Aujourd’hui, toutes les formes de sexualité sont acceptables, si elles sont librement consenties. Aucune ne doit être stigmatisée par des sanctions pénales spécifiques heurtant l’intimité de l’individu. Pourtant, hors le cas de l’absence de consentement, le respect de l’ordre public ou la vulnérabilité (réelle ou supposée) des partenaires peuvent encore constituer des obstacles à la liberté sexuelle. Les restrictions en matière de prostitution peuvent être, quant à elles, justifiées tantôt pour des raisons d’ordre public, tantôt afin de protéger les personnes prostituées. La législation relative à ces restrictions doit être rappelée pour mieux appréhender les situations qui peuvent se rencontrer en établissement.
A. LE RESPECT DE L’ORDRE PUBLIC
Dans le domaine du sexe, la limite de l’ordre public existe forcément. Il est normal qu’un Etat dispose de marges fondées sur l’ordre public, c’est-à-dire que l’ordre juridique impose parfois d’écarter la volonté privée (C. civ., art. 6) pour respecter des principes, écrits ou non, qui, à un moment donné, sont considérés comme fondamentaux. Ainsi, si la liberté sexuelle est relativement étendue, du moment qu’elle est librement consentie, dès lors que les rapports sexuels ont lieu en public ou dans des lieux accessibles au public, ils peuvent être interdits ou contrôlés par l’Etat. La protection de l’ordre public relève du pouvoir de police des autorités administratives locales, ce sont donc les maires qui sont chargés d’assurer la sûreté, la sécurité, la salubrité et la tranquillité publiques (CGCT, art. L. 2212-2).
Si la diffusion de films pornographiques est par ailleurs soumise à une importante réglementation particulièrement destinée à ce que les mineurs n’y aient pas accès – le code pénal réprime d’ailleurs le fait d’y exposer des mineurs (C. pén., art. 227-24) –, les personnes majeures ne sauraient se voir interdire l’accès à des films pornographiques, y compris lorsqu’elles sont hébergées dans des établissements sociaux et médico-sociaux. Le visionnage de tels films relève strictement de la vie privée, ce qui signifie qu’il ne peut avoir lieu dans des lieux publics (par exemple, dans les parties communes d’un foyer d’hébergement), mais il ne pose aucune difficulté dans les parties privatives (par exemple, la chambre d’un résidant). Il ne saurait donc être question, ni d’interdire l’achat ou le visionnage de tels films, ni encore moins d’installer des « contrôles parentaux » sur les ordinateurs des personnes accompagnées majeures afin de bloquer l’accès aux sites Internet dédiés.
B. LA VULNÉRABILITÉ DES PARTENAIRES
Si la liberté sexuelle est la règle, des restrictions peuvent cependant y être apportées afin de protéger les personnes les plus vulnérables, qu’il s’agisse de mineurs ou de majeurs.
I. Les restrictions à la liberté sexuelle des mineurs
Le code pénal pose deux types de restrictions : l’une concerne les mineurs de moins de 15 ans ayant des relations avec des majeurs, quels qu’ils soient, et l’autre les moins de 18 ans ayant des relations sexuelles avec des membres de leur famille ou des personnes exerçant sur eux une autorité de droit ou de fait. Ces situations peuvent se rencontrer notamment avec des jeunes pris en charge dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance, par une famille d’accueil ou une structure collective.
a. Les mineurs de moins de 15 ans et les majeurs
Les majeurs ne peuvent avoir aucune relation sexuelle avec des mineurs de moins de 15 ans. Aux termes de l’article 227-25 du code pénal, « le fait, par un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace, ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de 15 ans est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende ». Ce texte pose une présomption irréfragable d’incapacité à consentir à un acte sexuel avec un adulte, c’est-à-dire qu’il est impossible de prouver le contraire. L’interdiction vaut non seulement pour les actes de pénétration sexuelle (coït, sodomie, fellation), mais aussi pour les pratiques sans pénétration (baisers, masturbation, caresse...). Le mineur de moins de 15 ans est jugé incapable de donner son consentement éclairé à un adulte. Si la raison d’être de cette interdiction est de lutter contre la pédophilie, elle a pour conséquence d’interdire toute relation amoureuse entre des personnes âgées de 13 ou 14 ans et de 18 ou 19 ans. Cet interdit peut sembler excessif, d’autant que, on l’a vu, des mineurs de moins de 15 ans peuvent avoir des relations avec d’autres mineurs, qu’ils aient plus ou moins de 15 ans, à condition qu’elles soient librement consenties. Il peut y avoir abus et défaut de consentement, mais il peut également y avoir eu acceptation ; or, en l’état actuel du droit français, le consentement est impossible à prouver dans ce cas de figure.
