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Le périmètre aujourd’hui incertain de l’aide « jeunes majeurs »

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La loi ne parle à aucun moment de « contrat jeunes majeurs » mais évoque la mise en place d’une aide et d’un soutien en direction de ce public. Cette mission est rappelée par l’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles.


A. UNE COMPÉTENCE OBLIGATOIRE OU FACULTATIVE DU DÉPARTEMENT ?

D’abord considérée comme une obligation légale à la charge de l’Etat, la prise en charge des jeunes de 18 à 21 ans a progressivement été présentée comme une compétence facultative des départements. Deux mouvements ont induit ce changement : d’une part, l’abaissement de l’âge de la majorité de 21 ans à 18 ans, d’autre part, la décentralisation de l’aide et de l’action sociales (et donc un transfert de compétence de l’Etat vers les départements). Ces deux mouvements concomitants ont eu pour conséquence un glissement théorique avec des conséquences pratiques importantes. En effet, l’accompagnement des jeunes majeurs, d’abord perçu comme un droit de protection (administrative ou judiciaire), a été intégré au sein des politiques sociales sous la forme d’une aide « jeunes majeurs » relevant de la compétence des départements, et considérée dans ce cadre comme une aide sociale facultative entre 18 et 21 ans.
Cette évolution est également permise par la formulation particulièrement ambiguë des articles L. 221-1, L. 222-2 et L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles qui fondent l’aide « jeunes majeurs ». L’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles rappelle d’abord que le service de l’aide sociale à l’enfance est chargé d’« apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l’autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu’aux mineurs émancipés et majeurs de moins de 21 ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ». Ainsi, l’article présente l’aide « jeunes majeurs » comme une mission du service départemental de l’aide sociale à l’enfance.
On pourrait alors penser qu’il s’agit d’une mission obligatoire du département, cependant la rédaction des articles L. 222-2 et L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles conduit à une discussion sur le sujet. Selon l’article L. 222-2 qui définit l’aide à domicile, cette aide peut également « être accordée aux mineurs émancipés et aux majeurs âgés de moins de 21 ans, confrontés à des difficultés sociales ». L’article L. 222-5 prévoit, en ce qui concerne l’accueil provisoire, que le service de l’aide sociale à l’enfance peut prendre en charge « les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de 21 ans qui éprouvent des difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisants ». L’utilisation du verbe « pouvoir » plutôt que « devoir » introduit une ambiguïté conduisant certains départements à considérer que l’aide « jeunes majeurs » est une compétence facultative.


B. UNE DÉFINITION JURIDIQUE IMPRÉCISE

Le législateur ne donne pas une définition unique de l’aide « jeunes majeurs ». Ses conditions d’obtention semblent ainsi varier selon la nature de la mesure. L’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles mentionne « des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement [l’]équilibre [des jeunes majeurs] », l’article L. 222-2 du même code sur l’aide à domicile insiste simplement sur l’existence de difficultés sociales sans imposer l’existence de difficultés éducatives ou familiales. Enfin, l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles prévoit, quant à lui, qu’un accueil du jeune est possible lorsqu’il éprouve « des difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisants ». On voit ici apparaître une condition de ressources, qui ne figure pas explicitement dans les autres dispositions, ainsi que l’absence de soutien familial qui, lui aussi, peut faire l’objet de débats. En pratique, l’aide « jeunes majeurs » peut en effet être motivée par une absence totale de soutien familial mais aussi par des relations familiales complexes qui nuisent au développement de l’enfant et à terme à la construction par le jeune d’un projet social et professionnel.


C. UNE TRÈS FORTE HÉTÉROGÉNÉITÉ DES PRATIQUES

En 2015, l’Observatoire national de la protection de l’enfance (1) met ainsi en évidence une baisse du nombre de mesures « jeunes majeurs » entre 2011 et 2012. A cette date, la baisse est relativement contenue puisqu’elle n’est que de 1 % (avec 21 500 jeunes majeurs pris en charge par la protection de l’enfance au 31 décembre 2012). Néanmoins, ce chiffre cache une très forte hétérogénéité des pratiques au sein des départements. En outre, le contexte budgétaire actuel et les décisions prises par les départements laissent penser que cette diminution se confirme aujourd’hui et est peut-être même plus marquée que par le passé. Il n’existe cependant pas encore de chiffres pour justifier ce propos.
L’Observatoire national de la protection de l’enfance souligne également une forte baisse des mesures de protection judiciaire en direction des jeunes majeurs. En effet, « parmi l’ensemble des prestations de milieu ouvert, la part des aides éducatives (contrats « jeunes majeurs ») est passée de 63 % fin 2007 à 98 % fin 2012 ». Autrement dit, les mesures de milieu ouvert sont aujourd’hui quasi exclusivement des mesures de nature administrative, les juges des enfants n’ordonnant plus de protection judiciaire. Cette situation s’explique par une baisse manifeste des budgets alloués aux services de la protection judiciaire en la matière. L’évolution est plus significative encore en ce qui concerne les mesures de placement judiciaire : « Pour les jeunes majeurs, les mesures de placement sur décision judiciaire, qui représentaient plus de 17 % des mesures de placement fin 2003, ont quasiment disparu depuis 2009 […]. Elles concernent moins de 0,1 % des mesures de placement fin 2012 (7 mesures contre 23 mesures fin 2011). »


D. LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL D’ÉTAT

Alors qu’elles auraient pu apporter une réponse claire à cette difficulté d’interprétation, les juridictions administratives compétentes pour statuer n’ont jamais proposé une explication générale des textes, se contentant d’exercer un contrôle approfondi des motifs de refus de l’aide « jeunes majeurs » dans chaque cas d’espèce. L’étude de la jurisprudence administrative montre bien la difficulté de définir les caractéristiques de l’aide. En effet, le juge administratif considère par une jurisprudence constante « qu’il résulte des dispositions de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles, qu’alors même que l’intéressé remplit les conditions d’âge et de situation sociale […] le président du conseil général n’est pas tenu d’accorder ou de maintenir le bénéfice de la prise en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance mais dispose d’un pouvoir d’appréciation » (2).
Selon les juridictions administratives, l’aide « jeunes majeurs » n’est pas une compétence obligatoire du département ; toutefois, le refus d’une telle aide doit être suffisamment motivé par le président du conseil départemental, sous peine de nullité (3). Autrement dit, le juge administratif exerce un contrôle approfondi sur la mise en œuvre de cette mission confiée au service de l’aide sociale à l’enfance.
Ainsi, le juge administratif estime, par exemple, que le département ne peut pas refuser une aide « jeunes majeurs » en considérant que le recours à l’hébergement d’urgence (relevant de la compétence de l’Etat) est un préalable obligatoire (4). En l’espèce, un département considérait en effet qu’une demande pour un hébergement d’urgence et l’impossibilité d’y avoir accès étaient des prérequis indispensables à la mise en place d’un contrat « jeune majeur ». Le juge administratif refuse cette interprétation des textes.
De manière plus générale, le contrôle opéré par le juge administratif le conduit fréquemment à sanctionner les décisions de refus de prise en charge prononcées par les départements. La compilation de la jurisprudence existante est intéressante, car elle montre l’interprétation large par le juge administratif des conditions de l’aide « jeunes majeurs ». Ainsi, le juge administratif considère que les motifs suivants ne sont pas des motifs suffisants pour refuser une demande de contrat « jeunes majeurs », à savoir :
  • la reprise des liens entre le jeune et sa famille d’origine (5) ;
  • le fait que le jeune n’ait pas un projet de formation qui conduise à une autonomisation rapide (6) ;
  • l’absentéisme scolaire du jeune (7) ;
  • ou encore, le caractère récent de la prise en charge du jeune au titre de l’aide sociale à l’enfance et le fait qu’il soit en attente d’un titre de séjour (8).
Enfin, un arrêt récent met en évidence la problématique liée à la prise en charge de jeunes majeurs en situation irrégulière sur le territoire. En effet, certains mineurs isolés étrangers pris en charge au titre de l’assistance éducative peuvent faire l’objet, à leur majorité, d’une aide « jeunes majeurs ». La question est alors de savoir dans quelles conditions cette aide peut être mise en œuvre. Certains départements motivent leur décision de refus d’aide « jeunes majeurs » en considérant que l’administration encoure un risque pénal, si elle est poursuivie pour aide au séjour des étrangers en situation irrégulière. La cour administrative d’appel de Marseille ne répond pas directement à cette question soulevée par le département (9) ; néanmoins il s’agit d’une réelle difficulté juridique. Il existe en effet un conflit de droit entre les dispositions du code pénal et celles du code de l’action sociale et des familles qui ne conditionnent pas l’aide « jeunes majeurs » à une situation régulière du jeune sur le territoire français.


(1)
ONED, « Dixième rapport annuel au gouvernement et au Parlement », mai 2015, p. 138.


(2)
CAA Paris, 3e chambre, 25 septembre 2014, n° 13PA04166, consultable sur www.legifrance.gouv.fr


(3)
CAA Paris, 3e chambre, 29 avril 2014, n° 13PA03173, inédit au recueil Lebon.


(4)
Conseil d’Etat, 1e sous-section, 26 avril 2013, n° 364333, consultable sur www.legifrance.gouv.fr


(5)
CAA Paris, 3e chambre, 25 septembre 2014, n° 13PA04166, inédit au recueil Lebon.


(6)
TA Paris, 27 septembre 2013, n° 122113/6-1, JDJ n° 329, novembre 2013.


(7)
TA Paris, 17 janvier 2013, n° 1222107/9, JDJ n° 322, février 2013 : référé suspension.


(8)
TA Paris, 19 juillet 2012, n° 121106219, JDJ n° 318, octobre 2012, p. 53.


(9)
Sur ce sujet CAA de Marseille, 5e chambre, n° 13MA03761, consultable sur www.legifrance.gouv.fr

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