Le passage à la majorité entraîne un statut juridique nouveau qui confère à l’enfant, devenu adulte, la pleine capacité juridique. La majorité induit également la fin de l’autorité parentale et, le cas échéant, l’arrêt des mesures administratives ou judiciaires mises en place pour protéger l’enfant durant sa minorité.
C’est pour pallier les effets non désirés de l’abaissement de l’âge de la majorité de 21 à 18 ans par la loi du 5 juillet 1974 (1) que l’aide « jeunes majeurs » est créée afin de soutenir les jeunes concernés qui rencontrent des difficultés sociales, éducatives ou encore familiales.
L’enjeu est alors de protéger l’enfant du danger qu’il encourt au sein de son environnement familial, et surtout de l’accompagner vers un projet social et professionnel qui permette son insertion durable au sein de la société.
Il manque aujourd’hui des données objectives sur le devenir des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance. Cette absence de données ne permet de connaître ni le profil et le parcours des enfants placés, ni leur degré d’insertion sociale et professionnelle. Selon Jean-Marie Firdion, « les personnes ayant été « placées » sont largement sur-représentées parmi les populations sans domicile […] en particulier parmi les plus jeunes (35 % parmi les 18-24 ans) et ce phénomène s’observe aussi dans les autres pays occidentaux comme les Etats-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne » (2). Ces chiffres sont néanmoins difficiles à exploiter. En effet, la part des personnes sans abris qui auraient également été confiées aux services de l’aide sociale à l’enfance pendant leur minorité ne donne pas une vue concrète de l’efficacité ni de l’efficience du dispositif. Pour avoir une vue plus précise de cette question, il faudrait en effet connaître la part des personnes sans abris sur l’ensemble des jeunes sortant du dispositif de protection de l’enfance. Or, ces chiffres ne sont pas disponibles actuellement. Il serait nécessaire d’analyser le parcours de tous les jeunes sortis du dispositif de protection de l’enfance et d’assurer un suivi de ces situations dans le temps pour savoir ce qu’ils sont devenus.
Certaines études visent aujourd’hui à avoir une vue plus précise sur le devenir des enfants confiés. Il en est ainsi de l’étude longitudinale sur l’autonomisation des jeunes après un placement (ELAP), qui s’intéresse à la fois à la préparation à l’autonomie des jeunes confiés à l’aide sociale à l’enfance et à leur devenir à la sortie du dispositif. En 2013-2014, plus de 1 600 jeunes âgés de 17 à 20 ans et accueillis en protection de l’enfance ont répondu à un premier questionnaire. En juillet 2016, ces données ont permis la publication de premiers résultats de recherche s’intéressant à la manière dont les jeunes préparent leur avenir (3). Ces éléments montrent l’orientation des jeunes confiés à la protection de l’enfance vers des formations professionnelles qui permettent une indépendance financière rapide.
L’insertion sociale et professionnelle des jeunes sortant du dispositif de protection de l’enfance est bien sûr un enjeu central. En 2015, un rapport de l’Observatoire national de l’enfance en danger rappelle la distinction qui peut être faite entre les notions d’autonomie et d’indépendance. L’autonomie peut être considérée « comme la capacité d’un individu de se donner lui-même sa propre loi » ; elle renvoie à une capacité globale concernant non seulement sa vie familiale et professionnelle, mais aussi les dimensions affectives et psychologiques de son parcours. En revanche, l’indépendance recouvre « le fait de disposer de ressources propres pour répondre à ses besoins (notamment de ressources matérielles et financières) » (4). La distinction entre ces deux notions est importante lorsque l’on s’intéresse à la finalité du dispositif de protection de l’enfance. L’arrêt de la prise en charge entre 18 et 21 ans conduit aujourd’hui à une orientation des jeunes vers des filières professionnelles leur assurant une indépendance économique rapide. Le temps de la prise en charge peut alors conduire à minimiser la problématique de l’accès à l’autonomie. Certaines questions, parfois complexes, sur la recherche de la bonne distance par le jeune dans ses rapports avec son milieu d’origine, sur le fait de réfléchir sur son histoire ou encore la nécessité de construire autour de lui un réseau social « soutenant » peuvent alors être mises de côté au profit d’un projet professionnel permettant une indépendance rapide.
