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INTRODUCTION

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Il s’agit d’une organisation psychique qui permet de lutter contre le sentiment de discordance entre le désir propre, l’élan vital individuel tendu vers une satisfaction pulsionnelle et les exigences de l’autre idéal ou fantasmé, représentant de la loi qui en interdit la jouissance, source pour le sujet d’un conflit insoluble.
Afin d’éviter de se confronter à ce conflit et d’éprouver un intolérable sentiment de culpabilité, le sujet « choisit » (en tout cas son inconscient le fait) d’étouffer le pulsionnel préférant ne souscrire qu’au normatif. C’est ainsi que l’on peut entendre le concept de névrose. Ces pathologies s’expriment dans la névrose phobique, la névrose obsessionnelle et compulsive, la névrose d’angoisse, l’hystérie, et, à un moindre degré la spasmophilie, entre autres syndromes.
Ces conflits, résolus en termes d’interdit du plaisir pulsionnel, éprouvés de façon invalidante et facteurs de grandes insatisfactions, porteurs de sentiments de culpabilité, sources d’une grande anxiété permanente, se traduisent dans les symptômes variés du fonctionnement névrotique. Ils génèrent parfois d’effroyables angoisses d’anéantissement face au risque de ne pas satisfaire les attentes de l’environnement telles qu’elles sont fantasmées par le sujet, fussent-elles inaccessibles réellement.
Elles sont le résultat de l’échec infantile de l’inconscient à avoir aménagé une solution « négociée » en termes de traits de personnalité : le conflit est réactivé en permanence et l’aménagement pathologique devient nécessaire, avec le cortège de troubles, parfois suffisamment envahissants pour rendre la vie interactive insupportable.
Ce qui domine chez ces personnes, c’est l’accès impossible à la jouissance, car elles sont écrasées par le souci permanent d’être en phase avec les règles, celles qu’ils s’imposent pour être digne d’un modèle fantasmé ou réel. Faute d’y parvenir suffisamment, la culpabilité et l’angoisse les tenaillent. C’est la conjonction de ces tensions qui peut parfois être le déclencheur et le moteur de moments d’agressivité violente.
Happé par le conflit qui s’agite en lui et dont la loi, la morale stricte et les interdits sortent victorieux, le patient névrosé laisse parfois échapper l’énergie issue de cette tension et il est alors susceptible de le faire de façon explosive. Cependant, ce ne sont pas les plus nombreux patients rencontrés dans les institutions, bien qu’il y en ait quelques-uns, atteints des névroses les plus sérieuses, souvent associées à d’autres pathologies. Il faut reconnaître toutefois que ces problématiques sont plus souvent le fait de soignants en souffrance que des résidents eux-mêmes.
Je peux citer en exemple le cas d’une patiente, vue en consultation dans le cadre libéral. Mariée, mère de deux enfants, elle vient consulter avec son mari, exprimant une difficulté conjugale. Appelons-les Vanessa et Étienne. Ils vivent ensemble depuis une dizaine d’années. Ils se sont mariés après 4 ans de vie commune sans difficultés et ont vécu à l’étranger, dans le pays d’origine de Vanessa, avant de se rendre au Québec. Deux ans après ce mariage, Vanessa est enceinte de leur premier enfant.
Des premiers changements dans l’attitude et le comportement de Vanessa sont alors notés : des exigences de type obsessionnelles et qui paraissent « bizarres » aux yeux de l’entourage se font jour. Alors qu’elle était dynamique, elle cesse toute activité domestique, laissant son mari s’occuper entièrement de la cuisine, du repassage, des lessives, etc. Paradoxalement, alors qu’elle ne se préoccupe pas elle-même de la propreté domestique, elle se montre extrêmement exigeante quant aux supposés risques de contamination microbienne : il ne faut pas poser la valise, même sur un divan, les sièges ou les objets touchés doivent être désinfectés, les repas doivent répondre à des critères très précis. Elle reproche par ailleurs aux Québécois leur méchanceté et leur saleté. Elle cesse son travail d’interprète.
