nous apprennent les dernières statistiques sur les maltraitances, si elles sont disponibles ?
R. M. : La maltraitance est insidieuse et difficilement décelable. Il n’existe pas de statistiques valables au niveau international car les pays n’utilisent pas les mêmes définitions. Ainsi, une étude européenne montrait d’importants écarts des taux de maltraitance entre pays, qui se sont avérés après exploration n’être dus qu’à l’utilisation de définitions différentes. En effet, la définition officielle, applicable à toutes sortes de violences, reste très floue et permet des interprétations variées.
Nous traitons à la Fédération 3977 de l’ordre de 4 000 à 5 000 dossiers de maltraitance par an, ce qui n’est sans doute qu’une toute petite partie de l’existant. Dans les réformes en cours, la volonté d’avoir une vision globale de la maltraitance se heurte à l’imprécision des définitions qui recouvrent des faits très différents n’ayant aucune relation entre eux, si ce n’est la vulnérabilité de la personne : des pratiques professionnelles inadéquates, inappropriées, d’origine organisationnelle sont mises au même niveau que des délits avec abus de faiblesse ou des agressions.
B. L. : Comme vous l’avez écrit par ailleurs, on aurait tendance à définir la maltraitance sur ses conséquences et non sur ses mécanismes ?
R. M. : Nous avons organisé avec le Québec un groupe de travail international avec Mme Marie Beaulieu (5). sur le vocabulaire de la maltraitance. Le mot « maltraitance » est inadéquat lorsqu’il est utilisé pour décrire des actions qui sont totalement involontaires : celui qui n’a pas le temps de faire son travail est maltraitant mais il est également maltraité car en souffrance. Le personnage, généralement sympathique, qui va construire son emprise sur une personne fragile ayant besoin d’affection afin de la dépouiller, est également dit « maltraitant ». Il s’agit dans le premier cas de maltraitances involontaires dues à l’impossibilité matérielle de faire correctement son travail, tandis que le second cas relève de l’abus volontaire de faiblesse avec circonstances aggravantes. Il y a bien sûr des cas intermédiaires entre ces deux extrêmes. L’absence d’encadrement de proximité favorise à la fois pratiques inappropriées et malveillances.
Remarquons que pour la maltraitance, il est souvent d’usage de préférer des termes modérés, tels qu’« abus financier » (« abus » veut dire « usage excessif » !), plutôt que « vol avec abus de faiblesse ». De même, dans les institutions pour handicapés mentaux, il est fréquent qu’un viol devienne un abus sexuel.
Le mot « maltraitance » est devenu un sujet qui fâche dont les professionnels ne veulent plus entendre parler, bien que les faits existent : on préfère prôner la « bientraitance », mot également inapproprié. Notons que la première utilisation du mot « bientraitance » ne revient pas à Mme Danielle Rapoport (6), en référence à son travail sur les soins au nourrisson, mais à une instruction du xviie siècle donnée aux officiers des vaisseaux négriers de « bientraiter » les esclaves transportés : il fallait avoir de la bientraitance pour mieux les vendre...
La maltraitance dans les définitions officielles fait d’abord référence à un acte individuel, alors que les maltraitances organisationnelles sont rarement évoquées.
B. L. : Pourriez-vous définir les maltraitances organisationnelles ?
R. M. : Les maltraitances organisationnelles sont soit d’origine structurelle, induites par l’organisation même de l’établissement ou du service à domicile, soit d’origine « systémique », induites par les traditions, les lois ou les règlements.
Au Québec, Mme Beaulieu a mis trois ans à faire admettre par son gouvernement les termes de « maltraitance organisationnelle », qu’il s’agit de bien distinguer de la « maltraitance individuelle ».
Il faudrait trouver un autre mot que « maltraitance », notamment quand certains sont amenés à agir violemment sans le vouloir ou parce qu’il n’y a pas d’autre possibilité : par exemple, en tant que médecin, je dois annoncer un diagnostic d’Alzheimer ou d’un cancer inopérable. Si je le dis, c’est une violence extrême ; si je le tais, c’est une autre violence. Pour un professionnel consciencieux, ne pas avoir le temps de faire ses tâches, ne pas pouvoir solliciter un responsable en cas de besoin ou partager avec l’équipe sur un problème éthique, voilà des situations qui génèrent de mauvaises pratiques professionnelles. Il s’agit là non pas de maltraitance individuelle mais d’une maltraitance organisationnelle, qui peut être induite par le dysfonctionnement global d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) : le directeur fait de la gestion au lieu de diriger, il n’y a pas d’encadrement, pas de moyens suffisants, un personnel en sous-effectif ou mal formé, des familles procédurières ou des syndicats corporatistes.
Le point commun de nombreux aspects de la maltraitance, qu’elle soit organisationnelle ou individuelle, nous semble être la relation asymétrique qui favorise l’émergence de violences : la personne dépend de façon plus ou moins importante d’un autre individu ou d’une organisation (établissement, service d’aide à domicile, structure familiale). Lorsque la personne dépendante est captive de cette organisation, et que les accompagnants ne sont pas prêts ou manquent de moyens, la maltraitance devient en quelque sorte inéluctable quels que soient les efforts des professionnels et des aidants familiaux.
B. L. : Comment devient-on maltraitant ?
R. M. : Dans la majorité des cas, les maltraitances individuelles sont involontaires et relativement faciles à corriger (mauvaises pratiques professionnelles...).
Mais il est des cas où les maltraitances sont intentionnelles, soit de façon « bienveillante », car on croit bien faire et on impose ses utopies, soit la malveillance est intentionnelle, ce qui relève de la sanction. Les psychologues diront que les pervers ne comprennent même pas la sanction. Il y a aussi la malveillance inconsciente qui relève de la psychiatrie.
Catégoriser ces différents types de maltraitance à partir de leurs mécanismes, les appeler par leur nom, permettrait de construire des modèles scientifiques et donnerait des possibilités d’agir. En l’absence de modèle au niveau national comme au niveau international, chacun est obligé d’improviser et de faire ce qu’il croit être bon pour essayer de traiter son quotidien professionnel.
B. L. : On fait les choses par défaut ?
R. M. : Chacun croit bien faire mais il n’y a aucune mutualisation possible, très peu de typologies de situations de maltraitance étant bien définies. Une des situations les plus courantes au domicile, en fait l’une des plus violentes, concerne le fils violent revenu vivre chez sa mère. Généralement chômeur, il est divorcé et a peu de ressources, vivant aux crochets de sa mère.
