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Les circonstances aggravant la violation du consentement

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Une fois que le défaut de consentement de la victime est établi par la preuve de l’emploi par l’agresseur de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la surprise, le juge peut relever certaines circonstances ayant accompagné la réalisation de l’acte illicite. Ces circonstances justifient une aggravation de la peine au motif qu’elles rendent l’acte encore plus intolérable. Ainsi, la répression du viol peut entraîner une peine portée de quinze à vingt ans d’emprisonnement (C. pén., art. 222-24 à 222-26) et celle des autres agressions sexuelles de cinq à sept ans (C. pén., art. 222-27 à 222-30), si de telles circonstances sont relevées.
Ces circonstances aggravantes, qui sont censées avoir un effet dissuasif, sont de plusieurs ordres : pluralité d’auteurs, pluralité de victimes, conditions d’exécution de l’agression, séquelles... Nous examinerons ici plus particulièrement les circonstances aggravantes relatives à la victime et à sa vulnérabilité et les circonstances aggravantes relatives à l’auteur des faits.


A. LES CIRCONSTANCES AGGRAVANTES RELATIVES À LA VICTIME ET À SA VULNÉRABILITÉ

Le code pénal vise expressément la « personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse est apparente ou connue de l’auteur » (C. pén., art. 222-24, 3°). La prise en compte du jeune âge de la victime est très ancienne et tient à la nécessité d’assurer une protection renforcée de l’enfant. C’est d’ailleurs à partir de la protection des enfants que le droit pénal a fait apparaître le concept de « vulnérabilité » en 1980 et construit la notion de « protection des personnes vulnérables », protégées par le droit en tant que telles.
Durant sa vie, selon son âge, une personne n’a pas toujours la capacité de résistance physique ou morale face aux agressions d’autrui. L’âge n’est une cause de vulnérabilité qu’à certains moments de la vie : le jeune âge et l’âge avancé.
La vulnérabilité est prévue expressément pour les mineurs de 15 ans (C. pén., art. 222-24. 2°). Ainsi, si la victime est âgée de moins de 15 ans, elle sera automatiquement considérée comme particulièrement vulnérable. Pour les mineurs de 15 à 18 ans, il faudra établir que cette victime était particulièrement vulnérable.
La vulnérabilité peut également être liée à un âge avancé. Pour autant, les juges ont eu l’occasion de rappeler que la circonstance de particulière vulnérabilité n’était pas caractérisée « lorsque les juges du fond se bornent à relever que l’âge de 70 ans de la victime était connu de l’auteur, sans préciser en quoi cet âge mettait cette victime dans une situation de particulière vulnérabilité »(1). Si le grand âge n’est pas en lui-même une cause de vulnérabilité, il peut le devenir, notamment quand il crée un état de dépendance envers une personne et que cette personne s’en sert pour abuser de la personne âgée.
