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LE SAUVAGE DE L’AVEYRON

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C’est en 1797 que l’on découvrait, hagard et terrifié dans la forêt des monts de Lacaune dans l’Aveyron un être ayant vécu depuis probablement son plus jeune âge seul dans les bois. Nu, il marchait à quatre pattes, se balançait, ne parlait pas, ne prononçant que quelques cris et sons inintelligibles, s’agitait, griffait, mordait quand on s’approchait de lui. Ce n’était un être humain que par sa configuration physique et son âge apparent d’une dizaine d’années : on le désigna comme « le sauvage de l’Aveyron ». Seul Jean-Marc Gaspard Itard, jeune et fougueux médecin militaire tenta de l’humaniser, en s’efforçant de lui donner une éducation, entre 1800 et 1810. Il le fit d’abord en lui donnant un nom, Victor, en lui imposant des chaussures et des vêtements, puis en s’efforçant de lui apprendre les codes sociaux, le langage, quelques connaissances et compétences, à grand renfort de séances de travail pédagogique et éducatif. L’un des outils estimés formateurs auquel il avait recours était l’enfermement dans le cabinet noir, un placard sombre et étroit fermé à clé. Parfois même pour éprouver son sentiment de l’injustice : « Je crus devoir essayer un autre moyen de correction et, pour lui faire sentir plus vivement l’inconvenance de ses rapines, nous usâmes envers lui du droit de représailles. [.] le saisissant enfin lui-même par le bras, je l’entraînais avec violence vers un cabinet noir qui, dans les commencements de son séjour à Paris, lui avait quelques fois servi de prison. Il se laissa conduire avec résignation jusque près du seuil de la porte. Là, sortant tout à coup de son obéissance accoutumée, s’arc-boutant par les pieds et par les mains contre les montants de la porte, il m’opposa une résistance des plus vigoureuses, et qui me flatta d’autant plus qu’elle était toute nouvelle pour lui, et que jamais, prêt à subir une pareille punition alors qu’elle était méritée, il n’avait démenti, un seul instant, sa soumission par l’hésitation la plus légère. J’insistai néanmoins, pour voir jusqu’à quel point il porterait sa résistance et, faisant usage de toutes mes forces, je voulus l’enlever de terre pour l’entraîner dans le cabinet. Cette dernière tentative excita toute sa fureur. Outré d’indignation, rouge de colère, il se débattait dans mes bras avec une violence qui rendit pendant quelques minutes mes efforts infructueux ; mais enfin, se sentant prêt à ployer sous la loi du plus fort, il eut recours à la dernière ressource du faible ; il se jeta sur ma main et y laissa la trace profonde de ses dents. » (1)
On peut, à lire ces lignes estimer que l’auteur est cruel, que sa façon d’agir est intolérable. Pourtant, on ne peut accuser Jean Itard de brutalité gratuite, éventuellement peut-on le taxer de l’incompétence d’un pionnier qui apprend de l’expérience ; ses intentions sont au contraire louables : il veut, en éduquant Victor, le civiliser, faire de lui un homme et le réinsérer dans la société. On sait qu’il va échouer quant à son projet principal qu’était l’acquisition du langage. Cependant Victor va néanmoins vivre jusqu’à sa mort en harmonie sociale et affective dans la famille de Madame Guérin, la gouvernante du médecin, laquelle accompagne Victor au quotidien. Elle s’en occupera jusqu’à la mort de celui-ci, pendant 17 ans, même après que le docteur Itard ait abandonné sa prise en charge à l’issue, infructueuse à ses yeux, de cinq années de travail.
Madame Guérin assure une présence constante, empreinte de sollicitude quotidienne, répond aux besoins primaires et secondaires mais essentiels de l’enfant, puis de l’adolescent et enfin de l’adulte, de la toilette au repas, en passant par l’habillage, les loisirs et les promenades ou Victor retrouve sa nature. Elle assure les soins nécessaires quand son protégé se blesse ou est malade. Elle console au besoin Victor quand les difficultés deviennent insupportables pour lui ; elle contribue aux progrès de Victor en lui parlant, en soutenant son développement moteur dans un corps à corps sans ambages : elle l’aide à se tenir debout, à marcher avec des chaussures, à manipuler les objets, elle le stimule aussi dans une certaine conquête d’autonomie. Elle est attentive, disponible, attentionnée, aimante, elle le regarde avec cette aménité complice qui instaure une relation affective positive et réciproque. Un transfert positif en somme. En apparence, elle ne travaille peut-être pas explicitement à la socialisation de Victor, mais elle l’humanise probablement plus sûrement que ne l’avait fait son éducateur, le docteur Itard. Et sans jamais avoir recours au placard !
Madame Guérin est la figure emblématique des soignants d’aujourd’hui, sans la conscience de l’être. Seules lui manquent peut-être les capacités de l’enrichissement théorique. Le travail de penser est inhérent à l’intervention des soignants de tous ordres, AMP (aujourd’hui AES), aides-soignants, éducateurs ou infirmiers, car la clinique leur est commune.


(1)
Dr. Jean Marc Gaspard Itard, Victor de l’Aveyron (1807), Paris, Allia, 2009, p. 133-136.

SECTION 1 - DÉFENSE ET ILLUSTRATION D’UNE CONTENTION JUDICIEUSE

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