Si celle-ci devient dépendante, il ne sait généralement pas ce qu’il faut faire, va s’opposer, jusqu’à aboutir au schéma extrême que connaissent de nombreux gériatres : mère démente, fils violent souvent alcoolique, ou psychopathe, ou schizophrène en rupture de traitement. La solution serait le retour du fils dans un système de soins, mais la situation n’étant pas décrite, personne ne sait ce qu’il faut faire.
Pour pallier ces carences, le conseil scientifique de notre fédération a commencé la description des typologies de maltraitance, encore partielle, car toutes les situations sont inégalement renseignées, en partant de l’expérience des centres ALMA et de cas vécus analysés de façon pluridisciplinaire. Chaque situation de maltraitance est complexe et ne peut se contenter d’un accueil et d’une analyse mono professionnels.
La vulnérabilité est la condition sine qua non de toute maltraitance ; la victime potentielle se trouve dans une situation de dépendance liée à un handicap qui peut être physique, psychique, social (isolement, absence de ressource, précarité). La richesse même très modeste est aussi un facteur de maltraitance, notamment pour des personnes âgées sans enfants, cibles de tous les prédateurs quand elles vivent seules. Il y a également des aspects juridiques, administratifs... le tout nécessite un abord pluridisciplinaire par un collège de référents et d’experts : travailleurs sociaux, psychologue, psychiatre, médecin généraliste, gériatre, juriste, avocat, procureur...
B. L. : Au fil des décennies, comment évolue la problématique du domicile pour les publics accompagnés ? Pourriez-vous évoquer les maltraitances que peuvent subir les publics vulnérables à leur domicile ?
R. M. : Il arrive régulièrement dans nos centres d’écoute des situations que Maupassant n’aurait pas osé imaginer. 75 % à 80 % de nos appels concernent le domicile, c’est au domicile qu’il y a le plus de maltraitance, notamment financière, et c’est là où nous avons le plus de difficultés à interagir car il s’agit d’un milieu clos. Plus le milieu est fermé, plus le risque de maltraitance est élevé : une succession de violences va être possible, depuis le proche aidant jusqu’au professionnel et à tout intervenant extérieur. Et il y a aussi les violences familiales, les violences conjugales qui ne s’arrêtent pas à 60 ans, l’inversion des rôles dans le couple ou dans la relation parents/enfants : celui qui était dominant devient dominé et peut prendre sa revanche. Généralement, le plus maltraité au domicile est souvent le proche aidant qui est dans une situation impossible, coincé dans sa propre vision des choses : il peut s’auto-culpabiliser, en faire trop, s’épuiser, jusqu’à la « crise » qui se terminera par une catastrophique hospitalisation en urgence.
L’organisation des soins à domicile a permis de soulager l’aidant et l’aidé, mais le maintien à domicile abusif, lorsqu’impossible et non viable, est une forme très fréquente de maltraitance par refus d’aide et de soins : la personne qui met dehors tous les professionnels pour faire vivre ses utopies, ou le vieux monsieur paranoïaque qui veut soigner seul sa femme démente, ce sont des situations qui se terminent souvent en faits divers présentés comme une euthanasie, parfois suivie d’un suicide.
Le risque de maltraitance par un professionnel à domicile est très bien décrit par une de mes collègues dont le mari est devenu dépendant : la prise de pouvoir par l’auxiliaire de vie qui se rend indispensable, impose ses propres volontés et ses propres utopies à l’aidé qui ne peut rien dire puisqu’il ne peut pas vivre sans elle. Il y a surtout la professionnelle non ou pas assez formée qui manque d’heures d’intervention et de temps : nous sommes là dans le risque de maltraitance structurelle et systémique quand le service d’aide à domicile ne peut plus fournir de prestations faute de recrutement et de personnel qualifié.
B. L. : Qu’aimeriez-vous évoquer au sujet des violences financières ?
R. M. : Comme toute maltraitance, la maltraitance financière repose sur des situations d’emprise. Les personnes âgées de plus de 80 ans, isolées, dépressives ou présentant de petits déficits cognitifs, ou en simple quête d’affection, sont plus exposées à la « délinquance astucieuse » que les personnes complètement dépendantes. Lorsqu’elles vivent en couple, le risque diminue de plus de 50 %.
Un exemple courant : une dame un peu déprimée qui a mal aux genoux et n’y voit pas très clair se fait proposer de l’aide par un voisin complaisant et très aimable. Petit à petit elle va lui donner carte bleue et procurations, il fait le vide sur les autres visites possibles, puis récupère les économies, voire vend les biens. Ce peut être un délinquant d’opportunité ou un escroc professionnel.
Un autre exemple : une auxiliaire de vie major de son école a été un excellent élément pendant trois ans dans le service d’aide à domicile où elle travaillait, puis s’est installée à son compte pour faire des détournements.
À Paris, la préfecture de police a une brigade de répression de la délinquance astucieuse qui ne fait que ça. Cette délinquance peut être occasionnelle (l’occasion fait le larron) ou quasi professionnelle, mais sans agression ni violence. Elle peut être également quasi institutionnalisée par des individus ou des sociétés sans scrupules : détournements de pensions, donations pour de fausses bonnes œuvres, captations d’héritage. Une enquête réalisée par la FIAPA montrait qu’à peu près 25 % de la population âgée en Europe occidentale avait été témoin de détournement d’héritage ou de tentative. J’ai eu des cas dans mes malades de personnes entièrement dépouillées par leurs propres enfants (bénéficiant de « l’immunité familiale » prévue par la loi).
B. L. : En quoi la problématique de la maltraitance dans les établissements d’hébergement et de soins se distingue-t-elle de celle à domicile ?
R. M. : Au domicile, la personne est captive d’une autre ; dans l’EHPAD, elle est captive de la structure : de par ses handicaps, elle n’a pas d’autres possibilités. Si cet établissement ne lui fournit pas la qualité de soins et le bien-être nécessaires, elle n’a plus d’autres recours. Généralement, elle sort d’une longue période d’aide et de soins à domicile qui sont déjà une sorte de captivité. La relation asymétrique devient plus importante à partir du moment où la personne n’a plus d’autres choix, ne peut plus sortir, d’où la grande responsabilité des établissements du fait de cette fragilité. La structure est responsable de gens qui ne peuvent plus agir – c’est la dépendance – et de personnes qui ne peuvent plus décider – c’est la perte d’autonomie. Un lien quasi organique se crée entre le résident et la structure.
