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La répartition des compétences entre les autorités administratives et judiciaires

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Comprendre la répartition des compétences administratives et judiciaires nécessite de s’intéresser, d’une part, aux notions de danger et de risque de danger et, d’autre part, aux conditions particulières de saisine du juge des enfants par le président du conseil départemental.


A. LES NOTIONS DE DANGER ET DE RISQUE DE DANGER

Les compétences administratives et judiciaires s’articulent d’abord autour des notions de danger et de risque de danger.
L’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles qui fonde l’action des services de l’aide sociale à l’enfance et l’article 375 du code civil qui définit l’assistance éducative proposent des définitions relativement proches des enfants concernés par les mesures administratives et judiciaires.
Selon l’article L. 221-1, 1° du code de l’action sociale et des familles, le service départemental de l’aide sociale à l’enfance est chargé d’« apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l’autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social ».
Selon l’article 375 du code civil, le juge des enfants peut-être saisi « si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ».
La lecture de ces deux articles met en évidence la porosité des frontières entre les actions administratives et judiciaires. Une différence néanmoins existe puisque l’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles fait référence à un risque de danger alors que l’article 375 du code civil semble conditionner l’intervention du juge des enfants à un danger caractérisé. En pratique, cette distinction n’est pas toujours opérante car les frontières entre un danger et un risque de danger pour le développement de l’enfant sont souvent difficiles à définir.


B. LES CONDITIONS DE SAISINE DU JUGE DES ENFANTS PAR LE PRÉSIDENT DU CONSEIL DÉPARTEMENTAL

Alors que les parents, le tuteur, la personne à qui l’enfant est confié et le mineur lui-même peuvent saisir directement le juge des enfants, le président du conseil départemental ne bénéficie pas de la même faculté. L’article L. 226-4 du code de l’action sociale et des familles pose des conditions supplémentaires à la saisine du juge des enfants par le département.
Cet article a fait l’objet de plusieurs réformes depuis la fin des années 1990, qui seront analysées successivement.


I. La loi du 10 juillet 1989

La loi du 10 juillet 1989 (1) insiste d’abord sur « la prévention des mauvais traitements » et « la protection des enfants maltraités ». Le terme de « maltraitance » est alors préféré par le législateur à celui de « danger » pour fonder le dispositif de protection de l’enfance. Il s’agit de mettre en évidence le comportement fautif des parents à l’égard de l’enfant, et la nécessité d’intervenir au sein de la sphère familiale. Ainsi, l’article 69 du code de la famille et de l’aide sociale – qui deviendra l’article L. 226-4 du code de l’action sociale et des familles – stipule, à l’époque, que le président du conseil général est dans l’obligation d’aviser sans délai l’autorité judiciaire « lorsqu’un mineur est victime de mauvais traitements ou lorsqu’il est présumé l’être, et qu’il est impossible d’évaluer la situation ou que la famille refuse manifestement d’accepter l’intervention du service de l’aide sociale à l’enfance ». La mise en œuvre de cet article fait l’objet d’une interprétation particulièrement souple ; ainsi le service de l’aide sociale à l’enfance saisissait le juge des enfants non seulement en cas de mauvais traitements, mais aussi en dehors de toute maltraitance lorsqu’il considérait l’enfant en danger.


