Certains enfants pris en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance sont également en situation de handicap. Il est alors nécessaire de trouver une articulation entre les services compétents au titre de la protection de l’enfance, qui doivent pouvoir assurer l’hébergement de l’enfant et sa prise en charge éducative, et les services compétents en matière de handicap, à savoir la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), l’agence régionale de santé, mais aussi et surtout les services hospitaliers, de soins ambulatoires, ainsi que les établissements médico-sociaux (principalement les structures dédiées aux enfants handicapés telles que les instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques [ITEP], les instituts médico-éducatifs [IME], les services d’éducation spéciale et de soins à domicile [SESSAD], etc.).
A. LA DÉFINITION JURIDIQUE DU HANDICAP
La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées donne une définition juridique très large du handicap. Selon l’article L. 114 du code de l’action sociale et des familles, constitue un handicap « toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ». Dans le champ de la protection de l’enfance, la frontière entre le handicap psychique et la grande souffrance psychologique de certains enfants est particulièrement fine. En pratique, le risque est alors celui de requalifier en handicap des situations dans lesquelles les enfants sont en grande souffrance, avec l’idée qu’un accompagnement sur le plan médico-social serait plus pertinent, ce qui n’est pas toujours le cas.
Dans d’autres situations, le handicap de l’enfant ne fait l’objet d’aucun doute et il est alors nécessaire de mobiliser les services spécialisés dans ce domaine.
B. LE DROIT À LA COMPENSATION DES CONSÉQUENCES D’UN HANDICAP
L’article L. 114-1-1 du code de l’action sociale et des familles institue pour toute personne handicapée un« droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l’origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie ». L’enfant en situation de handicap bénéficie de ce droit. Il convient alors de répondre à ses besoins « qu’il s’agisse de l’accueil de la petite enfance, de la scolarité, de l’enseignement, de l’éducation, de l’insertion professionnelle, des aménagements du domicile ». Le texte prévoit que les réponses apportées aux besoins des personnes handicapées sont formalisées au sein d’un plan personnalisé de compensation qui prend en compte les besoins et les aspirations de la personne. Lorsque l’enfant est mineur, ce plan est élaboré avec son représentant légal.
En la matière, la maison départementale des personnes handicapées joue un rôle central. Selon l’article L. 146-3 du code de l’action sociale et des familles, ce lieu constitue l’accès unique aux droits et prestations alloués aux personnes handicapées. Dans ce cadre, la MDPH doit assurer l’évaluation des demandes et l’attribution des aides. Le législateur insiste sur sa mission d’accueil, d’information et d’accompagnement des personnes handicapées et de leur famille. La loi encourage ainsi une évolution des pratiques afin d’assurer un suivi aussi personnalisé que possible à toute personne handicapée. Après évaluation de la situation de l’enfant, la MDPH doit donc mettre en place un projet personnalisé pour l’enfant qui peut conduire à l’allocation d’aides financières (à titre principal, l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé [C. séc. soc., art. L. 541-1 à L. 541-4] et, dans certaines conditions, la prestation de compensation du handicap [CASF, art. L. 245-1 à L. 245-14]), mais aussi à la notification d’une orientation vers un service ou un établissement médico-social adapté à ses besoins. Ces établissements sont tarifés et contrôlés par l’agence régionale de santé.
Dans certains départements, des commissions partenariales ont été mises en place pour examiner les situations d’enfants relevant à la fois de la protection de l’enfance et du secteur médico-social au titre d’un handicap. Ces commissions doivent permettre une analyse partagée des situations entre la MDPH, l’agence régionale de santé (ARS) et les services relevant de la protection de l’enfance. Cependant, en pratique, le manque de places aujourd’hui disponibles peut conduire, au-delà des besoins identifiés pour l’enfant, à une orientation vers une structure choisie par défaut.
C. LA RESPONSABILITÉ PARTAGÉE DES INSTITUTIONS A L’ÉGARD DES ENFANTS HANDICAPÉS
La protection des enfants qui sont à la fois en danger et en situation de handicap nécessite l’intervention conjointe de plusieurs services et entraîne donc une responsabilité partagée entre les acteurs. Ainsi, le projet personnalisé pour l’enfant élaboré par les services de l’aide sociale à l’enfance devra s’articuler avec le plan personnalisé de compensation mis en place par la MDPH. En outre, si l’enfant est pris en charge par plusieurs établissements, par exemple un ITEP en journée et un établissement de protection de l’enfance la nuit et les week-ends, les contrats de séjour ou documents individuels de prise en charge de chacune des structures devront en principe partager des objectifs communs, afin de garantir la cohérence de la prise en charge.
