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La liberté de choisir le mariage

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Juridiquement, le mariage est à la fois une institution et un contrat. Une institution, car il sert de fondement à la famille et crée des liens d’alliance (entre deux familles). Un contrat, car il doit respecter des conditions de formation, il produit des effets, et peut être rompu. Si le mariage crée toujours juridiquement un lien d’alliance(1), il n’est plus consubstantiel à l’établissement de la famille : on peut se marier sans avoir d’enfant ou avoir des enfants sans être marié. Quoi qu’il en soit, le mariage reste un acte juridique, qui suppose de respecter des obligations quant à sa formation et qui crée des obligations, notamment en matière de vie affective et sexuelle.
Pour se marier, des conditions de fond et de forme doivent être remplies. Elles ne seront pas étudiées ici de façon exhaustive. Seules les conditions relatives à la vie affective et sexuelle des futurs conjoints ou ayant trait à leur vulnérabilité seront traitées. Trois points seront successivement abordés : la possibilité de se marier quel que soit le sexe du futur conjoint, le consentement des futurs époux et les restrictions à la liberté de se marier concernant la vulnérabilité des futurs époux.


A. LE SEXE DES FUTURS CONJOINTS

Avant 2013, l’exigence de différence de sexe n’était qu’implicitement contenue dans le code civil(2). Dans l’affaire du « mariage de Bègles », la Cour de cassation a estimé que, « selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme »(3). Pourtant, le droit a subi un changement profond en ouvrant le mariage aux personnes de même sexe. La loi du 13 mai 2013, dite « du mariage pour tous »(4), s’inscrit dans la perspective d’une reconnaissance d’une égalité de droits et de statut entre les couples, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels. Ainsi, aux termes de l’article 143 du code civil, « le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe ».


B. LE CONSENTEMENT DES FUTURS ÉPOUX

Le consentement des futurs époux est l’un des éléments essentiels à la formation du mariage. Il constitue le véritable fondement du lien matrimonial : « Il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement » (C. civ., art. 146). Cette réalité du consentement peut être plus délicate à établir lorsque l’un des conjoints est une personne vulnérable. Le consentement doit exister et être exempt de vices.


I. L’existence du consentement

Chaque futur époux doit être en mesure d’exprimer son consentement. Consentir à son mariage, c’est être animé de l’intention conjugale. « C’est pour les époux extérioriser leur intention conjugale par une déclaration de volonté. Mais ce “oui” prononcé peut l’être du bout des lèvres sans que l’individu y applique toute sa volonté d’exercer les droits et devoirs du mariage. Il peut être même à l’opposé de la volonté. Ce “oui” peut être vide de sens(5). »
Pour les personnes qui souffrent d’une altération de leurs facultés corporelles (par exemple, impossibilité physique de parler) qui les empêche de s’exprimer dans les formes habituelles, l’officier d’état civil devra relever les signes par lesquels elles ont entendu affirmer leur volonté. A propos des mariages de personnes atteintes de surdi-cécité, les juges se sont toujours montrés bienveillants : c’est à l’officier d’état civil d’apprécier la valeur des signes d’expression de la personne(6). Même une personne mourante peut contracter un mariage in extremis, à condition qu’elle puisse exprimer sa volonté et que cette expression traduise un choix conscient(7).
Dans le cas où l’un des futurs époux est atteint d’un trouble mental au moment de la célébration, le mariage devra être annulé, entaché d’une nullité absolue, ce qui signifie notamment que toute personne y ayant un intérêt peut la demander, y compris le ministère public (c’est-à-dire le procureur de la République). C’est le cas lorsque le futur époux n’est pas en mesure de comprendre le sens et la portée de l’engagement qu’il est en train de souscrire(8). Dans une affaire examinée par la cour d’appel de Rennes en 1997, un mariage célébré à l’insu de la famille et des proches du mari avait été annulé pour défaut de consentement. En l’espèce, les juges relevèrent que depuis le décès de sa première épouse, son état tant moral que physique s’était nettement dégradé et que du fait de « son délabrement physique et de son état de confusion mentale », ses enfants avaient demandé le placement sous sauvegarde de justice ; c’est dans ce contexte que le mariage avait été célébré, l’épouse l’ayant aidé à fuir la maison de retraite où il avait été placé provisoirement ; par ailleurs, la maire qui avait célébré le mariage avait indiqué que l’époux paraissait « extrêmement fatigué » et qu’elle doutait de sa lucidité(9).
En revanche, une personne majeure souffrant d’une altération de ses facultés mentales peut se marier si son consentement a été recueilli au cours d’un intervalle de lucidité(10). On relèvera que cette lucidité est présumée et que c’est à celui qui conteste la validité du mariage de faire la preuve de l’absence de consentement au moment de la célébration(11).


