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Rendre possible l’expression d’une vie affective et sexuelle

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On l’a vu, la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale prévoit que les établissements sociaux et médico-sociaux permettent l’exercice des droits et libertés des personnes accompagnées, notamment en matière de dignité, d’intégrité, de vie privée, d’intimité, de sécurité et de droit d’aller et venir (CASF, art. L. 311-3, 1°). Afin de garantir l’exercice de ces droits et libertés, le législateur a prévu un certain nombre d’« outils » à destination des personnes accompagnées (CASF, art. L. 311-4) : d’une part, des documents doivent leur être remis et, d’autre part, leur participation aux projets d’accompagnement est promue.


A. LA VIE AFFECTIVE ET SEXUELLE DANS LES DOCUMENTS REMIS AUX PERSONNES ACCOMPAGNÉES

Certains documents doivent être remis aux personnes accompagnées : un livret d’accueil, une charte des droits et libertés de la personne accueillie et un règlement de fonctionnement. Ils doivent tous contenir des dispositions relatives à la vie affective et sexuelle des personnes accompagnées, mais ces dispositions doivent respecter leurs droits fondamentaux.


I. Le livret d’accueil

[Code de l’action sociale et des familles, article L. 311-4, alinéa 1er]
Un livret d’accueil doit être remis à la personne prise en charge par un ESSMS. Y sont annexés la charte des droits et libertés de la personne accueillie et le règlement de fonctionnement de l’établissement ou du service. Le contenu de ce livret n’est pas défini précisément : si une circulaire de 2004(1) énonce, à titre indicatif, des éléments qui peuvent y figurer, il ne s’agit en aucun cas d’un cadre obligatoire et exhaustif. Une autre circulaire de 2006(2) a d’ailleurs précisé : « A travers ce livret, la personne accueillie doit être en situation de mieux appréhender non seulement ses droits mais aussi ce qu’elle peut attendre du lieu où elle est admise. En d’autres termes, le livret d’accueil constitue un élément d’une meilleure lisibilité de la structure pour la personne accueillie et son entourage en établissant une cartographie précise des lieux et un inventaire rigoureux des prestations, afin de permettre à la personne admise de disposer d’une information objective sur la gamme des prestations et services mis à sa disposition. Il est certain que pour être efficace, la rédaction d’un tel livret doit à la fois tenir compte des contraintes propres à chaque établissement et du niveau de compréhension de l’usager, en adoptant des présentations éventuellement ludiques comme bande dessinée ou support informatique. L’écueil à éviter est qu’il devienne une forme de document type sans réel impact sur l’usager. »
Le livret est d’abord un document qui doit « accueillir » la personne, lui expliquer où elle arrive, ce qui va lui être proposé comme accompagnement et quels sont ses droits. Il ne doit pas s’agir d’un document purement administratif, ni d’une longue liste d’interdits. Certes, il peut être demandé lors des inspections et contrôles des ESSMS(3), mais il est destiné aux personnes accompagnées elles-mêmes.
Le livret d’accueil peut utilement contenir quelques phrases sur la vie affective et sexuelle, la possibilité de faire venir des proches, etc. Il ne s’agit pas de l’afficher en tant que « prestation » offerte par l’ESSMS, mais au titre d’un rappel général du droit au respect de la vie privée et de l’intimité des personnes accompagnées.


II. La charte des droits et libertés de la personne accueillie

[Code de l’action sociale et des familles, article L. 311-4 ; arrêté du 8 septembre 2003, NOR : SANA0322604A, JO du 9-10-03]
La charte des droits et libertés de la personne accueillie doit être annexée au livret d’accueil. La charte énonce les droits fondamentaux de la personne accueillie, dont certains ont trait à la vie affective et sexuelle : le droit au respect des liens familiaux (art. 6), le droit à l’autonomie (art. 8) et le droit à la dignité de la personne et de son intimité (art. 12). L’article 12 de la charte précise à propos du droit à la dignité de la personne et de son intimité : « Hors la nécessité exclusive et objective de la réalisation de la prise en charge ou de l’accompagnement, le droit à l’intimité doit être préservé. » Des atteintes à l’intimité sont donc envisageables, mais seulement en cas de « nécessité exclusive et objective », ce qui doit être entendu de façon stricte.
On précisera qu’aucun obstacle juridique ne s’oppose à ce que le texte de la charte soit adapté afin que son contenu soit accessible aux personnes accompagnées par l’établissement. L’esprit de la loi est bien que les personnes connaissent leurs droits afin de les faire valoir, encore faut-il qu’elles les aient compris. La charte pourra ainsi être revisitée en « facile à lire et à comprendre », sous forme de bande dessinée, sur support informatique interactif, etc. La participation des personnes à l’élaboration du document contribuera à son adaptation et à son accessibilité au public accompagné dans tel établissement ou tel service.


