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LA SCHIZOPHRÉNIE

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« Il m’arrive de croupir chez moi, torturé et anéanti par une maladie dont si peu soupçonnent l’horreur et l’étrangeté, un mal bardé de préjugés qu’on appelle schizophrénie. [...] Quelque chose avait germé en moi, une sorte de pourriture couvant comme un feu de tourbe. [...] Le schizophrène souffre le martyre d’angoisses en déluge où il croit être le jouet de Satan, qu’il entend jour et nuit des voix invisibles et ténébreuses qui le pourchassent [...]. Dans cet enfer qui ne cesse jamais, je me vis perpétuellement sur la défensive, comme une bête traquée, et (pour me défendre), la violence se tourne en général contre moi : par exemple, un jour, pris de rage face à ma mère, qui ne voulait pas admettre mon avis, je me suis mis à pousser un grand cri rauque et barbare, et sous l’effet de la haine, j’ai défoncé du poing le double vitrage d’une des portes-fenêtres en y faisant un impact de quinze centimètres de diamètre. Ma main saignait et un bout de chair pendait à mon pouce. » (1) Ainsi s’exprime Polo Tonka lorsqu’il évoque son « parcours en schizophrénie ». Ce témoignage est exemplaire et paradigmatique de ce qu’éprouvent la plupart de ceux qui sont atteints par cette pathologie psychique.
Nous ne sommes plus ici dans les fonctionnements archaïques décrits jusqu’ici, mais dans une forme élaborée différemment des interactions avec soi-même et l’environnement : la pensée existe, mais elle est envahissante, oppressante et parfois persécutive.
Dans les psychoses adultes, et spécifiquement pour les schizophrènes, les patients, envahis par une symptomatologie où dominent les délires et les hallucinations, la vie est une suite de tortures psychiques. « Je préférerais avoir un bras en moins, une jambe coupée », me disait un patient. Il faut préciser que la schizophrénie n’est pas le dédoublement de la personnalité souvent évoqué pour décrire la maladie, même s’il s’agit bien d’une coupure, cependant, non au sein du sujet lui-même mais entre le soi et le monde : c’est ce que l’on désigne par le terme de dissociation. Ce processus fait vivre au patient le sentiment angoissant d’être disjoint du monde ; il en est de même entre la pensée et le réel, les sensations et les perceptions, mais nullement entre deux entités clivées du moi, telles le docteur Jekill et Mr Hyde comme on l’évoque à tort trop souvent.
La schizophrénie est une psychose dissociative chronique résultant d’un lien entre une prédisposition vulnérable d’ordre psychobiologique, dont la composante génétique semble impliquée et des déclencheurs socio-environnementaux à type de rupture (changement de mode de vie, séparation amoureuse, deuil.).
Eu égard à la violence, il importe de rétablir la réalité : malgré un discours médiatique catastrophiste, éventuellement repris par certains politiques, les patients atteints de schizophrénies sont plutôt moins souvent agressifs que l’ensemble de la population, à part à l’encontre d’eux-mêmes. les chiffres des différentes études qui tendent à avancer une prévalence de 8,5 % font en fait l’amalgame avec d’autres atteintes mentales. En France, dans les enquêtes d’opinion, la schizophrénie est associée au danger et au passage à l’acte : pour 16 % des personnes interrogées lors d’une enquête IPSOS de 2002 (2), la maladie mentale est associée à : « violence, peur, danger, criminels en série ». 48 % de ces personnes pensent que les schizophrènes sont dangereux pour les autres.
Des crimes récents, très médiatisés, ont renforcé cette croyance de l’opinion dans notre société insécurisée, crimes commis par des malades mentaux reconnus en tant que tels ou crimes tellement horribles que l’opinion publique ne pouvait que les assimiler à l’acte fou d’un malade mental. Ainsi, en décembre 2004, une infirmière et une aide-soignante de l’hôpital psychiatrique de Pau sont tuées par un jeune homme armé d’un sabre. En novembre 2008, un patient suivi en psychiatrie s’échappe de l’hôpital et poignarde mortellement un étudiant dans une rue de Grenoble. Ces deux faits divers très largement médiatisés et politisés ont créé l’amalgame dans l’esprit des Français entre schizophrénie et dangerosité. Cette association ne correspond nullement à la réalité.
