Une partie des jeunes pris en charge au titre de la protection de l’enfance sont des mineurs non accompagnés. Ces enfants sont désignés par le code de l’action sociale et des familles sous le terme de « mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille » (CASF, art. L. 112-3). La jurisprudence apprécie à la fois la situation juridique de ces mineurs qui sont étrangers, leur minorité mais aussi leur isolement, c’est-à-dire l’absence des titulaires de l’autorité parentale sur le territoire français (1).
La reconnaissance de l’enfant comme mineur isolé étranger n’a rien d’évident et croise nécessairement des enjeux liés aux flux migratoires. Avant d’être confié à l’aide sociale à l’enfance, le jeune est ainsi soumis à une évaluation qui vise à caractériser sa minorité et son isolement.
A. LE MINEUR ISOLÉ ÉTRANGER, ENJEU DE DÉFINITION
La loi ne mentionne pas le terme de « mineurs isolés étrangers » mais de « mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ». Cette périphrase met en évidence toute la difficulté d’évoquer la situation de ces mineurs étrangers sans les stigmatiser.
L’arrêté du 17 novembre 2016 relatif aux modalités de l’évaluation (2) donne, pour la première fois, une définition précise du critère d’isolement. En effet, si la minorité est une notion relativement claire en droit – qualification d’une personne qui n’a pas atteint l’âge de 18 ans – l’isolement, en revanche, est plus difficile à apprécier. Selon l’article premier de l’arrêté, « la personne est considérée comme isolée lorsque aucune personne majeure n’en est responsable légalement sur le territoire national ou ne le prend effectivement en charge et ne montre sa volonté de se voir durablement confier l’enfant, notamment en saisissant le juge compétent. Afin de faire obstacle à toute exploitation ou emprise, une attention particulière doit être portée quant aux motivations de cette personne qui doit agir dans l’intérêt exclusif de l’enfant. Le fait qu’un mineur ne soit pas considéré comme isolé ne l’empêche pas de bénéficier des dispositifs de protection de l’enfance ».
Ce texte réglementaire est important à plus d’un titre. Il affirme d’abord que l’isolement s’apprécie de manière objective lorsque le mineur apparaît seul sur le territoire français, mais aussi de manière plus subjective. Ainsi, un mineur accompagné d’un adulte peut être considéré comme isolé si cet adulte n’a pas la volonté d’assurer la charge effective de l’enfant en saisissant le juge compétent. Comme le texte le précise, il s’agit ici de se prémunir contre une interprétation qui consisterait à considérer les mineurs victimes d’exploitation et d’emprise comme ne relevant pas du dispositif de protection de l’enfance.
Par ailleurs, le texte rappelle que les mineurs accompagnés de leur famille peuvent également relever du dispositif de protection de l’enfance chaque fois qu’ils sont en danger ou en risque de l’être au sein de leur environnement familial.
Une fois pris en charge, ces enfants appellent une vigilance spécifique à la fois au regard de la traite des êtres humains, de la prise en compte de leur parcours migratoire souvent traumatique, mais aussi de la régularisation de leur situation administrative à leur majorité.
B. L’ÉVOLUTION DU CADRE JURIDIQUE
Aujourd’hui, les mineurs isolés étrangers arrivent dans quelques départements français clairement identifiés, et principalement en Ile-de-France. Le financement de ces prises en charge pèse sur les budgets des départements qui demandaient depuis plusieurs années une intervention de l’Etat. La circulaire du 31 mai 2013, dite circulaire Taubira, répond à cette revendication en créant un dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation des mineurs isolés étrangers (3). Ce texte prévoit ainsi un mécanisme de remboursement par l’Etat des frais engagés par les départements lors de la période de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation des jeunes destinée à s’assurer de leur minorité et de leur isolement sur le territoire français (sur une base forfaitaire de cinq jours). La circulaire organise ensuite une répartition nationale des jeunes reconnus mineurs isolés étrangers.
Le coût financier de ces prises en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance n’est ainsi par réparti par l’intermédiaire d’une péréquation financière entre les départements, mais en orientant les mineurs, arrivant majoritairement dans quelques départements sur l’ensemble du territoire français. Il s’agit d’un choix politique qui a fait l’objet de nombreuses discussions. En effet, on aurait pu envisager une autre solution consistant à établir une péréquation financière entre les départements, qui aurait notamment pu passer par le Fonds national de protection de l’enfance créé en 2007 qui avait en partie cet objectif.