Vie affective et sexuelle en MAS ET FAM : les recommandations de l’Anesm

L’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) a publié trois recommandations de bonnes pratiques professionnelles sur la qualité de vie en maison d’accueil spécialisée (MAS) et en foyer d’accueil médicalisé (FAM). Le volet 2 porte sur la vie quotidienne et il aborde notamment la vie relationnelle et sociale. Il y est clairement précisé que les MAS et les FAM doivent reconnaître la vie affective et sexuelle des personnes qu’ils accompagnent.
Si le droit des personnes accueillies en institution médico-sociale de vivre leur vie affective et sexuelle est consacré juridiquement, « l’effectivité de ce droit constitue un défi pour les établissements », constate l’Anesm. Ces sujets sont d’ailleurs peu évoqués dans les écrits professionnels remis aux personnes (projet d’établissement, règlement de fonctionnement, ou livret d’accueil).
L’Anesm rappelle les enjeux liés au droit à une vie affective et sexuelle. Les professionnels doivent ainsi reconnaître les désirs affectifs et sexuels des personnes et ne pas imposer de normes en termes de sexualité. Si les professionnels doivent être vigilants quant aux abus potentiels, ils doivent également respecter la vie privée. L’agence insiste également sur la nécessaire formation des professionnels sur ces questions, afin d’avoir des postures claires et formalisées, non dépendantes des représentations individuelles.
En conséquence, l’Anesm recommande notamment :
  • « d’affirmer la liberté des personnes handicapées d’avoir des relations sexuelles (dans les limitations liées au respect de l’autre – respect du consentement d’autrui, règles de pudeur) dans les documents institutionnels ». Au moment de l’accueil, il conviendrait de « les informer de façon adaptée, et le cas échéant leurs proches, de cette liberté et de ses limites » ;
  • « de sensibiliser les professionnels à l’importance d’évoquer leurs questionnements (interrogation sur le consentement, demande de relation sexuelle d’une personne à leur égard, etc.) auprès de personnes ressources : psychologue, médecin, psychiatre, encadrement, etc. » ;
  • « d’organiser pour les professionnels des temps d’information, de sensibilisation et de formation sur la vie affective et sexuelle des personnes handicapées ». Et ce, en privilégiant l’intervention de professionnels ressources sur ces questions : psychologue, médecin, sexologue, juriste, instance régionale d’éducation et de promotion de la santé (IREPS), comités départementaux d’éducation à la santé (Codes), planning familial, CREAI, Centre ressources handicaps et sexualités, etc. ;
  • « de formaliser dans un document institutionnel des problématiques sur cette question ». Celui-ci précisera les limites de l’intervention des professionnels dans le cadre législatif et réglementaire français ;
  • « de rechercher la “bonne distance” ou la “juste proximité” dans la relation de chaque professionnel avec chaque personne accueillie en s’appuyant sur les compétences de personnes ressources (psychologue, encadrement…) » ;
  • « de donner la possibilité aux personnes accueillies de recevoir leur partenaire dans leur espace privatif en garantissant l’absence d’intrusion dans celui-ci » ;
  • « de définir avec la personne l’information, l’écoute, ou encore l’aménagement de l’environnement dont elle aurait besoin. Ces questions peuvent être abordées au moment du projet personnalisé » ;
  • « de proposer aux personnes accueillies (et à leurs proches), une écoute, une information et une éducation sur les questions de vie affective et sexuelle. Pour échanger autour de ces thématiques, il convient de privilégier le recours à des professionnels extérieurs à l’établissement : planning familial, comité départemental d’éducation pour la santé (Codes), etc. » ;
  • « d’informer de façon adaptée les personnes des différentes méthodes contraceptives existantes et leur proposer d’y avoir accès après avoir échangé et recourir aux compétences de professionnels formés à l’approche de ces problématiques : infirmières, médecins, planning familial, etc. » ;
  • « de rester à l’écoute des personnes qui exprimeraient un désir de parentalité tout en abordant avec elles les enjeux d’un tel projet » et de « recourir aux compétences de professionnels formés à l’approche de ces problématiques : infirmières, médecins, planning familial, etc. » ;
  • « d’identifier les éventuelles situations de vulnérabilité, les risques d’abus ou de violences (violence physique, contrainte psychologique) en tenant compte de la capacité à consentir de la personne… » A cette fin, l’Anesm préconise de mettre en place, le cas échéant, des actions de prévention et de protection. Pour les personnes dont l’expression du consentement est peu explicite, il s’agit « d’observer et d’interpréter les modes d’expression non verbaux des personnes en équipe interdisciplinaire ».
[Anesm, « Qualité de vie en MAS-FAM (volet 2), Vie quotidienne, sociale, culture et loisirs », Recommandations de bonnes pratiques professionnelles, décembre 2013]