En cas de maltraitance, il n’y a souvent pas d’agression ; l’auteur, le « perpétrateur » comme on dit en anglais, reçoit un pouvoir direct sur la personne ; d’où le risque de maltraitance si le professionnel n’est pas préparé à cette mission difficile ou n’a pas le temps. Cependant, la victime (il faut trouver un autre mot) ne peut vivre sans le maltraitant malgré lui. Il faut distinguer ces négligences involontaires des emprises et violences volontaires qui peuvent sévir quand l’encadrement est défaillant et l’esprit d’équipe disparaît.
Il y a une vingtaine d’années, une directrice de structure me demandait : « Pouvez-vous m’expliquer pourquoi les vieilles dames qui arrivent dans mon établissement avec leur petite valise sur leurs deux pieds ne marchent plus au bout d’un mois ? » La première maltraitance, enfin la première souffrance, c’est qu’il n’y a plus d’activités personnelles, ni de temps d’accompagnement. Il ne suffit pas de traiter, il faut accompagner, il faut apporter de la vie. Cela demande des moyens et ne peut pas s’improviser. La bonne volonté ne suffit pas, c’est un métier où il faut être ouvert et ne pas arriver avec ses idées préconçues au risque de susciter de nouvelles maltraitances. Les personnes dépendantes, c’est-à-dire ne pouvant pas vivre sans l’assistance d’autres personnes, se voient perdre leurs capacités et leur contrôle, ce qu’elles vivent souvent très mal. Le premier objectif que tout soignant doit rechercher, c’est le bien-être, le respect de la dignité, c’est que la dépendance ne soit plus perçue comme une déchéance par la personne et par son entourage.
Cela implique bien sûr qu’il y ait des effectifs suffisants, mais des effectifs formés, motivés et accompagnés, que l’assistance aux personnes dépendantes ne soit plus considérée par les décideurs et le public comme le « petit boulot » d’un « service à la personne ». Quand un hôpital envoie par mesure disciplinaire ses agents inaptes en unités de soins longue durée (USLD) ou en EHPAD, c’est maltraiter équipe et résidents.
Le personnel qui a la tâche la plus difficile – s’occuper de personnes dépendantes – est souvent méprisé par les autres soignants, alors qu’il a une responsabilité vitale, non seulement dans la qualité des soins et des gestes professionnels, mais dans l’accompagnement qu’il va donner. Ce travail se construit sur la durée, avec chaque patient, c’est extrêmement difficile, d’autant plus que les liens affectifs qui se créent naturellement entre aidant et aidé se terminent fatalement par la mort de l’aidé. Pour illustrer cette souffrance des soignants, je me souviens qu’un jour, en entrant dans mon service, je vois une infirmière en train de pleurer, puis mon assistante, puis le dynamique aide-soignant, par ailleurs rugbyman et joueur de jazz, tous en larmes, je vais voir la surveillante pour m’informer et elle me révèle que Mme Untel, qui venait pour la quatrième fois dans le service, était morte. Il n’y a pas seulement la souffrance professionnelle, la crainte de ne pas avoir bien fait son métier, il peut y avoir une souffrance affective : dans la durée, il est difficile de garder la distance. Ces professionnels ont un rôle très à part qui devrait être reconnu : non seulement ce n’est pas un petit boulot, mais c’est une tâche plus difficile que celle du soignant habituel. L’EHPAD n’est pas une garderie de vieillards, de même que l’établissement pour handicapés n’est pas une garderie de handicapés. Ce sont les lieux de leur vie.
B. L. : Comment aborder les conflits intrafamiliaux et les jeux d’emprise que vous évoquiez ?
R. M. : Les conflits familiaux sont polyfactoriels et plusieurs approches sont possibles pour les comprendre : psychologique et médicale dans le cadre de thérapies familiales, ou juridique avec les médiateurs familiaux, qui s’occupent de plus en plus des conflits entre enfants au sujet de leurs parents devenus dépendants. Ces conflits familiaux peuvent être très anciens, remonter à l’enfance, et ont des causes parfois minimes. Ils peuvent avoir aussi des causes plus récentes, notamment le « reste à charge » dû par l’usager ou par sa famille s’il n’en a pas les moyens. Dans la plupart des cas cela se passe plutôt bien, chaque enfant participant et aidant selon ses moyens. Mais, pour une minorité importante, les contributions inégales des uns et des autres vont susciter des jalousies qui peuvent se concentrer sur le proche aidant.
Un exemple banal : une vieille mère veuve est devenue démente, il y a deux enfants, la fille est la moins diplômée, a une moins bonne situation, c’est elle qui, très naturellement, va s’occuper le plus de sa mère, et le juge des tutelles va accorder la tutelle familiale au fils, c’est quand même plus simple, parce qu’il a une belle situation, qu’il est plus diplômé ; c’est lui qui va gérer les ressources de la vieille dame passée sous tutelle complète et il ne voudra pas sortir un centime pour préserver l’héritage : la fille aura non seulement les soins à donner mais à payer le reste à charge.
L’emprise est souvent le fait de l’entourage familial proche ou plus lointain, mais peut être une emprise à visée financière venant d’un voisin ou d’un tiers venu de l’extérieur qui a repéré une proie fortunée. De nombreux exemples existent de ce type d’emprise par de véritables professionnels de la délinquance qui savent ne pas prendre de risque, qui sont difficiles à coincer, et qui savent utiliser les nouvelles lois. Nos centres d’écoute ont parfois repéré que de tels individus, habiles à se faire porter volontaires pour gérer les affaires et les biens d’autrui, avaient des antécédents d’emprise sur d’autres personnes vulnérables.
Comme la FIAPA, nous proposons qu’il puisse y avoir davantage de contrôles au niveau des actes désignant la personne mandataire future pour limiter les escroqueries.
B. L. : Mesurez-vous des changements significatifs et positifs autour de la problématique de la maltraitance ?
R. M. : Oui, j’observe une certaine prise de conscience d’un phénomène qui a toujours existé mais n’a été nommé que récemment. On parle maintenant davantage de « maltraitance », et plus on en parlera moins il y en aura. Cela a été démontré dans un autre domaine, celui de l’ergonomie : l’étude de la maltraitance psychosociale au travail montre que c’est dans les ateliers où il y a le moins de plaintes qu’il y a le plus de maltraitance ; lorsque les gens peuvent parler, la maltraitance disparaît.
Nous gériatres, gérontologues, nous sommes trop polis, on ne parle pas assez fort ; encore plus dans le domaine du handicap psychiatrique et mental.
Oui, il y a des progrès certains grâce à la prise de conscience, le personnel est très aimable pour l’avoir vécu à l’hôpital, mais la désorganisation est souvent plus importante qu’avant.
