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La protection du domicile

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D’un point de vue juridique, le domicile est « le lieu où [tout français] a son principal établissement » (C. civ., art. 102), il permet d’être rattaché à un lieu d’exercice de ses droits civils (par exemple, compétence territoriale d’une autorité administrative, lieu de signification d’un acte de procédure…). Sous l’angle de la vie privée, il faut l’entendre comme le lieu de résidence, c’est-à-dire l’endroit où l’on demeure effectivement, de façon stable. Il peut être permanent ou temporaire. Déterminer le lieu de sa résidence permet de préciser les lieux relevant du droit à la vie privée, droit qui comporte pour autant un certain nombre de limites (respect du droit de propriété…).
Choisir son lieu de vie n’est pas un droit consacré par la Constitution, mais le Conseil constitutionnel estime qu’il doit être déduit de son article 66, car il est une composante de la liberté individuelle(1). En revanche, le respect du domicile est consacré par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Le code pénal réprime la violation de domicile d’une peine de un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende (C. pén., art. 226-4). Les juges entendent alors le domicile comme « le lieu où une personne, qu’elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux »(2). Pour qu’il y ait violation de domicile, il faut, en principe, introduction contre le gré de l’occupant « à l’aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet » (C. pén., art. 226-4)(3).
En 1986, la Cour d’appel de Paris a considéré qu’une « chambre d’hôpital occupée par un malade constitue pour lui, au sens de l’article 184 de code pénal [NDLR : actuel article 226-4 du code pénal] un domicile protégé en tant que tel par la loi, qu’il occupe à titre temporaire mais certain et privatif et où, à partir du moment où cette chambre lui est affectée et pour tout le temps que dure cette affectation, il a le droit, sous la seule réserve des nécessités du service, de se dire chez lui et notamment d’être défendu contre la curiosité publique ; considérant que, pour s’introduire dans la chambre de Mme A. qui était fermée à clé, [les prévenus] ont utilisé des blouses d’infirmiers (dont l’une avait été volée) et [un] passe-partout dérobé (...) et qu’ils se sont ainsi livrés aux manoeuvres visées à l’article 184 du code pénal (...) »(4).
A la lecture de cette décision et de la jurisprudence qui a suivi, on retiendra que les juridictions pénales ont une interprétation extensive du domicile : chambre d’hôpital, chambre d’hôtel, tente, caravane et même parfois véhicule automobile. Nul doute alors que l’on doit considérer le lieu d’hébergement des personnes accompagnées par des ESSMS comme un lieu de vie privatif. Les établissements d’hébergement type foyer de vie, foyer d’hébergement ou EHPAD, parlent de lieu de résidence et de résidents/résidants(5). Si un récent arrêt semble avoir remis en cause le fait que la chambre de l’usager constituait son domicile(6), c’est au regard de l’imposition fiscale de la valeur locative qui doit être retenue pour les chambres d’un EHPAD, parce qu’en l’espèce l’établissement pouvait, en l’absence d’un résidant, attribuer sa chambre à un autre résidant, pour un accueil de courte durée. Ce qui ne remet donc pas en cause le fait que, lorsque la personne est présente, elle a la jouissance effective de sa chambre. Pour d’autres personnes accompagnées, les séjours sont beaucoup plus brefs, voire parfois contraints (ex : accueil d’urgence des personnes sans-abri, des migrants, placement des mineurs au titre de l’assistance éducative), il n’en reste pas moins que, dans l’espace que constitue leur chambre, eux aussi ont droit au respect de leur vie privée. Assimiler la chambre à un domicile sous-tend que l’on ne doit pas s’y introduire de façon intempestive et sans respect pour la personne.
Pour que l’on retienne la violation du domicile au sens pénal, il faut établir la matérialité de l’élément constituant l’infraction, c’est-à-dire les manoeuvres, menaces, voies de fait ou contraintes pour s’introduire ou rester dans la chambre de la personne accompagnée. Et pour agir au civil, il faut établir le préjudice subi par la victime : préjudice essentiellement moral dont le montant estimé serait vraisemblablement peu élevé. On constate que les personnes accompagnées (déjà en situation de fragilité) ou leurs représentants légaux ne contestent pas ou peu de telles atteintes devant les tribunaux. A tout le moins, les juridictions supérieures, tant judiciaires qu’administratives, n’ont pas été saisies de telles questions. Pénétrer dans la chambre d’une personne sans son accord, voire en son absence, constitue cependant bien une atteinte au domicile et à la vie privée. Les pratiques des professionnels doivent donc être adaptées pour être les plus respectueuses possibles ; c’est d’ailleurs ce qu’a rappelé le Défenseur des droits en 2016 (cf. encadré).
Le droit au respect de la vie
privée des majeurs protégés
Dans un rapport publié en décembre 2016 et relatif à la protection juridique des majeurs vulnérables, le Défenseur des droits relève de nombreuses atteintes à la vie privée dont des personnes accueillies en établissement peuvent être victimes.
Le Défenseur des droits a ainsi été destinataire de plusieurs réclamations concernant des majeurs protégés accueillis en établissements, de type établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), révélant en pratique de graves atteintes aux droits et libertés des personnes concernées. Sont notamment cités :
  • l’impossibilité de poursuivre au sein de l’établissement la vie commune avec leur conjoint ou d’avoir une vie affective ;
  • l’interdiction de sortir de leur établissement d’accueil pour se promener avec l’un de leurs proches, aller au restaurant avec des amis… ;
  • le fait de se voir imposer un accueil en institution, contre leur volonté ;
  • ou, encore, le fait de mettre en place un système de vidéosurveillance attentatoire au respect de la vie privée et à la dignité des personnes.
Aussi, le Défenseur des droits recommande-t-il que l’Etat prenne sans délai les mesures efficaces et appropriées afin de rendre effectif, pour toute personne placée sous un régime de protection juridique, le droit de choisir librement son lieu de résidence et le droit au respect de sa vie privée, notamment par un renforcement des contrôles des établissements sociaux et médico-sociaux.
[Défenseur des droits, rapport « Protection juridique des majeurs vulnérables », septembre 2016]


(1)
Décision n° 83-164 DC du 29 décembre 1983, Rec., p. 33.


(2)
Cf. par ex. : Cass. crim., 22 janvier 1997, n° 95-81186, consultable sur www.legifrance.gouv.fr ; Cass. crim. 14 juin 2017, n° 16-83092, disponible sur www.legifrance.gouv.fr


(3)
Le législateur peut, par exemple, prévoir la possibilité d’opérer des perquisitions, visites domiciliaires ou saisies de nuit dans le cas où un crime ou certains délits viennent de se commettre, à condition que « l’autorisation de procéder à ces opérations émane de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle et que le déroulement des mesures soit assorti de garanties procédurales appropriées » (Conseil constitutionnel, décision du 2 mars 2004, n° 2004-492 DC).


(4)
Paris, 17 mars 1986, 11e chambre correctionnelle, Chantal Nobel, Juris-Data n° 1986-022063 ; Gaz. Pal., 3 juillet 1986.


(5)
Il est d’usage d’employer le terme de résidant, avec un « a », pour désigner les personnes accompagnées car le résident, avec un « e », se dit d’une personne établie dans un autre pays que son pays d’origine, c’est l’étranger ; le résidant avec un « a », se dit d’une personne qui réside en un lieu, qui habite ce lieu, c’est l’habitant.


(6)
CAA Nantes du 27 octobre 2011, SARL La Vallée bleue, n° 10NT02061.

SECTION 2 - LA PROTECTION DU SECRET DE LA VIE PRIVÉE

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