Quelques mois après, alors que le bébé a 9 mois, le couple vient quelques jours en France. C’est à cette occasion que je les rencontre, à l’initiative d’Étienne. Les conduites de Vanessa deviennent paroxystiques. Elle se montre extrêmement anxieuse, générant des comportements qui paraissent excessifs vis-à-vis du bébé, quant à la protection contre les grattages, ou contre le soleil, allant même par exemple jusqu’à lui mettre des moufles pour éviter que le bébé ne se blesse avec ses ongles. Elle hurle lorsque le chien de la maison s’approche à moins de plusieurs mètres. Elle reproche véhémentement à sa belle-mère, avec force et cris injurieux, de ne pas laver correctement le linge. En outre, elle semble ne se consacrer exclusivement qu’à l’allaitement du bébé, en rythmant la vie de toute la maisonnée sur ces moments. Elle paraît par ailleurs maladroite lors des changes. C’est son mari, Étienne qui s’occupe de tout : repas, toilette, couches.
Un second enfant va naître ensuite. Les comportements particuliers de Vanessa vont alors s’accentuer considérablement, et être observés (souvent avec souffrance chez l’entourage) lors d’un autre séjour en France, à l’occasion duquel je rencontre à nouveau le couple. Il faut noter que lors de ces entrevues, Vanessa ne participe nullement aux échanges, s’enfermant dans un silence total et manifestant une attitude très opposante, émaillée de mouvements d’agacement, qu’elle contient tant bien que mal dans le cabinet mais qui valent à chaque fois des remontrances exacerbées à l’encontre de son mari dès que le couple se retrouve dans leur véhicule. Étienne me téléphone pour me confier ces retours plus que difficiles au domicile qu’ils occupent pendant ces séjours en France.
À leur arrivée, d’emblée, Étienne annonce à ses parents que son épouse est dépressive. Il m’a d’ailleurs téléphoné plusieurs fois à ce sujet, démuni face à des comportements qu’il ne parvient plus à gérer. Son épouse apparaît négligée, tant pour sa coiffure que dans son habillement, alors qu’elle était au préalable coquette avec une certaine classe. Elle se montre surtout très agressive à son égard, allant jusqu’à le frapper lorsqu’elle ne supporte plus qu’il n’accède pas à ses exigences. En fait, les constats me semblent manifester une situation névrotique complexe : outre les accès de violence verbale et physique, l’allaitement reste central dans la vie de Vanessa, mais assorti de relations difficiles avec les enfants qui hurlent quand elle s’occupe d’eux pour la douche par exemple (elle le fait rarement, laissant cette tâche à son mari). Il semble que devoir s’occuper des enfants, hors de l’allaitement, la panique. Elle décide parfois sans ambages qu’il faut acheter tel ou tel petit pot, car ceux utilisés au préalable ne conviennent plus, telle ou telle marque de couches, telle crème car, brusquement les fesses du bébé lui paraissent irritées. Parfois il faut consulter un médecin en urgence, mais ses conclusions ne conviennent pas. Elle entre dans de vives colères à l’adresse du consultant, le déclarant incompétent. Elle ne supporte pas que son entourage ne réponde pas à ses exigences.
Elle peut de façon abrupte exploser en colères, parfois clastiques, de jour comme de nuit. Tout semble indiquer qu’elle subit alors de violentes crises d’angoisse incoercibles. Elle paraît également très anxieuse, voire paniquée lorsqu’elle s’occupe de ses enfants, qui, eux-mêmes ne semblent pas à l’aise avec elle, ni, par extension, avec les femmes. Ils pleurent dans les bras de celles-ci alors qu’ils sont calmes avec les hommes.
Vanessa obéit à des principes qui ne semblent pas avoir de fondements logiques. Préoccupée à l’excès par l’allaitement, elle exige parfois, à 23 heures, de manger des courgettes pour favoriser la lactation. Avec ses beaux-parents, les visiteurs et même son mari, elle est distante, froide et ne s’intéresse à rien de leurs activités. Elle les accuse tour à tour d’être la cause des difficultés supposées des enfants : les petits pots ne conviennent pas, la lessive n’est pas bonne, le chien génère l’angine dont souffre le bébé. Les conduites obsessionnelles et compulsives se traduisent aussi par exemple dans une recherche exacerbée de maîtrise de la température, gérée au 1/10e de degré près. Il lui est arrivé de réclamer en une seule journée l’ouverture et la fermeture de la fenêtre un nombre infini de fois (plus d’une centaine dit son beau-père, dont le désarroi m’est rapporté par son mari). Les explosions furieuses sont fréquentes, survenant à la moindre contrariété.
Cette même année Florence, sœur d’Étienne, lors d’un troisième séjour chez son frère au Québec, notera l’évolution péjorative de l’état de sa belle-sœur : elle ne participe à rien dans la maison, critique en langue japonaise (n’étant donc pas comprise), ne sort plus que pour les rendez-vous médicaux, refusant de prendre les transports en commun, reste enfermée dans sa chambre, donnant des ordres depuis ce refuge et ne s’adresse à personne directement même pour dire au revoir lorsque les invités s’en vont. Elle est en outre souvent agressive envers quiconque.
