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Assurer la confidentialité des informations relatives à la vie affective et sexuelle

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Les informations relatives à la vie affective et sexuelle sont particulièrement intimes. Les professionnels peuvent avoir à connaître de telles informations, que ce soit directement, lorsqu’elles leur sont confiées par les personnes accompagnées, ou indirectement, par exemple lorsqu’un professionnel devine ou comprend à demi-mot. Certaines de ces informations n’ont absolument pas à être révélées à d’autres professionnels, parce qu’elles relèvent exclusivement de la vie privée. D’autres éléments, en revanche, peuvent être partagés afin de mieux accompagner la personne, voire de la protéger. La difficulté est donc de trouver des repères afin d’assurer la confidentialité des informations tout en protégeant des personnes vulnérables. Sans reprendre l’ensemble des règles relatives à la question(1), il s’agira de définir brièvement ce que sont le secret professionnel et l’obligation de discrétion, avant d’envisager comment peuvent être partagées des informations à caractère secret et quelles informations doivent obligatoirement être révélées.


A. SECRET PROFESSIONNEL ET OBLIGATION DE DISCRÉTION

Le droit distingue nettement les professionnels tenus au secret professionnel et ceux tenus à une obligation de discrétion.


I. Le secret professionnel et sa violation

Le secret professionnel désigne « l’obligation, pour les personnes qui ont eu connaissance de faits confidentiels, dans l’exercice de leur fonction ou à l’occasion de leur fonction, de ne pas les divulguer, hors les cas où la loi autorise ou impose la levée du secret »(2). C’est une notion relativement bien définie, la sanction de sa violation relevant du droit pénal. En effet, « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende » (C. pén., art. 226-13). Le secret professionnel n’est donc pas une protection ou un droit pour le professionnel. Sa raison d’être est de protéger l’intimité de la personne accompagnée et de sanctionner le professionnel qui le violerait.
Pour qu’il y ait violation du secret professionnel, il faut donc :
  • que la personne soit soumise au secret professionnel, de par son état (ministre du culte), de par sa profession (médecin, infirmier, assistant de service social, avocat, etc.) ou de par sa fonction ou sa mission (professionnels de la PMI, de l’aide sociale à l’enfance [ASE], membres de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées [CDAPH], etc.). En principe, un texte législatif ou réglementaire doit prévoir que tel type de profession ou que les professionnels exerçant tel type de mission sont tenus au secret professionnel ;
  • que la personne ait eu conscience de révéler une information à caractère secret(3), même sans intention de nuire ;
  • que l’information révélée ait eu un caractère secret : si le code pénal ne définit pas ce qu’il faut entendre par « informations à caractère secret », c’est au magistrat qu’il revient de définir ce qui est secret et ce qui ne l’est pas. La jurisprudence a donc eu l’occasion de préciser ce qu’il fallait entendre par cette notion, qui depuis 2007 a été reprise par de nombreux textes législatifs.
Pour être à caractère secret, l’information « doit concerner la personne, sa santé, sa vie familiale ou professionnelle, sa vie intime. Est considérée comme secrète l’information qui par essence exige de ne pas être révélée, que son auteur l’ait donnée comme confidentielle ou pas »(4). Pour la Cour de cassation, le caractère secret de l’information ne réside pas tant dans son contenu que dans le fait qu’elle ait été communiquée à quelqu’un qui était astreint au secret(5).
Seuls les professionnels spécialement visés par un texte sont tenus au secret professionnel. Si la liste des professionnels qui y sont astreints de par leur mission ou fonction tend singulièrement à augmenter ces dernières années(6), il n’en reste pas moins que beaucoup n’y sont pas soumis.


