L’article 434-1 du code pénal dispose que « le fait, pour quiconque ayant eu connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Sont exceptés des dispositions qui précèdent, sauf en ce qui concerne les crimes commis sur les mineurs :
- les parents en ligne directe et leurs conjoints, ainsi que les frères et sœurs et leurs conjoints, de l’auteur ou du complice du crime ;
- le conjoint de l’auteur ou du complice du crime, ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui.
Sont également exceptées des dispositions du premier alinéa les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13 ».
Faisons tout d’abord le constat qu’il s’agit d’une obligation générale qui pèse sur tout citoyen. En effet, l’utilisation du pronom indéfini « quiconque » exprime bien cette idée.
Le but de la dénonciation est bien de prévenir ou de limiter les effets du crime, ou encore d’empêcher que les auteurs n’en commettent d’autres. La chambre criminelle de la Cour de cassation ayant précisé dans une décision du 2 mars 1961 le point suivant : « L’article 62 du code pénal (1) n’édicte pas une obligation générale de délation à l’égard de toute personne que l’on sait coupable d’un crime présentant les caractères qu’il spécifie ; ce n’est pas l’identité ou le refuge du criminel qui doit être porté à la connaissance des autorités, mais seulement le crime lui-même, afin de permettre à ces autorités de prendre les mesures propres à éviter qu’il achève de produire ses effets, ou qu’il soit suivi d’autres crimes (2). »
Le destinataire de la dénonciation peut être une autorité administrative ou judiciaire. Sont notamment considérées comme des autorités administratives compétentes pour recevoir la dénonciation le président du conseil départemental ou encore le médecin responsable du service de protection maternelle et infantile. La chambre criminelle de la Cour de cassation a même précisé dans un arrêt du 13 octobre 1992 que « le médecin, inspecteur de la santé, appartenant à la direction départementale de la santé et de l’action sociale, placé sous la direction du préfet, est une autorité administrative au sens de l’article 62 du code pénal » (3). Quant aux autorités judiciaires, il peut s’agir des magistrats du Parquet (procureur de la République et ses substituts) mais également du juge des enfants, entre autres.
La dénonciation doit porter sur des faits et non pas forcément sur des personnes. L’identification des auteurs, comme des victimes, étant davantage une mission incombant aux autorités de police. C’est d’ailleurs ce que rappelle clairement le tribunal de grande instance de Caen dans un jugement du 4 septembre 2001 : « L’obligation de dénonciation porte sur des faits, sans que l’identité des victimes doive être nécessairement révélée (...) il appartient aux autorités judiciaires de diligenter les enquêtes propres à l’identification tant des auteurs d’infractions que de leurs victimes (4). »
Rappelons simplement que le crime est une infraction pour laquelle l’auteur, le coauteur ou le complice encourent au moins dix ans de réclusion ou détention criminelle. La peine maximale encourue étant la réclusion ou détention criminelle à perpétuité (5). Les crimes sont évoqués devant la Cour d’assises. L’obligation de dénoncer est activée par la connaissance de l’infraction. Qu’importe d’ailleurs la façon dont l’information est parvenue à la connaissance de la personne. Il doit s’agir d’une infraction criminelle effectivement réalisée. La chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle dans une décision du 7 novembre 1990 que : « L’article 62 alinéa 2 du code pénal n’est pas applicable au brigadier de police qui savait que son beau-frère commettait un hold-up le lendemain et qui s’est abstenu sciemment de dénoncer à ses supérieurs le crime qui se préparait de façon imminente, dès lors que le prévenu n’avait pas connaissance d’un crime déjà tenté ou consommé (6). » Il convient quand même de préciser que le non-empêchement d’un crime est une infraction prévue et réprimée par l’article 223-6 alinéa 1 du code pénal. La peine encourue étant alors de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
L’article 434-1 du code pénal clarifie le droit actuel en précisant expressément qu’il n’est pas applicable aux personnes tenues au secret professionnel dans les conditions prévues par l’article 226-13 du même code.
Il semble clair que la formule du dernier alinéa de cet article ne souffre aucune ambiguïté. Après avoir écarté de cette obligation de dénonciation certaines personnes du fait de leur lien familial, conjugal, ou marital avec l’auteur ou le complice, sauf en ce qui concerne les crimes commis sur les mineurs, l’article 434-1 précité pose clairement la règle applicable.
Il convient d’ajouter que cette exception joue quelle que soit la victime, y compris les mineurs. En effet, seul l’alinéa 1er est visé. Or, cet alinéa ne vise nullement l’exception pour les mineurs qui figure exclusivement dans le deuxième alinéa.
Cette exception peut paraître choquante au premier abord. « Mais le législateur a craint qu’en imposant au médecin l’obligation de révéler les mauvais traitements dont il aurait connaissance, les parents ou les responsables des victimes ne renoncent à les faire soigner (7). » Cette citation qui ne vise que les médecins est totalement transposable aux professionnels du champ social et médico-social astreints au secret professionnel conformément à l’article 226-13 du code pénal. Aussi peut-on comprendre que ce silence est finalement imposé dans l’intérêt de la personne en général et de l’enfant en particulier. Par ailleurs et surtout, le fait de ne pas dénoncer l’infraction ne signifie pas qu’aucune action n’est mise en œuvre. En effet, le professionnel va pouvoir, par exemple, inciter l’auteur à se dénoncer ou à entreprendre une action dans ce sens. Il pourra notamment lui conseiller de rencontrer un autre professionnel pour l’amener à prendre l’initiative de sa propre dénonciation.
Ajoutons enfin que la peine prévue par l’article 434-1 du code pénal sus-visé est aggravée « lorsque le crime visé au premier alinéa de l’article 434-1 constitue une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation prévue par le titre I du présent livre ou un acte de terrorisme prévu par le titre II du présent livre, la peine est portée à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 € d’amende. Les deuxième, troisième et avant-dernier alinéa de l’article 434-1 ne sont pas applicables » (8). Autrement dit, le législateur excepte de cette obligation les personnes astreintes au secret professionnel. Ce qui, de toute évidence, leur laisse le choix de dénoncer ou non les faits dont ils ont eu connaissance.
(1)
L’article 62 du code pénal ancien correspond à l’article 434-1 du nouveau code pénal.
(2)
Cass. crim., 2 mars 1961, Bull. crim., n° 137.
(3)
Cass. crim., 13 octobre 1992, Bull. crim., n° 320.
(4)
TGI, Caen, chambre civile, 4 septembre 2001, JurisData n° 2001-159606.
(5)
Article 131-1 du code pénal.
(6)
Cass. crim., 7 novembre 1990, Bull. crim., n° 372.
(7)
Françoise ALT-MAES, « Un exemple de dépénalisation : la liberté de conscience accordée aux personnes tenues au secret professionnel », Revue des sciences criminelles, avril-juin 1998, p. 301-313.
(8)
Article 434-2 du code pénal complété par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 relative au renforcement de la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et amélioration de l’efficacité et des garanties de procédure pénale.