b. Les mineurs et les personnes ayant autorité
Une autre restriction est posée par le code pénal, et celle-là semble bien plus adaptée à la lutte contre la pédophilie. Il s’agit toujours de sanctionner les auteurs d’atteintes sexuelles sans violence, contrainte, menace, ni surprise, mais lorsqu’il s’agit d’un ascendant de la victime ou d’une personne ayant sur elle une autorité de droit ou de fait. L’atteinte peut être commise sur un mineur de moins de 15 ans, elle est alors sanctionnée par une peine de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende (C. pén., art. 227-26). Mais elle est également sanctionnée quand elle est commise sur un mineur de 15 à 18 ans, la peine encourue étant alors de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende (C. pén., art. 227-27).
Les relations sexuelles ici visées peuvent avoir lieu dans le cadre familial. Si le code pénal ne mentionne que les ascendants (parents, grands-parents, ...), les juges retiennent depuis longtemps que les concubins, beaux-pères, oncles... peuvent être des personnes ayant autorité, et tombent donc également sous le coup de l’interdiction. La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant(1) prend acte de cette conception élargie de l’inceste en qualifiant d’incestueuses les infractions sexuelles lorsqu’elles sont commises sur la personne d’un mineur par
- un ascendant ;
- un frère, une soeur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ;
- le conjoint, le concubin ou le partenaire de pacte civil de solidarité (PACS) de ces personnes, s’il a sur le mineur une autorité de droit ou de fait (C. pén., art. 222-31-1, 222-31-2, 227-27-2-1 et 227-27-3).
En dehors du cercle familial, L’interdiction vise également les relations entre un mineur et une personne qui exerce sur lui une autorité de droit ou de fait. On songera ici aux enseignants, entraîneurs sportifs, prêtres ou chefs scouts. La liste de toutes les personnes adultes pouvant exercer une autorité sur des enfants est sans doute infinie. Les professionnels et les bénévoles du secteur social et médico-social doivent sans conteste être considérés comme des personnes ayant autorité auprès des mineurs qu’ils accompagnent, que ce soit dans le secteur de la protection de l’enfance ou dans celui du handicap. La formulation assez large de la loi permet sans aucun doute de sanctionner tous les adultes qui auraient eu un comportement déplacé avec un mineur, quand bien même ce dernier ne s’y serait pas opposé. Dans la longue liste des affaires de pédophilie qui ont été révélées ces dernières années, on en retiendra une, celle de « l’école en bateau » dont le fondateur a été jugé et condamné par la cour d’assises de Paris en mars 2013. Le documentaire réalisé alors par les victimes montre parfaitement combien il est difficile pour un enfant de dire « non » à quelqu’un qui exerce sur lui une autorité incontestable(2).
II. Quid de la protection des majeurs vulnérables ?
En dehors de la question du consentement, il n’existe aucune restriction en matière pénale à l’exercice de la sexualité par les personnes vulnérables majeures. En effet, si le droit pénal fait de la vulnérabilité un facteur d’aggravation des peines (cf. infra, chapitre 4), en droit civil les restrictions ne concernent que l’organisation éventuelle de la vie affective et sexuelle (mariage, divorce, autorité parentale...) (cf. infra, section 3). On rappellera que depuis la loi du 5 mars 2007(3), la protection des majeurs vulnérables doit être assurée dans le respect des libertés individuelles et des droits fondamentaux (C. civ., art. 415). Nul doute que la liberté sexuelle en fait partie. Tuteurs et curateurs n’ont donc pas à s’immiscer arbitrairement dans la vie sexuelle des majeurs qu’ils protègent, excepté bien évidemment si la personne était sous contrainte.
Ainsi, si un tuteur ou un curateur n’a pas à donner son accord aux relations sexuelles, il n’a pas non plus à consentir à des achats d’objets en lien avec le libre exercice de la vie affective et sexuelle et qui doivent être considérés comme des actes de la vie courante (par exemple, achat de « sex toys »). Si le majeur est sous curatelle simple, il n’a pas besoin de l’assistance de son curateur pour de tels achats (C. civ., art. 467). S’il est sous curatelle renforcée, le curateur doit lui reverser à la fin de chaque mois ce qui reste de ses revenus une fois réglées ses dépenses habituelles (loyers, factures d’eau et d’électricité, impôt, etc.) et il dispose de cet excédent comme il l’entend (C. civ., art. 472). S’il est sous tutelle, l’usage autorise la personne à agir seule pour les dépenses de sa vie courante (C. civ., art. 473) : elle doit donc disposer chaque mois ou chaque semaine d’une somme dont elle n’a pas à justifier l’utilisation, y compris par la remise de factures.