III. Le règlement de fonctionnement

[Code de l’action sociale et des familles, article L. 311-7, alinéa 1er]
Le règlement de fonctionnement « définit les droits de la personne accueillie et les obligations et devoirs nécessaires au respect des règles de vie collective au sein de l’établissement ou du service ». Les modalités d’élaboration du règlement de fonctionnement, son contenu et son affichage sont codifiés dans la partie réglementaire du code de l’action sociale et des familles, aux articles R. 311-33 à R. 311-37-1.
Le règlement de fonctionnement « a pour objectif de faire connaître les principes qui régissent la vie collective et les conséquences de leur non-respect, ainsi que les modalités pratiques d’organisation et de fonctionnement des services »(4). Il doit également indiquer les modalités concrètes d’exercice des droits définis par l’article L. 311-3 du code de l’action sociale et des familles. Il doit donc concilier règles de vie collective et respect des libertés individuelles, un équilibre complexe à trouver, que la jurisprudence permet de mieux appréhender. Si le règlement de fonctionnement ne peut attenter aux libertés individuelles, il peut y apporter certains aménagements.

a. Le règlement de fonctionnement doit respecter les libertés individuelles

En 2011, la cour administrative d’appel de Nancy a eu l’occasion de préciser que le règlement de fonctionnement d’un logement-foyer relevant d’un centre communal d’action sociale (CCAS) était un acte administratif faisant grief, susceptible de faire l’objet d’un recours devant le juge administratif(5). Cela signifie que ce règlement ayant un caractère obligatoire, son contenu doit respecter le principe de légalité, c’est-à-dire être conforme aux normes qui lui sont supérieures (lois et règlements, Constitution, textes internationaux et européens...). Ce n’est pas parce qu’un règlement de fonctionnement contient des dispositions contraires au droit qu’elles deviennent légales, y compris en matière de vie affective et sexuelle.
En 2012, la cour administrative d’appel de Bordeaux a eu à se prononcer sur le règlement de fonctionnement d’un établissement psychiatrique. En l’espèce, Monsieur B. avait été hospitalisé sans son consentement dans l’unité Verneuil du centre hospitalier spécialisé (CHS) de Cadillac, en Gironde. Le règlement de fonctionnement de l’unité disposait, en ce qui concerne l’utilisation des chambres, que « l’unité Verneuil est un lieu de soins où l’intimité, la sécurité et la tranquillité du patient hospitalisé doivent être assurées. Le respect de sa propre intimité et de celle d’autrui est nécessaire. A ce titre, les relations de nature sexuelle ne sont pas autorisées. Cette interdiction s’impose dans la mesure où les patients d’un établissement psychiatrique sont vulnérables et nécessitent d’être protégés »(6). Monsieur B. demanda au directeur du centre hospitalier d’abroger ces dispositions interdisant les relations sexuelles. Le directeur refusa par une décision de 2008, en arguant que le droit à de libres relations sexuelles ne figurait pas dans la liste de l’article L. 3211-3 du code de la santé publique(7) et que cette interdiction ne concernait « que les pratiques sexuelles entre les patients ». Devant ce refus, monsieur B. saisit la justice administrative ; il fut rejoint en cours d’instance par son curateur, un service de mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Le tribunal administratif de Bordeaux rejeta la demande d’annulation de la décision du directeur(8). Monsieur B. et son curateur firent appel de la décision. La cour administrative d’appel de Bordeaux annula le jugement du tribunal et la décision du directeur du CHS, sous le visa de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme et du droit au respect de la vie privée.