II. L’obligation de discrétion

Les professionnels non expressément soumis au secret professionnel par une loi peuvent-ils révéler les informations dont ils auraient eu connaissance dans l’exercice de leurs fonctions ? A l’évidence il n’en est rien. Le droit diffère légèrement que l’on soit dans la fonction publique ou dans le secteur privé.

a. L’obligation de discrétion dans la fonction publique

[Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée, article 26, alinéa 2]
Les fonctionnaires « doivent faire preuve de discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. En dehors des cas expressément prévus par la réglementation en vigueur, notamment en matière de liberté d’accès aux documents administratifs, les fonctionnaires ne peuvent être déliés de cette obligation de discrétion professionnelle que par décision expresse de l’autorité dont ils dépendent. » Cette obligation de discrétion est donc plus large que le secret professionnel auquel ne sont tenus que les fonctionnaires expressément visés par une loi : l’ensemble des agents de l’administration sont tenus à une obligation de discrétion.

b. L’obligation de discrétion dans le secteur privé

Les professionnels des organismes de droit privé gestionnaires d’ESSMS sont eux aussi tenus à une obligation de discrétion, sans qu’un texte spécifique ne leur impose. Par rapport à la violation du secret professionnel, ce sont les sanctions qui diffèrent. D’une part, civilement, ce serait une atteinte à la vie privée qui est protégée de façon générale par l’article 9 du code civil et de façon spécifique pour les usagers des ESSMS par l’article L. 311-3, 1° et 4°, du code de l’action sociale et des familles : il serait possible de sanctionner cette atteinte par le versement de dommages-intérêts (cf. supra, chapitre 2). D’autre part, d’un point de vue disciplinaire, l’employeur peut sanctionner son salarié qui violerait son obligation de discrétion, commettant ainsi une faute professionnelle. Il n’y aura donc pas de sanctions pénales.
La loi de 2016 de modernisation de notre système de santé(7) est venue semer le trouble sur cette question. Elle prévoit en effet que « toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou un service, un professionnel ou un organisme concourant à la prévention ou aux soins (...), un professionnel du secteur médico-social ou social ou un établissement ou service social et médico-social mentionné au I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant » (C. santé. publ., art. L. 1110-4, I, al. 1er). Si certains estiment que cela signifie que désormais tous les professionnels du secteur médico-social sont tenus au secret professionnel(8), on peut aussi considérer que la loi a voulu rappeler que le patient avait droit « au respect de sa vie privée et des informations le concernant » (les termes de « secret professionnel » ne sont pas employés), avant d’organiser la façon dont les professionnels peuvent échanger entre eux ces informations à caractère secret. Il faudra donc attendre que la justice soit saisie afin de savoir dans quel sens la loi doit être interprétée.


B. LE PARTAGE D’INFORMATIONS À CARACTÈRE SECRET

De nombreuses lois sont venues ces dernières années organiser les conditions du partage d’informations à caractère secret : loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ; loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance ; loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé(9). Sans en reprendre le détail, on peut dégager des lignes de repères pour les professionnels du secteur social et médico-social, qu’ils aient été visés directement ou non par un texte légal encadrant ce partage. En matière de vie affective et sexuelle des personnes accompagnées, cela permet de placer un curseur engageant les professionnels à réfléchir à ce qu’ils partagent, pourquoi ils le font et comment ils transmettent des informations à caractère secret. C’est l’esprit de ces différentes lois que nous avons essayé de dégager ici (CASF, art. L. 226-2-2, pour la protection de l’enfance ; CASF, art. L. 345-2-10, pour les SIAO ; CASF, art. L. 345-1, pour les demandeurs d’asile ; CASF, art. L. 113-3, pour les MAIA ; C. santé. publ., art. L. 1110-4, pour le partage entre le sanitaire et le médico-social).
Il est possible de partager des informations à caractère secret entre professionnels :
  • si les informations confidentielles partagées sont nécessaires à la prise de décision, à la continuité des soins ou au suivi médico-social et social de l’intéressé ;
  • si le partage est limité à ce qui est strictement nécessaire à l’exercice de la mission ;
  • s’il est fait en direction de professionnels identifiés qui participent à la prise en charge de la personne ;
  • si la personne est avertie, voire a donné son consentement préalable au partage d’informations (elle peut s’y opposer).
C’est pour cette dernière condition que les dispositions législatives diffèrent le plus : d’une information préalable en protection de l’enfance (des parents, de l’enfant, selon son âge et son degré de maturité, sauf si l’information est contraire à l’intérêt de l’enfant) au nécessaire consentement préalable au partage d’informations notamment entre des professionnels ne faisant pas partie de la même équipe de soins(10). Si l’on comprend que la façon d’associer la personne varie d’un type d’accompagnement à un autre, on ne pourra qu’encourager les professionnels à expliquer aux personnes accompagnées pourquoi ils ont besoin d’échanger des informations et avec qui, et à rechercher leur consentement au partage. Comme le rappelle l’Anesm en matière de protection de l’enfance, le partage d’informations à caractère secret doit avant tout « servir l’intérêt de l’enfant »(11). Cette recommandation peut sans nul doute être retranscrite pour toutes les personnes accompagnées, quel que soit le secteur d’intervention.