B. L. : Vous le percevez nettement ?
R. M. : Nous avons l’impression qu’il n’y a plus d’intermédiaire entre la gouvernance et le terrain, y compris les médecins. Pour qu’un EHPAD fonctionne bien, pour qu’il n’y ait pas de maltraitance, il est essentiel que directeur, médecin coordinateur et cadre infirmier travaillent en harmonie, et sachent communiquer avec leurs équipes et les écouter. Or toutes ces personnes sont de plus en plus sur des postes éjectables : j’ai un certain nombre de mes élèves médecins gériatres dont je suis très fier qu’ils aient été licenciés pour avoir eu le courage de signaler des maltraitances... Ils ont facilement retrouvé un poste.
B. L. : Quels sont les chantiers qu’il faudrait dorénavant aborder ou davantage renforcer pour lutter plus efficacement contre le phénomène de maltraitance ? Comment pourrions-nous protéger davantage les publics vulnérables des violences intrafamiliales, des jeux d’emprise et des diverses manipulations, à l’origine notamment des violences financières ?
R. M. : Il faut continuer à parler du phénomène de maltraitance. Il faut davantage prendre en compte non seulement les vulnérabilités physiques et médicales, mais aussi les vulnérabilités psychologiques, économiques et sociales, l’isolement, le besoin d’affection, la dépression, qui favorisent notamment les maltraitances financières. La dépression est un grand facteur de maltraitance, les dépressifs attirent la maltraitance, le refus de soins, la mauvaise pratique.
Il convient d’avoir des attitudes de prévention différentes selon les différents types de vulnérabilité : vulnérabilités psychologiques, vulnérabilités physiques, vulnérabilités sociales, vulnérabilités financières, même les plus pauvres s’y trouvent exposés.
L’autre point important c’est de faciliter la parole, d’avoir une réflexion sur le vocabulaire au niveau international, il faudrait trouver d’autres termes pour « maltraitance » et pour « bientraitance ». J’essaye de lancer les termes de « pratique professionnelle inappropriée » pour tous les soins qui sont mal faits ou non pertinents de façon totalement involontaire.
Je prends un exemple hospitalier, que connaissent bien tous les gériatres, de ce que j’appelle le « syndrome de dépendance nosocomial », un facteur majeur de grande dépendance. La Haute autorité de santé vient de le décrire et de le rebaptiser en « dépendance iatrogène hospitalière ». Exemple : une vieille dame parfaitement valide et lucide, mais qui ne marche pas très bien, est tombée chez elle et n’a pu se relever ; la voisine d’en face, voyant les volets fermés, appelle les pompiers qui défoncent la porte et emmènent la vieille dame aux urgences ; sans ses lunettes, elle ne voit pas ; sans son dentier, on ne peut pas la comprendre ; sans son appareil auditif, elle ne comprend rien. Aux urgences, le régulateur, voyant qu’elle n’a rien, la laisse sur son brancard, il y a plus urgent qu’elle. Elle se lève pour faire pipi sans se faire comprendre, il lui est dit de se calmer et elle est réinstallée sur son brancard, avec une injection de neuroleptiques. Il n’y a pas de place dans la petite unité de gériatrie aiguë, on la met en rhumatologie ou en chirurgie. On voit qu’elle n’a rien d’aigu, mais beaucoup de petites pathologies. L’interne qui s’en occupe lui fait faire une batterie d’examens. Pendant ce temps-là elle reste au lit et perd la marche. Elle n’a pas son dentier, elle ne mange pas, et devient dénutrie. Elle n’a pas son appareil auditif et elle est restée sous sédatifs : elle ne comprend toujours rien. Elle est classée comme démente grabataire incontinente. Au bout d’une semaine, on commence à s’enquérir d’un placement. Le chef de service l’examine pour de bon et demande la sortie immédiate de cette patiente qui n’a rien et qui bloque un lit. La sortie sera soit immédiate, avec retour probable aux urgences les jours suivants, soit par un passage direct en EHPAD, soit par un transfert – ce serait sa meilleure chance, dans un service de soins de suites gériatriques pour redéfaire et reconstruire tout ce qu’on a détruit en soins aigus. Cette maltraitance dramatique coûte extrêmement cher. Elle est quotidienne dans une majorité d’hôpitaux dans le monde, y compris en France.
Elle serait cependant facile à corriger, mais il n’y a pas assez de gériatres formés, encore faudrait-il les garder... Nous mettons aujourd’hui des malades « gériatriques » dans des lits de médecine interne ou autres spécialités dont ce n’est pas le métier et dont les équipes ne sont pas formées à ce soin. Je me souviens d’une jeune gériatre voulant me montrer sa formation d’une équipe d’ORL au soin gériatrique. À mon étonnement, elle m’expliqua que dans cet hôpital, c’est là où étaient mis les malades âgés. C’est d’une violence extrême pour patients et équipes et contraire au bon sens élémentaire.
B. L. : De très nombreux professionnels des établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) ainsi que leur direction, quand ils dénoncent des dysfonctionnements majeurs, voire des situations de maltraitance, se disent parfois démunis devant l’absence de réponse des agences régionales de santé (ARS) ou des conseils départementaux. Des responsables de structures disent vivre un sentiment d’impuissance. Manquons-nous encore, selon vous, de dispositifs législatifs et de cadre légal ?
R. M. : On peut les comprendre, mais je connais des ARS qui ont bien fonctionné : je citerai le cas extraordinaire d’une aide-soignante qui a vu un agent donner des coups de pied à une vieille dame tombée au sol. Le médecin coordonnateur, qui était le médecin généraliste du village, a soutenu l’aide-soignante, de même que le directeur de cet établissement public, et l’agent mis en cause a été mis à pied. Il était en contrat à durée déterminée et il y a de fortes probabilités qu’il ait été mis à la porte d’un autre établissement auparavant. Le maire, un syndicat, le président du conseil départemental se sont opposés à toute sanction. Le médecin coordonnateur avait reçu des menaces et des tracts qui le désignaient nominativement étaient distribués dans le supermarché du village ; l’aide-soignante lanceuse d’alerte était boycottée par une partie du personnel. Le directeur, soutenu par l’ARS, a tenu bon, y compris vis-à-vis d’injonctions politiques à la recherche de la « paix sociale ».
Quand une équipe fonctionne bien, qu’elle est compétente et a de bonnes pratiques, c’est elle-même qui met dehors le maltraitant ou qui oblige le directeur à agir. Parfois, le conseil de prud’hommes peut demander la réintégration d’un agent dangereux qui a été licencié pour des fautes graves multiples. Lorsque nous sommes informés de tels cas, nous construisons un argumentaire pour faire appel.