Pour justifier l’interdiction totale des relations sexuelles, le règlement de l’unité Verneuil énonçait deux séries d’arguments : d’une part, la protection de l’intimité des patients et, d’autre part, leur vulnérabilité. Le premier argument « est particulièrement paradoxal puisqu’il conduit à considérer que la meilleure protection envisageable de l’intimité, c’est l’absence d’intimité. Assurément, il est difficile d’envisager de porter atteinte à ce qui n’existe pas »(9). Sur le second argument, tiré de la vulnérabilité, on rappellera que même les majeurs protégés prennent seuls les décisions relatives à leur personne (C. civ., art. 459) et que toutes les personnes hospitalisées sans leur consentement ne sont pas sous mesure de protection. Le directeur du CHS en avançait un troisième : le droit à de libres relations sexuelles ne serait pas garanti par le code de la santé publique dans le cadre des hospitalisations sans consentement. Quant au tribunal administratif, pour justifier l’interdit posé, il avait avancé un impératif de santé publique et le respect de la dignité de la personne.
Dans ses conclusions, présentées avant le délibéré sur l’affaire de l’unité Verneuil, le rapporteur public David Katz avait rappelé que le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à propos de la loi sur l’hospitalisation sans consentement, avait indiqué le 26 novembre 2010(10) que le respect de la vie privée figurait au nombre des libertés constitutionnellement garanties : « Le droit à la liberté de la vie sexuelle est ainsi garanti par les instruments constitutionnel, conventionnel et législatif, en tant que composante du respect de la vie privée(11). » Sur les arguments du tribunal administratif, le rapporteur public trouvait justifié « qu’un motif de santé publique puisse effectivement restreindre le droit dont il s’agit (...). En revanche, nous avons beaucoup de mal à voir en quoi la dignité de la personne serait préservée par l’interdiction qui lui est faite d’avoir des rapports sexuels. Au contraire, nous pensons que les relations sexuelles font partie de ce que l’être humain vit le plus intimement et que s’opposer à ce que la personne ait des relations de cette nature c’est, précisément, s’attaquer à sa dignité ». Et d’ajouter : « Nous percevons que l’interdiction générale et absolue des relations sexuelles posée dans un règlement intérieur puisse correspondre à une solution de commodité pour la direction d’un établissement psychiatrique. Mais dès lors que l’on touche aux libertés fondamentales, la commodité ne coïncide pas forcément avec la légalité. Par ailleurs, ce type de mesure peut vite s’avérer purement théorique, car nous voyons mal, compte tenu du public visé, comment sanctionner efficacement le manquement à une telle interdiction. »
Pour la cour administrative d’appel, « l’ingérence dans l’exercice du droit d’une personne atteinte de troubles mentaux hospitalisée sans son consentement, au respect de sa vie privée qui constitue une liberté individuelle et dont le respect de la vie sexuelle est une composante, par une autorité publique, ne peut être légale que si elle répond à des finalités légitimes et qu’elle est adéquate et proportionnée au regard de ses finalités. (...) L’interdiction en cause, qui s’impose à tous les patients de l’unité, quelle que soit la pathologie dont ils souffrent, son degré de gravité et pendant toute la durée de leur hospitalisation, présente un caractère général et absolu ; que le centre hospitalier n’invoque sans aucun élément précis relatif à l’état de santé des patients de cette unité et à la mise en oeuvre des traitements médicaux qui justifierait une interdiction d’une telle portée ; que telle que formulée dans le règlement de fonctionnement de l’unité Verneuil, l’interdiction en cause impose à l’ensemble des patients (…) une sujétion excessive au regard des stipulations de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l’article L. 3211-3 du code de la santé publique (...)(12) ». La cour relève ainsi que la vie privée et sexuelle relève d’une liberté fondamentale plutôt que d’un droit subjectif opposable. De fait, pour François Vialla, « il ne semble pas envisageable d’affirmer l’existence d’un droit à la sexualité »(13). Et, comme le remarque Bruno Py, « la sexualité composante de la vie privée est une liberté pas un droit au sens technique. Nul n’a “un droit à la sexualité”, chacun à “un droit à développer une sexualité” »(14).
Dans la décision de 2012, il ne s’agissait pas pour la cour de sanctionner toute restriction à l’exercice des relations de nature sexuelle, mais le caractère général et absolu de l’interdiction du règlement de fonctionnement. En même temps, elle pose les jalons de restrictions envisageables.

