Certains auteurs soulignent l’importance des violences subies par les enfants confiés au service de l’aide sociale à l’enfance. La quantification de ce phénomène est aujourd’hui peu précise, et les études existantes sont controversées.
Quel que soit leur nombre, ces situations posent des questions liées à leur repérage, à la protection des enfants victimes mais aussi à leur accompagnement tout au long de la procédure judiciaire.
En France, il faut attendre la loi de 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs (1) pour voir apparaître les premières dispositions ciblées en direction des mineurs victimes d’infractions pénales.
Cette loi permet d’abord la désignation d’un administrateur ad hoc en matière pénale. L’article 706-50 du code de procédure pénale dispose ainsi que « le procureur de la République ou le juge d’instruction, saisi de faits commis volontairement à l’encontre d’un mineur, désigne un administrateur ad hoc lorsque la protection des intérêts de celui-ci n’est pas complètement assurée par ses représentants légaux ou par l’un d’entre eux ». Cet administrateur ad hoc représente l’enfant en justice et peut, le cas échéant, se porter partie civile au nom de celui-ci dans le cadre du procès pénal, afin d’obtenir des dommages et intérêts. Il peut également désigner un avocat d’office pour le mineur, s’il n’en a pas déjà été choisi un. Cette disposition est essentielle, notamment pour les enfants victimes de violences intrafamiliales. En effet, dans ces situations, le(s) parent(s) ne sont pas toujours en mesure de protéger l’enfant en raison des conflits d’intérêts dans lesquels ils sont impliqués.
En outre, la loi de 1998 prévoit pour la première fois que lorsque le mineur est victime d’infractions de nature sexuelle (mentionnées à l’article 706-47 du code de procédure pénale) son audition puisse faire l’objet d’un enregistrement audiovisuel. Cette disposition a été renforcée par la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale. L’article 706-52 du code de procédure pénale déclare en effet que, au cours de l’enquête, l’enregistrement audiovisuel du mineur victime est obligatoire lors de son audition. Il peut être exclusivement sonore lorsque l’intérêt du mineur le justifie. Sur décision du juge d’instruction, l’enregistrement pourra être visionné ou écouté au cours de la procédure. Il s’agit d’éviter que l’enfant réexplique à plusieurs reprises ce qui lui est arrivé, réveillant ainsi les traumatismes dont il a souffert. Cependant, cette disposition ne sera efficace que si et seulement si l’audition réalisée est complète et de qualité. Dans le cas contraire, l’enfant pourra à nouveau être auditionné.
L’Observatoire national de l’enfance en danger a publié en 2014 un rapport intitulé « Considérer la parole de l’enfant victime » (2). Ce rapport s’intéresse au fonctionnement des unités d’accueil médico-judiciaire (UAMJ) qui se développent en France et dont la création est accompagnée par l’association la Voix de l’enfant. Ces lieux visent à recueillir la parole des enfants victimes de manière aussi satisfaisante que possible en respectant, d’une part, les exigences de la procédure pénale et, d’autre part, l’intérêt supérieur de l’enfant. Les premiers lieux de ce type apparaissent à la fin des années 1990 avec pour objectif principal d’améliorer la qualité de l’enregistrement audiovisuel prévu par la loi de 1998.
L’étude de l’ONED montre que ces services sont aujourd’hui d’une grande diversité structurelle et organisationnelle. Ils ont en revanche pour objectif commun de mettre en place « une unité de temps, de lieu et d’action dans la recherche de la vérité judiciaire afin de mieux respecter l’intérêt de l’enfant » (3). Ces lieux permettent ainsi un travail pluri-institutionnel et pluridisciplinaire associant les policiers chargés de l’enquête, des médecins (pédiatrie et médecine légale), des travailleurs sociaux mais aussi des psychologues ou encore des puéricultrices. Cette organisation doit favoriser une audition de l’enfant de qualité en respectant les règles de procédure pénale et la réalisation des examens médicaux nécessaires à l’établissement de la preuve de l’infraction. Par ailleurs, elle permet de considérer l’enfant avant tout comme un enfant en danger en prenant, le cas échéant, les mesures utiles pour le protéger (réalisation d’une information préoccupante, saisine du juge des enfants, etc.). L’ONED recommande ainsi de « donner une existence légale aux UAMJ, notamment pour en garantir la pérennité tant fonctionnelle que financière », et « d’étendre la compétence des UAMJ à l’ensemble des mineurs victimes de maltraitance (violences physiques, violences psychologiques, négligences graves et enfants exposés aux violences conjugales) » (4).