Une priorité pour éliminer les maltraitances intentionnelles est d’apprendre le dépistage des risques de maltraitance aux professionnels, y compris à ceux du domicile – il existe des outils –, et d’avoir de bonnes pratiques professionnelles en établissement. Une bonne équipe est le meilleur garant contre toute malveillance.
Pour revenir à votre question sur le cadre légal, les futures législations devraient envisager pour les structures qui analysent les situations de maltraitance une indépendance vis-à-vis des ARS : les agences régionales de santé et les conseils départementaux décident et donnent les moyens pour les ESMS et le domaine sanitaire. II n’est pas normal qu’ils soient également les contrôleurs et décideurs en cas de désaccord. On est en plein conflit d’intérêts. Dans les autres administrations, le contrôle incombe toujours à une « inspection » indépendante de la hiérarchie.
Celui qui finance et qui n’a pas pu donner les moyens ni les effectifs nécessaires a une responsabilité directe dans la mise en place de dysfonctionnements organisationnels générateurs de maltraitances.
Pour protéger de ce conflit d’intérêts, nous avons besoin de lanceurs d’alerte libres, y compris dans les groupes privés, qui puissent s’adresser à une écoute compétente et indépendante, protégeant le témoin de bonne foi.
B. L. : Comment inciter les professionnels témoins d’une situation de maltraitance à oser parler ?
R. M. : Il est vrai que les professionnels signalant de la maltraitance risquent des représailles, que ce soit des agressions de base (coups et blessures, pneus crevés...) ou des sanctions de la direction. La loi oblige à signaler toute mise en danger d’autrui, mais sans pour autant se mettre soi-même en danger.
En cas de blocage, je conseille d’appeler le centre ALMA le plus proche, ou le 3977 qui réunit tous ces centres. Tous ont un devoir de confidentialité. Ils peuvent signaler à la place du lanceur d’alerte en lui garantissant l’anonymat. L’alerte concerne une situation dangereuse pour une ou des personnes afin de les protéger ; on ne « dénonce » que des faits, un danger. Cela n’a rien à voir avec une délation calomnieuse. Le « signalement » est un terme réservé au procureur. Lancer une alerte n’est pas réservé aux directions des structures, c’est le devoir de chacun.
Le secret professionnel ne joue pas, il est levé aussi bien maintenant pour les adultes que pour les enfants. Dans certains cas le consentement de la victime n’est pas nécessaire si elle est réellement en danger et sous emprise. Concernant les médecins, je rappelle l’affaire de Bourganeuf dans laquelle un médecin a été très lourdement condamné avec une interdiction d’exercer pour n’avoir pas signalé des maltraitances collectives dans un établissement sous le prétexte qu’il s’agissait de déments incapables de donner leur consentement.
Il y a une obligation en miroir des responsables qui ont le pouvoir et le devoir d’alerter en cas de maltraitances dans leur établissement ou service sans chercher, comme c’est malheureusement le cas assez souvent, à occulter le problème.
B. L. : Quels sont les messages essentiels que vous aimeriez faire passer pour conclure ?
R. M. : Premièrement, il ne faut ni affoler, ni culpabiliser. La plupart des maltraitances sont évitables ; d’abord toutes celles qui sont organisationnelles puisque, par définition, il suffit d’améliorer l’organisation, et c’est le devoir de tout pouvoir et de toute hiérarchie de faire disparaître les organisations défectueuses – ou au moins les améliorer, et non pas d’appliquer des idéologies. Je suis médecin, donc je suis pragmatique : s’il y a quelque chose qui ne marche pas, il faut mettre à plat tous les facteurs. Généralement, l’expérience montre qu’il est alors assez facile d’obtenir un consensus sur les points faibles et à améliorer. Cela peut avoir un coût. Mais il est démontré que la non-qualité coûte très cher, souvent beaucoup plus cher que la mise en place de bonnes pratiques.
Pour ce qui est des maltraitances mal intentionnées, la nature humaine, même si elle est en général plutôt bienveillante, les rend difficiles à éradiquer totalement : il y aura toujours des pervers. Le psychotique n’est pas mal intentionné, quand il est violent, c’est qu’il a peur. Le psychopathe cherche à nuire. Le problème est de le circonscrire de façon à ce qu’il ne puisse pas exercer son délire, son pouvoir, son illusion, ses fabulations et son pouvoir de nuisance. Il est procédurier et même s’il ne comprend pas la sanction, la jugeant injuste, il se le tiendra pour dit. Si c’est un délinquant classique qui agit pour son intérêt financier personnel, il comprendra la sanction.
Une prévention efficace des maltraitances passe tout d’abord par une meilleure prise de conscience des professionnels au sujet de leurs pratiques. Quant aux proches aidants, ils ne doivent surtout pas hésiter à demander de l’aide, ne pas avoir honte, ne pas culpabiliser, et également alerter en cas de problème. Au niveau des directions, tout doit être fait pour écouter, protéger et ne pas sanctionner celui qui alerte à juste titre, tout en sachant repérer les délations. J’ai eu beaucoup de chance dans mon service. Quand quelque chose n’allait pas, les délégués syndicaux, au lieu de râler, venaient attirer mon attention. C’était formidable, cela permettait de pallier immédiatement des situations de risque avant qu’elles ne deviennent des maltraitances pour les patients ou des mauvaises conditions de travail pour les équipes.
C. Entretien avec Alain Koskas
Président de la Fédération 3977, président de la Fédération internationale des associations de personnes âgées (FIAPA), expert psychanalyste et gérontologue (24 septembre 2018)
B. L. : En tant que président de la Fédération 3977 et de la FIAPA, que pouvez-vous nous dire sur l’avancée des travaux sur les maltraitances subies par les personnes fragilisées par l’âge et par les personnes en situation de handicap ?
A. K. : Nous avons actuellement trois instances qui fonctionnent plutôt bien :
- le Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge ;
- la Commission de promotion de la bientraitance et de lutte contre la maltraitance des personnes vulnérables, présidée par Denis Piveteau, conseiller d’État, qui avait été installée par la ministre de la Santé et la secrétaire d’État en charge des publics en situation de handicap ;
- les travaux conduits par Anne Caron-Déglise, magistrat à la Cour de cassation, qui a écrit un rapport extrêmement riche sur la réforme de la protection des personnes et des majeurs vulnérables. Ce rapport reprend, entre autres, tous les éléments que nous avions soulevés dans notre rapport de 2011 auprès du médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, ainsi que dans celui de 2018 sur les maltraitances financières, intitulé « Un fléau silencieux ».