b. Le règlement de fonctionnement peut apporter certains aménagements aux libertés individuelles

Le règlement de fonctionnement a vocation à rappeler les droits de la personne mais également à énoncer les règles de la vie en collectivité. S’il n’est pas possible d’y interdire purement et simplement les relations sexuelles, la sexualité ne peut pas être pensée uniquement en termes de liberté. Dans ses conclusions, David Katz précise qu’« il n’est pas question de chasser une prescription extrême et aveugle – l’interdiction générale et absolue des relations sexuelles – pour la remplacer par une proposition extrême et tout aussi aveugle – la permission absolue de ces relations. Nous vous proposons simplement d’admettre la restriction des relations sexuelles de chaque individu en fonction des risques que son propre état de santé lui fait courir à lui-même et en fonction des risques que cet état fait courir à la santé des autres patients. Cela signifie que la restriction à la liberté en cause doit être proportionnée à la situation de chaque cas »(15).
Dans le secteur sanitaire, si l’on reprend l’article L. 3211-3 du code de la santé publique, on voit que des restrictions à l’exercice des libertés individuelles peuvent être apportées, si elles sont « adaptées, nécessaires et proportionnées » à l’état mental et aux traitements. Il en est de même dans le secteur social et médico-social : le règlement de fonctionnement définit les « obligations et devoirs nécessaires au respect des règles de vie collective » (CASF, art. L. 311-7). Cela signifie que l’exercice de la vie privée, dans sa dimension affective et sexuelle, peut être « circonscrit aux sphères privées (chambres) à l’exclusion des lieux de vie partagée. (...) L’exercice de cette liberté individuelle ne doit pas perturber la vie collective. Ainsi peut-on envisager des atténuations à la protection de l’intimité dans les temps destinés aux soins et autres activités nécessaires à la prise en charge, mais encore pendant les moments consacrés à l’animation collective. (...) C’est bien au regard des nécessités de la prise en charge de la personne, et singulièrement dans les impératifs de santé, que les limitations à l’exercice de sa vie privée devront être justifiées »(16).
Il peut donc y avoir des aménagements à l’exercice de la vie affective et sexuelle :
  • ils doivent être adaptés, nécessaires et proportionnés (selon les âges, les vulnérabilités, les lieux, le moment de la journée...) ;
  • ils ne peuvent jamais être généraux et absolus (c’est-à-dire pas d’interdiction totale pour tous).
Pour conclure (provisoirement) sur cette question, nous ferons remarquer que, si la décision de la cour administrative d’appel de Bordeaux de 2012 a été saluée par les juristes comme une reconnaissance des droits et libertés fondamentaux de la personne accompagnée, le secteur hospitalier s’est montré beaucoup plus circonspect, arguant au mieux qu’il faut attendre la jurisprudence ultérieure en la matière(17), au pire « qu’il faut enfin prendre en compte la responsabilité du service public hospitalier en cas de viol entre malades, ce qui, semble-t-il, a quelque peu échappé au juge de la cour administrative d’appel de Bordeaux. Jusqu’à quand le service public hospitalier va-t-il payer pour des libertés qui, de fait, sont restreintes pour des raisons de santé, car, que l’on sache, un patient n’est pas l’objet d’une hospitalisation sans consentement sans raison médicale... »(18). On voit mal en quoi un règlement de fonctionnement, quand bien même serait-il hyper-restrictif, empêcherait un viol ou constituerait un moyen d’exonération de la responsabilité du service. Un règlement de fonctionnement ne protège pas des risques qu’il cherche à éviter (grossesse, IST, abus sexuels...), et lorsque ses dispositions sont contraires au droit, le « parapluie » peut se retourner contre celui qui les a édictées.


B. LA PARTICIPATION AUX PROJETS D’ACCOMPAGNEMENT

L’un des apports majeurs de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale et des textes qui ont suivi (2005, 2007, etc.) est d’avoir prévu la participation de la personne accompagnée aux projets la concernant, que ce soit au niveau individuel (projet personnalisé) ou au niveau collectif (vie de l’établissement ou du service).


I. La participation individuelle : le projet personnalisé

La loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 oblige les établissements et services, d’une part, à rédiger, selon les cas, un contrat de séjour ou un document individuel de prise en charge (DIPC) (CASF, art. L. 311-4 et D. 311) et, d’autre part, à établir un projet d’accueil et d’accompagnement (CASF, art. L. 311-3, 7°), dont elle ne détaille pas le contenu. Selon l’Anesm, si la loi établit des liens entre contrat de séjour (ou DIPC) et projet personnalisé, ils diffèrent dans leurs objectifs(19).