C. LES INFORMATIONS QUI DOIVENT ÊTRE RÉVÉLÉES PAR LES PROFESSIONNELS

Si la confidentialité est l’un des éléments de base du travail social, il est des cas où les travailleurs sociaux peuvent, voire doivent, révéler des faits dont ils ont eu connaissance dans l’exercice de leurs fonctions, particulièrement lorsque ces faits ont trait à la vie affective et sexuelle de la personne et relèvent d’infractions pénales. Sans être exhaustif, nous aborderons ici la révélation de violences sexuelles et la dénonciation de crimes.


I. La révélation de violences sexuelles

La loi sanctionne de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende « le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives » (C. pén., art. 434-3, al. 1er). Les professionnels qui ont connaissance de telles atteintes doivent donc les signaler aux autorités compétentes. Avant 2016, cette obligation de signalement ne concernait que les mineurs de moins de 15 ans. Désormais, l’obligation vaut pour tous les mineurs victimes, quel que soit leur âge (loi n° 2016-297 du 14 mars 2016, art. 46). Concernant les majeurs vulnérables, l’article se montre plus restrictif que d’autres dispositions du code pénal : non précédée de l’adverbe « notamment », la liste doit être entendue de façon stricte, limitée aux vulnérabilités dues à l’âge ou à des raisons de santé physique ou mentale. Elle ne fait pas référence, par exemple, aux personnes en situation de vulnérabilité pour des raisons d’ordre socio-économique.
En revanche, si le professionnel est tenu au secret, et qu’il signale aux autorités judiciaires, médicales ou administratives des privations ou des sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou de mutilations sexuelles dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à des mineurs ou à des personnes qui n’étaient pas en mesure de se protéger en raison de leur âge ou de leur incapacité physique ou psychique, il ne pourra pas être poursuivi pour violation du secret professionnel (C. pén., art. 226-14, 1°) ni encourir de sanctions disciplinaires (C. pén., art. 226-14, al. 5), la loi prévoyant expressément que dans ces cas, l’article 226-13 du code pénal ne leur est pas applicable.
La Cour de cassation a ainsi eu à juger d’une affaire en 2010 où elle a confirmé la condamnation du directeur et du directeur adjoint d’une maison d’enfants à caractère social (MECS) à des peines de prison avec sursis (trois mois) pour non-dénonciation de mauvais traitements ou d’atteintes sexuelles sur mineur de moins de 15 ans. En l’espèce, les deux cadres estimaient « qu’il n’y [avait] pas eu de faits avérés d’agression sexuelle sur la personne de Loïc... ou tout au moins d’élément intentionnel dans la mesure où il résultait de leur enquête interne que les agissements avaient été stoppés à temps par l’éducatrice ». La Cour rejette leur pourvoi en estimant que, même si les mauvais traitements ont cessé, les autorités doivent être alertées, ajoutant qu’il n’appartient qu’à la justice de décider si des faits sont constitutifs ou non d’une agression sexuelle : ce n’est pas aux professionnels de l’établissement d’établir ou non l’infraction. A fortiori, la Cour de cassation relève qu’« il ne s’agit pas, en l’espèce, d’une simple négligence blâmable mais davantage d’une volonté de dissimuler les actes reprochés aux deux mineurs, Christopher B. et Kévin A., pour lesquels ils ont été ensuite déclarés coupables, cela étant dans le contexte où la MECS Les Ecureuils avait déjà été “montrée du doigtÍ par la justice, un viol entre mineurs ayant été commis dans les locaux, l’instruction de la présente affaire ayant en outre mis en évidence de graves lacunes, voire même un véritable déni des responsables dans la gestion des situations de violence et l’appréciation de leur gravité prenant le parti d’étouffer l’affaire en se substituant, de façon délibérée, illégitimement à l’autorité judiciaire (…) »(12).