De plus, le Défenseur des droits a lancé une structure de concertation et de dialogue avec aussi bien le milieu associatif que les professionnels. Nous nous rendons compte de plus en plus, et nous avons appelé cela de nos vœux depuis des décennies, que la voix des usagers et de leurs aidants est écoutée et entendue, et que rien ne se fera dorénavant sans qu’ils aient pu faire entendre leurs attentes, leurs besoins et leurs envies. C’est un grand changement de paradigme.
De la même façon, au niveau du 3977, après une période assez longue durant laquelle ce numéro était peu ou pas connu, nous assistons à une véritable montée en puissance avec un nombre croissant d’appels, 2018 étant sur la même lancée que 2017.
La FIAPA développe également le « Laboratoire d’idées » en Normandie avec ses partenaires : l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Le Village des Aubépins, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), l’agence régionale de santé de Normandie, le département de Seine-Maritime, la Fondation de France et d’autres partenaires locaux. Le Laboratoire d’idées porte un projet de 21 spots télévisés de 25 secondes chacun, avec une voix off à la fin recommandant d’appeler le 3977. Ces spots ont été tournés avec 21 personnes connues, comédiens, artistes, sportifs, qui ont accepté de prêter leur voix à un message fort, venant de leurs tripes, sur la maltraitance, disant qu’elle est insoutenable et intolérable : « Ça suffit, brisons le silence ! » France 3 Normandie a accepté de nous donner la gratuité totale et la meilleure des heures d’écoute (avant les journaux télévisés du midi et du soir). La campagne télé a débuté le 22 décembre 2018.
Le grand débat concerne le suivi des maltraitances et particulièrement la formulation et le traitement des alertes : on peut alerter, mais que se passe-t-il après ? Le rapport « Piveteau » va traiter essentiellement de cette question du suivi : comment et auprès de qui ? Auprès de quelle autorité ? Auprès de quel récepteur d’alerte ? Comment être sûr que les instances alertées ont mis en œuvre une procédure permettant à l’alerteur de ne pas se retrouver seul à nouveau ? Surtout face à des situations qui durent depuis très longtemps car alerter est difficile, pour une famille, dans une entreprise, et plus encore pour la personne maltraitée, compte tenu du climat d’emprise impactant la victime qui a honte d’elle-même. Les recommandations du rapport « Piveteau » vont certainement aller au-delà du simple guide, elles seront exigeantes pour les services qui ont à recevoir et à gérer les alertes, lesquels devront sans doute rendre compte de leur suivi.
Par ailleurs, à la FIAPA, nous sommes habilités aux recours collectifs auprès du Comité européen des droits sociaux pour des abus constatés existant depuis longtemps : des collectifs ou une simple personne peuvent nous saisir. Parmi les procédures en cours, l’une concerne le classement sans suite des plaintes pour maltraitance avérée du fait du décès de la victime, l’autre concerne un décret de septembre 2017 qui plafonne à 71 ans révolus la limite d’âge pour être candidat aux conseils des ordres des professions de santé.
Cela fait partie d’un climat général de lutte contre la maltraitance et l’« âgisme », qui bien souvent la favorise. L’Observatoire de l’âgisme milite pour que l’on reconnaisse les capacités des aînés et pas seulement leurs déficits, que soit porté par la société un nouveau regard, innovant et non pas stigmatisant, afin que l’on cesse de dire qu’une personne âgée est potentiellement malade ou à risque de dépendance. D’autres formes de thérapies, d’innovations, d’accompagnement sous un angle psychosocial se font jour pour les maladies neurodégénératives, pour lesquelles aucun vaccin ou traitement miracle n’est attendu avant 2030. La personne est avant tout citoyenne et il n’existe pas de limitation automatique de capacité liée à l’âge. La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) agit également pour une société inclusive afin que les aînés, surtout en situation de handicap, leurs aidants, voire les professionnels dès lors qu’ils évoquent leurs missions, ne se sentent plus stigmatisés.
B. L. : Que nous enseignent les dernières statistiques de la Fédération 3977 ? Évoluent-elles au fil des années ou les tendances restent-elles les mêmes ?
A. K. : Je rappelle que la Fédération 3977 est en charge des alertes concernant les maltraitances non seulement aux personnes âgées mais aussi aux personnes handicapées. Les statistiques publiées dans notre rapport de 2017 montrent un certain nombre d’évolutions qui me paraissent intéressantes à signaler (7).
D’une part, plus d’appels viennent du public des personnes en situation de handicap. D’autre part, ce ne sont pas seulement les appels reçus qui sont en augmentation (ces appels reçus peuvent être des demandes de renseignement, ou des erreurs, ou des personnes qui ont tout simplement besoin de parler), mais surtout le nombre d’alertes. De 2016 à 2017, on est passé de 2 203 à 3 044 alertes avérées, soit 38 % d’augmentation : cela concerne les dossiers créés et les suivis.
La maltraitance psychologique reste majoritaire dans les alertes, et toujours plus importante au domicile qu’en institution. Viennent ensuite les négligences passives, puis les maltraitances physiques. Concernant les maltraitances financières, elles représentent 19 % des dossiers traités à domicile et 4 % de ceux en institution. La famille est essentiellement mise en cause pour la maltraitance à domicile, mais la famille peut être aussi maltraitante en institution, de l’ordre de 7 %.
Les victimes sont majoritairement des femmes, à près de 70 %. Les alerteurs sont principalement la famille (44 %), les victimes au domicile (21 %), puis l’entourage (15 %) et les victimes en institution (12 %). La famille alerte bien sûr davantage lorsque les personnes sont en institution.
Le suivi des dossiers est un travail rigoureux nécessitant de très nombreux contacts, qui peut se poursuivre sur des années avant de les clore. Par exemple, les dossiers créés sur 2017 sont de l’ordre de 3 409, mais 13 718 dossiers sont toujours actifs.
B. L. : Qu’en est-il des alertes lancées par les professionnels ?
A. K. : Je n’ai pas les chiffres exacts arrêtés à ce jour, mais les personnels appellent volontiers ou parfois font appeler par des témoins moins identifiables. La parole se libère avec, d’une part, les mouvements récents qu’ont connus les différentes institutions et, d’autre part, avec la naissance de collectifs tels que le collectif « Vieux, debout ! », constitué d’un tiers d’usagers, d’un tiers d’aidants et d’un tiers de professionnels. Leur parole est une parole constructive et écoutée, ils ne sont là ni pour blâmer les institutions, ni pour passer sous silence leurs difficultés.
