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LES VIOLENCES ORGANISATIONNELLES OU SYSTÉMIQUES

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Il existe de très nombreux professionnels investis et responsables qui aiment leur métier, le défendent et ne comptent pas leurs heures tant ils ont le souci du bien-être de leurs usagers/patients jusqu’à s’épuiser parfois. D’autres sont limités par trop de contraintes administratives et budgétaires qui les empêchent de conduire le travail de proximité pour lequel ils sont missionnés. Les choix qu’ils sont alors obligés de faire les mettent parfois dans des situations humainement délicates. Enfin, certains professionnels manquant de temps et de moyens peuvent développer des comportements inappropriés, avoir du mal à se positionner, et s’ils ne sont pas suffisamment formés, ils ne sauront pas faire autrement.
Ils sont donc victimes de violences institutionnelles et sont maltraités par des injonctions inappropriées sur la forme et sur le fond : « Vous êtes professionnels, vous savez que nous n’aurons pas plus de moyens, débrouillez-vous, le travail doit être fait ! » Comment ne pas comprendre leur découragement ?
Il arrive également que s’ajoutent à ces dysfonctionnements des soucis relationnels au sein de l’équipe avec des personnes qui ont développé des syndromes de pouvoir : des petits chefs, hommes ou femmes, qui sèment la terreur en toute impunité, que ce soit des agents dans les équipes, un cadre intermédiaire, un cadre de santé, un responsable de secteur ou un directeur, et ce au vu et au su de beaucoup de monde. Que d’énergie perdue pour résister à ces personnes qui ont développé des ego surdimensionnés, qui ont une telle aisance à reconstruire la vérité pour imposer leurs fonctionnements et leur place. Il suffit d’une personne pour briser le travail d’une équipe. Ce type d’individu fait perdre considérablement de temps, d’énergie, d’argent et de santé psychique.
Les violences organisationnelles peuvent être liées à des positionnements ou à l’absence de positionnement de l’État, des structures régionales et départementales, à des manques de moyens, à un empilement de procédures, à des décisions hiérarchiques, à des problèmes de management, des dysfonctionnements d’équipe...


A. Le manque de moyens

▸ Beaucoup de structures fonctionnent avec des équipes en flux tendu et l’absence de l’un de ses membres remet en cause les congés et le repos légitime d’autres. Le week-end ou en période de congé, les agents soulignent des carences de personnel conséquentes.
▸ Les ratios personnel/patient sont insuffisants : les usagers/patients attendent pour aller aux toilettes, qu’on leur accorde des temps d’échanges, qu’on traite leur douleur...
▸ En ce qui concerne le domicile, certaines structures mettent à disposition de leurs employés des véhicules de fonction, d’autres non ; certains employés possèdent des tablettes informatiques et ont accès au dossier de l’usager, d’autres non.
▸ Beaucoup d’associations et structures du domicile n’organisent aucune réunion d’équipe faute de financement. Les salariés d’une même structure ne se connaissent donc pas, y compris ceux qui interviennent au sein d’un même foyer. Les institutions et associations n’ont pas assez de temps pour se réunir.


B. Le manque de temps

▸ Les professionnels soulignent que, faute de temps, ils sont dans l’incapacité de mener leur travail selon les dispositions souhaitées par l’approche bientraitante. Comment se fait-il qu’à l’heure où l’on parle de « bientraitance », la notion de « temps » ne soit toujours pas considérée comme un outil de travail à part entière ? C’est un véritable défi que vivent de nombreux personnels du domicile pour réaliser une visite en 30 minutes : se présenter et saluer la personne, aller ouvrir les volets, aider la personne à sortir de son lit, à aller aux toilettes, à se diriger vers la salle de bains, à se dévêtir, à se laver et s’habiller, l’installer dans son fauteuil, lui apporter son petit-déjeuner après l’avoir préparé, faire le lit, nettoyer la table, le temps d’un échange partagé en la saluant.
▸ Absence de temps également pour aller en formation, participer à la vie d’équipe et prendre du recul par rapport à leurs missions.
▸ Les projets personnalisés sont encore trop rarement mis en place dans le secteur du domicile et souvent non remis à jour dans les autres établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS).


C. La gestion des plannings inadaptés

▸ Nombre de professionnels du domicile sont obligés de faire des distances kilométriques considérables pour conduire des missions de 30 minutes ou des rotations mal anticipées.
▸ D’autres connaissent des plannings qui ne leur permettent pas d’avoir un salaire digne.
▸ D’autres subissent des plannings arbitraires suite au comportement autoritaire de leur responsable de secteur ou cadre qui se servent de cet instrument de gestion comme d’un outil de représailles.
▸ En établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), des salariés évoquent en larmes qu’en cas d’absence d’un membre de l’équipe, il n’y a pas de véritable rotation des personnels et que ce serait toujours les mêmes appelés à la relève, jusqu’à dire que leur vie de famille est envahie par leur travail et les soucis relationnels inhérents.