Si dans le second cas il semble bien s’agir de l’acte d’un patient qualifié de « schizophrène paranoïde » par les experts, dans le premier cas, il s’avère que l’auteur de cet acte ne peut être considéré comme schizophrène aux yeux de plusieurs experts, mais relève plutôt du registre de la psychopathie, doublée d’une forte imprégnation cannabique : l’un des experts psychiatres parle de toxicose. On assimile trop souvent différentes pathologies à la schizophrénie, renforçant ainsi le fantasme de dangerosité dans l’esprit du public et stigmatisant ces patients. Il est indéniable que certains sont susceptibles de commettre des gestes portant atteinte à l’intégrité d’autrui, mais ce ne sont largement pas les plus nombreux.
Très souvent en effet, les actes violents sont commis par des malades atteints de troubles neurologiques indépendants de la schizophrénie, mais causant des symptômes délirants : dans ce cas, c’est le lien entre lésions cérébrales et violence qui est établi. La violence est également le fait d’un autre groupe de personnes dont les fonctionnements plutôt de type antisocial (psychopathie, sociopathie) lesquels, par un glissement diagnostique, sont trop facilement assimilés à la schizophrénie. D’autres facteurs entrent en ligne de compte, comme la toxicomanie : les patients concernés qui abusent de substances toxiques ou d’alcool peuvent présenter une violence, mais pas nécessairement corrélée avec la schizophrénie.
De plus, dans les études publiées, les patients hospitalisés sont surreprésentés ce qui accroît artificiellement la prévalence, puisque la violence est plus importante en milieu hospitalier qu’en ville. Dans l’ensemble, les actes agressifs observés ou reconnus s’évaluent de l’ordre de 9 % des patients en moyenne, ce qui est effectivement supérieur aux actes délictueux de ce type dans la population non atteinte. Cependant, si l’on exclue les patients « faussement schizophrènes », ceux qui sont sous l’emprise de substances, ceux dont les facteurs neurologiques sont fortement impliqués (syndromes frontaux entre autres), le taux d’agressions effectives rejoint celui de la population générale, voire même lui est inférieur. Si l’on considère les seules violences conjugales, c’est plus d’une femme sur 10 qui en est victime. et les agresseurs ne sont pas malades mentaux : « Il s’agit en majorité d’hommes bénéficiant par leur fonction professionnelle d’un certain pouvoir. On remarque une proportion très importante de cadres (67 %), de professionnels de la santé (25 %) et de membres de la police ou de l’armée », commente Roger Henrion, auteur d’un rapport sur cette question (3).
Nonobstant, la violence des schizophrènes existe ! Il faut pourtant souligner qu’elle reste rare et le fait d’une minorité d’entre eux. En effet, on considère qu’elle concerne seulement 3,5 % des patients, soit moins de 1 sur 25, ce qui est nettement moins que dans la population générale, chez qui on considère que près de 12 % sont susceptibles de violences délictueuses (4) ! La violence survient lors de moments aigus d’excitation, d’hallucinations (surtout auditives, impératives ou vécues comme insupportables) ou de délire, notamment de persécution ou de jalousie, et surtout chez des patients jeunes, en début de maladie. Le sentiment d’être menacé est un déclencheur fréquent, de même que le délire exprimant un danger imminent, le sentiment du vol de la pensée, que l’esprit est sous contrôle d’autrui ou d’une entité externe. La peur, l’anxiété, la colère sont impliquées dans les accès de violence. La promiscuité institutionnelle est un facteur important, avec la perception de l’intrusion permanente de l’autre dans l’espace intime. La qualité de la prise en charge est corrélée à l’importance de la violence : le caractère chaotique de la prise en charge, l’inconstance des soins, l’insuffisante adaptation des traitements favorise également l’agressivité.


(1)
Polo Tonka, Dialogue avec moi-même – un schizophrène témoigne, Odile Jacob, 2013


(2)
Citée in : Jean Louis Senon, Cyril Manzarena, Michaël Humeau, Louise Gotzamanis, « Les malades mentaux sont-ils plus violents que les citoyens ordinaires ? », L’information psychiatrique, 2006/8 volume 82, pp 645-652


(3)
Roger Henrion, Les Femmes victimes de violences conjugales, le rôle des professionnels de santé : rapport au ministre chargé de la Santé, La Documentation Française, février 2001


(4)
Source : « condamnations pénales prononcées par la justice en France » http://www.planetoscope.com/demographie-urbanisme/Criminalite

SECTION 4 - LES PSYCHOSES ADULTES

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