Les professionnels appellent pour témoigner de difficultés mais aussi de leur mal-être. Et c’est une bonne chose parce que la Fédération 3977 a toujours considéré que les alerteurs pouvaient aussi être des demandeurs de conseils ou des personnes qui pouvaient nous aider à construire avec les établissements et services des démarches de prévention mieux adaptées.
Lorsque les antennes ALMA sont sollicitées par des chaînes de télévision pour des émissions fortes, des émissions de témoignages sur des éléments un peu discordants de notre société, on se rend compte que les appels des professionnels des établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) sont tout à fait respectueux du fait que nous garantissons l’anonymat à celles et ceux qui nous appellent, mais aussi que des hommes et des femmes dont le dossier évolue peu ont parfois le désir de témoigner à visage découvert. Il nous faut effectivement prendre acte de cette nouvelle donne pour ne pas collaborer à une sorte de misère ou de mise à vif des sensibilités très fortes dans ce domaine, et en même temps pour permettre à celles et ceux qui souhaitent témoigner de le faire.
Nous devons également revoir notre mode de fonctionnement et nos dispositifs d’écoutes téléphoniques pour ne pas exclure des publics en situation de handicap : sourdes ou malentendantes, des personnes cérébro-lésées ou ayant d’énormes difficultés de parole ou d’écoute. Cela a été évoqué durant notre dernier colloque en octobre dernier « Alerte personnes handicapées ».
B. L. : Dans le cadre des suivis de dossiers et de l’alerte, je rencontre des professionnels qui sont face à des situations tout à fait déconcertantes. Ils suivent les procédures, ils alertent le conseil départemental, l’agence régionale de santé compétente ou les services du procureur et ils sont confrontés à une impuissance totale : il arrive qu’ils n’aient aucune réponse avec cependant des dossiers très circonstanciés, ce qui ne les empêche pas de prendre des mesures disciplinaires mais ils se retrouvent dans une grande solitude. Est-ce que la Fédération 3977 a investi ce champ d’investigation, est-ce que vous travaillez sur ces problématiques ?
A. K. : Oui, ils sont très seuls, nous travaillons sur ces problématiques. La fédération réfléchit sur la genèse même des maltraitances et confirme que le secteur de l’aide à domicile est en souffrance majeure. À l’inverse de l’Europe du Nord qui a cessé de construire des EHPAD pour privilégier l’accompagnement à domicile, les gouvernements en France n’ont pas fait de choix véritable et le domicile reste un parent pauvre, ayant du mal à recruter, avec des postes vacants, et où les professionnels sont relativement maltraités au niveau de leur salaire et de leurs conditions de travail.
Les professionnels du domicile voient six à huit personnes par jour, voire parfois 10, avec chacune son niveau de vie et son niveau de détresse, une quête affective et une quête de parole : il faut être très fort pour encaisser tout cela, surtout quand il n’y a pas la possibilité de faire le point comme dans les équipes d’EHPAD.
Les directeurs de service du domicile me disent qu’ils n’ont pas les moyens de mettre en place tout ce qu’ils aimeraient appliquer. Les professionnels n’ont ni le temps, ni la formation, bien souvent, ni l’accompagnement pour pouvoir faire leur travail comme ils aimeraient le faire. Les personnes âgées ayant longtemps vécu à domicile dans des conditions souvent intenables se trouvent extrêmement marquées par ce stress post-traumatique quand elles arrivent en structure.
Les personnels d’EHPAD pour la plupart ont à détricoter un certain nombre de conduites déficitaires ou dépressives qui sont nées au domicile, avant de reconstruire. Cette tâche-là, dans sa complexité, n’est pas suffisamment intégrée par les instances qui ont à gérer les alertes, et devra être prise en compte par la commission maltraitance de Denis Piveteau.
Pour revenir à votre question, de nombreux directeurs d’EHPAD témoignent effectivement des difficultés rencontrées et de leur solitude lorsqu’ils prennent des mesures disciplinaires. Puisque nous parlons de prévention et de suivi des alertes, sans doute y aurait-il à travailler davantage cet aspect-là. Il faut un sacré courage et une sacrée application pour continuer à dire « non », pour continuer à alerter, mais j’ai bon espoir, au vu des travaux en cours aujourd’hui, que les choses tournent différemment. Il faut que les protocoles de suivi des alertes soient clairs et identifient bien les responsabilités de chacun, et surtout que nous changions de regard sur les personnes qu’elles soient au domicile et en institution : sur leur capacité de décision, sur leur capacité à dire leurs attentes, leurs besoins, leurs envies. Il s’agit d’instituer un dialogue dynamique permettant à chacun des partenaires d’exercer sa mission en fonction de ses capacités ; il s’agit d’apporter les moyens nécessaires à ce type de démarche... le changement de paradigme souhaité est à ce seul prix.
B. L. : Pourriez-vous recentrer les principaux enseignements pour les professionnels de terrain du rapport de 2017 sur les maltraitances financières à l’égard des personnes âgées : « Un fléau silencieux » ?
A. K. : Ce type de maltraitance est encore peu connu, et nous nous sommes concentrés sur les recommandations du rapport en termes d’alertes et de suivi. Libérer la parole, et permettre que le lien social rompe les situations d’isolement et de solitude. Les prédateurs occasionnels ou organisés ne s’y trompent pas, ils ciblent de préférence les personnes vivant seules, dans des lieux désertifiés, et dont les familles viennent peu car géographiquement éloignées.
Nous insistons beaucoup sur la rapidité du suivi des alertes et sur le fait de bien connaître les prédateurs et leurs nouveaux modus operandi. Nous sommes certes dans la prévention, dans la dissuasion et l’éducation, mais il y a un moment où le volet répression, y compris au niveau pénal, doit aussi faire ses preuves : dans les maltraitances financières, la répression est vraiment très faible par rapport aux dégâts qui sont occasionnés sur les personnes elles-mêmes, parce qu’elles peuvent en mourir de détresse et de honte, de s’être fait piéger mais aussi de ne plus avoir de moyens de subsistance. Quid par exemple de la sanction d’interdit professionnel, d’interdit d’activité ?
Nous devons redynamiser les réseaux, permettre aux médecins généralistes d’être plus nombreux afin qu’ils puissent davantage se rendre au domicile des personnes ; ils connaissent la composition de la famille, ils peuvent aider à démasquer les intrus et mettre en évidence des comportements suspects.