Cette circulaire du 31 mai 2013 a fait l’objet d’un recours devant le Conseil d’Etat. Par une décision du 30 janvier 2015, la juridiction administrative invalide la clé de répartition mise en place tout en conservant les autres dispositions de la circulaire (4). Cette annulation appelait la définition d’un nouveau cadre législatif. La loi du 14 mars 2016 réformant la protection de l’enfant a donc créé un article L. 221-2-2 au sein du code de l’action sociale et des familles, donnant ainsi un fondement légal à la clé de répartition entre les départements. Cet article dispose que « le président du conseil départemental transmet au ministre de la Justice les informations dont il dispose sur le nombre de mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille dans le département. Le ministre de la Justice fixe les objectifs de répartition proportionnée des accueils de ces mineurs entre les départements, en fonction de critères démographiques et d’éloignement géographique ».
C. LA RÉFORME DU 14 MARS 2016
La loi du 14 mars 2016 a modifié l’article 375-5 du code civil afin de rendre effectif le principe de répartition. Selon ce texte, « lorsqu’un service de l’aide sociale à l’enfance signale la situation d’un mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille, selon le cas, le procureur de la République ou le juge des enfants demande au ministère de la Justice de lui communiquer, pour chaque département, les informations permettant l’orientation du mineur concerné ». Le procureur de la République n’est donc pas seul compétent pour saisir la cellule nationale de la protection judiciaire de la jeunesse en charge de cette mission de répartition (et qui relève du ministère de la Justice). Le juge des enfants a cette même compétence.
La loi du 14 mars 2016 ajoute, comme l’y invitait le Conseil d’Etat dans sa décision du 30 janvier 2015, que l’enfant ne peut pas être orienté vers un autre département si cela est contraire à son intérêt supérieur. Autrement dit, et selon l’article 375-5 du code civil, « le procureur de la République ou le juge des enfants prend sa décision en stricte considération de l’intérêt de l’enfant, qu’il apprécie notamment à partir des éléments ainsi transmis pour garantir des modalités d’accueil adaptées ».
D. LE CADRE RÉGLEMENTAIRE AUJOURD’HUI APPLICABLE
A la suite de cette loi, plusieurs textes ont été adoptés pour préciser les conditions de prise en charge des mineurs isolés étrangers au titre de la protection de l’enfance. La circulaire interministérielle du 25 janvier 2016 relative à la mobilisation des services de l’Etat auprès des conseils départementaux concernant les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et les personnes se présentant comme tels (5) insiste ainsi sur la nécessité d’une action concertée entre les différents acteurs compétents (services sociaux, justice, police, mais aussi acteurs de l’éducation, de la formation et de l’insertion). Il s’agit ainsi de renforcer la qualité des interventions dès le stade de l’évaluation de la minorité et de l’isolement mais aussi de favoriser l’accès de ces jeunes migrants à des formations qualifiantes et à une régularisation de leur situation administrative sur le sol français chaque fois que possible.
Cette circulaire a été complétée par un décret du 24 juin 2016 relatif à l’accueil et aux conditions d’évaluation de la situation des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille (6) qui précise à la fois les modalités de calcul de la clé de répartition des mineurs isolés étrangers sur l’ensemble du territoire, mais aussi les conditions d’évaluation de la minorité et de l’isolement (CASF, art. R. 221-11 à R. 221-15). Le texte rappelle, enfin, l’obligation pour le président du conseil départemental de notifier aux intéressés les décisions de refus de prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance (CASF, art. R. 221-11, IV).
Enfin, l’arrêté du 17 novembre 2016 (7) définit de manière très précise la manière dont les départements doivent assurer leur mission d’évaluation de la minorité et de l’isolement. Il traduit bien la volonté d’harmoniser les pratiques dans ce domaine et d’assurer un standard minimum de prise en charge avec une évaluation globale de la situation du jeune et une mise à l’abri le temps de l’évaluation.
Ces textes sont renforcés par des interventions régulières du Défenseur des droits sur le sujet, lequel a, par exemple, adopté, en février 2016, une décision relative à l’accès aux droits et à la justice des mineurs isolés étrangers (8) dans laquelle il insiste notamment sur leur droit d’être entendus par le juge des enfants avant que ce dernier rende sa décision. Comme le rappelle cette institution, « la convocation puis l’audition du jeune se disant mineur en audience devant le juge des enfants est de droit dès lors qu’il en fait la demande, et ce à peine de nullité » (9).
