Cette période est dite « maniaque », au sens du besoin de maîtrise active de l’environnement. Cela se traduit par l’asservissement de l’autre, devenant marionnette des agissements du patient. Il s’agit de modalités défensives (protectives) contre l’angoisse devenue prépondérante de perdre l’Objet. Le sujet se vit comme responsable d’être éventuellement abandonné, tant par ses agissements que par ses sentiments : il adopte une « position dépressive » face à la crainte de ne plus être aimé. Les défenses « maniaques » mises en place sont alors extrêmement difficiles à abandonner car vécues comme source de sécurité exclusive. Quant à la violence dans cette organisation, elle se traduit à l’aulne de la toute-puissance, et peut prendre la forme de raptus violents à l’encontre d’autres personnes ou d’objets lors d’accès de rage.
Exemple
Véronique est une femme de 52 ans, résidente d’une maison d’accueil spécialisée (MAS) depuis sa majorité, après un parcours assez classique en IME pendant son enfance. Elle a perdu, à la mort de ses parents, tout contact avec le reste de sa famille (un frère et des sœurs, dont nous ne savons pas grand-chose). Elle est très déficiente, mentalement sévèrement handicapée, n’ayant pu acquérir ni aucune notion dite scolaire ni un minimum d’autonomie. Elle n’accède qu’à peu d’activités, mais bénéficie d’une prise en charge régulière « Snoezelen » (1) et d’un « atelier esthétique » où elle apprécie être coiffée. Elle se rend avec grand plaisir, une fois par semaine, à la piscine municipale. La plupart du temps, elle déambule sur son groupe de vie et dans les couloirs de l’établissement, faisant tourner devant ses yeux un morceau de tissu indifférencié. Cet accessoire ne peut être considéré comme un objet transitionnel (Winnicott), mais plutôt comme un objet autistico-psychotique (Tustin), c’est-à-dire ayant une fonction spécifique de stimulation sensorielle. Véronique semble en effet souffrir de cette structuration psychique, repérée sous le terme diagnostic de psychose infantile à expression déficitaire.
Calme le plus souvent, il arrive parfois à Véronique d’entrer brutalement dans des crises de colère clastiques, lorsqu’une contrariété l’assaille : une frustration (le mot « non », que nous évitons donc, remplacé par quelque périphrase lorsque l’une de ces demandes ne peut être satisfaite, en est un déclencheur), ou un changement dans ses habitudes (place à table, changement d’horaire...) sont susceptibles de provoquer ces explosions. Elle se met à crier, à gesticuler avec force coups de pied à l’encontre des meubles, portes et autres objets, manifestations accompagnées d’attaques contre elle-même : elle se lacère le visage avec ses mains, jusqu’au sang, même si ses ongles sont bien sûr coupés courts. Seuls un enveloppement avec un drap et quelques minutes d’isolement ont raison de ces débordements.
Nous reviendrons sur cette nécessité de contention et de retrait dans certaines situations. Soulignons ici que ce type d’accès de violence est totalement hors de contrôle du sujet, provoqué par un évènement extérieur qui vient percuter la sauvegarde d’un self fragile, incident qui vient bouleverser les entoures psychiques constituées par la stéréotypie des relations avec l’environnement et la ritualisation du mode de vie, ce que Kanner nommait sameness (2), et que nous avons traduit par immuabilité.
(1)
Développé dans les années 1970 par deux jeunes Hollandais (Ad. Verhuel et J. Hulsegge), le terme Snoezelen est la contraction de Snuffelen (renifler, sentir) et de Doezelen (somnoler), que l’on pourrait traduire autour de la notion d’exploration sensorielle et de détente et plaisir. Proposée depuis de nombreuses années dans le cadre du handicap et du polyhandicap, Cette approche est une activité vécue dans un espace spécialement aménagé, éclairé d’une lumière tamisée, bercé d’une musique douce, un espace dont le but est de recréer une ambiance agréable. On y fait appel aux sept sens : l’ouïe, l’odorat, la vue, le goût et le toucher, le mouvement et la cénesthésie.
(2)
Léo Kanner, « Autistic disturbances of affective contact », Nervous Child, 1943.