Cette évolution contraste avec la situation des jeunes de la population générale qui quittent le domicile familial de plus en plus tard. En effet, selon une étude de l’Insee, au dernier trimestre de 2014, 57 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans résident de façon permanente chez leurs parents. En outre, 70 % des jeunes de cette tranche d’âge bénéficient d’une aide de leur famille. L’étude précise que « ce sont les jeunes en cours d’études qui sont le plus souvent aidés et qui reçoivent l’aide la plus importante : 90 % bénéficient d’aides régulières, de 330 € par mois en moyenne. Ces aides sont d’autant plus élevées qu’ils ne sont plus cohabitants (510 € par mois en moyenne contre 160 € pour les cohabitants) » (5). Ces éléments contrastent bien sûr avec la situation des jeunes confiés à l’aide sociale à l’enfance, qui bénéficient d’un soutien familial souvent fragile, notamment sous l’angle financier.
Au sein de la population générale, les conditions d’insertion des jeunes sur le marché du travail sont aujourd’hui difficiles. Une étude de l’Insee rappelait ainsi, dès 2006, que « le chômage persistant depuis le milieu des années 1970 s’est traduit par des difficultés d’accès à l’emploi. Les jeunes sont les premiers concernés et leur insertion est devenue plus lente et chaotique. […] Lorsque les jeunes ont un emploi, celui-ci est plus souvent temporaire ou déclassé, et, à diplôme égal, les salaires sont inférieurs à ceux des actifs plus anciens » (6). Une étude plus récente de l’Insee sur les principales ressources des 18-24 ans explique que, « fin 2014, trois jeunes adultes sur dix ont un emploi. Ils occupent dans les mêmes proportions des emplois à durée indéterminée ou déterminée et perçoivent en moyenne 1 250 € nets par mois. Ils bénéficient nettement moins des aides financières de leur famille et de l’Etat, et plus de la moitié d’entre eux vivent encore chez leurs parents » (7).
Ces éléments sont importants à prendre en compte car ils influencent les décisions des jeunes mais aussi les positionnements professionnels dans le champ de la protection de l’enfance. C’est ce que montre d’ailleurs une revue de littérature internationale réalisée par l’Observatoire national de protection de l’enfance en 2014. Ce document met en évidence la situation similaire des enfants confiés dans différents pays développés, à savoir une insertion sociale et professionnelle fragile, mais aussi une très grande hétérogénéité des parcours. Face à ces constats, certaines études proposent la mise en place d’une offre diversifiée qui réponde aux besoins de chaque jeune, assure la continuité de leur parcours et une prise en charge aussi progressive que possible entre le dispositif très normé de la protection de l’enfance et les dispositifs d’accompagnement vers l’insertion sociale et professionnelle (8).
(1)
Loi n° 74-631 du 5 juillet 1974, JO du 7-07-74 ; C. civ., art. 388.
(2)
Firdion J.-M., « Influence des événements de jeunesse et héritage social au sein de la population des utilisateurs des services d’aide aux sans-domicile », Economie et statistiques n° 391-392, 2006, p. 85.
(3)
Frechon I. et Marquet L., Comment les jeunes placés à l’âge de 17 ans préparent-ils leur avenir ?, document de travail 227, INED, juillet 2016.
(4)
ONED, « L’accompagnement vers l’autonomie des « jeunes majeurs” », janvier 2015, p. 9.
(5)
Castell L., Portela M., Rivalin R., « Les principales ressources des 18-24 ans », Insee Première n° 1603, juin 2016.
(6)
Fondeur Y., Minni C., « L’accès des jeunes à l’emploi », Insee, Données sociales : la société française, édition 2006, p. 283.
(7)
Castell L., Portela M., Rivalin R., « Les principales ressources des 18-24 ans », préc.
(8)
Sur cette question, cf. Capelier F., « L’accompagnement vers l’autonomie des jeunes sortant du dispositif de protection de l’enfance », ONED, Revue de littérature, octobre 2014.