Il faut encourager les lieux d’échanges, d’observations, de libéralisation de la parole : les bistrots mémoires, tout ce que fait l’Association France Alzheimer, enfin tout lieu de parole, pour montrer à d’éventuels prédateurs que les gens ne sont pas seuls.
D’autres solutions voient le jour, encouragées par la loi d’adaptation de la société au vieillissement (ASV) de décembre 2015 : accueil de nuit, accueils de jours itinérants, hébergement temporaire, de vacances, résidences autonomie, accueil familial, accueil hors des murs pour les EHPAD, création d’un village Alzheimer du côté de Dax... L’expérimentation du « baluchonnage » ou « relayage », permettant de déroger au droit du travail pour permettre à un seul et même intervenant de rester plusieurs jours au domicile d’une personne âgée dépendante, participe du même élan... une réalité du répit sous condition de formation et d’accompagnement soutenu des professionnels, bien sûr.
B. L. : Comment échapper au phénomène d’emprise du prédateur sur la victime et à la relation d’interdépendance qui peut se créer ? Quels conseils donneriez-vous aux professionnels de terrain des ESMS confrontés à des crises intrafamiliales ?
A. K. : Nous avons une clé, venue du Québec et des associations de médiateurs familiaux, nous savons que c’est au niveau de la médiation que les choses vont se jouer. Pour prendre un exemple hélas classique : une mère maltraitée par un enfant qui est son seul lien ne souhaitera pas voir la justice ou la police s’immiscer ; cette mère reste dans une quête affective, il n’y a pas seulement l’emprise du prédateur sur la victime, mais souvent une double emprise dans les deux sens, car que deviendrait-elle sans lui ? Et lui sans elle ?
Les travaux menés par l’Institut français pour la justice restaurative nous intéressent particulièrement du fait qu’il promeut des processus de médiation entre la victime et son agresseur ou son prédateur afin de substituer petit à petit à l’emprise qui fait silence, une autre façon d’être et de vivre ensemble, de diminuer le phénomène maltraitant. Celui-ci ne disparaîtra cependant pas, sauf s’il y avait prise de conscience complète pour l’un et pour l’autre. C’est à ce prix que peuvent être prises en compte la genèse du passage à l’acte et celle du stress post-traumatique.
Il est vrai que nous n’avons pas encore dans les établissements les personnes en capacité de mener ce travail de médiation, encore moins dans les services au domicile. Il manque également des procédures et des mandats clairement écrits, y compris un mandat de médiation. Former des personnes suffisamment qualifiées et empathiques, très solides en termes d’analyse familiale ou d’analyse du contexte de vie, devrait être une priorité. Nous avons au niveau de la Fédération 3977 une école de psychiatrie de la famille où le travail d’analyse des situations fait œuvre de formation.
B. L. : Des adultes âgés souffrant de pathologie neurodégénérative et notamment d’anosognosie (déni de ses fragilités) sont des patients dont les prises en soin et l’accompagnement sont délicats : ils peuvent refuser les soins et les accompagnements proposés, pourtant décidés collégialement (famille et professionnels). Il appartient aux professionnels de rechercher un consentement éclairé auprès de la personne. Mais dans ce cas précis, le consentement est très difficile à obtenir. Pour permettre l’accompagnement, l’entourage familial et professionnel est souvent obligé d’exercer une « influence abusive » (subversion de la volonté de la personne). Que pourriez-vous dire à ces équipes qui s’interrogent sur leur juste place dans les accompagnements à construire ?
A. K. : C’est effectivement dur à vivre mais tout dépend du regard porté par les professionnels. Ils ont besoin d’être accompagnés et formés dans ce domaine. Au cours de la journée organisée en septembre dernier par la Fondation Médéric-Alzheimer, un documentaire a été présenté sur le fonctionnement de l’accueil de jour à Paris et notamment sur la façon dont la psychologue prenait en charge des groupes de patients. Elle organisait des groupes d’expression : des groupes d’expression de la vie, où l’on pouvait rire de tout, où l’on pouvait aussi pleurer. L’anosognosie n’y était pas stigmatisée comme étant une atteinte majeure et beaucoup des participants étaient anosognosiques.
L’anosognosie existe et on ne la changera pas. Il n’existe aujourd’hui pas de thérapie, comme pour Alzheimer. La seule approche est psychosociale, elle a été mise en place chez nos cousins canadiens il y a fort longtemps. Cette approche apporte un regard radicalement nouveau sur l’apaisement des situations, le but n’est pas de faire cesser à tout prix les symptômes mais d’accompagner.
B. L. : La devise choisie par la Fédération du 3977 est « le pouvoir de voir, le choix d’en parler ». Avons-nous tous le choix d’en parler ?
A. K. : Pas encore, mais je pense que cela vient. Il y a davantage d’appels, la parole se libère. Ce n’est pas seulement un choix mais une nécessité d’en parler, sinon c’est le témoin qui sera sous stress post-traumatique. En 2007, les premiers travaux de la FIAPA ont porté sur des personnes ayant été témoins ou victimes de maltraitances financières en Europe. Les éléments les plus forts ont été lorsque la parole des témoins a pu s’exprimer, alors qu’ils avaient peur, qu’ils avaient des réserves. Nous ne leur avons pas demandé de faire de la délation, mais de simplement témoigner.
Le témoignage est essentiel, il peut être accompagné, il est quelque part une thérapie.
B. L. : Finalement, quels seraient les messages essentiels que vous souhaiteriez faire passer à travers cet entretien auprès des personnels des ESMS ? Sur quoi voulez-vous mettre l’accent ?
A. K. : La parole des personnels des établissements des ESMS doit pouvoir s’exprimer et être reçue dans toute sa complexité : il faut qu’ils puissent parler, qu’ils en aient la liberté, qu’ils aient la capacité et la force nécessaire, mais également qu’ils aient la possibilité réelle de faire évoluer leur pratique.
Il importe que cette parole se libère dans un climat apaisé, non pas dans les périodes de crise, de révolte, lorsque la souffrance est trop grande. Cette parole ne doit pas se perdre, elle doit être écoutée et entendue.
(1)
Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.
(2)
Philosophe (1913-2005).
(4)
Hématologue, professeure des universités et actuelle ministre des Solidarités et de la Santé.
(5)
Professeure titulaire, Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées, financée par le ministère de la Famille et des Aînés du gouvernement du Québec, université Sherbrooke.
(6)
Psychologue clinicienne, cofondatrice de l’Association « Bien-traitance, formation et recherches ».
(7)
Rapport FIAPA et Fédération 3977, « Les maltraitances financières à l’égard des personnes âgées : un fléau silencieux », 2017.