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LE PHÉNOMÈNE EST PARTICULIÈREMENT SOUS-ÉVALUÉ

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Malgré les nouvelles dynamiques insufflées par l’ensemble des politiques sociales, il n’en reste pas moins que violences et maltraitances résultent d’un fonctionnement humain dû à des carences émotionnelles, des frustrations, un mal à vivre, un mal à dire, des intolérances multiples, tout autant que de mauvaises organisations.
L’agressivité et les violences sont inhérentes à chacun. John Dollard (1) souligne que « l’agressivité a pour cause la frustration d’un besoin : plus grand est le besoin et plus grande sera l’agressivité. L’agressivité est une tentative de catharsis de la frustration. »
Au sein des familles, les tyrans domestiques ne sont pas rares, ils le sont devenus de façon inconsciente le plus souvent. L’agressivité se retourne souvent contre l’être aimé. Il ou elle a perdu de sa superbe, leur vie est devenue chamboulée, leurs repères sont perturbés, les manques sont légion.
Des personnes aigries deviennent violentes avec les professionnels du domicile auxquels elles ne ménagent pas propos acerbes et disqualifiants. L’aidé, le proche aidant parfois, réifie le professionnel et devient maltraitant à son égard. Ce dernier devient un bouc émissaire. L’intrusion des professionnels dans la sphère privée est souvent vécue comme une violence, ce qui peut générer de nombreuses souffrances, du moins au début des interventions. Le plus souvent les familles et l’usager abandonnent ensuite leurs illusions d’omnipotence et acceptent les changements mis en place dans leur quotidien. Le professionnel devient alors un allié et même parfois un ami indispensable, et de très belles affections voient le jour.
Chaque personne a un droit universel à la vie, au respect de sa dignité, de son intégrité psychique et physique. Tout individu a des besoins fondamentaux, y compris les professionnels qui délivrent les soins et ceux qui promeuvent les accompagnements. Ces besoins, sécurité, reconnaissance, considération, sont essentiels à l’hygiène émotionnelle de chacun. Il est donc incontournable d’assurer à chaque employé un confort de travail avec du temps et des moyens suffisants pour réaliser ses missions. Aucune loi cependant ne l’oblige et la conjoncture économique reste toujours la justification du manque de moyens : ainsi s’installe doucement mais irrémédiablement le silence des victimes.


A. Le silence des victimes

Les victimes craignent des représailles, que les problèmes s’accentuent en divulguant leur quotidien difficile. Elles redoutent l’idée d’un possible abandon : choisir la solitude est une chose, la subir en est une autre. Elles investissent une culpabilité importante : d’être un poids pour leur entourage au niveau économique, d’être chronophage pour leurs familles et les professionnels... Elles regrettent même pour certaines de vivre encore. Elles ignorent parfois les recours mais, lorsqu’elles les connaissent, ne vont surtout pas les solliciter car elles pensent mériter ce qui leur arrive. Les victimes se sentent impuissantes et l’isolement contribue à les fragiliser davantage.


B. Banalisation de l’entourage

L’entourage professionnel ou familial occulte parfois les faits de violence et la souffrance de la victime. L’entourage est alors dans le déni : être dans le déni du problème est un mécanisme de défense le plus souvent inconscient qui exonère l’individu d’entrer dans l’action (« en ne voyant pas ce qui se passe, je n’aurai pas à me mobiliser, je n’aurai pas à agir »). Il en est de même lorsque les professionnels minimisent la situation ou banalisent les événements. En réduisant l’intensité de la situation, je me protège : « Ce n’est pas possible que cette situation existe, je ne peux pas envisager être concerné, je ne peux pas envisager être en lien avec une situation de violence, c’est impossible qu’une personne dont je m’occupe, dont j’ai la responsabilité, puisse vivre cela. »


