Conçu au départ comme un moyen de surveillance, l’enregistrement de données par procédé audiovisuel est aujourd’hui considéré comme une modalité de protection des personnes, notamment dans les ESSMS, en particulier dans le champ gérontologique. Mais filmer des personnes peut se révéler gravement attentatoire à leur intimité, la vidéosurveillance devra donc être utilisée dans des conditions strictement définies.
Développées pour lutter contre l’insécurité et le terrorisme, plusieurs lois sont venues encadrer le recours à la vidéosurveillance(1). Elles ont toutes été validées par le Conseil constitutionnel qui opère à chaque fois un contrôle de la nécessité des restrictions opérées aux libertés(2). Depuis 2011, la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) s’est vu confier la compétence de contrôler tous les systèmes de vidéoprotection installés sur le territoire national, qu’ils filment des lieux fermés ou ouverts au public(3). Elle recueille les plaintes permettant de contrôler la légalité des dispositifs mis en place.
Il n’existe pas de règles spécifiques régissant l’utilisation de la vidéoprotection dans les ESSMS. Mais ils doivent appliquer les règles qui ont été posées par la loi et déclinées par les juges, que ce soit en matière de vidéosurveillance dans les entreprises, dans les établissements scolaires… Deux décisions récentes du contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) et du Défenseur des droits alertent sur les risques d’atteintes graves à la vie privée et à l’intimité qui peuvent résulter de tels dispositifs.
Dans un rapport de 2016 relatif à l’isolement et à la contention dans les établissements de santé mentale, le contrôleur général des lieux de privation de liberté relève que le recours à la vidéosurveillance dans les chambres d’isolement est gravement attentatoire à l’intimité des patients (cf. encadré ci-contre).
De son côté, le Défenseur des droits, saisi d’un recours relatif à l’utilisation de la vidéosurveillance dans une maison d’accueil spécialisée (MAS) rappelle, dans une décision de 2016, les règles impératives à respecter pour pouvoir utiliser la vidéosurveillance (cf. encadré ci-dessous).
dans une maison d’accueil spécialisée
Le Défenseur des droits a été saisi d’une demande émanant de la mère et tutrice d’une personne accueillie en maison d’accueil spécialisée (MAS) à propos de la mise en place dans l’établissement d’un dispositif de vidéosurveillance en continu des chambres qui attentait à l’intimité et à la vie privée des résidants. Il s’est avéré, par l’examen des documents institutionnels, qu’aucun ne mentionnait l’existence de ce dispositif qui n’avait par ailleurs pas fait l’objet des démarches administratives obligatoires (déclaration CNIL…).
Les personnes accueillies, leurs proches et les salariés n’en n’avaient donc pas été avertis. Par ailleurs, le Défenseur des droits relève « des faits d’abus de visionnages s’accompagnant de moqueries, notamment au vu des images de scènes intimes (...) ».
Le Défenseur des droits rappelle d’abord les autorisations légales nécessaires à la mise en place de tels dispositifs : « Dans les lieux ouverts au public, c’est-à-dire les lieux accessibles à toute personne, tels les abords d’une maison d’accueil spécialisée, (...) l’installation de caméras n’est (...) possible qu’après obtention d’une autorisation préalable délivrée par la préfecture. Le responsable du dispositif doit ensuite en déclarer la mise en service auprès de l’autorité préfectorale. (...). En cas de mise en place d’un système de vidéosurveillance permettant l’enregistrement des images en milieu hospitalier ou médico-social, une déclaration doit être effectuée auprès de la CNIL (...). En l’espèce, la demande d’autorisation préfectorale effectuée en 2009 par la direction de l’établissement a été suivie d’une demande de pièces complémentaires restée sans réponse. La déclaration auprès de la CNIL n’a pas été effectuée. Le dispositif de vidéosurveillance de la MAS est donc mis en oeuvre illégalement. »
Puis, le Défenseur des droits énonce l’obligation d’informer et de recueillir le consentement des personnes concernées par le dispositif (panneau d’affichage visible…) et « l’importance de l’information des personnes concernées qui s’explique par la primauté accordée au respect de la vie privée (...) ».