II. L’intégrité du consentement

Le consentement au mariage des futurs époux doit être exempt de vices. Ainsi doit-il être exprimé en toute liberté et donné en toute connaissance de cause. Deux vices du consentement peuvent y porter atteinte : l’erreur et la violence.
L’erreur peut être définie comme une fausse représentation de la réalité. Elle consiste à croire vrai ce qui est faux et inversement(12). En matière de mariage, pour que l’erreur atteigne le consentement, il faudra qu’elle ait été déterminante. Le droit prévoit que « s’il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l’autre époux peut demander la nullité du mariage » (C. civ., art. 180, al. 2). La jurisprudence a, par exemple, considéré que constituaient des erreurs ayant vicié le consentement, parce qu’elles étaient déterminantes dans le cas d’espèce (c’est-à-dire pour cette personne en particulier), l’erreur sur l’honorabilité(13), l’erreur sur l’existence de la célébration d’un premier mariage(14), l’erreur sur l’aptitude à avoir des relations sexuelles normales ou à procréer(15), ou l’erreur sur la santé mentale du conjoint(16).
Concernant la violence, l’article 180, alinéa 1er, du code civil permet à l’un des époux de demander la nullité du mariage si son consentement n’était pas libre, c’est-à-dire s’il a été menacé dans sa personne ou dans ses biens. Cette violence doit avoir été déterminante dans le consentement. La violence exercée peut être physique ou morale. Cependant, le mariage étant un acte solennel célébré devant un officier d’état civil, on voit mal comment ce dernier accepterait de célébrer un mariage en voyant l’un des époux contraint physiquement. En revanche, la violence peut avoir été antérieure à la cérémonie et laisser subsister une contrainte morale. Le plus souvent, il s’agit de menaces et/ou de pressions, pour contraindre la personne à se marier. Ces menaces peuvent émaner de l’un des conjoints, mais le plus souvent, elles émanent de tiers : parents, entourage, autorité hiérarchique...(17).
S’agissant de la crainte révérencielle envers ses ascendants (parents, grands-parents...), il avait toujours été admis qu’elle pouvait être sanctionnée mais seulement lorsqu’elle s’accompagnait de violences ou de vraies menaces de la part des parents. Depuis 2006, afin de lutter contre la pratique des mariages forcés, « l’exercice d’une contrainte sur les époux ou l’un d’eux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité du mariage » (C. civ., art. 180, al. 1er).
Dans une affaire relative à une personne vulnérable, la cour d’appel de Montpellier avait, en 1996, annulé un mariage en relevant que « Mme Valérie M. est une personne handicapée au jugement défaillant et particulièrement influençable, (...) soustraite à tout contact avec sa famille pour être sous l’emprise unique de M. N. qui lui a imposé sa volonté de mariage. En conséquence, elle n’a jamais donné librement son consentement à son mariage »(18). Cette décision fut confirmée par la Cour de cassation, qui précisa que M. N. avait imposé sa volonté de mariage dans le but d’obtenir une carte de séjour et que les époux n’avait par la suite jamais cohabité(19).
Les usagers des structures sociales et médico-sociales qui ne sont pas sous mesure de protection peuvent se marier librement. Les institutions devront cependant se montrer vigilantes afin que les personnes qu’elles accompagnent ne soient pas victimes de personnes abusant de leur vulnérabilité. En cas de doute sur la réalité du consentement, les institutions pourront saisir le procureur de la République qui pourra déclencher une action en nullité du mariage (C. civ., art. 184 et 190).


C. LES RESTRICTIONS À LA LIBERTÉ DE SE MARIER

Les restrictions légales à la liberté de se marier sont aujourd’hui peu nombreuses. Elles concernent les mineurs et les majeurs protégés. En revanche, l’état de santé ne peut pas empêcher une personne de se marier.