Vanessa peut manifester vivement sa colère, par des cris à l’encontre de son mari, voire des gifles, le tapant également avec les poings, en proie à des rages incoercibles, alors que l’instant d’avant elle tenait son fils, affolé, dans les bras. Les conduites incohérentes ne sont pas rares : ainsi par exemple il lui est arrivé d’exiger une halte sur la bande d’arrêt d’urgence de l’autoroute pour donner impérativement des céréales aux enfants, 5 minutes après une pause sur une aire aménagée.
La situation devient extrêmement difficile, voire insupportable. Étienne vit de plus en plus difficilement la situation, envisage le divorce, éprouvant un harcèlement permanent. De plus, cet état de fait génère une rupture avec les relations amicales et une isolation socioculturelle du couple. Les amis ne viennent plus car ils vivent très mal le fait d’être accusés de contaminer les enfants avec les microbes.
Dans cette situation, Il faut éliminer la présomption de volonté de nuire, de harceler, de manipuler de la part de Vanessa à l’encontre de son mari ou de ses proches. L’hypothèse est plutôt celle du déclenchement péri-partum, accentué par le sentiment de responsabilité post-partum, d’une névrose complexe et grave dont souffre Vanessa, psychopathologie qui porte préjudice à l’entourage et risque de rejaillir sur les enfants qui sont très perméables à l’angoisse de leur maman.
Les symptômes, dont les plus paroxystiques ont été décrits ici, et qui sont accompagnés d’un ensemble de manifestations permanentes au quotidien, vont en tout cas dans ce sens, marquant la « trilogie névrotique » :
  • angoisses massives et répétitives avec crises de panique. Cette angoisse est multiforme, portant principalement sur l’hygiène, la santé et les risques inhérents à ses yeux, dont la logique réelle n’est pas rationnelle. Elle se traduit chez Vanessa par des accès explosifs hystériformes. En fait l’angoisse est telle qu’il est nécessaire pour elle de la faire jaillir sous forme d’éclats de colère, assortis de violence verbale et physique qui l’apaisent à peine et deviennent donc récurrents ;
  • sentiments de culpabilité qui se traduisent par le refus d’agir, la compulsion défensive, la rupture avec les codes sociaux. Cette culpabilité est parfois projetée sur l’entourage qui devient à ses yeux incompétent. Encore une fois, cette projection peut s’avérer agressive ;
  • insatisfaction permanente dans tous les domaines (affectif, relationnel, comportemental) qui empêche de considérer le réel comme acceptable et qui entrave tout investissement autre que la fixation obsessionnelle à l’allaitement et à la propreté. Le caractère insupportable de ce sentiment s’exprime également par les épisodes violents qui sont souvent le fait de Vanessa.
Encore une fois, ces comportements ne sont en rien adressés en tant que volonté de nuire. Ils sont en fait l’expression d’une grande souffrance psychique. Malheureusement cette souffrance ne peut, faute d’être éprouvée en tant que telle, être prise en charge sur le plan thérapeutique. Vanessa n’a aucune conscience de ses troubles, interprétant que ce sont les autres qui sont déviants. La situation se soldera peu de temps après ces consultations, par un divorce, sans que j’ai depuis d’autres données sur le devenir de cette dame, et de la situation de ses enfants.
Cet exemple reste paroxystique de la violence des névrosés, assez peu fréquente au sein des structures médicosociales. Chez les résidents du moins ! Souvent en tout cas elle est plus sourde, atténuée, déviée, voire enfouie. Attention toutefois au retour du refoulé qui peut s’avérer explosif. Il faut aussi considérer la violence des symptômes eux-mêmes, lesquels, s’ils sont une sauvegarde pour le patient, s’avèrent très déplaisants, voire insupportables pour l’entourage. La personne névrosée impose en fait les défenses qu’elle a mises en place à ses proches, ses collègues, ses relations, dans la vie quotidienne et en permanence. Les ritualisations obsessionnelles, les « jeux » de séduction-rejet, les angoisses éprouvées débordent et atteignent l’autre de plein fouet, contraint de se soumettre aux exigences d’une pathologie qui n’est pas la sienne.

SECTION 1 - L’AXE DE LA DISCORDANCE

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