Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants (CPT), émanation du Conseil de l’Europe, a réévalué en mars 2017 les moyens de contention dans les établissements psychiatriques pour adultes (normes révisées du CPT) (1). Ces principes sont retranscrits ci-dessous, tels qu’énoncés par le CPT.
« À la lumière des précédentes publications sur ce sujet et de ses constatations faites lors des nombreuses visites effectuées ces dernières années dans des établissements de psychiatrie civile et de psychiatrie légale de divers pays d’Europe, le CPT a décidé de revoir ses normes relatives à l’utilisation des moyens de contention et de les regrouper dans le présent document.
Étant donné la nature intrusive et le potentiel d’abus et de mauvais traitements du recours à la contention, le CPT a toujours accordé une attention particulière à l’utilisation des différents types de contention vis-à-vis des patients psychiatriques. D’emblée, le CPT tient à souligner que le but devrait toujours être d’éviter de recourir à la contention en en limitant le plus possible la fréquence et la durée. À cette fin, il est extrêmement important que les autorités sanitaires compétentes et la direction des établissements psychiatriques développent une stratégie et prennent tout un éventail de mesures proactives, qui devraient notamment inclure la création d’un environnement matériel sûr (y compris en plein air), le recrutement d’un nombre suffisant de personnels de santé, une formation initiale et continue adéquate du personnel impliqué dans la contention des patients, la promotion de la sécurité dynamique et le développement de mesures alternatives (y compris des techniques d’apaisement des tensions). Dans la plupart des pays dans lesquels s’est rendu le CPT, les types de contention suivants peuvent être utilisés (un ou plusieurs simultanément) :
- la contention physique (maintien ou immobilisation d’un patient par le personnel en ayant recours à la force physique, dit « contrôle manuel ») ;
- la contention mécanique (recours à des instruments de contention, tels que des lanières, les sangles, pour immobiliser un patient.) (2) ;
- la contention chimique (administration forcée de médicaments visant à contrôler le comportement d’un patient) ;
- l’isolement (placement d’un patient contre son gré, seul dans une chambre fermée à clé). »
Le CPT fixe quelles sont à ses yeux les conditions d’utilisation des moyens de contention :
Le CPT fixe quelles sont à ses yeux les conditions d’utilisation des moyens de contention :
A. Conditions de mise en œuvre
Dans des cas exceptionnels, il peut être nécessaire d’immobiliser des patients psychiatriques violents, qui représentent un danger pour eux-mêmes ou pour autrui.
Les moyens de contention devraient toujours être appliqués conformément aux principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité et de responsabilité.
Tous les types de contention et les critères de leur utilisation devraient être régis par la loi.
La mise sous contention de patients ne devrait être qu’une mesure prise en dernier ressort (ultimo ratio) afin d’empêcher qu’ils ne se blessent ou ne blessent autrui et les moyens de contention devraient toujours être utilisés pour la durée la plus courte possible. Lorsque la situation d’urgence ayant entraîné le recours aux moyens de contention cesse d’exister, il convient de libérer le patient immédiatement.
Les moyens de contention sont des mesures de sécurité et y recourir à des fins thérapeutiques ne peut se justifier. (3)
Les moyens de contention ne devraient jamais être utilisés à titre de sanction, pour faciliter purement et simplement la tâche du personnel, en raison d’un manque d’effectifs, ou pour remplacer des soins ou une prise en charge adaptés.
Tout établissement psychiatrique devrait avoir une politique générale bien pensée relative à la contention. La participation et le soutien du personnel comme de la direction dans l’élaboration d’une telle politique sont essentiels. Cette politique devrait viser, dans la mesure du possible, à prévenir le recours aux moyens de contention et devrait indiquer clairement les moyens de contention pouvant être utilisés, les circonstances dans lesquelles ils peuvent être appliqués, les mesures pratiques de leur application, la surveillance requise et les mesures à prendre une fois que cesse la contention. Cette politique devrait également prévoir des chapitres sur d’autres sujets importants, comme : la formation du personnel, la consignation dans les registres, les dispositifs de signalement interne et externe, le « débriefing » ainsi que les procédures de plaintes. Par ailleurs, les patients devraient bénéficier de toutes les informations pertinentes relatives à la politique de contention dans l’établissement.
