Avec la loi de 1980, le principe de la liberté sexuelle n’est plus uniquement réservé à l’homme. Il est acquis que, pour être licite, un acte sexuel voulu par un partenaire nécessite la libre participation de l’autre partenaire qui lui est égal. Lorsque le consentement est forcé ou qu’il n’est pas entièrement libre, les actes sexuels deviennent des agressions sexuelles. Et la violence ne se limite plus à la violence physique, elle est entendue beaucoup plus largement, comprenant notamment « la meurtrissure psychique résultant d’une atteinte à la dignité de la victime »(1). Désormais, « la victime est légitimement restaurée dans ses droits de partie au procès pénal »(2).
L’article 222-22 du code pénal a remplacé l’article 332 en 1994. Il a repris comme éléments constitutifs du défaut de consentement à l’acte sexuel : la violence, la contrainte et la surprise, et il a ajouté la notion de « menace ». Le fait pour la victime de pouvoir établir que son agresseur a eu recours à l’un de ces moyens pour abuser d’elle permet d’apporter la preuve de l’atteinte à sa liberté sexuelle. Violence, menace et contrainte peuvent être considérées comme des déclinaisons des mêmes types de faits. La surprise, quant à elle, est un autre mode de paralysie du consentement.
A. LA VIOLENCE, LA CONTRAINTE ET LA MENACE
Les trois termes employés par le code pénal sont relativement proches : la menace est une violence morale et la contrainte est une violence exercée, d’où une certaine redondance dans les termes employés. La Cour de cassation elle-même estime que « la menace n’est qu’une forme de contrainte »(3). Pour Michèle-Laure Rassat, il aurait mieux valu définir l’agression sexuelle comme « le fait d’obtenir de quelqu’un un comportement de nature sexuelle auquel il ne consent pas »(4).
I. La violence
La violence s’entend comme toute forme de pression, physique ou morale, exercée sur autrui afin d’obtenir un comportement déterminé. Peu importe son résultat dommageable, ses conséquences. Ce qui compte ici, ce n’est pas de sanctionner le comportement violent, mais plutôt de montrer l’absence de consentement due à la violence.
Après avoir longtemps considéré qu’il fallait des traces de la violence exercée par l’agresseur et une expression claire du refus de l’acte sexuel par la victime, les magistrats admettent aujourd’hui que l’absence de résistance de la victime se saurait être assimilée à un consentement. Les tribunaux examinent alors la capacité de résistance de la victime(5). Ils ont ainsi retenu que l’anxiété et l’inhibition pouvaient justifier l’absence de résistance d’une jeune femme(6) ou l’extrême passivité d’une victime, par ailleurs patiente hospitalisée en hôpital psychiatrique pour une pathologie sévère, réveillée en pleine nuit par un infirmier qui l’a ensuite agressée sexuellement(7).
Cette position des magistrats français a d’ailleurs été confirmée par une décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) de 2004 estimant que l’absence de résistance ne saurait être assimilée à un consentement de la victime au moment de l’acte sexuel. En l’espèce, la CEDH a condamné la Bulgarie dont le droit ne poursuivait « les auteurs de viol que lorsqu’il existe des preuves d’une résistance physique notable »(8). Les juges européens ont rappelé à cette occasion que, s’il peut se révéler difficile de prouver l’absence de consentement sans preuves « directes » du viol, les autorités n’en ont pas moins l’obligation d’examiner tous les faits et d’apprécier l’ensemble des circonstances.
II. La contrainte
La contrainte correspond à une pression morale exercée sur la victime. Elle peut résulter d’un abus d’autorité qui pousse autrui à se soumettre à une activité sexuelle.
Dans la jurisprudence de la Cour de cassation, la personnalité de l’auteur de l’acte sexuel caractérise fréquemment la contrainte morale, et la paralysie du consentement. Par exemple, un directeur de colonie de vacances, réputé pour son caractère « tyrannique » qui soumettait sa collaboratrice « à la crainte de sa force physique et à une contrainte morale telle qu’elle a été incapable d’assurer sa protection après les premiers faits et de les dénoncer »(9).
Le législateur a repris la jurisprudence puisque depuis 2010, l’article 222-22-1 du code pénal énonce que « la contrainte (...) peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ». La Cour de cassation a depuis retenu que la contrainte peut résulter d’une « proximité relationnelle et affective » avec la victime, la « plaçant dans une situation de dette »(10).