Les autres causes de vulnérabilité intrinsèques à la victime sont très larges : la maladie, l’infirmité, les déficiences physiques ou psychiques et la grossesse. Ces causes doivent être apparentes ou connues de l’agresseur. La maladie est définie en droit comme un trouble pathologique, diminuant les capacités de résistance du sujet, interne et progressif(2). Elle est vue par les juges dans une acceptation large : une altération de l’état de santé(3). Ainsi, la vulnérabilité de la victime peut résulter « de ses difficultés de santé et de son état psychique et physique »(4). L’infirmité, quant à elle, était considérée en droit comme une altération physique définitive des fonctions d’un individu(5), et les déficiences, comme des faiblesses physiques ou psychiques, pouvant recouvrir certaines maladies ou infirmités.
Aujourd’hui, ces lignes jadis tracées par la médecine et le droit entre maladie, infirmité, déficience, handicap… ont beaucoup bougé et la définition du handicap retenue par la loi du 11 février 2005 en est même très éloignée(6). D’ailleurs, la loi du 13 avril 2016(7) visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées a remplacé dans le code pénal les termes de « déficience physique ou psychique » par celui de « handicap » à propos des personnes prostituées présentant une particulière vulnérabilité (C. pén. art. 225-12-1, al. 2). Cette imprécision dans la terminologie conduit souvent les magistrats à ne pas préciser l’origine de la vulnérabilité de la personne, sans être censurés par la Cour de cassation. En revanche, les juges précisent l’origine concrète de la vulnérabilité : la victime était « fatiguée, déprimée et dépressive »(8), la vulnérabilité résulte du caractère influençable du fait même du handicap(9), ou encore la victime était « psychologiquement très éprouvée »(10).
S’il est légitime de condamner plus sévèrement les individus qui se rendent coupables d’abus sexuels sur des personnes vulnérables, cette circonstance aggravante ne peut intervenir que sous réserve de la preuve du défaut de consentement de la victime en raison du recours par l’agresseur à la violence, la contrainte, la menace ou la surprise : le handicap ne peut à lui seul suffire pour caractériser un acte sexuel en agression sexuelle.
La Cour de cassation a récemment réaffirmé dans un arrêt du 20 août 2014 que l’appréciation souveraine des faits d’agressions sexuelles, du défaut de consentement et de la vulnérabilité relevait des juges du fond. En l’espèce, une jeune femme souffrant de handicap psychique et travaillant dans un établissement et service d’aide par le travail (ESAT) avait eu des relations sexuelles avec un voisin de ses parents, bien plus âgé qu’elle. Le pourvoi relevait que « le handicap de la partie civile n’empêchait pas celle-ci de mener une vie sexuelle libre et consentie, de sorte que le seul constat de son handicap était insuffisant à caractériser la contrainte ou la surprise »(11). Toutefois, la Cour de cassation rejette le pourvoi, en estimant que la cour d’appel a suffisamment établi la matérialité des faits (deux épisodes de viols commis dans un box de garage et un autre viol commis dans un hôtel), notamment grâce aux accusations circonstanciées de la jeune femme, qu’elle a réitérées avec constance à ses parents, à son petit ami, aux professionnels de l’ESAT et aux enquêteurs. Et si la victime a mis quelques semaines à dénoncer les faits, c’est par crainte, à la suite des menaces verbales formulées par l’agresseur. Les faits de viol ont été établis ainsi que la vulnérabilité de la jeune femme.