En revanche, il est une restriction de nature éthique, et elle concerne les professionnels qui accompagnent des majeurs vulnérables dans les établissements sociaux et médico-sociaux. Si le droit pénal n’interdit pas les relations consenties entre majeurs vulnérables et personnes ayant autorité, on peut difficilement envisager de telles relations au sein d’une institution. La qualité du consentement et la liberté de la personne vulnérable pourraient vraisemblablement être mises en cause, à tout le moins des poursuites disciplinaires pourraient être engagées contre le professionnel. Si, par exemple, un(e) travailleur(euse) en situation de handicap employé(e) dans un établissement et service d’aide par le travail (ESAT) et un(e) professionnel(le) souhaitent entretenir librement des relations amoureuses, il faudrait que le professionnel quitte l’établissement ou que le travailleur en situation de handicap change d’ESAT.
C. LA PROSTITUTION
Il existe trois types de réponses juridiques à la prostitution : la prohibition (la prostitution est interdite, clients et personnes prostituées peuvent être condamnés pénalement), la réglementation (la prostitution est encadrée et certains de ses aspects sont limités) et l’abolitionnisme (il faut abolir toute forme de réglementation concernant la prostitution). L’abolitionnisme considère les personnes prostituées comme victimes d’un système qui les exploite ; il refuse toute forme de pénalisation de celles-ci (en cela il s’oppose au prohibitionnisme). Par extension, certains mouvements abolitionnistes revendiquent la disparition de la prostitution.
Les personnes accompagnées par des établissements et services sociaux et médico-sociaux peuvent être concernées par la prostitution, que ce soit en tant que clientes (qu’elles souhaitent recourir à un accompagnant sexuel ou à une personne prostituée) ou en tant que personnes vulnérables qui se prostitueraient.
En dehors des incriminations pénales qui en découlent, tel le proxénétisme (cf. infra, chapitre 4), la prostitution pourrait être envisagée sous l’angle du droit civil et plus particulièrement de la liberté contractuelle. « Le contrat de prostitution est un contrat synallagmatique à titre onéreux entre la personne prostituée qui fournit un service au client qui en paie le prix(4). » Il présenterait ainsi toutes les caractéristiques d’un contrat : capacité, consentement, objet, cause. Sur la capacité, on relèvera que, depuis 2002, « la prostitution de mineurs est interdite sur tout le territoire de la République. Tout mineur qui se livre à la prostitution, même occasionnellement, est réputé en danger et relève de la protection du juge des enfants au titre de la procédure d’assistance éducative »(5). Sur la question du consentement, celui-ci serait une condition indispensable à la conclusion d’un contrat de prostitution, fruit d’un accord de volonté entre les contractants sur le prix à payer et les prestations délivrées. On relèvera également que la violence est un vice du consentement qui conduirait à la nullité du contrat. L’objet du contrat serait la fourniture d’un service sexuel rémunéré. Pour les réglementaristes, reconnaître ce rapport contractuel permettrait de faire de la prostitution une profession à part entière.
Les pouvoirs publics français refusent depuis longtemps ce point de vue et considèrent que le rapport entre la personne prostituée et son client ne saurait relever du droit commun des contrats. Non seulement la cause du contrat est considérée juridiquement comme immorale(6), mais l’acte prostitutionnel serait un rapport inégalitaire. La position française s’oriente encore plus vers l’abolitionnisme depuis que la loi du 13 avril 2016(7) interdit de recourir aux services d’une personne qui se livre à la prostitution (C. pén., art. 611-1). S’il n’est pas interdit de se prostituer, il est interdit de recourir à la prostitution.
(1)
Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016, JO du 15-03-16.
(2)
Esnault L. et Varrod R., « L’école en bateau – L’enfance sabordée », documentaire, 52 min, France 5, 2014.
(3)
Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, JO du 7-05-07.
(4)
Caballero F., Droit du sexe, op. cit., p. 442.
(5)
Loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 art. 13, JO du 5-03-02.
(6)
Colmar, 9 janvier 1958 : « Ni la loi pénale, ni la loi civile ne peuvent conférer leur sanction à une convention immorale », D. 1958, p. 163.
(7)
Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 , JO du 14-04-16.