Parallèlement, la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant permet la saisine immédiate du juge des enfants en cas de « danger grave et immédiat, notamment dans les situations de maltraitance » (CASF, art. L. 226-4). Cette disposition doit permettre de porter une attention particulière aux enfants victimes de violences en leur assurant une protection judiciaire adaptée. Dans ces situations, le juge des enfants est régulièrement saisi en matière civile avec pour premier objectif de protéger l’enfant en danger au sein de sa famille. L’information du procureur de la République afin d’engager des poursuites pénales contre l’auteur des violences est en revanche beaucoup plus rare. Or, il est important que la protection civile de l’enfant n’efface par la nécessité de procédures pénales à l’encontre des adultes qui auraient enfreint la loi.
Toujours dans l’idée que l’enfant soit reconnu en tant que victime, la loi consacre l’existence de l’inceste et modifie à ce titre plusieurs dispositions du code pénal. Les infractions dites « incestueuses » sont définies comme celles commises sur un mineur par un ascendant, un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ou encore le conjoint, le concubin ou le partenaire d’une de ces personnes dès lors qu’elle a une autorité de droit ou de fait sur l’enfant (C. pén., art. 222-31-1). Cet ajout s’appuie sur une conception moderne de la famille considérant que l’inceste ne se limite pas à l’existence d’un lien de sang entre l’enfant et l’auteur de l’infraction, mais peut s’étendre aux beaux-parents de l’enfant.
Parmi l’ensemble des enfants victimes de violences, certains sont exposés à des violences conjugales. En 2012, une étude de l’Observatoire national de l’enfance en danger mettait en évidence la nécessité de mieux appréhender ces situations. Cette étude fait en effet remarquer que « les services de protection de l’enfance ayant identifié une situation de violence conjugale peuvent éprouver des difficultés à travailler cette problématique dans le cadre de leur intervention, considérant qu’elle relève de l’intimité du couple, tandis que le mandat de protection de l’enfance ciblerait exclusivement la relation parent-enfant » (5). Pourtant de nombreux enfants souffrent de ces situations et peuvent parfois encourir un danger réel en raison de ces conflits conjugaux. Le rapport souligne la nécessité de prendre en compte le syndrome de stress post-traumatique que l’enfant peut présenter. Pour l’ONED, la théorie de l’attachement « est un outil essentiel » pour mieux comprendre les comportements des enfants exposés à des violences conjugales. Comme le note l’étude, elle constitue une clé de compréhension : « En situation de violence conjugale, la figure d’attachement paternelle se montre à la fois imprévisible, inquiétante et risquant de devenir hostile, voire de rejeter l’enfant, tandis que la figure d’attachement maternelle peut faire preuve d’une sensibilité et d’une disponibilité réduites, se trouvant en difficulté pour répondre de manière adaptée aux besoins de l’enfant. Adopter un positionnement protecteur vis-à-vis de l’enfant passera, en sus de l’intervention dans la réalité du système familial, par des actions lui permettant d’acquérir un sentiment de sécurité (6). » En effet, l’exposition de l’enfant à des violences conjugales risque d’altérer son développement et justifie une prise en compte spécifique de ces problématiques par les professionnels de la prévention et de la protection de l’enfance.
L’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (Enveff), commanditée par le secrétariat d’Etat au droit des femmes et réalisée par téléphone de mars à juillet 2000 auprès d’un échantillon représentatif de 6 970 femmes âgées de 20 à 59 ans, appelle l’attention des pouvoirs publics sur les adultes victimes de violences conjugales. Cette étude n’évoque pas la question des enfants victimes de violences, mais elle donne une première visibilité sur ce sujet. Cette enquête sera bientôt complétée par l’enquête Virage menée par l’INED, qui doit permettre d’améliorer la connaissance statistique de ce phénomène en France. Il s’agit d’une étude quantitative d’envergure, concernant 35 000 personnes (17 500 femmes et 17 500 hommes) âgées de 20 à 69 ans. Cette seconde enquête vise à mieux cerner la situation des enfants dans les contextes de violences conjugales (7). Les chiffres disponibles sont aujourd’hui relativement réduits. Néanmoins, on peut penser que de nombreux enfants sont concernés. Selon le ministère du Droit des femmes, 223 000 femmes se déclarent victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint sur une année (8). 80 000 hommes se disent également victimes de violences conjugales. Seule une minorité de ces victimes portent plainte. En outre, si les chiffres sur le nombre d’enfants exposés à des violences conjugales ne sont pas disponibles, le ministère du Droit des femmes affirme que, sur l’année 2014, 35 enfants sont décédés, 14 enfants étaient présents au domicile lors de l’homicide commis par un de leur parent sur l’autre parent, et 110 enfants se sont retrouvés orphelins de père ou de mère en raison de cet homicide.