B. Autorisation
Tout recours à des moyens de contention devrait toujours se faire sur ordre exprès d’un médecin, après une évaluation individuelle du patient concerné, ou être immédiatement porté à la connaissance d’un médecin pour approbation. À cette fin, le médecin devrait examiner le patient concerné dès que possible. Aucune autorisation inconditionnelle ne saurait être acceptée.
C. Modalités de mise en œuvre
Les moyens de contention devraient toujours être appliqués avec toute la compétence et la diligence requises pour réduire au minimum les risques de nuire ou de causer des souffrances au patient et de préserver, autant que possible, sa dignité. Le personnel devrait être formé de manière appropriée avant de participer à une mesure de contention.
En cas de recours à la contention physique (manuelle), le personnel devrait être spécialement formé aux techniques d’immobilisation qui minimisent les risques de blessures. Les prises d’étranglement et les techniques susceptibles d’obstruer les voies respiratoires des patients ou d’infliger des douleurs devraient être interdites.
Aux fins de la contention mécanique, seuls des équipements conçus pour limiter les effets nuisibles (de préférence, des lanières ou sangles en tissu rembourrées) devraient être utilisés pour réduire au minimum le risque de causer des blessures et/ou des souffrances au patient. Les menottes ou chaînes ne devraient jamais être utilisées pour immobiliser un patient. Les patients sous contention devraient toujours être immobilisés sur le dos les bras le long du corps. Les lanières ne devraient pas être trop serrées et devraient être appliquées de manière à permettre un maximum de mouvements sûrs des bras et des jambes. Les fonctions vitales du patient, comme la respiration et la capacité de communiquer, ne devraient pas être entravées. Les patients immobilisés devraient être habillés de manière appropriée et capables dans la mesure du possible de manger et de boire de manière autonome et de se rendre aux toilettes pour faire leurs besoins.
Il convient d’interdire l’utilisation de lits à filets (ou de lits-cages) en toutes circonstances.
Les patients ne devraient pas être mis sous contention mécanique au vu et au su des autres patients (à moins que le patient n’ait explicitement exprimé le souhait de demeurer en compagnie d’un patient donné) ; les visites des autres patients ne devraient avoir lieu qu’avec le consentement exprès du patient placé sous contention. Le personnel ne devrait pas être assisté par d’autres patients lorsqu’il applique des moyens de contention à un patient.
Lorsque des moyens de contention chimique sont utilisés, seuls des médicaments approuvés, correctement évalués et à effet de courte durée devraient être utilisés. Les effets secondaires que ces médicaments pourraient avoir sur le patient concerné devraient constamment être gardés présents à l’esprit, notamment lorsque l’administration de médicaments est associée à l’application d’un moyen de contention mécanique ou d’une mesure d’isolement.
S’agissant de l’isolement, la pièce dans laquelle les patients sont placés devrait être spécialement conçue à cette fin. En particulier, elle devrait garantir la sécurité du patient et lui offrir un environnement apaisant.
D. Durée de la contention
« La durée du recours à des moyens de contention mécanique et à l’isolement devrait être la plus courte possible (elle se compte en général en minutes plutôt qu’en heures), et il faut y mettre fin dès lors que la raison l’ayant motivé a cessé. L’application de moyens de contention mécanique pendant des jours d’affilée ne saurait avoir de justification d’aucune sorte et pourrait s’apparenter, de l’avis du CPT, à des mauvais traitements.