I. L’âge des futurs époux et le mariage des mineurs

Depuis 2006, l’âge du mariage est fixé à 18 ans pour les filles comme pour les garçons (C. civ., art. 144).
Les mineurs peuvent cependant toujours obtenir une dispense du procureur de la République pour « des motifs graves » (C. civ., art. 145). Cette disposition s’applique essentiellement en cas de grossesse, si l’un des futurs parents est mineur (que ce soit le père ou la mère). En plus de la dispense du procureur, les parents du mineur devront donner leur accord à la célébration du mariage (C. civ., art. 148).
S’il faut avoir au moins 18 ans pour se marier, il n’existe en revanche aucun âge maximal. Ce qui fait le mariage aujourd’hui, c’est la volonté d’être marié, sans considération des conséquences (relations charnelles, aptitudes à fonder une famille...). L’âge avancé des futurs mariés ne peut entraîner la nullité du mariage que s’il a empêché – il n’y a quasiment plus de jurisprudence à ce sujet – l’expression d’un véritable consentement. Ainsi, en 1857, la cour d’appel d’Aix-en-Provence estima que « le sieur C., quoique âgé de 81 ans, a su et voulu ce qu’il a fait »(20). A l’inverse, la Cour de cassation prononça en 1980 la nullité du mariage d’un homme en estimant que son insanité d’esprit due à son âge était son état habituel et qu’elle l’empêchait de librement consentir à un mariage(21).


II. Le mariage et le divorce des majeurs protégés

Les personnes majeures qui sont placées sous mesure de protection juridique peuvent se marier. Elles doivent cependant disposer d’autorisations spécifiques, sauf si elles sont sous sauvegarde de justice, auquel cas le mariage est libre (C. civ., art. 435). Elles peuvent également divorcer, mais les conditions sont alors relativement strictes.

a. Le mariage des personnes sous curatelle

Pour les personnes sous curatelle, « le mariage n’est permis qu’avec l’autorisation du curateur ou, à défaut, celle du juge » (C. civ., art. 460, al. 1er).
Si le curateur autorise le mariage, le curatélaire peut se marier. L’autorisation sera donnée par écrit et remise à la mairie avant la date du mariage. Devant l’officier d’état civil, le mariage se déroulera dans les conditions habituelles, le majeur devant donner seul son consentement.
Si le curateur refuse de donner son accord ou ne veut pas le faire sans s’y opposer franchement (parce qu’il ne connaît pas assez bien le curatélaire, par manque de recul...), le curatélaire doit saisir le juge des tutelles qui peut demander un certificat médical pour que son consentement soit accepté. Ce certificat médical peut indiquer que, bien que les facultés mentales soient altérées, la personne consent à se marier. Le médecin doit alors apprécier « que son patient mesure l’importance de l’engagement qu’il prend et des conséquences qu’il induit »(22). Dans tous les cas, le certificat ne lie pas le juge. Le tribunal peut refuser d’autoriser le mariage, par exemple après avoir entendu les deux futurs époux ou le curatélaire seul. Cette décision est susceptible d’appel puis d’un pourvoi en cassation.
Enfin, selon l’article 1399, alinéa 1er, du code civil, le majeur sous curatelle ne peut conclure de convention matrimoniale sans l’assistance de son curateur. Ainsi, si les époux ne souhaitent pas se marier sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts, ou si le certificat médical établi avant la saisine du juge souligne que le curatélaire ne comprend pas les conséquences patrimoniales du mariage, il faudra opter pour le régime matrimonial de la séparation de biens. Le curateur doit alors signer la convention matrimoniale passée chez le notaire.
La question du mariage des majeurs protégés est très délicate si on l’envisage, d’un côté, au regard du respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et du respect de l’autonomie et, d’un autre côté, au regard des nécessités de la protection juridique des personnes vulnérables. Alors qu’il contestait une décision d’un juge des tutelles refusant de l’autoriser à se marier(23), un majeur protégé avait posé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur le sujet. Il estimait notamment que « l’article 460 du code civil, qui impose, pour le mariage d’une personne placée sous curatelle, l’autorisation du curateur ou, à défaut, du juge des tutelles, est contraire au principe constitutionnel de la liberté du mariage, acte strictement personnel et privé dont l’exercice doit être garanti toutes les fois où la réalité du consentement du majeur sous curatelle est vérifiée »(24). La QPC fut transmise par la première chambre civile de la Cour de cassation au Conseil constitutionnel. Dans une décision du 29 juin 2012, les Sages de la rue de Montpensier déclarèrent la nécessité d’une autorisation préalable pour le mariage d’un majeur sous curatelle conforme à la Constitution. Le Conseil rappela que « la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle, résulte des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ; que cette liberté ne restreint pas la compétence que le législateur tient de l’article 34 de la Constitution pour fixer les conditions du mariage dès lors que, dans l’exercice de cette compétence, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ; qu’il est en outre loisible au législateur d’apporter à cette liberté des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi (...) ». Le Conseil précise que l’article 460 du code civil est conforme à la Constitution en ce qu’il « n’interdit pas le mariage de la personne en curatelle ; qu’il le permet avec l’autorisation du curateur ; que le refus du curateur peut être suppléé par l’autorisation du juge des tutelles dont la décision prononcée après un débat contradictoire doit être motivée en fonction de l’aptitude de l’intéressé à consentir au mariage ; que cette décision judiciaire est susceptible de recours ; que la personne en curatelle jouit des garanties nécessaires à l’exercice effectif de ces recours ». Avant d’ajouter : « eu égard aux obligations personnelles et patrimoniales qui en résultent, le mariage est “un acte important de la vie civile” ; qu’en subordonnant le mariage d’une personne en curatelle à l’autorisation du curateur ou à défaut à celle du juge, le législateur n’a pas privé la liberté du mariage de garanties légales ; que les restrictions dont il a accompagné son exercice, afin de protéger les intérêts de la personne, n’ont pas porté à cette liberté une atteinte disproportionnée »(25). Cette décision est très importante pour le droit de la protection des majeurs : en énonçant les conséquences juridiques du mariage, elle rappelle qu’il n’est pas qu’un acte personnel mais qu’il a également des aspects patrimoniaux. La Cour de cassation a depuis rendu une décision dans le même sens(26).