Souvent, les violences subies au sein du domicile familial constituent des infractions qui peuvent faire l’objet d’un dépôt de plainte et de poursuites pénales ; néanmoins, les victimes utilisent rarement les voies de recours à leur disposition. Se pose alors la question de la protection de l’enfant exposé à des violences conjugales. L’intervention du juge des enfants et la mise en œuvre d’un placement suffisent-elles à protéger l’enfant ? Doit-on s’interroger sur la mise en place d’un statut juridique différent visant à retirer les attributs de l’autorité parentale au(x) parent(s) coupable(s) de violences ? Par ailleurs, la reconnaissance de l’enfant comme une victime, en insistant sur la réparation et l’indemnisation des dommages qu’il a subis, doit-elle être une priorité ou au contraire être fonction de chaque situation ? Aujourd’hui, les pratiques sont très disparates et la loi ne fixe pas un cadre juridique précis. En effet, en parlant d’enfants en danger sans distinguer clairement les enfants souffrant de négligences et ceux victimes de mauvais traitements, le droit ne permet pas toujours de penser ces questions et d’arrêter une position claire sur l’articulation des procédures civiles et pénales susceptibles d’être engagées pour protéger l’enfant, mais aussi pour punir la personne coupable de l’infraction.
En février 2017, un plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants a été lancé (9). Ce plan inédit répond à une des recommandations du Comité des droits de l’enfant des Nations unies qui dans son dernier rapport demande à l’Etat français « d’accélérer l’adoption d’une stratégie globale visant à prévenir et combattre toutes les formes de violence à l’égard des enfants, dans le cadre de la politique générale de protection de l’enfance » (10).
Le plan interministériel adopté par la France est très critique sur la situation actuelle et évoque dès son introduction, « un déni collectif face aux violences faites aux enfants, renforcé par l’absence de données statistiques ». Le plan ajoute qu’« aujourd’hui, il est impossible de déterminer précisément le nombre d’enfants tués à la suite de violences intrafamiliales ou de parents condamnés pour ces crimes. En outre, tous les experts s’accordent à dire que les chiffres à notre disposition sont largement sous-estimés. […] Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près d’un quart des adultes aurait subi des violences physiques dans leur enfance » (11).
A partir de ce constat, le plan propose plusieurs mesures associant à la fois les autorités nationales et locales mais aussi différents secteurs (social, sanitaire, éducation nationale, justice, etc.). Cet angle interministériel a pour avantage non négligeable de proposer une approche globale en direction des enfants victimes de violences. Les mesures sont ainsi particulièrement diversifiées allant d’actions de soutien à la parentalité visant à prévenir (autant que possible) des passages à l’acte violents des parents sur l’enfant, à des modalités de prise en charge repensées pour l’enfant victime en améliorant notamment le recueil de sa parole (en développant par exemple les structures type UAMJ précitées, mesure 16 du plan) en passant par l’accès de l’enfant à une prise en charge médicale adaptée (mesures 18 à 20 du plan). Bien sûr, les services de l’aide sociale à l’enfance sont concernés par de nombreuses dispositions non seulement pour assurer un meilleur repérage des enfants victimes de violences, mais aussi pour développer une analyse plus fine de ces situations. Le plan fait également un certain nombre de propositions en matière de formation permettant d’améliorer la connaissance partagée des professionnels autour de ces situations.
(1)
Loi n° 98-468 du 17 juin 1998, modifiée.
(2)
Fourcade C., « Considérer la parole de l’enfant victime. Etude des unités d’accueil médico-judiciaire », ONED, mai 2014.
(3)
Fourcade C., « Considérer la parole de l’enfant victime. Etude des unités d’accueil médico-judiciaire », préc. p. 6.
(4)
Fourcade C., « Considérer la parole de l’enfant victime. Etude des unités d’accueil médico-judiciaire », préc. p. 76.
(5)
Séverac N., « Les enfants exposés à la violence conjugale », Recherches et pratiques, rapport d’étude, ONED, décembre 2012, p. 5.
(6)
Séverac N., « Les enfants exposés à la violence conjugale », préc., p. 15.
(7)
L’ensemble des enquêtes dont il est fait mention sont disponibles sur le site du gouvernement http://stop-violences-femmes.gouv.fr/Pour-aller-plus-loin.html
(8)
Chiffres-clés, Edition 2016, « Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes », www.familles-enfance-droitsdesfemmes.gouv.fr/wp-content/uploads/2016/03/25812-DICOM-CC-2016_B_bd1.pdf
(9)
Plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants 2017-2019, disponible sur www.familles-enfance-droitsdesfemmes.gouv.fr/wp-content/uploads/2017/02/ PlanVIOLENCES_-ENFANTS_2017-2019.pdf
(10)
« Concluding observations on the fifth report of France, « Committee on the rights of the child », 29 janvier 2016, recommandation 43, disponible en anglais sur http://goo.gl/5F6K5k
(11)
Plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants 2017-2019, p. 4.