B. LES CIRCONSTANCES AGGRAVANTES RELATIVES À L’AUTEUR DES FAITS

Le fait que le viol soit commis par un ascendant est une cause d’aggravation de la peine (C. pén., art. 222-24, 4°). Il faut entendre par « ascendant », les parents, grands-parents, arrière-grands-parents, que la filiation soit biologique ou adoptive. Cela ne comprend pas les nouveaux compagnons des conjoints. En revanche, ceux-ci font partie des « personnes ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait » (C. pén., art. 222-24, 4°). Pour établir qu’il y a autorité de droit, il suffit de constater que la personne poursuivie est le tuteur, le second mari de la mère... En revanche, pour établir l’autorité de fait, il faut spécifier les circonstances particulières dont elle résulte. Par exemple, en quoi une tante ou un frère ont exercé, en réalité, sur leur neveu ou soeur un pouvoir dont ils ont abusé(12). La loi du 14 mars 2016 réformant la protection de l’enfant prend acte de la conception élargie de la famille - qui ne se limite plus aujourd’hui aux liens du mariage - en qualifiant d’incestueuses les infractions sexuelles lorsqu’elles sont commises sur la personne d’un mineur par un ascendant, un frère, une soeur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce, un concubin ou un partenaire de pacte civil de solidarité (PACS) (C. pén., art. 222-31-1 , 222-31-2, 227-27-2-1 et 227-27-3). Cependant, elle ne prévoit pas de peine supplémentaire par rapport à ce qui était déjà prévu par l’article 222-24 du code pénal.
Un autre facteur d’aggravation de la peine en matière d’agression sexuelle réside dans le fait que « le viol est commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions » (C. pén., art. 222-24, 5°). Cet abus d’autorité pouvait sembler déjà compris dans la catégorie précédente de l’autorité de droit ou de fait (par exemple, l’autorité de droit des policiers ou l’autorité de fait des instituteurs. La jurisprudence a ainsi retenu cette cause d’aggravation dans des rapports de travail, dans des rapports familiaux, ou autres. Ainsi, le mari de la nourrice doit être considéré comme une personne ayant autorité(13), de même qu’un chef scout(14), les personnes dispensant un soutien scolaire(15), ou un directeur de centre d’aide par le travail (aujourd’hui ESAT)(16).
On notera que la cour d’appel de Besançon a eu à juger de faits qui semblent relever d’une infraction pénale d’agression sexuelle mais qui ont été portés devant la justice pour un litige en matière de droit du travail. En l’espèce, la cour d’appel a retenu que « le comportement du salarié qui, en sa qualité de chef de service d’un foyer d’hébergement (CHRS), a imposé des relations sexuelles à une résidente en utilisant ses fonctions d’encadrement pour parvenir à ses fins caractérise une faute grave empêchant son maintien au sein de l’association ». Par ailleurs, le salarié se prévalait à tort du droit au respect de sa vie privée alors que ce ne sont pas des faits tirés de sa vie privée qui sont à l’origine de son licenciement mais des manquements à ses obligations professionnelles en ayant eu des relations sexuelles dans le cadre de son activité et usant de sa qualité de chef de service, sur le lieu de travail avec une résidente, cette personne ayant craint son exclusion du centre d’hébergement en cas de refus(17). On rappellera qu’il n’y a pas d’interdiction posée par le code pénal d’avoir des relations sexuelles librement consenties entre une personne vulnérable majeure et un professionnel, mais que cela peut être sanctionné au niveau disciplinaire. Dans l’affaire examinée par la cour d’appel de Besançon, on peut douter de la liberté du consentement de la résidante du CHRS.


(1)
Cass. crim., 8 juin 2010, n° 10-82039, Bull. crim., n° 102, Juris-Data, n° 2010-011277, Dr. pén. 2010, comm. 106, note Véron M., AJ pén. 2010, p. 444, obs. Roussel G., D. 2010, p. 2888, note Hasnaoui H., www.legifrance.gouv.fr


(2)
Pradel J., « La condition civile du malade », thèse, Poitiers, LGDJ, 1963, p. 20.


(3)
Cass. crim., 12 janvier 2000, n° 99-81057, Bull. crim., n° 15, Rev. Sc. crim. 2000, p. 614, obs. Ottenhof R.


(4)
Cass. crim., 19 décembre 2000, n° 00-86572, www.legifrance.gouv.fr


(5)
Cf. par exemple : Cass. crim., 10 janvier 1996, n° 95-82084, Bull. crim., n° 11, www.legifrance.gouv.fr (infirmité congénitale d’une main).


(6)
Code de l’action sociale et des familles, article L. 114 : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. »


(7)
Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016, JO du 14-04-16.


(8)
Cass. crim., 6 mars 2001, n° 00-82280, www.legifrance.gouv.fr


(9)
Cass. crim., 23 juillet 1996, n° 96-82233, www.legifrance.gouv.fr


(10)
Cass. crim., 27 mars 2001, n° 00-86015.


(11)
Cass. crim, 20 août 2014, n° 14-83797, www.legifrance.gouv.fr


(12)
Cass. crim., 4 février 2004, Juris-Data, n° 2004-023041, Dr. pén. 2004, comm. 105, note Véron M.


(13)
Cass. crim., 10 juillet 2002, n° 02-83179, Bull. crim., n° 152, Rev. Sc. crim., 2002, p. 817, obs. Mayaud Y.


(14)
Nîmes, 9 décembre 1983, JCP G 1985, II, 20482, note Pansier F.-J.


(15)
Cass. crim., 19 avril 2000, n° 99-86192, Juris-Data, n° 2000-002031, www.legifrance.gouv.fr


(16)
Cass. crim., 23 juillet 1996, Juris-Data, n° 1996-003534.


(17)
Besançon, 8 mars 2011, n° 10/00438.

SECTION 1 - LE CONSENTEMENT EN MATIÈRE PÉNALE

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