b. Le mariage des personnes sous tutelle

Pour les personnes placées sous mesure de tutelle, le mariage « n’est permis qu’avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué et après audition des futurs conjoints et recueil, le cas échéant, de l’avis des parents et de l’entourage » (C. civ., art. 460, al. 2). La réforme de la protection des majeurs de 2007 a considérablement simplifié la possibilité de se marier dans le cadre d’une tutelle. Jusque-là, il fallait non seulement l’avis du médecin traitant mais également convoquer un conseil de famille spécial pour en délibérer. Si le père et la mère donnaient leur consentement, la réunion du conseil de famille n’était pas nécessaire (C. civ., art. 506 ancien).
Désormais, seule l’autorisation du juge est nécessaire. Avant de donner cette autorisation, il doit entendre les futurs conjoints pour s’assurer de la volonté de chacun. Il a également la possibilité d’entendre les parents du majeur protégé et son entourage (frères et soeurs, enfants...). Cependant cet avis ne le lie pas : il peut autoriser le mariage même si la famille s’y oppose.
Si un contrat de mariage est établi, le tutélaire doit être assisté de son tuteur (C. civ., art. 1399).

c. Le divorce des majeurs protégés

Le législateur estime qu’un époux placé sous mesure de protection n’est pas apte à donner son consentement éclairé à une procédure de divorce ; c’est pourquoi les divorces par consentement mutuel et par acceptation du principe de la rupture du mariage ne sont pas accessibles aux majeurs protégés (C. civ., art. 249-4). Seuls le divorce pour faute et le divorce pour altération définitive du lien conjugal leur demeurent ouverts. Avant l’adoption de la réforme du divorce de 2004, certains auteurs avaient plaidé pour la possibilité de divorcer par consentement mutuel pour les majeurs protégés, en l’entourant de mesures de précaution, le juge aux affaires familiales (JAF) pouvant être assisté d’un expert-psychiatre appréciant la nature du consentement, le majeur pouvant être assisté de son tuteur ou de son curateur, etc.(27). On admettra facilement que tous les majeurs protégés ne souffrent pas du même niveau d’altération de leurs facultés mentales et que permettre un divorce par consentement mutuel (assorti des mesures de protection complémentaires précitées) serait dans la droite ligne des récentes réformes de la protection des majeurs qui vont dans le sens du respect de l’autonomie et des libertés personnelles. D’autres auteurs proposent de donner aux majeurs protégés la possibilité de divorcer par acceptation du principe de la rupture, ce qui permettrait au juge de se prononcer sur les effets de la séparation, assurant ainsi la protection des intérêts du majeur protégé(28). Enfin, il serait aussi loisible de s’inspirer de la procédure de rupture du PACS par les majeurs protégés : les majeurs sous tutelle ou sous curatelle peuvent dissoudre eux-mêmes le PACS (C. civ., art. 461, al. 3, et 462, al. 4), et ce n’est qu’au stade de la liquidation des droits et obligations que les tuteurs ou curateurs interviennent(29).
Les personnes protégées peuvent donc divorcer pour altération du lien conjugal, le juge devant alors constater la cessation de la communauté de vie entre les époux depuis plus de deux ans (C. civ., art. 237 et 238). Celle-ci s’entend de la communauté tant matérielle qu’affective. La demande peut émaner de l’un ou l’autre des époux. Cette formulation assez lapidaire peut engendrer des situations délicates concernant les majeurs vulnérables. On songe, par exemple, à un époux en établissement social ou médico-social depuis deux ans pour des raisons de santé : il y a bien cessation de la communauté de vie, mais elle est d’un tout autre ordre que celle de deux époux en pleine possession de leurs moyens physiques et intellectuels se séparant d’un commun accord. Ce sera alors au juge et aux tuteurs et curateurs de se montrer particulièrement vigilants afin que les droits du majeur protégé soient sauvegardés.