III. La menace
Les menaces peuvent être entendues comme tout comportement de nature à susciter la crainte chez autrui d’un préjudice pour lui, ses proches ou ses biens. Par exemple, la Cour de cassation a retenu la qualification de viol pour des agresseurs qui avaient imposé une relation sexuelle à une jeune fille « en menaçant, pour forcer son consentement, de la tuer et de tuer son chien »(11).
La violation du consentement par la menace sera également retenue dans le cas où l’agresseur « brandit une arme pour terroriser sa victime »(12).
B. LA SURPRISE
La qualification d’infraction sexuelle par surprise implique que l’agresseur soit parvenu à induire en erreur la personne quant à la réalité de la situation pour passer outre son consentement : grâce à la mise en place de stratagèmes, l’auteur des faits crée une situation de nature à tromper sa victime.
Par exemple, la jurisprudence retient la qualification de viol dans le cas d’hommes qui, en pleine nuit, se font passer pour le conjoint auprès de la femme afin d’obtenir des relations sexuelles consenties(13).
Ont également été jugés des cas d’agressions sexuelles par surprise par des auteurs qui profitaient de leur profession pour se livrer à des actes sexuels sans le consentement de la victime, notamment des médecins(14).
Les magistrats ont également retenu l’agression sexuelle par surprise dans les cas d’utilisation de substances (alcool ou drogue) par les agresseurs afin de générer un état de vulnérabilité de la victime qui ne garde aucun souvenir de l’acte sexuel auquel elle s’est livrée sans avoir consenti. C’est notamment le cas en ayant recours à des médicaments destinés à traiter les troubles du sommeil – type Stilnox ou GHB (gamma-hydroxybutyrique). La Cour de cassation a ainsi reconnu la qualification de viol pour une victime sur laquelle il avait été établi une ingestion massive de ce type de produit et des rapports sexuels « alors que la victime était dans l’impossibilité de réagir, en raison de son état dû à l’absorption massive de somnifères »(15).
(1)
Mayer D., « Le nouvel éclairage donné au viol par la réforme du 23 décembre 1980 », D. 1981, chr., p. 283 à 285.
(2)
Syndicat de la magistrature, Le sexe et ses juges, ouvrage collectif coordonné par Alt E., Editions Syllepse, 2006, p. 8.
(3)
Cass. crim., 14 octobre 1998, n° 97-84730, www.legifrance.gouv.fr
(4)
Rassat M.-L., J.-Cl. Pénal, Fasc. 20, « Agressions sexuelles », dernière mise à jour : 1er mars 2017.
(5)
Cass. crim., 8 juin 1994, n° 94-81376, www.legifrance.gouv.fr
(6)
Cass. crim., 25 octobre 1994, n° 94-83726, et Cass. crim., 16 décembre 1998, n° 98-85696, www.legifrance.gouv.fr
(7)
Cass. crim., 8 juin 1994, n° 94-81376, préc.
(8)
CEDH, 4 mars 2004, requête n° 39272/98, M. C. c/ Bulgarie.
(9)
Cass. crim., 18 mars 1998, n° 97-86700, www.legifrance.gouv.fr
(10)
Cass. crim., 18 février 2015, n° 14-80772, www.legifrance.gouv.fr
(11)
Cass. crim., 18 mars 1998, n° 97-86700, préc.
(12)
Cass. crim., 9 décembre 2003, Bull. crim., n° 235, et Cass. crim., 14 mars 2006, Bull. crim., n° 68.
(13)
Cf. par exemple : Cass. crim., 11 janvier 2017, n° 15-86680, Juris-Data, n° 2017-000185, www.legifrance.gouv.fr
(14)
Cf. par exemple : Cass. ass. plén., 14 février 2003, n° 96-80088, www.legifrance.gouv.fr. La Cour condamne le médecin pour avoir « effectué hâtivement sans qu’il ait recueilli le consentement de la patiente ni respecté les précautions exigées par la pratique médicale », un toucher rectal et génital alors que l’état de santé de la patiente ne nécessitait pas de tels actes ; elle en conclut qu’il « a commis, par surprise, les atteintes sexuelles qui lui sont reprochées, sous le prétexte fallacieux de réaliser des examens cliniques ».
(15)
Cass. crim., 21 juillet 2005, n° 05-82889, www.legifrance.gouv.fr