Si, exceptionnellement, pour des motifs impérieux, une mesure de contention mécanique ou d’isolement d’un patient est appliquée pour une période plus longue que quelques heures, cette mesure devrait faire l’objet d’un réexamen par un médecin à brefs intervalles. Il convient également d’envisager dans ces cas-là, et lorsque l’on a recours de manière répétée aux moyens de contention, de faire intervenir un deuxième médecin et de transférer le patient concerné dans un établissement psychiatrique plus spécialisé. »
E. Types de contention
« Dans les cas où recourir à la contention est envisagé, il convient d’accorder la préférence à la mesure de contention la moins restrictive et la moins dangereuse. Lors du choix entre différentes mesures de contention possibles, des facteurs comme l’avis du patient (y compris les préférences qu’il aurait exprimées à l’avance) et l’expérience passée devraient, autant que possible, être pris en considération. »
F. Usage concomitant de différents types de contention
« Parfois, l’isolement, la contention mécanique ou physique peuvent être combinés avec la contention chimique. Une telle pratique ne peut se justifier que si cela permet de limiter la durée de l’application de la contention ou si elle s’avère nécessaire pour éviter d’infliger de graves préjudices au patient ou à autrui. »
G. Surveillance
« Tout patient soumis à une mesure de contention mécanique ou d’isolement devrait faire l’objet d’une surveillance continue. Dans le cas de la contention mécanique, un membre qualifié du personnel devrait être présent en permanence dans la pièce afin de maintenir un lien thérapeutique avec le patient et de lui apporter son assistance. En cas de placement à l’isolement d’un patient, le membre du personnel peut se trouver hors de la pièce où se trouve le patient (ou dans une salle adjacente avec une fenêtre communicante), à condition que le patient puisse bien voir le membre du personnel et que ce dernier puisse continuellement observer le patient et l’entendre. À l’évidence, la vidéosurveillance ne saurait remplacer une telle présence continue du personnel. »
H. Débriefing
« Lorsque les moyens de contention ont été ôtés, il est essentiel qu’une séance de débriefing ait lieu avec le patient afin de lui expliquer la raison pour laquelle la mesure de contention a été appliquée, de réduire les traumatismes psychologiques de cette expérience et de rétablir la relation médecin-patient. Cette séance constitue également une occasion pour le patient de trouver comment, ensemble avec le personnel, il pourrait parvenir à mieux se maîtriser évitant peut-être ainsi d’autres épisodes de violence suivis de mesures de contention. »
I. L’éventualité de la demande du patient
« Il peut arriver que certains patients demandent à être soumis à des moyens de contention. Dans la plupart des cas, ces demandes de « prise en charge » suggèrent que les besoins des patients ne sont pas satisfaits et que d’autres mesures thérapeutiques devraient être étudiées. Si un patient est cependant soumis à une forme quelconque de contention à sa propre demande, la mesure de contention devrait prendre fin dès que le patient le demande. »
J. Consignation et signalement
« 1. L’expérience montre qu’une consignation détaillée et rigoureuse des cas de recours à la contention peut fournir à la direction de l’hôpital un aperçu de leur ampleur et lui permettre de prendre des mesures, le cas échéant, pour en diminuer la fréquence. À cette fin, un registre spécial devrait être tenu pour recenser tous les cas de recours à des moyens de contention (y compris la contention chimique). Ceci viendrait compléter les informations contenues dans le dossier médical personnel du patient. Les éléments à consigner dans le registre devraient comprendre l’heure de début et de fin de la mesure, les circonstances d’espèce, les raisons ayant motivé le recours à la mesure, le nom du médecin qui l’a ordonnée ou approuvée et, le cas échéant, un compte rendu des blessures subies par des patients ou des membres du personnel. Les patients devraient être habilités à ajouter des commentaires au registre et devraient être informés de ce droit ; à leur demande, ils devraient recevoir une copie de tous les éléments consignés.
2. La fréquence et la durée des cas de contention devraient être signalées de manière régulière à une autorité de contrôle et/ou à un organe extérieur de suivi attitré (par exemple, un organisme d’inspection sanitaire). Cela permettra d’obtenir une vue d’ensemble au niveau national ou régional des pratiques existantes en matière de contention afin de mettre en œuvre une stratégie visant à limiter la fréquence et la durée du recours à la contention. »
K. Procédures de plaintes
« Des procédures de plainte effectives sont des garanties essentielles contre les mauvais traitements dans tous les établissements psychiatriques. Les patients psychiatriques (ainsi que les membres de leur famille ou représentants légaux) devraient disposer de voies de recours au sein du système administratif des établissements et devraient être autorisés à adresser leurs plaintes – de manière confidentielle – à une autorité externe et indépendante. Les procédures de plaintes devraient être simples, efficaces et adaptées aux usagers, en particulier en ce qui concerne le langage utilisé. Les patients devraient avoir droit à des conseils juridiques pour les questions concernant les plaintes et bénéficier d’une aide juridictionnelle gratuite quand les intérêts de la justice l’exigent. »
(1)
Comité Européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), Moyens de contention dans les établissements psychiatriques pour adultes. (Normes révisées du CPT), Strasbourg, CPT/inf (2017) 6 - rm.coe.int/16807001c4.
(2)
Elles sont essentiellement utilisées au lit. Le gilet de contention, communément appelé camisole de force, qui pourrait être inclus dans ce type de moyens, n’est cependant guère plus utilisé.
(3)
Dans ce dossier, cette question sera abordée selon un point de vue clinique différent (Michel Brioul).