Le divorce pour faute peut également être demandé « lorsque des faits constitutifs d’une violation grave ou renouvelée des devoirs ou obligations du mariage (...) rendent intolérable le maintien de la vie commune » (C. civ., art. 242). Le majeur protégé peut demander un tel divorce ou y être défendeur, se voyant reprocher des fautes par son conjoint. Cependant, la santé mentale et la question de l’imputabilité de la faute sont des éléments déterminants dans le divorce pour faute : « S’il est reproché une faute au sens de l’article 242 du code civil, il convient au préalable d’établir si ses manquements aux devoirs matrimoniaux n’ont pas été commis sous l’empire d’un trouble mental, ce qui enlèverait leur caractère de faute pour cause du divorce(30). » La Cour de cassation estime en effet que dans le cas des majeurs protégés, si la faute, cause du divorce, est la conséquence de ses troubles mentaux, elle ne peut lui être imputée(31). Cette vérification doit être faite par les juges du fond.
Cependant, cela n’exclut pas toute hypothèse de divorce prononcé aux torts exclusifs d’un majeur protégé. Ainsi, la cour d’appel de Lyon a confirmé un jugement de première instance, prononcé aux torts exclusifs du mari, placé sous tutelle et « handicapé mental profond ». En l’espèce, il s’agissait d’un mariage arrangé en Algérie, entre cousins. La femme était venue s’installer en France, « dans la famille de son mari où très rapidement, elle a été victime de mauvais traitements et réduite à l’état de domestique. (…) [La Cour relève que si le mari] n’est pas personnellement à l’origine des mauvais traitements et des violences subies par son épouse lors d’une tentative d’enlèvement caractérisée, il n’en demeure pas moins qu’il a été incapable de la protéger alors que le couple vivait au sein de la famille de son mari »(32). Cette décision semble très surprenante, alors que le mari n’est pas l’auteur des violences : la protection de la femme violentée primerait sur celle du majeur protégé. On relèvera que le tuteur était le père du mari, qu’il était l’auteur principal des violences et que les juges recherchaient très certainement à engager sa responsabilité. Pourquoi alors ne pas l’avoir fait directement ?
A l’ouverture de la procédure de divorce, alors que la mesure de protection était exercée par le conjoint (c’est-à-dire que c’est lui qui était le tuteur ou le curateur de son conjoint), un tuteur ad hoc ou un curateur ad hoc est spécialement nommé, (C. civ., art. 249-2).
Lorsque l’un des époux est sous sauvegarde de justice au moment de l’ouverture de la procédure de divorce, le JAF doit automatiquement suspendre la procédure jusqu’à ce que le juge des tutelles ait ouvert une mesure de curatelle ou de tutelle et nommé une personne pour l’exercer (C. civ., art. 249-3). Pendant cette période de suspension (qui peut durer plusieurs mois), le JAF peuourra prendre des mesures provisoires, notamment pour organiser la séparation des époux (C. civ., art. 254 et 255).
Lorsque le majeur est sous curatelle, il exerce lui-même l’action et s’y défend, assisté de son curateur (C. civ., art. 249, al. 2, et 249-1). Tous les actes qui sont signifiés au curatélaire le sont aussi à son curateur (C. civ., art. 467, al. 3).
Lorsque le majeur est sous tutelle, si c’est lui qui souhaite divorcer, la demande est présentée par le tuteur qui doit auparavant obtenir l’autorisation du conseil de famille, s’il en a été désigné un, ou du juge des tutelles (C. civ., art. 249). Si la demande est formée à l’encontre du majeur protégé, l’action est exercée contre le tuteur (C. civ., art. 249-1). Le tuteur représente donc totalement le majeur dans la procédure de divorce, alors qu’il s’agit d’un domaine de vie très intime.
On remarquera que la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, qui a introduit la possibilité d’un divorce par consentement mutuel extrajudiciaire, l’interdit expressément aux majeurs protégés. En effet, le nouvel article 229 du code civil énonce que « les époux peuvent consentir mutuellement à leur divorce par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d’un notaire ». Toutefois, le recours au divorce sans juge est exclu dans deux cas : lorsque le couple a un enfant mineur qui demande à être entendu par un juge ; lorsque l’un des époux se trouve placé sous un régime de protection (C. civ., art. 229-2). Cette formulation pourrait laisser penser que le divorce par consentement mutuel n’est alors possible que devant le JAF. Nous savons qu’il n’en est rien, mais l’évolution n’en paraît pas moins souhaitable car équilibrée : respectueuse des libertés individuelles du majeur et protectrice de ses droits.