L’importance des textes adoptés en l’espace de six mois met en évidence toute l’actualité du sujet et les questions tout à fait particulières posées par la prise en charge de ces enfants. En effet, l’évaluation de la minorité et de l’isolement laissée à la compétence des départements les rend juge et partie. D’un côté, ils ont la responsabilité de cette évaluation, de l’autre, ils sont chargés d’exécuter et de financer les mesures qui seront ordonnées pour les jeunes reconnus mineurs. En outre, la grande majorité des jeunes qui se présentent pour être évalués sont déclarés majeurs par les services départementaux. Ce constat conduit à se demander si, en droit, il ne conviendrait pas de différencier plus clairement la mission d’évaluation de la minorité et de l’isolement qui relèverait de la compétence de l’Etat au titre des flux migratoires, et la mission de prise en charge des jeunes reconnus mineurs relevant de la compétence des départements au titre de la protection de l’enfance. Cette hypothèse est d’autant plus intéressante que l’Etat compense aujourd’hui par un financement forfaitaire le coût de l’évaluation et de la mise à l’abri assurée par les départements en direction des jeunes qu’ils évaluent.
E. LA PLACE TOUT À FAIT PARTICULIÈRE DES DOCUMENTS D’IDENTITÉ
L’expertise des documents que le jeune présente devient un véritable enjeu à la fois de l’évaluation et de la prise en charge. L’article 47 du code civil rappelle que « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Ce principe pose une présomption de validité des documents fournis par les personnes qui se présentent au titre de l’évaluation, sauf à pouvoir démontrer que ces documents sont falsifiés. De son côté, l’article 388 du code civil, qui règlemente l’utilisation d’expertises judiciaires complémentaires aux fins de détermination de l’âge telle que les examens radiologiques osseux, rappelle que ces tests ne peuvent être réalisés qu’« en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable » ; étant précisé que le doute profite à l’intéressé.
Il arrive néanmoins que les documents présentent des irrégularités. Dans ce cadre, le Défenseur des droits appelle à un rapprochement entre le bureau de la fraude documentaire et les services de l’aide sociale à l’enfance afin de procéder aux analyses nécessaires des documents d’identité pendant la phase d’évaluation (10).
Lorsque le jeune est reconnu mineur, la question de la régularisation de sa situation administrative à sa majorité continue à se poser avec acuité. Elle est loin d’être évidente, et dépend à la fois des documents à la disposition du jeune, de sa situation, mais aussi de son parcours social et professionnel. Selon l’article 21-12 du code civil, « peut […] réclamer la nationalité française l’enfant qui, depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et élevé par une personne de nationalité française ou est confié au service de l’aide sociale à l’enfance ». Lorsque l’enfant arrive en France avant l’âge de 15 ans, il n’y a donc pas de difficultés. S’il a plus de 15 ans, il devra engager des démarches pour l’obtention d’un titre de séjour ou faire une demande d’asile.
(1)
Pour aller plus loin, Capelier F., Comprendre la protection de l’enfance, l’enfant en danger face au droit, Dunod, 2015.
(2)
Arrêté du 17 novembre 2016, NOR : JUSF1628271A, JO du 19-11-16.
(3)
Circulaire du 31 mai 2013, NOR : JUSF1314192C, BOMJ n° 2013-06.
(4)
Conseil d’Etat, 30 janvier 2015, n° 371415, consultable sur www.legifrrance.gouv.fr
(5)
Circulaire interministérielle du 25 janvier 2016, NOR : JUSF1602101C, BOMJ n° 2016-01.
(6)
Décret n° 2016-840 du 24 juin 2016, JO du 26-06-16.
(7)
Arrêté du 17 novembre 2016, NOR : JUSF1628271A, JO du 19-11-16.
(8)
Décision MDE-2016-052 du 26 février 2016, consultable sur www.defenseurdesdroits.fr
(9)
Colmar, 21 avril 2015, arrêt n° 92/15.
(10)
Décision n° MDE 2016-183 du 21 juillet 2016 relative à la situation des mineurs isolés étrangers à Paris.