D. Le manque de reconnaissance

▸ Les salaires et la considération ne sont pas en adéquation avec l’investissement physique et psychique des professionnels des ESMS.
▸ Il existe un manque de clarté sur les remboursements kilométriques parcourus par les professionnels du domicile : les tarifs varient d’un service à l’autre.
▸ Le manque de communication et de lisibilité de fonctionnement reste prégnant dans de nombreuses structures.
▸ L’absence de reconnaissance des salariés est un problème majeur dans toutes les organisations professionnelles de l’accompagnement et du soin, notamment dans les services d’aide à domicile. Les salariés de ce secteur souffrent encore trop souvent du mépris affiché par l’usager, les familles, voire leur employeur qui les considère parfois comme des subordonnés aux capacités limitées. Des responsables d’associations ou des responsables de secteur disent : « Ce n’est pas la peine de les réunir, elles ne comprennent pas nos demandes et ne génèrent dans les réunions organisées que des conflits de maternelle. »
Comment, en ayant un regard si peu respectueux de l’autre, peut-on construire avec lui ? Ce type de jugement est toxique, il sombre dans la médisance et permet trop facilement de se sentir supérieur. Il est destructeur, car il conduit au rejet de l’autre. Kant affirmait : « Lorsque nous enfermons les gens dans des cases, simultanément, nous sclérosons notre pensée et bloquons notre propre évolution émotionnelle. » Autrement dit, lorsque nous étiquetons des gens, nous nous fragilisons nous-mêmes et limitons notre ouverture vers l’autre pour l’accueillir dans sa diversité et sa singularité. Ce type de jugement de valeur est inconcevable et contre-productif pour des responsables de structure qui devraient se prévaloir d’une certaine éthique et d’un esprit d’ouverture. L’orgueil et la vanité sont des freins à l’épanouissement personnel et sont disqualifiants pour ceux qui en subissent les manifestations.
Le développement d’une politique de bientraitance commence avant toute chose par un positionnement individuel éthique au quotidien dans tous les pans de sa communication.


E. Le manque de sécurité

▸ Trop de professionnels du domicile sont missionnés sans être présentés dans les foyers. C’est une mise en échec organisée.
▸ Leurs missions ne sont pas clarifiées et évoluent au gré des demandes des familles sous la forme d’injonctions sans parfois que les responsables de secteur interagissent.
▸ Les professionnels n’ont pas accès au dossier des usagers, sous prétexte de secret professionnel et, lorsqu’ils sont missionnés dans un nouveau foyer, ils perdent un temps conséquent à se renseigner, au risque de blesser émotionnellement l’usager.
▸ Des professionnels vivent quotidiennement des humiliations quant à leur physique ou à leurs origines. Certains sont vilipendés systématiquement sans soutien de leur structure.
▸ Des professionnels évoquent des situations de maltraitance sans que les comités directeurs ne donnent de suite et construisent un quelconque retour légitime.
▸ Des professionnels évoluent dans des foyers où un climat de violence est connu, mais tu, et ils s’y rendent la peur au ventre.
▸ Des professionnels vivent des crises générées par d’autres soignants partenaires.
▸ Nombre d’entre eux ne se sentent pas protégés dans leur structure et vivent des tensions et des pressions intolérables.


F. Le manque de formation

▸ Des personnes sans aucune formation sont missionnées chez des usagers qui connaissent des troubles neurodégénératifs. Le proche aidant est en grande difficulté et le contexte de vie particulièrement fragilisé. Le professionnel apprend donc sur le tas. Combien de négligences par manque de connaissance va-t-il faire vivre ?
▸ Des personnes non formées se retrouvent dès leur première expérience en accompagnement à devoir faire un soin de toilette, mettre un étui pénien, réagir à des troubles du comportement.
▸ D’autres débutants découvrent en arrivant au domicile de leur usager qu’il est décédé dans la nuit, et pratiquent du mieux qu’ils peuvent une toilette mortuaire. Cette expérience a marqué plusieurs professionnels.


G. La solitude des professionnels

▸ Devant des situations complexes, les professionnels transgressent parfois les règles de sécurité de base. Ils mettent des contentions à la demande de membres familiaux ; devant l’absence de machine à laver le linge au domicile de leur usager, même si celui-ci souffre d’une maladie contagieuse, ils emportent le linge à leur domicile. La famille n’organise pas suffisamment le roulement de nourriture et devant les manques, l’auxiliaire de vie emmène sur ses propres deniers des plats qu’elle a pris soin de réaliser...
▸ Que dire de la situation de ces auxiliaires de vie obligées de nettoyer les matières fécales que des aides-soignantes ou des infirmières peu scrupuleuses ont déversées dans l’évier de l’usager sans que le service de soins infirmiers à domicile (SSIAD) concerné réagisse aux demandes de la responsable du centre communal d’action sociale (CCAS) ?
▸ Lorsque des professionnels du domicile débutants appellent leur responsable de secteur, il leur est souvent répondu : « C’est le moment d’apprendre, débrouille-toi ! »
▸ Absence de cadre structurant.


H. Les violences au sein de l’équipe : l’employeur est-il responsable ?

Des équipes fragilisées peuvent connaître des clivages importants à l’origine d’altercations et de faits de violence : humiliations, propos dégradants, isolement, harcèlement... Les comités directeurs doivent avoir une politique affirmée pour sécuriser leurs personnels et organiser des médiations pour limiter les conflits et les possibles souffrances associées.
Le Code du travail (1) oblige l’employeur à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ses salariés, notamment en cas de violences physiques et/ou psychologiques.
L’employeur est tenu à une obligation de sécurité à l’égard de ses salariés, dont les contours ont été déterminés par la Cour de cassation. Récemment, la responsabilité de l’employeur a été mise en cause devant les tribunaux dans deux affaires de propos à connotation raciste et d’altercations entre salariés (2).


(1)
C. trav., art. L. 4121-1 et L. 4121-2.


(2)
Cass. soc, 17 oct. 2018, nos 16-25438 et 17-17985.

SECTION 3 - LA PROBLÉMATIQUE DE LA MALTRAITANCE

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