(1)
Les liens d’alliance sont les liens juridiques établis par les liens du mariage, entre chaque époux et les parents de l’autre. Ils créent entre alliés les plus proches des droits et obligations, comparables à ceux créés par la parenté, notamment en termes d’obligation alimentaire (C. civ., art. 206 : « Les gendres et belles-filles doivent également (...) des aliments à leur beau-père et belle-mère, mais cette obligation cesse lorsque celui des époux qui produisait l’affinité et les enfants issus de son union avec l’autre époux sont décédés »).


(2)
Code civil, article 75 in fine : « L’officier d’état civil recevra de chaque partie, l’une après l’autre, la déclaration qu’elles veulent se prendre pour mari et femme (...) », et article 144 : « L’homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant 18 ans révolus. »


(3)
Cass. civ. 1re, 13 mars 2007, n° 05-16627, consultable sur www.legifrance.gouv.fr


(4)
Loi n° 2013-404 du 13 mai 2013, JO du 18-05-13.


(5)
Rude-Antoine E., Mariage libre, mariage forcé, PUF, coll. La nature humaine, 2011, p. 114, (18-1) ; Cass. civ. 1re, 22 janvier 1968, D. 1968, p. 309 ; Cas. civ. 1re, 31 janvier 2006, n° 02-19398, Bull. civ. I, n° 47.


(6)
Cass. civ. 1re, 31 janvier 2006, D. 2006, p. 1416 : le râle émis par le futur mari au moment où l’officier d’état civil lui pose la question du consentement au mariage peut être interprété comme une volonté d’épouser sa femme, volonté consacrant une vie commune antérieure très unie.


(7)
Cass. civ. 1re, 4 mai 2011, n° 09-68983, consultable sur www.legifrance.gouv.fr


(8)
Rennes, 3 février 1997, Juris-Data, n° 1997-044434.


(9)
Cass. civ. 1re, 2 décembre 1992, n° 91-11428, Bull. civ. I, n° 299, et Nîmes, 10 janvier 2006, Juris-Data, n° 2006-294966.


(10)
Cass. civ. 1re, 2 décembre 1992, n° 91-11428, préc.


(11)
Gouttenoire A. et Courbe P., Droit de la famille, op. cit., p. 50.