Contrat de séjour/DIPC versus projet personnalisé

Pour l’Anesm, projet personnalisé et contrat de séjour sont deux documents qui doivent être distingués, même s’ils se chevauchent parfois :
  • « le projet personnalisé est avant tout une démarche », répondant à [certains] principes ;
    le projet personnalisé a un rythme, différent selon les personnes accompagnées, et pour certains projets, le réajustement des objectifs pourra être plus fréquent que le rythme annuel de révision du contrat de séjour/DIPC ;
  • « le contrat de séjour/DIPC mentionne les objectifs et les prestations adaptées, ce qui signifie que les autres éléments du projet personnalisé (analyse préalable de la situation, modalités de mise en oeuvre...) n’y figurent pas automatiquement ».
Contrat de séjour/DIPC et projet personnalisé sont deux modalités d’engagement différenciées et articulées. L’agence recommande « de mentionner dans le contrat de séjour/DIPC l’existence du projet personnalisé ».
[Anesm, « Les attentes de la personne et le projet personnalisé », Recommandation de bonnes pratiques professionnelles, décembre 2008, p. 15]
Les questions relatives à la vie affective et sexuelle n’ont pas systématiquement vocation à figurer dans le contrat de séjour (ou dans le DIPC), s’il ne s’agit ni d’un objectif à proprement parler de l’accompagnement, ni d’une prestation de l’ESSMS, ni d’une condition de son accueil. Il en ira différemment dans certains cas où ces questions relèveraient directement de l’accompagnement proposé. Ainsi, par exemple : un service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) menant des actions de soutien à la parentalité en direction de personnes en situation de handicap ; un établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou un foyer d’hébergement proposant des chambres de couple ; un centre parental accueillant de futurs parents.
En revanche, de nombreuses questions relatives à la vie affective et sexuelle peuvent être traitées dans le projet personnalisé, coconstruit avec la personne accompagnée et faisant l’objet d’un dialogue constant entre elle et les professionnels afin qu’il soit adapté à ses souhaits et à ses besoins. Si le projet personnalisé doit respecter l’intimité des personnes, il peut permettre de susciter un dialogue sur ce domaine de la vie des personnes. L’Anesm précise à ce sujet que « le périmètre de ces questions est difficile à délimiter, car très variable selon les individus. L’analyse des pratiques peut aider chaque professionnel à ajuster son positionnement et à utiliser au cours de ces dialogues le savoir-faire construit collectivement »(20). Le projet ne doit pas traiter, par exemple, des relations intimes de la personne, de son orientation sexuelle ou de sa volonté d’acheter un « sex toys ». En revanche, il peut aborder des actions à mener en matière d’éducation à la santé sexuelle, un accompagnement autour du désir d’enfant, la participation à un groupe de parole sur la question, le partenariat avec un centre de planification et d’éducation familiale autour de contraception, etc. En tout état de cause, les professionnels devront veiller à ne pas être trop intrusifs sur ces questions particulièrement intimes.
En revanche, une limitation, voire une interdiction, de la vie affective et sexuelle, quand bien même elle serait actée dans le contrat de séjour ou dans le projet personnalisé, serait illégale. On l’a vu, les seules restrictions envisageables le sont en termes de lieux, de temps (par exemple, pas dans les espaces collectifs et lors des temps d’animation) ou d’impératifs de santé (par exemple, la prise d’un contraceptif pour une jeune femme par ailleurs sous traitement neuroleptique lourd, incompatible avec une grossesse). Dans ce dernier cas, la restriction devra figurer dans le dossier médical et non pas dans le projet personnalisé.