C. Difficultés et souffrances des professionnels



I. LA VIE D’ÉQUIPE

▸ Certains ont une gestion de poste impossible à conduire à cause d’une charge de travail trop dense et vivent leur mission comme un travail à la chaîne : quand le travail n’est plus source d’émancipation et de fierté, mais plutôt d’insatisfaction et de souffrance, notre propre souffrance devient un frein à la reconnaissance de celle de l’autre.
▸ Dans l’équipe, il peut exister aussi des obsessionnels stressés et stresseurs, comme disent les Québécois, sources de nombreux clivages.
▸ Il est difficile de se prémunir des pervers qui déclenchent une « fascination abolissant tout sens critique » (2).
▸ Il est indispensable de reconsidérer les conditions de travail des personnels et les conditions de l’encadrement quand la vie d’équipe n’est pas une priorité et que le management par le stress et la peur sont de mise.
▸ Chacun est en droit d’attendre considération, reconnaissance et sécurité dans son travail.
▸ Nombreux sont ceux qui évoquent « un gouffre béant » entre leur existant et ce qui est souhaité et exigé par les politiques sociales.
▸ Les approches interdisciplinaires et pluridisciplinaires sont coutumières dans le milieu hospitalier mais restent encore trop peu installées dans les établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) : des professionnels sont encore trop isolés.
▸ Les personnels disent manquer de temps pour prendre du recul et réfléchir à l’installation et l’utilisation des outils proposés, ainsi que pour se réunir au sein d’un même service et a fortiori en réunion plénière.
▸ Des professionnels vivent des situations de violence induites par leurs cadres et/ou leurs directeurs. Ces derniers développent parfois des syndromes de pouvoir et font vivre une violence symbolique avec des comportements et des propos inadaptés, voire tyranniques. Comment justifier les propos et les agissements humiliants, comment présenter un témoignage qui ne soit pas balayé d’un geste ?


II. LES COMITÉS DIRECTEURS

▸ Ils sont en difficulté car trop souvent confrontés à des imbrications relationnelles et à des conflits de personnes qui ne devraient pas exister dans ce type d’institution. La gestion de conflit prend un temps et une énergie considérables et des managers disent ne pas savoir les gérer : certains employés ont des fonctionnements particulièrement inadaptés et imposent leur loi en étant le centre des préoccupations de toute leur structure. Pour avoir la paix ou parce qu’ils sont dépassés, leurs responsables ferment parfois les yeux sur leurs dérapages. Les dysfonctionnements non gérés entraînent découragement et démotivation.
▸ À l’inverse, le management se focalise parfois trop sur des personnes dysfonctionnantes et en oublie toutes celles qui conduisent un travail remarquable en les désavantageant de fait puisqu’elles n’exigent rien.
▸ Des cadres intermédiaires disent leurs difficultés à gérer des conflits.
▸ Les soucis de recrutement impactent la qualité des équipes : difficultés à recruter, notamment des personnels formés, difficulté à obtenir le volet 3 du casier judiciaire.
▸ Les missions d’accompagnement de personnes vulnérables se font donc souvent par défaut.
▸ Enfin, les comités directeurs éprouvent des difficultés pour évincer des personnes maltraitantes car leurs effectifs sont en flux tendu ; des difficultés également à évincer des salariés procéduriers et trouble-fêtes.


III. LA GESTION DE L’ALERTE

▸ De nombreux professionnels témoins appréhendent encore de parler : ils craignent les conflits, les représailles quant à leur emploi, et ne se sentent pas protégés malgré le dispositif national mis en place.
▸ Les personnes éprouvées psychologiquement par une absence de cohérence dans les fonctionnements du management hésiteront à parler à la suite d’une situation de violence.
▸ Certains qui ont été en butte à l’opprobre de leurs collègues en informant leur hiérarchie restent cependant prêts à se remobiliser malgré l’enfer vécu pour protéger leurs patients.
▸ Les professionnels et leur direction sont encore trop souvent démunis pour gérer des situations où les engagements et les responsabilités sont importants.
▸ Les analyses de pratique, de compréhension des événements, les études des contextes, la prise de recul sur les engagements et responsabilités de chacun sont encore insuffisamment organisées au niveau des équipes pour qu’elles puissent mieux appréhender le risque et le prévenir.
La grande majorité des professionnels à l’origine de faits de violence l’ont été soit par méconnaissance, soit par manque de moyens et de temps, par manque de cadre, par manque de respect. « Les personnes violentes ont plutôt besoin d’aide que d’ostracisme, parce que l’on n’est pas violent lorsqu’on est heureux et satisfait : il n’y a jamais d’éclair dans un ciel bleu » (3).


(1)
Chercheur américain en psychologie sociale reconnu pour sa théorie frustration-agression, 1961.


(2)
R. Coutanceau et J. Smith, « Violences psychologiques. Comprendre pour agir », Dunod, 2014.


(3)
Y. Dallaire (psychologue-sexologue), « La violence faite aux hommes. Une réalité taboue et complexe », Option Santé, 2002.

SECTION 3 - LA PROBLÉMATIQUE DE LA MALTRAITANCE

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