(12)
Besançon, 11 septembre 2008, JCP G 2009, IV, 1229.


(13)
Cf. par exemple : TGI Paris, 13 février 2001, Dr. famille 2002, n° 1, note Lécuyer H. (le mari ignorait que sa femme se prostituait).


(14)
Rennes, 11 décembre 2000, RG n° 00/00272.


(15)
Rouen, 6 mars 2008, JCP G 2008, IV, 2453. Mais l’erreur ne sera pas retenue en cas de preuve non rapportée du défaut d’aptitudes (Grenoble, 3 avril 2000, Dr. famille 2000, 124) ou lorsque les époux ne pouvaient ignorer que les aptitudes aux relations sexuelles peuvent diminuer avec l’âge (Pau, 26 avril 2004, Dr. famille 2004, 117).


(16)
TGI Vesoul, 28 novembre 1989, D. 1990, p. 590 ; Pau, 30 août 1990, RTD civ. 1991, p. 708 ; Aix-en-Provence, 31 mars 2005, n° 176.


(17)
Cass. civ. 1re, 2 décembre 1997, n° 96-12324, 2e esp., consultable sur www.legifrance.gouv.fr ; Bordeaux, 21 mai 2003, Dr. famille 2004, I, note Terneyre P. ; Colmar, 28 avril 2005, Dr. famille 2006, I, note Larribeau-Terneyre V ; Bordeaux, 21 février 2006, Juris-Data, n° 2006-329876.


(18)
Montpellier, 30 janvier 1996, Dr. famille 1997, I, 1, note Lécuyer H.


(19)
Cass. civ. 1re, 14 novembre 2000, n° 96-21845, disponible sur www.legifrance.gouv.fr


(20)
Aix-en-Provence, 14 mai 1857, DP 1857, II, p. 148 ; cf. dans le même sens : CA Paris, 4 juillet 1959, D. 1960, p. 15.


(21)
Cass. civ. 1re, 28 mai 1980, n° 79-12784, consultable sur www.legifrance.gouv.fr


(22)
Fresnel F., « La triade : le majeur protégé, la mesure de protection et le mariage. Paradis, purgatoire ou enfer ? » in « Vie familiale du majeur protégé », AJ famille, mai 2012, n° 5, p. 252.


(23)
Paris, 6 septembre 2011, non publié. L’homme, né en 1937, disposant d’un patrimoine très important, avait été placé sous curatelle renforcée en 2009, à la requête de sa fille adoptive. La curatrice désignée était une professionnelle, mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Le majeur protégé, veuf depuis 2008, souhaita se marier avec une femme née en 1952 qu’il connaissait depuis plus de dix ans et avec laquelle il vivait. Comme le prévoit l’article 460, alinéa 1er, du code civil, il ne pouvait le faire qu’avec l’autorisation de son curateur et, à défaut, du juge des tutelles. La curatrice refusa de donner son autorisation, de même que le juge des tutelles, la cour d’appel de Paris confirmant la décision de refus.


(24)
Cass. civ. 1re, 12 avril 2012, n° 11-25158, disponible sur www.legifrance.gouv.fr


(25)
Décision n° 2012-260 QPC du 29 juin 2012, JO du 30-06-12.


(26)
Cass. civ. 1re, 5 décembre 2012, n° 11-25158, consultable sur www.legifrance.gouv.fr


(27)
Sire S., « La protection de l’incapable majeur face au divorce », LPA, 20 février 2003, n° 37.


(28)
Barriere-Brousse I., « La vie de couple du majeur protégé », RLDC, juin 2011, n° 83.


(29)
Moureau F., « Le divorce des majeurs protégés ou la désunion sous haute protection », in « Vie familiale du majeur protégé », AJ famille, mai 20012, n° 5, p. 260.


(30)
Moureau F., « Le divorce des majeurs protégés ou la désunion sous haute protection », préc.


(31)
Cass. civ. 1re, 12 novembre 2009, n° 08-20710, disponible sur www.legifrance.gouv.fr


(32)
Lyon, 14 décembre 2009, Juris-Data, n° 2009/019381.

SECTION 3 - LA LIBRE ORGANISATION JURIDIQUE DE SA VIE AFFECTIVE ET SEXUELLE

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