« Concernant plus précisément les personnes prises en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux, l’article L. 311-3 du code de l’action sociale et des familles dispose également que le respect de leur dignité, de leur intégrité, de leur vie privée et de leur intimité doit être assuré. Il est à noter, à titre comparatif, que l’emploi de la vidéosurveillance en milieu hospitalier, bien que courant, ne concerne généralement que les parties communes des établissements, (...) le fait de filmer un patient dans sa chambre pour des raisons de sécurité se heurte aux restrictions légales et n’est pas autorisé sans son consentement. Enfin, le dernier alinéa de l’article 226-1 du code pénal établit une présomption de consentement de la personne si les actes susceptibles de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui ont été accomplis au vu et au su des intéressés, ce qui implique que la personne soit en mesure de s’y opposer en raison de sa compréhension de la situation. Tel ne peut être le cas d’un mineur ou d’un majeur protégé ou encore d’une personne majeure momentanément privée de ses facultés par maladie, accident ou par quelque autre cause. Ainsi, selon le cas, le consentement de l’intéressé, du titulaire de l’autorité parentale ou du tuteur doit être obligatoirement sollicité. En l’absence de telles autorisations préalables, il ne saurait être fait usage de la vidéosurveillance pour filmer un résidant à son insu. (...) En l’espèce, il apparaît que les résidants ainsi que leurs familles ou les salariés, n’ont pas reçu l’information qui s’imposait lors de la mise en place du dispositif de vidéosurveillance. Les résidants ou leurs représentants légaux, pas plus que les salariés, n’ont dès lors pu consentir à cette atteinte ainsi caractérisée à leur vie privée. »
Enfin, le Défenseur des droits relève que ces enregistrements étaient accessibles à de nombreuses personnes alors qu’en principe elles ne devraient l’être qu’aux seules personnes formées et habilitées à cet effet. Et d’ajouter : « Au surplus, la durée de la captation et de l’enregistrement des images – spécialement celles concernant les chambres de résidants de l’établissement – ne devrait recouvrir que les plages de temps strictement nécessaires à la réalisation de l’objet pour lequel le dispositif est mis en place, sans pouvoir s’exercer de façon continue en l’absence d’un motif légitime. Ainsi, si un tel dispositif peut, à certains égards, trouver sa justification dans un objectif de sécurité des personnes, il ne saurait – notamment au cours de la journée – se substituer à la surveillance physique exercée par les professionnels de l’établissement. »
Le Défenseur des droits recommande à la direction de la maison d’accueil spécialisée « de cesser toute activité de vidéosurveillance non conforme à la loi, d’adopter pour l’avenir toutes mesures propres à satisfaire aux exigences légales, notamment en sollicitant les autorisations requises, en informant les personnes concernées et en adoptant un usage de la vidéosurveillance raisonné et respectueux de la vie privée ».
[Décision du défenseur des droits MSP 2016-148 du 7 juin 2016]
Aussi, si les ESSMS peuvent installer des caméras à l’intérieur d’un établissement ou d’un service, à des fins de sécurité des biens et des personnes ou pour filmer l’extérieur de l’établissement afin de renforcer la sécurité de ses abords (lutte contre les dégradations des murs des bâtiments, et les tentatives d’intrusion de personnes étrangères à l’établissement ou au service…), ils doivent respecter des règles relativement strictes(4) afin de ne pas attenter à la vie privée et à l’intimité des personnes accompagnées. Sauf cas exceptionnels, ils ne peuvent filmer les lieux de vie des personnes accompagnées au sein de l’établissement (cour, salle d’activité, cantine, foyer…). La sécurisation des biens et des personnes peut le plus souvent être obtenue par la mise en oeuvre de moyens moins intrusifs : l’utilisation de caméras doit donc rester limitée et constituer un moyen complémentaire à d’autres mesures de sécurité. Seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier de filmer en continu un établissement ou un service et, dans tous les cas, cela ne saurait porter atteinte à l’intimité de la vie affective et sexuelle des personnes accompagnées.
Par ailleurs, afin de limiter le risque d’atteinte à la vie privée et à l’intimité, seules les personnes habilitées dans le cadre de leurs fonctions peuvent visionner les images enregistrées (directeur d’établissement, surveillant de nuit…). Ces personnes doivent être formées et particulièrement sensibilisées aux règles encadrant les systèmes de vidéosurveillance. La CNIL conseille d’adopter une « charte d’utilisation de la vidéosurveillance », en concertation avec l’ensemble des personnes concernées par la vidéoprotection (salariés, personnes accompagnées et leurs familles, représentants légaux, administrateurs des organismes gestionnaires…). Elaborer ce type de charte aidera l’établissement à se conformer aux règles relatives à la protection des données personnelles en formalisant le but recherché par la vidéoprotection et avertira les personnes concernées de l’existence du dispositif. En cas d’atteinte à l’intimité, l’ESSMS devra donc expliquer en quoi elle est justifiée.
Collecter de telles données de façon déloyale ou illicite est répréhensible pénalement (C. pén., art. 226-18), de même que l’absence d’information des personnes concernées (C. pén., art. R. 625-10). La durée de conservation des images ne doit pas excéder un mois ; au-delà, l’établissement risque une condamnation pénale allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende (C. pén., art. 226-20). Sachant que dans les ESSMS où elle est utilisée, la justification est la sécurité des personnes, on voit mal comment expliquer une conservation des données s’il n’y a eu aucun incident. Dans le cas contraire, si une procédure (judiciaire, disciplinaire…) est déclenchée, les images seront extraites du dispositif et conservées pour la durée de la procédure.
(1)
Loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité (JO du 24-01-95) ; loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme (JO du 24-01-06) ; loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (JO du 15-03-11).
(2)
Ces lois distinguent les dispositifs publics et les dispositifs privés concernant les propriétés privées et les intérêts commerciaux.
(3)
Loi n° 2011-267 du 14 mars 2001 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure dite LOPPSI 2 (JO du 15-03-11).
(4)
L’installation de caméras de vidéoprotection dans les lieux non ouverts aux publics doit faire l’objet d’une déclaration à la CNIL.