II. La dénonciation de crimes

La loi punit de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende « le fait pour quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives » (C. pén., art. 434-1, al. 1er).
Cette obligation n’est pas applicable (ils peuvent signaler mais ne sont pas obligés de le faire) :
  • aux parents en ligne directe et leurs conjoints, aux frères et soeurs et leurs conjoints, et aux conjoints ou concubins de l’auteur ou du complice du crime (C. pén., art. 434-1, al. 2) ;
  • aux personnes astreintes au secret professionnel (C. pén., art. 434-1, al. 3).
Et la possibilité d’informer les autorités redevient une obligation pour les membres de la famille et les personnes tenues au secret lorsque la victime est mineure, soit une exception à l’exception (C. pén., art. 434-3).


(1)
Pour une vue complète sur la question, cf. Lhuillier J.-M., « Le secret professionnel des acteurs du travail social », Les numéros juridiques ASH, juin 2014.


(2)
Cornu G. (dir.), Vocabulaire juridique, PUF, coll. Quadrige, 11e éd., 2016.


(3)
Cass. crim., 28 octobre 2008, n° 08-81432.


(4)
Lhuillier J.-M., « Le secret professionnel des acteurs du travail social », préc., p. 22.


(5)
Cf. par exemple : Cass. crim., 9 octobre 1978, n° 76-92075, Bull. crim. n° 263 ; Cass. crim., 26 octobre 1995, n° 94-84858, Bull. crim., n° 328.


(6)
Cf. en ce sens la loi « ALUR » de 2014 (loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, JO du 25-03-14) qui prévoit que les professionnels amenés à intervenir dans l’évaluation et l’orientation des personnes ayant recours au dispositif « service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) sont tenus au secret professionnel ; la loi de 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes (loi n° 2014-873 du 4 août 2014, JO du 5-08-14) qui prévoit que les professionnels de centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) sont tenus au secret professionnel ; la loi de 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement (loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015, JO du 29-12-15) qui prévoit que les professionnels prenant en charge une personne âgée dans le cadre des MAIA (méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie) sont tenus au secret professionnel.


(7)
Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, JO du 27-01-16, modifiée par l’ordonnance n° 2017-31 du 12 janvier 2017, art. 5, JO du 13-01-17.


(8)
Cf. par exemple : Verdier P., « Le secret professionnel existe-t-il encore ? », Journal du droit des jeunes, 2016, n° 351-352, p. 39.


(9)
Cf. Lhuillier J.-M., « Le secret professionnel des acteurs du travail social », préc., p. 59 à 66.


(10)
Décret n° 2016-1349 du 10 octobre 2016, JO du 12-10-16.


(11)
Anesm, « Le partage d’informations à caractère secret en protection de l’enfance », Recommandations de bonnes pratiques professionnelles, décembre 2010.


(12)
Cass. crim., 17 mars 2010, n° 09-85670.

SECTION 2 - PRENDRE EN COMPTE LA VIE AFFECTIVE ET SEXUELLE DANS LES ESSMS

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