II. La participation collective : le conseil de la vie sociale et les autres formes de participation

[Code de l’action sociale et des familles, articles L. 311-7 et D. 311-3 à D. 311-25]
Les personnes accompagnées disposent depuis 2002 d’un espace privilégié d’information et d’expression sur leurs conditions de vie au sein de l’établissement ou du service : le conseil de la vie sociale (CVS) ou, selon le type d’ESSMS, d’autres formes de participation. Le CVS peut donner et faire des propositions sur toute question intéressant le fonctionnement de l’établissement ou du service. Il doit en outre donner un avis sur les projets d’établissement ou de service ainsi que sur les règlements de fonctionnement.
Dans ces instances de participation collective, peuvent être abordés les thèmes de l’organisation intérieure et de la vie quotidienne, de l’animation de la vie quotidienne ou les mesures prises pour favoriser les relations entre les personnes accompagnées. Ainsi, si le CVS n’a pas pour vocation de traiter des problématiques individuelles, il peut permettre d’améliorer la vie quotidienne au sein de l’ESSMS. Les questions globales autour de la vie affective et sexuelle y ont donc toute leur place, qu’il s’agisse, par exemple, des dispositions s’y référant dans le règlement de fonctionnement, dans le projet d’établissement ou de service, du travail sur une « charte relative à la vie affective et sexuelle » ou de demandes visant à favoriser les rencontres des personnes accompagnées avec des personnes extérieures à l’établissement.


(1)
Circulaire DGAS/SD 5 n° 2004-138 du 24 mars 2004, NOR : SANA0430132C, BOMASTS n° 2004/15.


(2)
Circulaire DGAS/1A n° 2006-324 du 20 juillet 2006, NOR : SANA0630362C, BO Santé, Protection sociale, Solidarité n° 2006/9.


(3)
Lhuillier J.-M., Le droit des usagers dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux, Presses de l’EHESP, 5e éd., 2015, p. 233.


(4)
Lhuillier J.-M., Le droit des usagers dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux, op ; cit., p. 239.


(5)
CCA Nancy, 15 décembre 2011, CCAS de Vesoul, n° 11NC00185 : « Eu égard à leur objet, à leur nature, à leur diffusion à tous les résidents et aux sanctions qui s’y attachent, [les termes du règlement de fonctionnement] sont des décisions faisant grief (…) », consultable sur www.legifrance.gouv.fr.


(6)
CAA Bordeaux, 6 novembre 2012, n° 11BX01790, Sieur B. c/ CHS de Cadillac, consultable sur www.legifrance.gouv.fr


(7)
Code de la santé publique, article L. 3211-3, al. 1er : « Lorsqu’une personne atteinte de troubles mentaux fait l’objet de soins psychiatriques (...), les restrictions à l’exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en oeuvre du traitement requis. En toutes circonstances, la dignité de la personne doit être respectée et sa réinsertion recherchée. »


(8)
TA Bordeaux, 11 mai 2011, n° 0904876.


(9)
Vialla F., « Privé de vie privée ? : “Vol retour” au-dessus d’un nid de coucou ? », Droit & Santé, n° 52, mars 2013, p. 141.


(10)
Décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, AJDA 2011, p. 174, note Bioy X.


(11)
Katz D., « Peut-on interdire les relations sexuelles aux patients d’un hôpital psychiatrique ? », AJDA, n° 2, 21 janvier 2013, p. 115.


(12)
CAA Bordeaux, 6 novembre 2012, n° 11BX01790, préc., consid. 6 et 8.


(13)
Vialla F., « Privé de vie privée ? : “Vol retour” au-dessus d’un nid de coucou ? », préc.


(14)
Py B., « L’assistance sexuelle aux personnes handicapées : un service ? Un soin ? Un délit ? », Droit & Santé, n° 40, mars 2011, p. 105.


(15)
Katz D., « Peut-on interdire les relations sexuelles aux patients d’un hôpital psychiatrique ? », préc.


(16)
Vialla F., « Privé de vie privée ? : “Vol retour” au-dessus d’un nid de coucou ? », préc.


(17)
Vernet A., Agboli K., Akram H., Vabre D., Morais S. et Boutet C., « Le statut des relations sexuelles en institution », Gestions hospitalières, n° 537, juin/juillet 2014, p. 328 à 334.


(18)
« Le règlement intérieur d’une unité psychiatrique fermée ne peut pas interdire de façon générale aux malades hospitalisés sans leur consentement d’avoir des relations sexuelles entre eux sans contrevenir à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales », Les Études hospitalières, FHJ, n° 005, janvier 2013, p. 26.


(19)
Anesm, « Les attentes de la personne et le projet personnalisé », Recommandations de bonnes pratiques professionnelles, décembre 2008, p. 15.


(20)
Anesm, « Les attentes de la personne et le projet personnalisé », préc., p. 25 (« Oser aborder les questions sensibles »).

SECTION 2 - PRENDRE EN COMPTE LA VIE AFFECTIVE ET SEXUELLE DANS LES ESSMS

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