II. La loi du 5 mars 2007

La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance prend acte de cette situation et modifie l’article L. 226-4 du code de l’action sociale et des familles. Le législateur estime que la saisine quasi systématique du juge des enfants nuit à la pertinence du dispositif de protection de l’enfance. La saisine immédiate du juge des enfants ne permettrait pas en effet aux services administratifs d’intervenir en recherchant l’accord des parents aux mesures proposées. Le législateur remplace alors la notion de mauvais traitements par celle de danger ou de risque de danger. En outre, il limite les possibilités de saisine du juge des enfants par le président du conseil général (aujourd’hui conseil départemental). L’article L. 226-4 du code de l’action sociale et des familles modifié dispose que le président du conseil général avise sans délai le procureur de la République lorsqu’un mineur est en danger au sens de l’article 375 du code civil, mais ajoute à ce premier élément plusieurs conditions. Le texte impose en effet :
  • que l’enfant ait déjà fait l’objet d’une ou de plusieurs actions administratives, et que celles-ci n’aient pas permis de remédier à la situation de danger qu’il encoure ;
  • que, bien que l’enfant n’ait fait l’objet d’aucune de ces actions, elles ne peuvent être mises en place en raison du refus de la famille face à l’intervention du service de l’aide sociale à l’enfance ou de l’impossibilité dans laquelle elle se trouve de collaborer avec ce service ;
  • ou encore, en cas de présomption de situation de danger, qu’il soit impossible d’évaluer cette situation.
Autrement dit, pour saisir le juge des enfants, le service de l’aide sociale à l’enfant doit désormais faire la preuve que les parents ont refusé de collaborer à l’action proposée par les services administratifs (soit dès le cadre de l’évaluation, soit plus tard après la mise en place de plusieurs mesures administratives n’ayant pas permis de faire évoluer la situation). Le procureur de la République joue depuis cette date un rôle nouveau. Le service départemental de l’aide sociale à l’enfance ne saisit plus directement le juge des enfants mais doit désormais motiver sa demande auprès du procureur de la République qui en appréciera la recevabilité et décidera de saisir ou non le juge des enfants.
En pratique, la formulation de cet article a fait l’objet de très nombreuses critiques. Certains auteurs évoquent la mise en place d’un principe de subsidiarité de l’action judiciaire qui conduit à retarder la saisine du juge des enfants dans des situations au sein desquelles l’enfant encoure pourtant un réel danger (2). Par ailleurs, cette disposition ne permettrait pas de se prémunir contre un accord de « façade » des parents, et une collaboration biaisée avec les services. Enfin, en remplaçant la notion de maltraitance par celle de danger, la loi ne permettrait plus une frontière claire entre les situations qui relèvent de la justice et celles qui relèvent de la compétence administrative. En effet, une interprétation littérale du texte conduit à considérer que l’enfant peut être en danger, voire maltraité, sans que le juge des enfants ne soit saisi. En pratique, cependant, certains protocoles départementaux conclus entre les services de l’aide sociale à l’enfance et l’autorité judiciaire prévoient l’obligation pour les services d’aviser sans délai le procureur de la République dans les hypothèses où l’enfant encourt un danger grave et immédiat, bien que la loi n’en fasse pas mention.


III. La loi du 14 mars 2016

La loi du 14 mars 2016 réformant la protection de l’enfant prend en compte ces différentes critiques à l’encontre du dispositif. Ainsi, aux termes de l’actuel article L. 226-4 du code de l’action sociale et des familles, le président du conseil départemental doit également aviser sans délai le procureur de la République aux fins de saisine du juge des enfants « lorsqu’un mineur est en danger au sens de l’article 375 du code civil et que ce danger est grave et immédiat, notamment dans les situations de maltraitance ». Ainsi, la loi revient sur le principe de subsidiarité en considérant que lorsque l’enfant encourt un danger grave et immédiat, en citant explicitement l’hypothèse de maltraitance, le juge des enfants est seul compétent pour connaître de ces situations. La loi du 14 mars 2016 ne revient pas, en revanche, sur le rôle clé du procureur de la République chargé de s’assurer que les conditions de saisine du juge des enfants sont remplies. Dans ce cadre, la principale question est alors de savoir comment la notion de danger grave et immédiat sera définie par l’autorité judiciaire et dans quelle mesure le département apportera la preuve de ce danger.


(1)
Loi n° 89-487 du 10 juillet 1989, JO du 14-07-89.


(2)
Sur cette question, cf. Capelier F., Comprendre la protection de l’enfance, l’enfant en danger face au droit, Dunod, 2015.

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