Enfin, lorsque ces projets partagés sont mis en place, des questions très techniques peuvent se poser, comme la prise en charge financière des transports de l’enfant d’un lieu à l’autre. En ce qui concerne les enfants handicapés, le transport se fait le plus souvent en taxis et peut représenter sur une année des sommes considérables. En la matière, il existe trois types de prise en charge : les transports dits « sanitaires » remboursés sous certaines conditions par l’assurance maladie (C. santé publ., art. L. 6312-1 à L. 6312-5 et L. 6313-1) ; les transports vers les établissements scolaires et universitaires remboursés par le syndicat des transports en Ile-de-France (STIF) (C. éduc., art. L. 213-11 ; C. transports, art. L. 3111-7 à L. 3111-10) ; les transports mis en œuvre au titre de l’aide sociale à l’enfance. Il n’existe pas de réglementation spécifique sur le financement de cette dernière catégorie de transports, notamment en ce qui concerne les trajets entre l’établissement qui accueille l’enfant et le domicile des parents, ou encore entre ce même établissement et l’établissement spécialisé (médico-social) qui reçoit le jeune en journée (type ITEP ou IME). En l’absence de règles juridiques précises, les pratiques départementales sont variées. De manière exceptionnelle, certains conseils départementaux financent ces différents trajets. Néanmoins, dans la majorité des situations, les frais de transport engendrés par la prise en charge du jeune donnent lieu à des discussions entre institutions qui peuvent nuire à l’usager, voire retarder la mise en place d’un projet global et adapté.
Ce sujet a fait l’objet d’un rapport du Défenseur des droits (1) dans lequel il souligne la situation particulièrement difficile de ces enfants qui relèvent à la fois des politiques publiques de protection de l’enfance et de celles du handicap. Selon ce rapport, 70 000 enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance seraient porteurs d’un handicap reconnu par la MDPH. Ces enfants, dont la nature et la lourdeur du handicap varient, seraient dans des situations très hétérogènes. Parmi les douze recommandations du Défenseur des droits, certaines insistent sur le développement de l’offre de services, dans le domaine des soins psychiatriques, mais aussi sur la création de places en établissements spécialisés doublée d’équipes mobiles, sanitaires et médico-sociales qui puissent venir en appui des structures et des familles d’accueil de l’aide sociale à l’enfance. En outre, le Défenseur des droits met en évidence les difficultés d’accès aux soins de ces enfants et considère que « la dimension « santé » apparaît insuffisamment prise en compte dans l’organisation des services de l’ASE ».
D. LA SANTÉ DES ENFANTS SUIVIS AU TITRE DE L’AIDE SOCIALE À L’ENFANCE
Au-delà des situations de handicap, il convient de s’intéresser plus globalement à la manière dont la santé des enfants est prise en compte dans les services de l’aide sociale à l’enfance. Certains jeunes sont en effet dans des situations de grande souffrance psychique (en dehors de toute situation de handicap). Par ailleurs, mises à part ces difficultés, il est essentiel que l’enfant qui bénéficie d’une mesure de protection de l’enfance ait accès à un suivi médical régulier. La loi du 14 mars 2016 cherche à ce titre à renforcer les liens entre les secteurs sociaux, éducatifs et sanitaires. Elle créé ainsi un médecin référent « protection de l’enfance » au sein des services départementaux (CASF, art. L. 221-2). Ce médecin contribue au repérage des enfants en danger et à l’articulation entre les services départementaux et la PMI, les médecins libéraux et hospitaliers… Ce professionnel est également présenté comme « un interlocuteur départemental en matière de protection de l’enfance pour les médecins libéraux, hospitaliers ou de santé scolaire » (CASF, art. D. 221-25). La loi présente la santé de l’enfant comme un axe de l’évaluation des situations en protection de l’enfance. Le décret du 28 octobre 2016 déclare ainsi que l’équipe en charge de l’évaluation préoccupante doit recueillir l’avis des professionnels qui connaissent le mineur dans son quotidien, notamment dans le cadre des soins. En outre, le texte ajoute que « lorsque l’évaluation en cours fait apparaître une problématique spécifique, relevant éventuellement du handicap, et nécessite d’être complétée, l’équipe pluridisciplinaire […] recourt à des experts ou des services spécialisés » (CASF, art. D. 226-2-5).
La santé de l’enfant est aussi considérée par le projet pour l’enfant et par les rapports de situation régulièrement produits. La loi prévoit en effet que le service élabore au moins une fois par an, ou tous les six mois pour les enfants âgés de moins de 2 ans, un rapport qui porte notamment sur la santé physique et psychique des enfants (CASF, art. L. 223-5).
Ces différents éléments visent à améliorer la qualité de la prise en charge afin d’assurer le développement de l’enfant non seulement sur le plan psychique et affectif, mais aussi en considérant son état de santé et en assurant un accès aux soins adapté à ses besoins.
(1)
Défenseur des droits, « Handicap et protection de l’enfance : des droits pour des enfants invisibles », novembre 2015, consultable sur www.defenseurdesdroits.fr